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Smithers, Charlotte (Learmont), réformatrice sociale, née le 25 août 1845 à Waterford (république d’Irlande), fille de Charles Francis Smithers et de Martha B. Sherman ; le 6 décembre 1882, elle épousa à Montréal Joseph Bowles Learmont (mort en 1914), et ils n’eurent pas d’enfants ; décédée le 2 juillet 1934 au même endroit et inhumée au cimetière Mont-Royal à Outremont (Montréal).
Charlotte Smithers immigra à Montréal avec sa famille en 1847. Son père, comptable pour la Banque de l’Amérique septentrionale britannique, assura une vie confortable à sa femme et ses enfants. En 1854, il devint administrateur d’une succursale à Brantford, dans le Haut-Canada, puis, deux ans plus tard, emmena les siens vivre à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Charlotte alla à l’école primaire dans ces deux endroits. En 1858, Charles Francis entra à la Banque de Montréal et les Smithers retournèrent dans cette ville, où Charlotte fréquenta l’académie pour jeunes filles d’Hannah Willard Lyman. Cette dernière, qui dirigerait le Vassar College à Poughkeepsie, dans l’État de New York, serait reconnue pour son souci d’encourager l’indépendance des jeunes femmes de milieux privilégiés, tout en veillant à ce qu’elles maintiennent les standards de bienséance appropriés à leur rang. Charlotte termina ses études à New York, probablement en 1862–1863, quand son père y était directeur de l’agence de la banque. Au milieu des années 1860, les Smithers passèrent à nouveau plusieurs années à Montréal avant de retourner à New York, où Charles Francis s’établit comme banquier privé. En 1870, la famille, qui comprenait 11 enfants, de Charlotte âgée de 24 ans au benjamin âgé d’un an, y vivait avec deux domestiques. Charlotte revint sans doute à Montréal avec ses parents, ses frères et ses sœurs, quand son père devint directeur général de la Banque de Montréal en 1879.
En 1882, à 37 ans, Mlle Smithers épousa Joseph Bowles Learmont, veuf et père d’un fils de huit ans, Holton Hamilton. Natif de Montréal, Learmont était un associé au sein de la Caverhill, Learmont and Company Limited, grande et lucrative entreprise de quincaillerie en gros. Il avait perdu sa première femme, Amelia Jane Holton, fille de l’homme d’affaires et député Luther Hamilton Holton*, en 1875, deux ans après leur union. Learmont avait bâti sa fortune et atteint un rang social élevé grâce à des affaires prospères et à son mariage ; il s’engagea dans de nombreuses œuvres de charité et, à titre d’administrateur, dans plusieurs organisations communautaires, dont le Montreal General Hospital.
Charlotte et Joseph Bowles n’eurent pas d’enfants. L’absence d’obligations parentales et sa position sociale privilégiée laissèrent à Mme Learmont le temps et les moyens financiers de participer à une grande variété d’activités philanthropiques bénévoles. Parce qu’ils jugeaient que les œuvres caritatives traditionnelles ne constituaient que des palliatifs aux symptômes de la pauvreté, les réformistes sociaux de la fin du xixe siècle voulaient les transformer en organisations qui s’attaqueraient efficacement à la cause des problèmes sociaux par l’éducation et la prévention. Les adeptes du féminisme maternel, telle Charlotte Learmont, justifiaient leur activisme social en soutenant que si jamais la société obtenait sa rédemption, elle aurait besoin de ce qu’elles considéraient comme l’aptitude nourricière naturelle et la moralité supérieure des femmes.
