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SHERWOOD, HENRY, fonctionnaire, officier de milice, avocat, homme d’affaires, homme politique et juge, né en 1807 dans le canton d’Augusta, Haut-Canada, fils aîné de Levius Peters Sherwood* et de Charlotte Jones, fille d’Ephraim Jones* ; le 22 juillet 1829, il épousa Mary Graham Smith, fille de Peter Smith* de Kingston, Haut-Canada, et ils eurent 18 enfants ; décédé le 7 juillet 1855 à Kissingen (Bad Kissingen, République fédérale d’Allemagne).
Henry Sherwood était d’ascendance loyaliste tant du côté paternel que maternel. Les Sherwood et les Jones formaient une bonne partie de l’élite qui dominait la vie du district de Johnstown. Par l’entremise du père de Henry et de son oncle Jonas Jones* notamment, ils entretenaient des relations étroites avec l’élite d’York (Toronto) et, pendant longtemps, ils jouèrent un rôle influent dans la politique provinciale et la magistrature. Par conséquent, Henry Sherwood se familiarisa avec le système de gouvernement dès son jeune âge, assimilant expériences et comportements, le tout étant renforcé par ses études à la Home District Grammar School dirigée par le révérend John Strachan*.
Après avoir fait son stage de clerc à York, dans le cabinet de son oncle, le solliciteur général Henry John Boulton*, Sherwood fut reçu au Barreau du Haut-Canada au cours de la session de la Saint-Michel, en 1828. Il exerça à Prescott et peut-être aussi à Brockville, son lieu de résidence. Il s’intéressa bientôt à de nombreux secteurs de l’activité économique. Comme tant de personnes de son rang, il spécula sur des terres incultes : il annonça, d’un seul coup, 3 274 acres de terre à vendre, qui étaient éparpillées dans tout l’est du Haut-Canada. En 1830, il participa aux efforts déployés dans le but d’établir une succursale de la Bank of Upper Canada à Brockville et, après que cette initiative sembla avoir échoué, il se joignit au mouvement pour la fondation d’une banque indépendante dans la même ville. Cette seconde initiative visait les dirigeants de la Bank of Upper Canada à York, ce qui provoqua en 1832 la réalisation du premier projet. Sherwood devint alors conseiller juridique de la succursale de cette banque à Brockville, poste moins bien rémunéré que celui de caissier (directeur général) qu’il n’avait pas réussi à obtenir. Il contribua également aux efforts visant à développer le commerce d’expédition et à assurer une place à Brockville dans ce domaine. Cette activité le mena, entre autres, au conseil d’administration de la Saint Lawrence Inland Marine Assurance Company, société de Prescott qui reçut sa charte en 1833. Sherwood occupa aussi les fonctions de premier secrétaire de la Société d’agriculture du district. Bref, il se révéla un instigateur enthousiaste de la prospérité générale du district de Johnstown autant que de son propre bien-être. Le fait qu’il occupait des emplois publics contribua à assurer son bien-être personnel : encore étudiant en droit, il avait été nommé greffier des assises pour la tournée de l’ouest, où son père présida à l’occasion, et, en 1830, il fut désigné à l’un des trois postes de commissaire des douanes du district de Johnstown. Il n’y avait qu’un pas à franchir pour passer de ce genre d’occupation à une participation au gouvernement local. Il fut peut-être le principal partisan de la création d’un bureau de police à Brockville, s’opposant farouchement au réformiste Andrew Norton Buell*, car il était en faveur du scrutin public et de la division de la ville en quartiers, et contre la stipulation, dans un texte de loi, de l’emplacement du marché. La loi concernant ces questions qui fut adoptée en 1832 allait largement dans le sens des idées défendues par Sherwood. Cette année-là, il fut élu membre du premier bureau de police de Brockville.
Sherwood était engagé dans la politique depuis son adolescence. Naturellement, étant donné son milieu, ses opinions étaient tories. Le 8 juin 1826, il prit part à l’émeute, que l’on peut qualifier d’infamie, au cours de laquelle les presses du Colonial Advocate et autre matériel d’imprimerie appartenant au propriétaire de ce journal d’York, le radical William Lyon Mackenzie*, furent détruits par une bande d’émeutiers. En novembre 1827, il fit partie du groupe qui s’opposa à Mackenzie lors de l’assemblée de désignation des candidats dans la circonscription d’York. L’année suivante, il s’attira le mécontentement de John Walpole Willis*, juge qui n’était pas accepté dans la société du Haut-Canada et homme querelleur qui accusa Sherwood de menacer sa vie et de se montrer ivre dans les rues. Par la suite, il adopta une conduite plus conventionnelle en politique. Aux élections générales de 1830, il se porta candidat dans la circonscription de Leeds mais se retrouva dernier au scrutin. En 1834, il se présenta dans Brockville, où les intérêts traditionnels des tories étaient prépondérants ; la lutte se transforma en une bataille de factions entre les familles d’Ephraim et de Solomon Jones*, Sherwood représentant la première. Son adversaire, David Jones, l’emporta par une voix.
À partir de ce moment, l’attention de Sherwood commença à se tourner vers Toronto. Le 29 juillet 1835, lui et son éminent beau-frère John Elmsley* furent élus membres du premier conseil d’administration de la Farmers’ Joint Stock Banking Company. Les premiers mois d’existence de cette banque privée de Toronto furent marqués par des disputes au cours desquelles les réformistes qui siégeaient au conseil d’administration, de même que le capitaine George Truscott, directeur de l’établissement bancaire Truscott, Green and Company, furent forcés de se retirer. Sherwood semble avoir joué un rôle actif dans ces manœuvres, mais on ne retrouve que peu de traces de son action. À peu près à la même époque, on tentait de faire avancer le projet de construction d’une voie ferrée entre Toronto et le lac Simcoe. Sherwood s’intéressa vivement à ce projet aussi. Finalement, il élut domicile à Toronto et, en novembre 1835, installa son cabinet dans le coin sud des bâtiments du marché.
Sherwood ne délaissa pas le district de Johnstown pour autant : il conserva la propriété qu’il y possédait, maintint sa participation à l’administration et à la politique de la région, et, en juin 1836, se présenta de nouveau dans Brockville, prétendant avoir été forcé d’aller s’installer à Toronto pour pouvoir augmenter sa clientèle. Il fut désigné candidat de la Brockville Constitutional Association, nouvellement formée, battant son oncle Jonas Jones, James Morris*, autre important tory, et le député sortant, David Jones. Ce dernier menaça de diviser le vote conservateur mais se retira avant le scrutin, laissant à Sherwood une lutte facile contre un autre tory, l’avocat John Bogert. Bien que ce soit loin d’être prouvé avec certitude, il semble que le succès remporté par Sherwood ait résulté de deux facteurs : le déclin de la famille de Solomon Jones, phénomène qui avait pris de l’ampleur au cours des années 1830, et l’appui qu’il reçut d’Ogle Robert Gowan*, leader des orangistes qui s’établissaient en grand nombre dans la circonscription et ses alentours.
Au cours de sa première session à la chambre d’Assemblée, entre novembre 1836 et mars 1837, Sherwood traça les grandes lignes du programme de sa future carrière. Il apprit rapidement l’essentiel de la procédure et des débats ; il déploya des efforts constants dans l’intérêt de sa circonscription ; il prit souvent la parole sur des sujets d’ordre général, et ses interventions portèrent des fruits. Les questions qui retinrent son attention furent souvent celles qui le préoccupèrent tout au long de sa carrière. Par exemple, il montra un vif intérêt pour l’amélioration de l’administration de la justice et des critères concernant l’exercice de sa profession. Ultérieurement, il devait tenter de réglementer la profession médicale [V. Christopher Widmer]. À titre de président d’une commission d’enquête, il formula une critique habile, quoique condescendante, de la position adoptée par la chambre d’Assemblée du Bas-Canada en faveur des Quatre-vingt-douze Résolutions présentées par Louis-Joseph Papineau* en 1834. Cette hostilité envers un programme, un peuple et un leader politique qu’il considérait nuisible aux liens avec la Grande-Bretagne amena Sherwood à adopter une attitude plus extrême que celle d’autres tories sur la question du port d’entrée : quand l’Assemblée du Haut-Canada vota, avec une forte majorité, en faveur de l’annexion de Montréal, Sherwood tint absolument à ce que soit jointe à l’adresse impériale une déclaration ferme contre l’union législative avec le Bas-Canada, réforme que, en dernier ressort, beaucoup de ses plus proches alliés politiques étaient prêts à considérer. Il était fortement opposé au gouvernement responsable et à un conseil législatif électif, et pourtant il repoussa l’ingérence de Londres dans les affaires intérieures de la province et justifia sa position en se référant à l’Acte constitutionnel de 1791. Si le partage des réserves du clergé entre toutes les sectes chrétiennes devait rétablir l’harmonie, il était prêt à appuyer cette mesure. Son projet de loi pour la fondation d’une banque privilégiée à Brockville, en même temps que son appui à la création de banques privilégiées et de banques par actions dans d’autres villes, démontra son opposition constante à un système financier centralisé, que ce soit sous la forme de la Bank of Upper Canada dominée par Toronto et les tories, ou sous celle de la banque provinciale telle que proposée par William Hamilton Merritt*. Avec Allan Napier MacNab*, il préconisa, mais sans succès, la nomination d’un agent d’émigration provincial. Sherwood alliait donc un intérêt pragmatique pour la croissance économique et la paix sociale avec un degré inhabituel d’engagement idéologique.
