SMITH, JANET KENNEDY, domestique, auteure d’un journal et victime présumée de meurtre, née le 25 juin 1902 à Perth, Écosse, fille d’Arthur Mitchell Tooner Smith et de Johanna Benzies ; décédée célibataire le 26 juillet 1924 à Point Grey (Vancouver).

Si l’on se souvient de Janet Kennedy Smith, c’est surtout en raison de sa mort suspecte et de l’énorme controverse qui l’entoura. Elle était née dans une modeste famille de Perth, où son père était pompier pour les chemins de fer. Bien que la presse l’ait surnommée par la suite « le Rossignol écossais », son père était d’ascendance irlandaise, anglaise et écossaise, et sa mère était Norvégienne. Après l’installation de sa famille dans le quartier ouvrier de Lambeth (Londres) – lorsque Janet avait 11 ans –, la jeune fille termina sa scolarité et obtint un certificat de bonne d’enfants. En janvier 1923, un couple de Vancouvérois habitant à Kensington, Doreen et Frederick Lefevre Baker, l’engagèrent pour prendre soin de leur nouveau-né. Elle les accompagna ensuite à Paris, où Baker devait aller pour ses affaires d’import. En octobre, attirée par un salaire mensuel de 30 $ et la promesse d’un billet de retour, elle partit avec eux pour Vancouver.

Les Baker emménagèrent dans une maison située dans un quartier chic, l’extrémité ouest de la ville. Tout près de là se trouvait le parc Stanley, où Mlle Smith allait souvent se promener avec le bébé. Apparemment, ces sorties lui donnaient l’occasion de lier connaissance avec des célibataires de Vancouver, et elle ne tarda pas à avoir des relations plus ou moins sérieuses.

Dans son journal, la jeune femme méditait sur sa sexualité et ses aventures romanesques. Bon nombre de notations sont carrément mélodramatiques : « Nuit céleste, lune immense et personne de bien pour m’aimer. » D’autres sont mystérieuses : « Je suppose que je jouerai toujours avec le feu. Ce doit être pourquoi la diseuse de bonne aventure m’a dit que j’ai la ceinture de Vénus. » Comme elle avait l’intention de retourner en Angleterre, elle se reprochait souvent de faire marcher les hommes et semblait soucieuse de rester une fille respectable. Ces écrits révèlent une personnalité plus complexe que « la jeune Écossaise à la réputation sans tache » dont parlerait la presse vancouvéroise.

En mai 1924, Janet Kennedy Smith s’installa avec les Baker chez le frère de Frederick Lefevre Baker, Richard Plunkett. La maison de celui-ci était située dans Shaughnessy Heights, quartier prestigieux d’une municipalité alors distincte au sud de Vancouver, Point Grey. Mlle Smith y travaillait aux côtés du domestique de Richard Plunkett Baker, Wong Foon Sing. Ses rapports avec ce jeune homme de 25 ans donneraient lieu à bien des spéculations après sa mort. Les amis de la jeune femme témoigneraient de sa crainte qu’il ne l’assassine. Son journal montre pourtant que Wong lui offrait des cadeaux intimes – une chemise de nuit en soie, par exemple – et qu’elle était très consciente de l’effet qu’elle lui faisait. De toute évidence, elle éprouvait du plaisir à savoir que les hommes l’aimaient.

Janet Kennedy Smith connut une fin violente au matin du 26 juillet 1924. Son corps fut trouvé au sous-sol de la maison Baker à côté d’une planche à repasser. Elle avait une blessure par balle à la tempe et un revolver gisait près de sa main ouverte. La police de Point Grey constata aussi des brûlures suspectes sur son bras et une tache sur l’un de ses doigts. Wong Foon Sing était la seule personne présente dans la maison au moment où le coup de feu aurait été tiré. Il témoigna par la suite avoir entendu un bruit semblable à une pétarade de voiture, être descendu au sous-sol et avoir découvert le cadavre. La police conclut à un suicide et le coroner de Vancouver, après une enquête rapide, déclara que la victime était « morte de sa propre main mais accidentellement ».

L’histoire était pourtant loin d’être terminée. À cause d’une série d’événements inhabituels, la mort de Janet Kennedy Smith ferait encore la manchette durant des mois. Plusieurs de ses amis, convaincus qu’elle ne s’était pas suicidée, obtinrent l’aide du United Council of Scottish Societies et des dirigeants de l’Église presbytérienne de Vancouver, qui se préoccupaient des périls moraux auxquels faisaient face les jeunes immigrantes. Le United Council of Scottish Societies réclama une réouverture de l’enquête en envoyant des télégrammes au procureur général de la province, Alexander Malcolm Mason. Au bout du compte, le principal auteur de cette intrigue policière fut l’éditeur du Vancouver Star, Victor Wentworth Odlum*. Ses articles à scandale sur cette mort « troublante » et sur l’apparente incurie de la police suscitèrent un intérêt immense et firent croire à la culpabilité de Wong Foon Sing. D’autres journaux de Vancouver prirent exemple sur Odlum. La mort de Mlle Smith devint une affaire célèbre.