Active dans l’Association chrétienne des jeunes femmes de Montréal, Mme Learmont en fut trésorière, vice-présidente et présidente. Ses longues années de service lui vaudraient le poste de trésorière honoraire en 1899 ; elle en serait présidente honoraire en 1930. Elle contribua à l’association notamment en établissant la Montreal Day Nursery, en 1888, pour prendre soin des enfants des mères au travail. Elle participa à la création du Local Council of Women (LCW) de Montréal en 1893 et en fut vice-présidente pendant de nombreuses années. En 1900, le LCW remplaça le poste de présidente par un « conseil présidentiel », formé de quatre ou cinq femmes ; Mme Learmont siégea au premier en 1900–1901. À la fin des années 1890, Mme Learmont et son mari avaient commencé à jouer des rôles importants dans la section montréalaise du Victorian Order of Nurses, respectivement à titre de présidente du comité des dames et d’administrateur. En 1900, ils participèrent à la constitution de la Charity Organization Society, mise en place pour coordonner les activités d’aide dans la ville, et firent ensuite partie du conseil d’administration. En 1904, elle créa la section montréalaise de la Needlework Guild of Canada, qui fournissait des vêtements aux nécessiteux. La même année, elle figura parmi les notables qui firent constituer officiellement la Parks and Playgrounds Association of Montreal. Sa quête d’une ville saine et belle l’amena à accepter la vice-présidence de la City Improvement League, fondée en 1909. Elle était aussi membre du Themis Club, un des premiers clubs sociaux pour femmes au Canada, et du Royal Montreal Golf Club.
Mme Learmont participa à la conception et à la réalisation de deux expositions de premier plan à Montréal. La première, l’Exposition anti-tuberculose, se tint du 18 au 29 novembre 1908 et attira environ 55 000 personnes, dont bon nombre d’enfants. D’une durée de 12 jours, l’exposition voulait éduquer de façon pratique, à l’aide de démonstrations, de conférences par des professionnels du corps médical et de nombreuses présentations visuelles. Les visiteurs, admis gratuitement, avaient accès à trois étages d’installations interactives qui montraient que l’on pouvait prévenir et guérir la tuberculose. Dans une partie, on expliquait la propagation de la maladie grâce à une vaste collection de spécimens pathologiques et de radiographies, et au dernier étage, on présentait des exemples grandeur nature d’habitations saines et malsaines. Dans son discours d’ouverture, le Dr John George Adami, président du comité de l’exposition, qualifia Mme Learmont de « véritable tête dirigeante du mouvement ». L’année suivante, la Montreal League for the Prevention of Tuberculosis, connue officieusement en français sous les noms de Ligue anti-tuberculeuse ou Ligue anti-tuberculose de Montréal, s’affilia au Royal Edward Institute, récemment créé, et Mme Learmont en devint une administratrice.
La deuxième exposition, l’Exposition pour le bien-être des enfants, d’une portée beaucoup plus ambitieuse, s’ouvrit le 8 octobre 1912 et se poursuivit pendant deux semaines. Visitée par près d’un demi-million de personnes et, selon la Gazette de Montréal, le « plus grand événement de sa catégorie jamais entrepris dans le dominion », elle fut rendue possible grâce à diverses organisations d’assistance sociale, dont le Victorian Order of Nurses, le LCW, la City Improvement League et la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste. Tout comme l’exposition précédente, elle visait à sensibiliser la classe ouvrière en matière d’hygiène, d’habitation, de discipline, de nutrition et de travail. Quand Adami déclara que la City Improvement League, qu’il présidait, était responsable du succès de l’événement, les membres du LCW, y compris Mme Learmont, s’indignèrent. L’insinuation d’Adami selon laquelle, parce qu’il ne représentait qu’un seul sexe, le LCW n’aurait pu obtenir qu’un « succès partiel » les offensa particulièrement. Elles répondirent par une lettre aux journaux où elles affirmaient que le LCW était à l’origine du projet et exigeaient la reconnaissance de sa nature coopérative.
