SHINGWAUK, GEORGE (Menissino, Menissinowinnini, connu aussi sous le nom de George Pine), chef sauteux, né en 1838 ou 1839 à Garden River (Ontario) ; décédé au même endroit le 13 février 1920.
George Shingwauk était le dernier fils d’un fameux chef sauteux des lacs Huron, Michigan et Supérieur, Shingwaukonse (Little Pine) (1773–1854). Celui-ci avait participé à la guerre de 1812 et contribué en 1836 à la fondation d’une florissante communauté de Sauteux – Kitigaun Seebee (Garden River) – sur la rive nord de la rivière St Marys, à l’est de Sault-Sainte-Marie. Le nom autochtone de Shingwauk, Menissino, signifie « homme de l’île ». D’après certains locuteurs du sauteux, ce mot renferme aussi l’idée de « grand guerrier » puisqu’un homme avec un tel nom était estimé capable d’entretenir une relation avec de puissants gardiens spirituels. À un moment donné, George Shingwauk adopta le patronyme Pine, traduction anglaise de Shingwauk, mais dans sa région, on continua de l’appeler Menissino. Un individu beaucoup plus âgé et portant ce nom autochtone avait accompagné Shingwaukonse à Montréal en 1849 afin de prononcer un discours sur les droits territoriaux des autochtones devant le gouverneur lord Elgin [Bruce*]. Cet homme était-il le fils ou le gendre de Shingwaukonse, et George Shingwauk, son petit-fils ? On peut se le demander. Des témoignages transmis par tradition orale à Garden River affirment cependant que, en fait, George Shingwauk était le fils de Shingwaukonse et qu’une amitié particulièrement forte l’unissait à son frère John Askin (Erskine) Shingwauk (1836–1919).
La tradition veut aussi que la mère de John Askin Shingwauk, Ogahbageyhequa – quatrième et dernière épouse de Shingwaukonse –, ait été une fervente anglicane. Comme elle était aussi la mère de George Shingwauk, il est possible que, dans son enfance, ce dernier ait fréquenté quelque temps l’école de la mission anglicane de Garden River [V. Frederick Augustus O’Meara*]. En plus du sauteux, il maîtrisait le français ; jamais il ne parla couramment l’anglais. Une fois devenu chef, il dut faire appel à ses fils et neveux, plus instruits que lui, pour qu’ils lui servent d’interprètes, rédigent des pétitions à sa place et parlent en son nom quand il avait à communiquer avec l’extérieur de la réserve.
Étant donné que la naissance de John Askin Shingwauk et celle de George Shingwauk suivirent de peu la conversion de leurs parents à l’anglicanisme, qui eut lieu en 1833 pendant le diaconat de William McMurray*, les garçons apprirent tôt à respecter l’Église d’Angleterre. Par la suite, George Shingwauk rejetterait cependant toute forme de bigoterie. Il épousa une catholique, Cecile Belleau, et s’efforça de maintenir l’harmonie entre les Sauteux protestants et le groupe assez nombreux de Métis catholiques qui s’étaient joints à la communauté de Garden River après avoir été chassés de chez eux, à Sault-Sainte-Marie, par des colons non autochtones. Ce désir d’unité, il le transmettrait à ses fils, William George Pine et Charles George Pine. En même temps, il soutint les activités éducatives du révérend Edward Francis Wilson*, directeur du pensionnat autochtone (le Shingwauk Industrial Home), et de l’un de ses successeurs, le révérend Benjamin Fuller. Fréquemment invité au Shingwauk Industrial Home et à l’école de filles (le Wawanosh Home), George Shingwauk exhortait les jeunes autochtones à travailler dur afin d’acquérir les connaissances et le savoir-faire associés à la culture occidentale, sans pour autant abandonner la croyance en la valeur intrinsèque de tous les êtres vivants. À ses yeux, l’instruction occidentale ne devait pas remplacer la culture des Sauteux, mais plutôt enrichir l’expérience acquise par les autochtones dans leur milieu traditionnel.
George Shingwauk fut élu chef pour la première fois en 1899 ; son salaire annuel était alors de 100 $. Dès 1900, il jouait à la fois le rôle de chef traditionnel et de chef élu. Depuis la mort de Shingwaukonse en 1854, des postes d’autorité étaient occupés par des proches parents de celui-ci. Son fils Augustan Shingwauk (Ogista, Little Pine), qui lui avait succédé, conserva le titre de chef principal jusqu’à son décès en 1890 ; un autre de ses fils, Henry Buhkwujjenene (Wild Man), le détint jusqu’à sa mort en 1900. Jarvis Pine, le fils aîné d’Augustan, était devenu en 1896 le premier chef élu en vertu de la loi fédérale sur les Indiens. Pendant les trois années où Jarvis Pine exerça cette fonction, George Kabaosa, petit-fils de Shingwaukonse, agit en qualité de porte-parole politique. Pour leur part, George Shingwauk et John Askin Shingwauk commencèrent alors à apporter leur assistance dans les affaires locales. La réserve de Garden River conserva longtemps les deux types de leadership – le mode traditionnel et le type électif, imposé par l’État. Durant de nombreuses années, la communauté fit face à trois problèmes épineux : ses droits en matière d’exploitation forestière dans la réserve, la convoitise manifestée pour ses terres par la municipalité de Sault-Sainte-Marie, qui voulait s’étendre vers l’est, et le prélèvement illégal de gravier de qualité.
George Shingwauk demeura au poste de chef élu jusqu’au début de 1902. Au cours de cette période, il put compter sur l’encouragement de l’agent des Affaires indiennes William L. Nichols. Cet homme exceptionnel paya de sa poche pour aider les Sauteux à acquérir la maîtrise de leurs richesses naturelles. Peut-être Shingwauk aussi avait-il de l’argent pour la cause : lui-même et son frère John Askin faisaient de l’exploitation forestière et de l’agriculture, et ils possédaient dans le canton de Duncan, au nord de Garden River, des gisements qu’ils exploitaient. De plus, Nichols aida la bande à négocier avec les entreprises qui voulaient couper du bois dans la réserve, notamment la Harris Tie and Timber Company, la Burton Brothers et l’Echo Bay Lumber Company. Les pourparlers entrepris par George et John Askin Shingwauk en vue de signer des contrats furent difficiles. Le ministère fédéral des Affaires indiennes finit par devenir assez strict à propos de ce genre de transactions indépendantes faites par des autochtones.
Aux élections de la bande en 1902, George Shingwauk fut délogé par le beau-frère de Buhkwujjenene – homme politique astucieux et débordant d’énergie nommé Charles Cadotte –, mais il conserva le rôle de chef traditionnel. À leur tour, Cadotte et son conseil eurent fort à faire pour régler les questions relatives aux richesses naturelles, et surtout les contrats d’exploitation forestière. En septembre 1902, ils conclurent avec la Burton Brothers une entente permettant à cette entreprise de maintenir des emplacements forestiers en vertu d’une autorisation suivant la tradition autochtone, et ce, à des conditions acceptées par la communauté mais à l’insu d’Ottawa. Peu à peu, le succès remporté en ces matières par la bande de Garden River encouragea les communautés de Sauteux des environs à imiter ses stratégies politiques. Toutefois, les réussites de cette sorte pourraient avoir eu pour effet d’éveiller la méfiance d’Ottawa. Manifestement, des éléments de l’extérieur cherchaient à s’immiscer dans l’organisation d’une élection au sein de la bande en 1903, un an seulement après le début du mandat de Cadotte.
En fin de compte, Cadotte fut un chef compétent, mais des interventions malvenues de la part du prêtre catholique local, le jésuite Gaston-A. Artus, lui nuisirent. Artus avait beaucoup aidé le chef Jarvis Pine, qui était catholique, en lui donnant des conseils politiques sur les questions de ressources naturelles. Cependant, à la différence des membres du clergé qui l’avaient précédé, il traitait les leaders sauteux anglicans d’agents de corruption, de sorte qu’il s’aliéna certains des partisans protestants de Cadotte. En outre, celui-ci fut désavantagé par la mort subite de son principal partisan (Joachim Biron) pendant la campagne au leadership en 1903. Soutenu par son beau-frère Michael Belleau, son frère John Askin et deux Métis influents – John Corbiere et Theophile Boissoneau –, George Shingwauk l’emporta par 40 voix. Pendant la campagne, il avait été appuyé tant par des protestants que par des catholiques, en dépit du fait qu’Artus l’accusait – injustement – d’être un adversaire du progrès. L’opposition d’Artus était une entrave, mais George Shingwauk refusait de se laisser décourager.
Le conseil de Shingwauk n’eut pas la tâche facile : il devait principalement mettre un frein à la voracité de la société capitaliste. En 1906, l’Algoma Advisory Union (précurseur de la Chambre de commerce de Sault-Sainte-Marie) demanda par une pétition adressée au premier ministre du pays, sir Wilfrid Laurier*, d’exproprier la réserve de Garden River sous prétexte que les Sauteux n’avaient pas établi de grandes fermes prospères. George Shingwauk riposta en prenant la tête d’une délégation qui se composait de John Askin Shingwauk, d’Alex Wabanosa et de William J. Pine et qui alla présenter à Ottawa une pétition contre les projets de cet organisme. Par la suite, la bande remporta quelques petites victoires. Après avoir envoyé d’autres pétitions à Ottawa, elle obtint en 1910 une ordonnance interdisant l’expansion de la municipalité de Sault-Sainte-Marie, puis, en 1914, une autre ordonnance exemptant les Sauteux d’avoir à participer, avec de la main-d’œuvre ou des fonds, à la construction ou à l’entretien d’une grande route qui traverserait la réserve. De plus, la bande réussit à faire accepter l’une de ses conditions – à savoir que la part de terrain allouée pour la route redeviendrait sa propriété advenant que celle-ci cesse d’être une voie publique. Une autre question avait été réglée en 1913 : la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique avait accordé à la communauté 5 282 $, moins les frais judiciaires, pour du gravier pris dans la réserve. Raffermie par cette victoire partielle – la somme obtenue était modeste –, la bande négocierait un meilleur contrat en 1914. George Shingwauk aurait alors plus de 70 ans. Cette deuxième entente, qui portait sur une carrière située à la Buhkwujjenenewabick (la roche du sauvage) – falaise de roche trappéenne au centre de la réserve –, donnait aux Sauteux des garanties d’emploi, y compris des prestations d’assurance. Elle promettait que les limites fixées par le chef seraient respectées et que la bande redeviendrait propriétaire de l’emplacement quand la carrière cesserait d’être exploitée. Enfin, l’entente préservait les valeurs autochtones rattachées à l’utilisation des ressources, notamment la propriété collective. En 1914 et en 1915, pendant la Première Guerre mondiale, la bande rejeta un projet visant à établir une ferme pénitentiaire de 4 000 acres sur son territoire.
À l’élection de 1916, malgré ses succès, George Shingwauk subit la défaite contre George Kabaosa, qui était devenu l’homme politique le plus actif et le plus audacieux de Garden River. Le ministère des Affaires indiennes s’empressa de discréditer Kabaosa en le faisant passer pour un agitateur et annula le scrutin. Beaucoup plus acceptable aux yeux du ministère, George Shingwauk conquit à nouveau le poste de chef. Il n’avait rien d’un boutefeu. Au fil du temps, il était devenu un personnage décoratif très bienveillant et digne. Lui-même se voyait comme un loyal sujet de la couronne, un membre de l’Église du roi et un défenseur de la continuité et de la tradition. Néanmoins, il prônait le changement dans sa communauté. Discrètement, il encourageait Kabaosa à continuer de dénoncer d’un ton incisif les empiètements des Blancs sur les terres et les richesses naturelles des autochtones. Les jeunes membres de son conseil apprirent de nouvelles façons de défendre les prérogatives des autochtones : la rhétorique de style ancien, riche en métaphores, céda la place à des pétitions succinctes, ponctuées de termes juridiques. Cette adaptation, d’autant plus nécessaire que, dans les années d’après-guerre, le gouvernement multiplia ses ingérences, aida Shingwauk à conserver le pouvoir jusqu’à son décès en 1920.
Depuis 1900, George Shingwauk était, à la réserve de Garden River, l’un des défenseurs les plus efficaces des droits des autochtones. En outre, il prônait l’harmonie religieuse, alors que les querelles interconfessionnelles menaçaient de détruire certaines communautés autochtones. À sa mort, l’agent local des Affaires indiennes, Alexander D. McNabb, écrivit : « Le regretté chef était un homme bon, je [le] considère comme le meilleur homme de la réserve de Garden River, toujours du côté de la justice […C]e n’était pas un chef agressif, je savais toujours qu’il serait prêt à aider en tout pour le bien de l’ensemble de la bande. » Même s’il avait connu des épisodes de pauvreté matérielle, George Shingwauk laissait un riche héritage. Les chefs sauteux de tout le district des lacs Huron, Michigan et Supérieur gardèrent en mémoire sa vision du monde et ses valeurs. Ses fils et ses filles se taillèrent une place respectable au sein de la communauté de Garden River. Charles George Pine fut premier marguillier de l’église anglicane St John durant de nombreuses années et délégué au synode diocésain d’Algoma. Féru de politique comme son père, William George Pine servit en qualité de chef pendant plusieurs mandats.
Les sources de documentation comprennent des archives à l’église anglicane St John (réserve de Garden River, Ontario) et les copies de lettres de l’agence indienne de Sault-Sainte-Marie conservées aux AO, MS 216 (mfm)
J. E. Chute, The legacy of Shingwaukonse : a century of native leadership (Toronto, 1998).
Janet E. Chute, « SHINGWAUK, GEORGE (Menissino, Menissinowinnini) (George Pine) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/shingwauk_george_15F.html.
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Auteur de l'article: | Janet E. Chute |
Titre de l'article: | SHINGWAUK, GEORGE (Menissino, Menissinowinnini) (George Pine) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |