SINGH, MEWA, ouvrier, né vers 1881 à Lopoke, Inde, fils de Nund Singh ; resté célibataire ; exécuté le 11 janvier 1915 à New Westminster, Colombie-Britannique.

Mewa Singh arriva en Colombie-Britannique en 1906. Plus de 5 000 hommes du Pañjãb débarquèrent au Canada dans les trois années précédant 1908, date à laquelle le gouvernement fédéral stoppa l’immigration en provenance de l’Inde. Attirés par des salaires relativement élevés, ces hommes venaient sans leur famille, occupaient des emplois d’ouvriers et projetaient de rentrer chez eux une fois qu’ils auraient amassé des économies. Comme la plupart des ressortissants du Pañjãb qui restèrent au Canada plusieurs années au lieu d’aller aux États-Unis ou de retourner dans leur pays, Singh trouva du travail de manœuvre dans des scieries.

En 1908, Singh fut initié en tant que sikh khalsa. À l’époque, bon nombre de sikhs suivaient les préceptes des gourous sans adopter les emblèmes de la discipline sikh khalsa, les cheveux non coupés par exemple. Cependant, parmi les sikhs de sa génération qui immigrèrent au Canada, cette discipline connaissait un regain de vigueur. En tant que sikh khalsa, Singh participait à l’entretien du premier temple sikh de Vancouver et agissait durant les offices à titre de granthi, c’est-à-dire lecteur du livre sacré. Toutefois, il ne semble pas avoir occupé une haute fonction dans la direction du temple.

Le 21 octobre 1914, Singh tua un inspecteur de l’immigration, William Charles Hopkinson, qui incarnait pour lui l’oppression britannique. Né en Inde de père anglais et de mère indienne, Hopkinson avait servi dans la police du Pañjãb et de Calcutta avant de venir au Canada. En 1909, il était entré à la direction de l’Immigration. À titre d’agent de renseignements, il surveillait les sikhs et autres immigrants de l’Inde. Ses rapports au sous-ministre de l’Intérieur étaient communiqués au ministère britannique des Colonies, à l’India Office et au vice-roi des Indes ; le directeur des renseignements criminels à Delhi en recevait copie. Le moindre indice selon lequel des sikhs établis à l’étranger préconisaient l’autonomie politique de l’Inde ou la révolte contre les Britanniques figurait dans ces documents. Dès 1913, à cause de la formation du Parti Gadar, qui, de son siège à San Francisco, diffusait un message révolutionnaire et antibritannique parmi les sikhs de toute la côte du Pacifique, les fonctionnaires britanniques et indiens suivaient de très près le travail de Hopkinson.

Mewa Singh eut affaire à Hopkinson pour la première fois le 17 juillet 1914 quand il fut arrêté du côté canadien de la frontière avec 500 cartouches et un revolver achetés aux États-Unis. Il était allé à Sumas, dans l’État de Washington, en compagnie de Bhag Singh, le président de la société du temple de Vancouver, et de Balwant Singh, lecteur au temple, et avait acheté avec eux, dans une quincaillerie, plusieurs revolvers et boîtes de munitions. Revenu le premier, Mewa Singh fut le seul des trois à être arrêté par les autorités canadiennes. Les deux autres furent détenus par les autorités américaines, puis relâchés. Hopkinson et la direction de l’Immigration voulaient obtenir de Mewa Singh une déposition qui impliquerait ses compagnons dans des activités criminelles ou séditieuses. Ils le prévinrent qu’il risquait dix ans de prison s’il ne coopérait pas et, après qu’il eut fait une déposition, ils le laissèrent partir avec une accusation réduite. Son histoire ne les avait pas satisfaits, mais Hopkinson pensait sans aucun doute en apprendre davantage de lui plus tard. À cause de l’incident, Mewa Singh se trouva isolé entre les fonctionnaires de l’immigration et les autorités du temple, en proie à la méfiance de tous.

La présence de Hopkinson à Vancouver avait créé deux factions adverses chez les sikhs de la ville : d’un côté ses informateurs et leurs amis et parents, de l’autre côté les dirigeants du temple et leurs alliés. Le climat social et juridique du Canada, saturé de préjugés, n’arrangeait pas les choses. Pendant l’été de 1914, les vaines tentatives de la direction du temple en vue de faire accepter 376 ressortissants du Pañjãb retenus dans le port de Vancouver sur le vapeur Komagata Maru aggravèrent encore la situation. Puis celle-ci devint explosive après le début des hostilités en Europe. Le Parti Gadar voyait là une occasion d’expulser les Britanniques de l’Inde et exhortait les sikhs à rentrer au pays pour se battre. De leur côté, Hopkinson et ses informateurs dressaient la liste de ceux qui partaient par bateau, identifiant à l’intention de la police de l’Inde les personnes jugées les plus dangereuses.

Le 5 septembre 1914, un des informateurs de Hopkinson, Bela Singh, fit irruption dans le temple sikh de Vancouver et déchargea deux revolvers sur les 35 ou 40 fidèles réunis pour les obsèques d’un sikh abattu deux jours plus tôt. Bela Singh blessa huit ou neuf fidèles, dont deux à mort, Bhag Singh et un autre homme. Mewa Singh dirait par la suite avoir décidé de tuer Hopkinson parce que Bela Singh avait profané le temple. Peut-être aussi escomptait-il que ce meurtre le réhabiliterait aux yeux des siens.

Mewa Singh abattit Hopkinson sept semaines plus tard, dans un couloir du palais de justice de Vancouver, avant une audience du jury d’accusation qui devait statuer sur le cas de Bela Singh. Il ne tenta ni de s’enfuir ni de résister à l’arrestation, car il voulait être considéré comme un martyr. Son procès eut lieu la semaine suivante et dura moins de deux heures. Mewa Singh ne présenta aucune défense ; son avocat, Edward Montague Nelson Woods, ne contre-interrogea aucun des témoins de la couronne et refusa que l’on traduise leurs témoignages, même si Mewa Singh ne comprenait pas bien l’anglais. Apparemment, Woods suivait les instructions de son client. Toutefois, il lut au tribunal une longue déclaration dans laquelle Singh disait qu’il donnait sa vie pour montrer que son peuple ne pouvait pas obtenir justice au Canada.

On commença à vénérer Mewa Singh le jour même de son exécution : un cortège de 400 sikhs accompagna sa dépouille jusqu’à un bûcher funéraire élevé à Fraser Mills, à quatre milles de la prison de New Westminster. Encore aujourd’hui, les temples sikhs honorent sa mémoire chaque année. Toutefois, d’après les commentaires de la presse de l’époque, le héros, aux yeux de la majorité blanche de Vancouver, était non pas Mewa Singh, mais sa victime. Ainsi, le geste de Mewa Singh renforça l’isolement de la communauté sikh.

Hugh J.M. Johnston

Norman Buchignani et al., Continuous journey : a social history of South Asians in Canada ([Toronto], 1985).— Hugh Johnston, « The surveillance of Indian nationalists in North America, 19081918 », BC Studies, no 78 (été 1988) : 327 ; The voyage of the « Komagata Maru » : the Sikh challenge to Canada’s colour bar (Delhi, Inde, 1979 ; 2e éd., Vancouver, 1989).— Richard Popplewell, « The surveillance of Indian « seditionists » in North America, 1905–1915 », dans Intelligence and international relations, 1900–1945, Christopher Andrew et Jeremy Noakes, édit. (Exeter, Angleterre, 1987), 49–76.— Kesar Singh, Canadian Sikhs and « Komagata Maru » massacre (1 vol. paru, Surrey, C.-B., 1989–  ).— Teja Singh, Jiwan kath : Gurmukh piare Sant Atar Singh Ji Maharaj [la Biographie d’un bien-aimé disciple du gourou, Saint Atar Singh Ji Maharaj] (Patiâla, Inde, 1946 ; 4e éd., 1981).— Mahinder Singh Dhillon, A history book of the Sikhs in Canada and California (Vancouver, 1981).

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Hugh J.M. Johnston, « SINGH, MEWA », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/singh_mewa_14F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
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