Mme Learmont et son mari fréquentaient l’Emmanuel Congregational Church, où celui-ci fut surintendant de l’école du dimanche pendant deux décennies. Après avoir vécu dans la rue Mackay pendant les premières années de leur mariage, le couple engagea, en 1892, l’architecte montréalais bien en vue Edward Maxwell* pour concevoir les plans de leur nouvelle maison. Construite en 1893–1894 dans la rue McGregor (avenue Dr Penfield), elle était remarquable ; la bibliothèque de Joseph Bowles contenait, disait-on, l’une des collections personnelles les plus riches et raffinées au Canada. Ce dernier portait un intérêt spécial à l’art et à l’histoire canadiens, et possédait aussi de nombreuses gravures de grande valeur. Ses livres et ses gravures seraient mises aux enchères en 1918, après sa mort. En 1913, il acheta la Quebec House à Westerham, en Angleterre, lieu de naissance de James Wolfe*, avec l’intention de l’offrir au gouvernement canadien pour créer un musée, mais il disparut avant que la transaction ne soit terminée. Cinq ans plus tard, Mme Learmont en fit don au National Trust d’Angleterre et la dota de deux fonds : l’un de 20 000 $ pour les dépenses d’entretien et l’autre de 30 000 $ pour l’acquisition d’artefacts liés à Wolfe et à sa vie.
Femme talentueuse, inspirée et productive, Charlotte Learmont était une travailleuse extraordinaire. Dans les années 1920, elle expliqua qu’elle s’était « toujours intéressée à l’amélioration morale et spirituelle de l’humanité, grâce à l’éducation et autres influences édifiantes, et particulièrement aux mesures de prévention contre la maladie ». Elle croyait fortement en « l’importance d’enseigner aux jeunes le soin de leur santé et de leur moralité ainsi que l’amour de Dieu et de leurs semblables, propres à assurer le bien de cette [génération] et des générations futures ». Elle mourut dans sa maison sept semaines et demie avant son quatre-vingt-neuvième anniversaire.
BAC, R2866-0-6 ; R2915-0-7.— BAnQ-CAM, CE601-S91, 6 déc. 1882 ; P32, S1, SS1, D55 ; P653.— Compagnie du cimetière du Mont-Royal (Outremont [Montréal]), Burial reg.— « Les Écoliers à l’exposition », la Presse, 19 nov. 1908.— Gazette (Montréal), 3 juill. 1934.— « School children take possession of the exhibition », Montreal Daily Star, 19 nov. 1908.— « The voice of the child cries out against you », Montreal Daily Star, 19 oct. 1912.— Annuaire, Montréal, 1850–1895.— W. H. Atherton, Montreal, 1534–1914 (3 vol., Montréal, 1914), 2, 3.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Terry Copp, The anatomy of poverty : the condition of the working class in Montreal, 1897–1929 (Toronto, 1974).— Merrill Denison, la Première Banque au Canada : histoire de la Banque de Montréal, P.-A. Horguelin et J.-P. Vinay, trad. (2 vol., Toronto et Montréal, 1966–1967).— Micheline Dumont et al. (le Collectif Clio), l’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles (éd. rév., Montréal, 1992).— Valerie Minnett, « Disease and domesticity on display : the Montreal Tuberculosis Exhibition, 1908 », Bull. canadien d’hist. de la médecine (Waterloo, Ontario), 23 (2006) : 381–400.— Prominent people of the province of Quebec, 1923–24 (Montréal, s.d.).— François Rémillard et Brian Merrett, Demeures bourgeoises de Montréal : le Mille carré doré, 1850–1930 (Montréal, 1986).— The storied province of Quebec : past and present, W. [C. H.] Wood et al., édit (5 vol., Toronto, 1931–1932), 3 : 14.— Robert Sweeny, « Building for power : the Maxwell practice and the Montreal business community » : cac.mcgill.ca/maxwells/essay/04.htm (consulté le 1er févr. 2012).— Mariana Valverde, The age of light, soap, and water : moral reform in English Canada, 1885–1925 (Toronto, 1991).— Women of Canada (Montréal, 1930).
Elizabeth Kirkland, « SMITHERS, CHARLOTTE (Learmont) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/smithers_charlotte_16F.html.
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Auteur de l'article: | Elizabeth Kirkland |
Titre de l'article: | SMITHERS, CHARLOTTE (Learmont) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2018 |
Année de la révision: | 2018 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |