Provenance : Bibliothèque et Archives Canada/MIKAN 3468800
SHIRREFF, JENNIE GRAHL HUNTER (baptisée Jane Campbell Hunter) (Eddy), infirmière, femme d’affaires et philanthrope, née le 14 février 1863 à Chatham, Nouveau-Brunswick, fille de John Shirreff, marchand, et de Henrietta Grahl ; le 27 juin 1894, elle épousa à Halifax Ezra Butler Eddy*, et ils n’eurent pas d’enfants ; décédée le 9 août 1921 à Hull, Québec.
À l’instar de bien des jeunes femmes en quête d’un gagne-pain dans les années 1880, Jennie Grahl Hunter Shirreff opta pour les soins infirmiers. Sa mère venait de Boston, la famille y avait probablement des relations commerciales et, en 1889, Mlle Shirreff partit étudier à Brookline (banlieue de Boston). En 1892, le Victoria General Hospital de Halifax l’engagea à titre d’infirmière diplômée.
Les circonstances de la rencontre de Mlle Shirreff et d’Ezra Butler Eddy ne sont pas connues. On raconte que, lorsqu’il perdit sa première femme en 1891, elle alla à Hull pour lui servir de gouvernante. Selon une autre version, elle s’y rendit en qualité de dame de compagnie de la fille d’Eddy. Probablement s’étaient-ils rencontrés à Halifax, où la société forestière et papetière d’Eddy avait une filiale. Leurs noces eurent lieu dans cette ville en 1894, chez le ministre presbytérien J. W. Fraser, après quoi un déjeuner de mariage réunit 25 convives au Halifax Hotel. Naturellement, la nouvelle Mme Eddy s’installa à Hull avec son mari, âgé de 66 ans. C’était une femme brillante et perspicace, mais il est douteux qu’Eddy l’ait consultée à propos de ses affaires car, au début, elle ne s’y connaissait guère en matière de finances. La grande préoccupation d’Eddy, garder son entreprise intacte, devint son but à elle aussi. Elle prenait conseil auprès de l’avocat Richard Bedford Bennett*, avec qui elle s’était liée d’amitié au temps où tous deux vivaient à Chatham. Bennett s’était installé à Calgary en 1897 mais, apparemment, Eddy fit sa connaissance avant de mourir en 1906.
Eddy avait un seul descendant vivant, un jeune petit-fils. Conformément au testament, le gros de la succession fut placé en fiducie jusqu’en 1916. À sa majorité, le petit-fils recevrait 250 actions de la compagnie à condition de prendre le nom d’Eddy, ce qu’il fit. En échange de 1 259 actions, Jennie Shirreff Eddy renonça à la communauté de biens en vertu du droit québécois. Eddy semble avoir espéré que son petit-fils s’intéresserait à l’entreprise, mais en 1916, il était évident que tel ne serait pas le cas. Sur l’avis de Bennett, Mme Eddy racheta donc les actions du petit-fils et devint ainsi actionnaire majoritaire. Pour elle, il n’était pas question de desserrer son emprise : selon un compte rendu de l’avocat d’Eddy, Thomas Patrick Foran, à l’issue d’une réunion tenue vers 1919 au cours de laquelle des représentants d’une entreprise américaine lui firent une offre généreuse pour 51 % des actions, elle refusa en affirmant sa détermination à préserver la compagnie et le nom d’Eddy.
Pendant ces années, le gouvernement de la province de Québec était mécontent du testament d’Eddy. Le défunt n’avait presque rien légué aux établissements catholiques de Hull, ville dont il avait pourtant été maire et où était située son entreprise. Les œuvres de bienfaisance qu’il avait favorisées étaient protestantes et se trouvaient du côté d’Ottawa. En conséquence, Québec était prêt à batailler ferme à propos des droits de succession, mais le patrimoine d’Eddy était riche en immobilisations et pauvre en espèces et, quand le gouvernement lui présenta une facture de 700 000 $, Mme Eddy fut consternée. À compter de 1908, Bennett joua auprès d’elle un rôle encore plus important dans la négociation d’un règlement raisonnable. Il en résulta une entente sur une série de versements. Toutefois, Québec n’était pas la seule partie intéressée. Mme Eddy habitait dans les Roxborough Apartments à Ottawa (d’une manière qui suggérait une vie de pauvreté). Lorsque le gouvernement de l’Ontario lui réclama de l’impôt sur le revenu, elle se fâcha et acheta Dunara, la maison du lieutenant-général James Howden MacBrien* à Hull. Elle s’y installa en février 1921.
Bennett avait tenté d’amener Mme Eddy à abandonner son train de vie trop modeste et à dépenser son argent de manière agréable. Son premier geste, source d’une grande satisfaction pour elle, consista à doter une nouvelle résidence pour femmes à la Dalhousie University de Halifax. Mme Eddy connaissait assez bien Dalhousie : le Victoria General Hospital était situé tout près, elle avait beaucoup de respect pour l’université, et Bennett y avait obtenu un diplôme et appartenait au conseil d’administration. Le 20 mai 1920, elle offrit 300 000 $ à Dalhousie pour la résidence. À l’époque, avec les donations de Lillian Frances Treble [Massey*], de Toronto, il s’agissait de l’une des plus grosses sommes remises à une université au Canada par une femme. Son don était assorti de conditions : la résidence devrait s’appeler Shirreff Hall et être non confessionnelle (Mme Eddy était presbytérienne), et Mme Eddy voulait que les plans de l’architecte soient soumis à son approbation. En octobre, elle se rendit à Halifax, rencontra les étudiantes, et tint une présentation de pièce de théâtre pour l’ensemble des étudiants, qui la remercièrent officiellement à cette occasion. Avec grâce, elle leur répondit qu’elle avait choisi Dalhousie « parce que c’[était] la plus éminente université des provinces Maritimes ». Elle avait une idée précise de ce que devait être Shirreff Hall : elle ne voulait pas d’une caserne spartiate – elle en avait vu assez en tant qu’infirmière – mais plutôt d’une résidence qui rappellerait les maisons d’où venaient les jeunes filles, afin de parachever, pour ainsi dire, la formation intellectuelle donnée par l’université. Elle l’emporta même sur l’architecte, le Torontois Frank Darling, en insistant pour qu’il y ait des foyers dans les salles communes (elle connaissait assez bien les hivers de Halifax), des salles d’étude aux étages supérieurs et plus de lumière dans la bibliothèque. Une fois achevée, Shirreff Hall suscita l’admiration de tous, quoiqu’une jeune fille du Cap-Breton dirait en 1923 que la résidence était trop riche pour des gens comme elle.
En 1921, pendant la construction de la résidence, Mme Eddy tomba malade. Le 17 février, elle subit une opération à l’Hôpital Général d’Ottawa. On ignore de quoi elle souffrait, mais elle resta à l’hôpital jusqu’en juin, contracta une péritonite et mourut chez elle en août. Ses obsèques réunirent des représentants de l’Ottawa Association for the Blind, de diverses sociétés St Andrew’s et de la compagnie Eddy, dont le président George Henry Millen. Sa dépouille fut transportée à Chatham pour y être inhumée.
Le testament de Jennie Grahl Hunter Shirreff Eddy comprenait des biens dont la valeur avait beaucoup augmenté depuis le décès d’Ezra Butler Eddy. Sa succession fut estimée à plus de 3,8 millions de dollars. Ses actions majoritaires allèrent à Bennett et à son frère Joseph Thompson (Harry) Shirreff, alors vice-président de la compagnie. La McGill University de Montréal reçut 200 000 $ pour une chaire de chimie industrielle. Il y eut un long contentieux avec le gouvernement de la province de Québec au sujet des droits de succession, et plus précisément de la valeur de chacune des actions de Mme Eddy. Bennett qualifia de « presque inique » l’évaluation de Québec, soit 1 600 $. Les parties s’entendirent finalement sur 1 000 $. Loin de cette querelle subsistaient Shirreff Hall, à Dalhousie, et les bons souvenirs de celles et ceux qui avaient connu sa bienfaitrice. Il vaut la peine de noter que Sturgis Salmon Cushman, cadre supérieur à la compagnie Eddy, avait de Mme Eddy une haute opinion. Sa petite-fille la rencontra à l’âge de dix ans et, plus tard, elle se rappela avoir été impressionnée par l’élégante dame qui lui avait parlé si gentiment.
Il ne semble pas exister de papiers de Jennie Grahl Hunter Shirreff Eddy, mais cette dernière a dû entretenir une importante correspondance avec Richard Bedford Bennett. Bien que ses papiers aux Univ. of N.B. Library, Arch. et au Special Coll. Dept. (Fredericton) ne contiennent aucun document écrit directement de sa main, on trouve de l’information sur elle sous les nos d’acquisition 543891, 561564, 580188, 580213, 580553, 581439–581467, 581773, 582209, 582295 (aussi sur microfilm aux AN, MG 26, K). Avant sa mort, il se peut que Mme Eddy ait demandé à Bennett de détruire ses lettres, peut-être à cause de la rumeur voulant que Mildred, la sœur de Bennett, aurait été en fait la fille de ce dernier et de Mme Eddy. Bennett aurait intenté des poursuites, mais le manque de preuves sur l’origine de cette rumeur rendait la chose difficile. Bennett a expliqué en 1935 que, lorsque Mildred est née en 1889, il n’avait même pas rencontré Jennie Shirreff. Nous remercions Evelyn Lucy Wilkinson, d’Ottawa, petite-fille de Sturgis Salmon Cushman, cadre supérieur de la compagnie Eddy, d’avoir relaté ses souvenirs. [p. b. w.]
Morning Chronicle (Halifax), 29 juin 1894, 10 août 1921.— Ottawa Citizen, 10, 12, 17 août 1921.— J. H. Gray, R. B. Bennett : the Calgary years (Toronto, 1991).— Vital statistics from N.B. newspapers (Johnson), 17, nº 2881 ; 69, nº 856.— P. B. Waite, The lives of Dalhousie University (2 vol., Montréal et Kingston, Ontario, 1994–1998).
P. B. Waite, « SHIRREFF, JENNIE GRAHL HUNTER (baptisée Jane Campbell Hunter) (Eddy) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/shirreff_jennie_grahl_hunter_15F.html.
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Auteur de l'article: | P. B. Waite |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |