Titre original :  Toronto Then and Now: # 14 ~ Ambrose Small and Toronto's "Crime of the Century", Then and Now

Provenance : Lien

SMALL, AMBROSE JOSEPH, imprésario, né le 11 janvier 1866 à Bradford, Haut-Canada, fils de Daniel Small et d’Ellen Brazil (Brazille, Brazell) ; le 6 novembre 1902, il épousa à Toronto Theresa Kormann, et ils n’eurent pas d’enfants ; disparu dans cette ville le 2 décembre 1919.

Vers 1875, le père d’Ambrose Joseph Small, fils d’immigrants irlando-catholiques, s’établit avec sa famille à Toronto, où il tint un hôtel-saloon. Ambrose Joseph fréquenta peut-être le St Michael’s College et le De La Salle Institute, deux établissements torontois. D’après certains témoignages, son père lui aurait inculqué une éthique du travail extrêmement forte. En 1880, Daniel Small fit l’acquisition du Grand Hotel, dont le brasseur Ignatius Kormann possédait une part. Situé dans la rue Adelaide Ouest, il était adjacent au Grand Opera House d’Alexander Henderson Manning*, qui faisait partie du circuit de tournées d’Augustus Pitou, dont le point de départ était New York. En 1891, trois ans après la mort d’Ellen Brazil, Daniel épousa la fille de Kormann, Josephine.

Ambrose John Small connut une ascension fulgurante. Dès 1884, il s’affairait au Grand Opera House – il servait de portier, tenait le bar, dirigeait une sorte d’agence matrimoniale – et gérait des paris sur des chevaux de course. En 1889, il était trésorier de l’établissement, mais, à la suite d’une dispute avec le directeur, Oliver Barton Sheppard, il passa à un théâtre voisin, le Toronto Opera House, où l’on présentait du vaudeville et du mélodrame ; cette salle faisait partie du circuit de Henry R. Jacobs, de New York, et de son associé montréalais John Bolingbroke Sparrow. Bientôt, les agences internationales de spectacles, les réservations et les goûts du public n’eurent plus de secrets pour Small, et il se hissa jusqu’au poste de directeur. Dès 1892, malgré des paris téméraires aux courses, il détenait des hypothèques sur deux théâtres de Toronto (le sien et le Regent Theatre) et commençait à élargir le cercle de ses alliances.

Doué d’une grande faculté d’adaptation, Small sut se placer à l’avant-plan de la direction théâtrale en Ontario. Sous son parrainage, l’acteur Robert C. Cummings forma en 1897 une troupe de répertoire, la première à Toronto depuis les années 1870. Au tout début du xxe siècle, années fastes où plus de 300 compagnies étaient en tournée, Small montra beaucoup de discernement dans les spectacles qu’il faisait venir et sut tirer parti des vedettes anglaises et américaines désireuses de se produire au Canada. Lorsque le nombre de spectacles de tournée déclina, il présenta du vaudeville, puis des films. Après la mort de Clark J. Whitney, de Detroit, en 1902 – cet homme avait dirigé un circuit important en Ontario, dont une partie en association avec lui –, Small consolida ses avoirs en achetant des théâtres dans des centres tels Hamilton, Kingston, Toronto, St Thomas et Peterborough. Ce faisant, il dama le pion aux agences new-yorkaises, organisa par achat, location ou contrôle des réservations un circuit de 34 théâtres (dont la moitié hors de l’Ontario) et amassa une fortune. En 1906, il avait été élu président de la Canadian Theatrical Managers’ Association. En 1912, Michael Bennett Leavitt disait à juste titre du circuit de Small que c’était « l’un de ceux qui présent[aient] les spectacles les mieux choisis [...] en Amérique ».

Small avait du magnétisme et beaucoup d’énergie. Il attirait les femmes, surtout les filles des troupes de théâtre, et récompensait celles qui lui plaisaient en leur offrant des chocolats. Il courtisa Theresa Kormann, la jeune sœur de la femme de son père, et l’épousa en 1902, pendant l’homologation du testament de la mère des deux femmes. Le seul point commun du couple, qui finirait par s’installer à Rosedale, était son désir de s’enrichir. Linguiste, artiste et musicienne, la « plantureuse » Theresa était charitable et pieuse ; Ambrose, lui, était considéré comme un être « tout à fait dénué de scrupules ». En tant qu’associés en affaires, ils ne faisaient qu’un. En partie grâce à l’héritage de Theresa, Small put acheter le Grand Opera House en 1903 – chose qu’il s’était juré de faire – et, trois ans plus tard, il congédia Sheppard. Celui-ci s’employa alors à transformer le Princess Theatre de la rue King en une salle de plus haute tenue, laissant à Small le domaine « médiocre » des comédies musicales et du mélodrame. Au cours d’un voyage de Theresa en Europe, Small fit aménager au Grand Opera House une chambre secrète où il pourrait recevoir des femmes ; ornée d’un tableau représentant un nu féminin, la pièce comprenait un bar et un lit opulent. Theresa était au courant de ses liaisons puisqu’elle ne rapporta pas sa disparition en décembre 1919 par crainte du scandale : « Je pense que mon Amby est entre les mains d’une intrigante, quelque part, et qu’il reviendra. »