Les sessions suivantes de la législature furent quelque peu éclipsées par les événements extérieurs. Quand Mackenzie et ses partisans se soulevèrent au début de décembre 1837, Sherwood, qui avait reçu une commission de lieutenant dans la milice de West York en 1827, fut immédiatement nommé aide de camp provincial du lieutenant-gouverneur sir Francis Bond Head*, en même temps que Jonas Jones, James McGill Strachan* et John Beverley Robinson*. Le 7 décembre, il faisait partie de l’unité qui attaqua et dispersa les rebelles à Gallows Hill, juste au nord de Toronto. Sherwood fut nommé conseiller de la reine le 23 janvier 1838 et, à ce titre, participa à de nombreux procès engagés à la suite de la rébellion et des incursions ultérieures des patriotes dans le Haut-Canada ; il exerça aussi les fonctions de juge-avocat dans le procès de 44 prisonniers, dont Joshua Gwillen Doan*, qui se déroula devant un conseil de guerre, à London, du 27 décembre 1838 au 19 janvier 1839. Sa façon de mener ce procès fut appréciée non seulement par le lieutenant-gouverneur, sir George Arthur, et les membres du conseil de guerre, mais aussi par les prisonniers.
Même s’il demeurait une personnalité de second rang, Sherwood gagnait de plus en plus d’importance au Parlement. En 1838, à titre de président de la commission d’enquête chargée d’étudier la situation politique du Haut et du Bas-Canada, il avait mis à jour un rapport qui exprimait clairement toute l’indignation des tories face aux récents soulèvements. En décembre 1839, au moment où se posa la question de l’union législative des deux Canadas, le gouverneur en chef Charles Edward Poulett Thomson*, qui allait devenir lord Sydenham, prit largement en considération l’opinion de Sherwood, qui était alors disposé à envisager une telle union, mais seulement aux strictes conditions énoncées par l’Assemblée en mars 1839. Il tenait particulièrement à une représentation inégale des provinces dans un Parlement commun afin d’assurer une majorité probritannique et, malgré toute l’influence exercée sur lui, il fit de pressantes demandes dans ce sens, mais en vain. D’un autre côté, il déclara à plusieurs reprises, comme d’autres ultra-tories, ne pas être un opposant au nouveau régime de Thomson. En effet, il vota pour le projet de loi du gouverneur en chef concernant les réserves du clergé, même s’il croyait que les prétentions de l’Église d’Angleterre à la totalité des réserves étaient légalement, sinon politiquement, fondées.
En 1841, lors des premières élections générales qui suivirent l’Union, Sherwood se porta candidat au prestigieux siège de Toronto. Sa décision d’abandonner la circonscription de Brockville, qui lui était assurée, était peut-être imprudente, mais il semblait avoir de bonnes chances de gagner. Il faisait équipe avec George Monro*, marchand bien établi et échevin, contre deux candidats de Sydenham, John Henry Dunn et Isaac Buchanan*. Sherwood affirma de nouveau ne pas être un adversaire du gouverneur, mais parla de plus en plus comme s’il en était un, particulièrement en ce qui regardait les dépenses publiques. En fait, même s’ils pouvaient compter sur l’appui du conseil municipal, de l’évêque Strachan de Toronto et de l’ordre d’Orange, lui et son cocandidat furent défaits. Cet échec fut principalement attribuable à un excès d’optimisme, à l’influence du gouvernement et à un manque d’appui chez les marchands, les membres des professions libérales et les propriétaires non résidents.
Sherwood dut alors affronter la difficile tâche de remettre sur pied sa carrière politique, de même que, semble-t-il, sa situation financière. Les gens de son milieu avaient l’habitude de jouer un rôle de premier plan dans la société, et Sherwood ne faisait pas exception à la règle. Il avait été membre fondateur de l’Upper Canada Club (Toronto Club) en 1837, puis membre de son second comité de direction en 1838–1839 et, plus tard, membre du comité exécutif du Toronto Turf Club. Il fit aussi des dons généreux à des organismes religieux. Ce style de vie dispendieux, en plus de sa famille nombreuse, entraînait des dépenses que son revenu arrivait à peine à couvrir. En 1838, il avait déclaré être très à court d’argent. En 1841, il semble avoir eu des difficultés à payer ses dépenses électorales et à acquitter les frais préjudiciaux qu’il devait verser afin de pouvoir faire appel du résultat des élections. Pour ajouter à ses difficultés, il ne pouvait plus exercer de travail juridique pour la couronne, à cause de sa prise de position politique envers le gouvernement. Cependant, il réussit à garder son nom bien en vue grâce à quelques apparitions en cour qui reçurent beaucoup de publicité, notamment lors du procès où il fit innocenter un certain Thomas Kelly accusé d’avoir commis un meurtre, à Toronto, au cours des élections, et, lors d’une poursuite contre Francis Hincks*, rédacteur en chef du journal réformiste l’Examiner, pour diffamation à l’endroit d’Archibald McNab. Dès 1843, il pouvait prétendre vivre dans l’aisance. Dix ans plus tard, l’éminent avocat Philip Michael Matthew Scott VanKoughnet* devait en effet déclarer que Sherwood avait mieux réussi à se tailler « une clientèle que tout autre avocat de Toronto ».