Finalement, à cause des pressions de l’opinion, le corps fut exhumé le 28 août et une deuxième enquête se tint en septembre. Après une semaine de témoignages sensationnels, le jury rendit le verdict attendu : Janet Kennedy Smith avait été assassinée. Le Union Council of Scottish Societies continua d’exiger du gouvernement qu’il trouve le coupable. Manson retint les services d’un procureur spécial, Malcolm Bruce Jackson, pour déterminer ce qui était arrivé à « la fille du Vieux Pays ». Le Union Council of Scottish Societies exerça aussi des pressions sur la députée provinciale Mary Ellen Smith [Spear*] afin qu’elle présente un projet de loi interdisant aux employeurs d’engager des Blanches et des Orientaux comme domestiques dans la même maison. En novembre, Mary Ellen Smith déposa ce qu’on appela le Janet Smith Bill (en fait, un amendement au Women’s and Girls’ Protection Act de 1923). Toutefois, le projet mourut au feuilleton après que Manson eut conclu qu’il serait probablement déclaré inconstitutionnel.

Les journaux ne parlèrent guère plus de l’affaire jusqu’à ce qu’un événement choquant se produise à Shaughnessy Heights. Le 20 mars 1925, un groupe d’hommes vêtus de tuniques du Ku Klux Klan arrivèrent chez Richard Plunkett Baker et enlevèrent Wong Foon Sing. Ces sbires, que l’on identifia par la suite comme des hommes de main engagés par le Union Council et quelques constables qui n’étaient pas en service, emmenèrent Wong dans une maison où, durant six semaines, ils le torturèrent afin de le faire passer aux aveux ou de lui arracher assez de renseignements pour expliquer la mort de Mlle Smith. Plus tard, on apprit que Manson savait où Wong se trouvait, mais qu’il n’avait rien fait dans l’espoir que le mystère s’éclaircisse. Son inaction mit pour ainsi dire fin à sa carrière politique prometteuse.

Le 1er mai, les ravisseurs relâchèrent Wong, mais la police de Point Grey s’empressa de l’arrêter pour le meurtre de Janet Kennedy Smith. Un éminent avocat engagé par la Chinese Benevolent Association, John Harold Senkler, le défendit à son procès. En octobre, Wong bénéficia d’un non-lieu pour insuffisance de preuves ; par la suite, il retourna en Chine. Trois de ses ravisseurs firent de la prison, mais les autres participants du complot, dont Malcolm Bruce Jackson, James Alexander Paton, président du conseil municipal de Point Grey, et deux commissaires de police, furent acquittés.

Avant l’épisode de l’enlèvement et de l’arrestation de Wong, d’autres explications avaient été avancées. Selon la thèse la plus répandue, Mlle Smith avait été violée et assassinée au cours d’une « soirée de débauche » tenue dans la maison de Baker par des play-boys célibataires qui avaient ensuite soudoyé la police et les coroners. Plus récemment, l’écrivain Edward Starkins a soutenu que Frederick Lefevre Baker était un trafiquant de drogue et que ses activités avaient joué un rôle important dans la mort de la jeune femme.

Suicide ou meurtre, la mort de Janet Kennedy Smith conserve de l’intérêt à cause du débat public auquel elle donna lieu. Les récits populaires de cette affaire en disent long sur les notions de race, de classe, de sexe et d’ordre public qui dominaient en Colombie-Britannique dans les années 1920. Plus que de la matière pour les journaux à sensation, cette énigme était un drame social qui amena les Vancouvérois à s’interroger sur leur ville et leur province. Janet Kennedy Smith repose au cimetière Mountain View de Vancouver sous une pierre tombale payée par le United Council of Scottish Societies.

Scott Kerwin

General Register Office for Scotland (Édimbourg), Reg. of births, Perth, 25 juin 1902.— Beacon (Vancouver), déc. 1924–janv. 1926.— Dahan Gongbao/Chinese Times (Vancouver), sept. 1924–oct. 1925.— Point Grey Gazette (Vancouver), août 1924–juin 1925.— Vancouver Morning Sun, 8 sept. 1924, mai–oct. 1925.— Vancouver Star, juill.–déc. 1924.— C.-B., Attorney General, Report of the superintendent of provincial police (Victoria), 1925.— Scott Kerwin, « The Janet Smith Bill of 1924 and the language of race and nation in B.C. », BC Studies (Vancouver), nº 121 (printemps 1999) : 83–114 ; « Re/producing a “white British Columbia” : the meanings of the Janet Smith Bill » (thèse de m.a., Univ. of B.C., Vancouver, 1996).— Sky Lee, Disappearing moon cafe (Vancouver, 1990).— Martin Robin, The saga of Red Ryan and other tales of violence from Canada’s past (Saskatoon, 1982), 6.— Edward Starkins, Who killed Janet Smith ? The 1924 Vancouver killing that remains Canada’s most intriguing unsolved murder (Toronto, 1984).— W. P. Ward, White Canada forever : popular attitudes and public policy toward Orientals in British Columbia (2e éd., Montréal et Kingston, Ontario, 1990)

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Scott Kerwin, « SMITH, JANET KENNEDY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/smith_janet_kennedy_15F.html.

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