À la fin de novembre 1919, en raison de la hausse des coûts de production et de la diminution des spectacles de tournée, les Small avaient vendu leur chaîne de théâtres pour 1,7 million de dollars à la TransCanada Theatres Limited. Le 1er décembre, ils touchèrent un acompte de un million. Le lendemain matin, tandis que Theresa déposait le chèque, Ambrose commandait une Cadillac, un manteau de fourrure et des bijoux pour elle. Dans l’après-midi, il eut un rendez-vous avec son avocat au Grand Opera House. Plus tard le même jour, il disparut sans laisser de traces. En janvier, après une enquête préliminaire de la police, Theresa offrit des récompenses, et des recherches internationales commencèrent. Les avis précisaient qu’il était : « très rapide dans ses mouvements », qu’il mesurait 5 pieds 9 pouces, pesait entre 150 et 160 livres, avait les yeux bleus, les cheveux bruns et une moustache grisonnante. Un ex-employé fut reconnu coupable d’avoir volé des obligations dans le coffre de Small le 2 décembre. Cependant, jamais aucune accusation d’enlèvement ne fut portée contre qui que ce soit et jamais on ne retrouva le corps.

Comme Theresa affirmait vouloir laisser sa fortune à l’Église catholique, une guerre se déclara dans les journaux à sensation. Les sœurs de Small, Mary Florence Maude et Gertrude Mercedes, engagèrent le détective privé Patrick Sullivan pour qu’il retrouve son corps et blanchisse sa réputation. Dans un portrait rédigé pour démentir des « calomniateurs sans scrupules », Sullivan décrivait Small comme un homme d’affaires « ingénieux » et travailleur qui, fuyant la débauche, n’avait « jamais montré la moindre tendance à s’écarter du droit chemin ». En 1923, Small fut déclaré mort aux fins du règlement de la succession. Ses sœurs contestèrent sans succès son testament de 1903, dans lequel il léguait tout à sa femme. Recluse depuis la disparition de son mari, Theresa hérita de la succession, estimée à 1 087 831,70 $. (Elle laisserait de l’argent à l’Église seulement après sa mort en 1935.)

La disparition d’Ambrose Joseph Small continua de donner lieu à toutes sortes de spéculations. Selon une théorie, sa femme avait eu un amant à London. Au Grand Opera House de cette ville, propriété des Small, un concierge qui avait senti les émanations de la chaudière prétendait que Theresa et son amant avaient tué et incinéré Small. Que cette histoire soit véridique ou non, Small est demeuré, dans la légende, le fantôme de ce théâtre. En 1928, le journaliste Hector Willoughby Charlesworth* – qui avait bien connu Small durant plus de 25 ans, méprisait ses méthodes mesquines mais reconnaissait son importance comme imprésario – croyait fermement à l’hypothèse du meurtre. D’autres détectives amateurs ont conclu aussi à un acte criminel. Depuis les années 1920, le personnage et sa disparition ont inspiré plusieurs livres, articles et tableaux, de même qu’une pièce pour la radio. Dans In the skin of a lion (Toronto, 1987), roman où il est question des recherches menées en 1920 pour le retrouver, Michael Ondaatje décrit son apport au patrimoine culturel en faisant de lui « le rapace du monde des affaires de Toronto ». Le romancier ajoute : « Il incarnait le capitalisme dur et froid. » Dans ce livre, le personnage de Small déclare : « Je suis un voleur [...] Les voleurs doivent toujours prévoir une porte de sortie. » Par quelle porte Ambrose Joseph Small s’est-il enfui ? Cela reste une énigme.

Kathleen D. J. Fraser

AN, RG 31, C1, Toronto, 1881, St Andrew’s Ward, subdiv. 1 : 19 ; 1891, St Thomas’ ward, subdist. 1 : 19 ; 1901, Ward 2, div. 12 : 22.— AO, RG 22-305, nos 15671, 50038 ; RG 80-5-0-192, no 14444 ; RG 80-5-0-298, no 2971 ; RG 80-27-2, 66 : 206.— MTRL, PA, Vert. file, theatre companies, Ambrose Small (dossier de coupures de journaux de l’ancien Theatre Dept., conservé sur microfiches), particulièrement Patrick Sullivan, « The Ambrose Small mystery : startling revelations by Patrick Sullivan » (coupure d’une publication de Toronto non identifiée, 9 sept. 1922) ; SC, Theatre manuscripts, Thomas Scott coll.— Univ. of Western Ontario Library, Regional Coll. (London), E. M. W. Flock coll.— R. T. Allen, « What really happened to Ambrose Small ? » Maclean’s (Toronto), 64 (1951), no 2 : 12s., 35s.— Annuaire, Toronto, 1875–1919.— Mary Brown, « Ambrose Small : a ghost in spite of himself », dans Theatrical touring and founding in North America, L. W. Conolly, édit. (Westport, Conn., et Londres, 1982), 77–88.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— H. [W.] Charlesworth, More candid chronicles : further leaves from the note book of a Canadian journalist (Toronto, 1928).— Early stages : theatre in Ontario, 1800–1914, Ann Saddlemyer, édit. (Toronto, 1990).— W. A. Hewitt, « Toronto’s greatest racetrack plunger », Thoroughbred of Canada (Toronto), févr. 1954 : 16–18.— M. B. Leavitt, Fifty years in the theatrical management (New York, 1912).— Fred McClement, The strange case of Ambrose Small (Toronto, 1974).— W. S. Wallace, Murders and mysteries : a Canadian series (Toronto, 1931 ; réimpr., Westport, 1975) ; « The Small mystery », Maclean’s, 44 (1931), no 14 : 6, 50s.

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Kathleen D. J. Fraser, « SMALL, AMBROSE JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/small_ambrose_joseph_14F.html.

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Auteur de l'article:    Kathleen D. J. Fraser
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    1 décembre 2024