Éprouvant un besoin impérieux de retourner à la politique, Sherwood entreprit de consolider ses principaux appuis à Toronto. Comme il avait fait grand cas de cette question durant les élections, il continua à mener une campagne pour que Toronto redevienne le siège du gouvernement, au moins en alternance avec Québec. En janvier 1842, il fut élu échevin du quartier St David et, à la réunion du conseil municipal qui suivit, il fut désigné maire de Toronto, l’emportant sur le capitaine John Simcoe Macaulay. Sherwood devait exercer les fonctions de maire pendant trois mandats (1842–1844) et celles d’échevin jusqu’en 1849. Il accéléra la construction de trottoirs, de systèmes d’égout, d’écoles et la mise en place d’autres services ; il garda les taxes à un niveau aussi bas que possible et entreprit avec ardeur et détermination d’émettre les emprunts nécessaires afin de combler les déficits résultant de ces mesures. Sa manière d’administrer les affaires de cette ville traditionaliste semble avoir été à la fois énergique et populaire.
Pendant ce temps, sir Charles Bagot*, le nouveau gouverneur en chef, avait tenté de remédier aux faiblesses de son Conseil exécutif en cherchant, notamment, un solliciteur général conservateur pour contrebalancer la nomination du réformiste Francis Hincks au poste d’inspecteur général des comptes publics. Après que John Solomon Cartwright* eut refusé le poste, on l’offrit à Sherwood. Chose étonnante, celui-ci accepta. Ce faisant, il mettait explicitement de côté une antipathie personnelle pour Hincks, qui avait été la principale raison du refus de Cartwright, et affirmait la nécessité de la modération en politique. En même temps, il réaffirma son adhésion aux principes conservateurs, ce que beaucoup de ses anciens associés politiques considéraient comme une contradiction. Il y avait eu auparavant des signes permettant de croire que quelques conservateurs étaient hostiles à Sherwood, mais son acceptation de ce poste accrut grandement cette impression. C’était seulement à Toronto que son action trouvait quelque appui auprès du parti, et cet appui ne venait pas, dans l’ensemble, de l’establishment tory. Ce que lui coûta son geste ne fut pas compensé par des bénéfices équivalents non plus, car Sherwood n’exerça pas ses fonctions très longtemps. Assermenté le 23 juillet 1842, il était absent de la capitale pour affaires d’ordre public lorsque l’on procéda au remaniement ministériel suivant et il ne participa donc pas aux négociations qui conduisirent à la perte de son poste le 15 septembre 1842, ni à la formation du premier gouvernement dirigé par Robert Baldwin et Louis-Hippolyte La Fontaine*.
Bien que désormais marqué d’une manière indélébile par des accusations d’ambition excessive et de trahison de son parti, Sherwood était plus déterminé que jamais à reprendre sa carrière dans la politique canadienne. À l’élection partielle tenue dans la circonscription de Toronto en mars 1843, il se porta de nouveau candidat et s’opposa à Macaulay une fois de plus. Sherwood pouvait compter sur l’appui du puissant conseil municipal de Toronto et sur l’influence des orangistes ; la majorité des fonctionnaires du gouvernement provincial neutre, les trois quarts des catholiques et beaucoup des réformistes qui exercèrent leur droit de vote étaient aussi de son côté. Macaulay, solidement appuyé par la vieille élite tory, qui comprenait les familles Gamble, Boulton et Jarvis, attaqua Sherwood pour avoir accepté le poste de solliciteur général en 1842, mais, par des déclarations mal à propos où il professa un fervent torysme, il s’aliéna les réformistes et les adeptes de l’Église d’Écosse qui avaient été tentés de le soutenir. Même si la lutte fut rude et coûteuse, Sherwood remporta une victoire écrasante. Il revint à la chambre d’Assemblée bien décidé à faire sentir sa présence, attaquant le gouvernement de La Fontaine et Baldwin sur presque toutes les questions imaginables et exprimant son indignation en des termes souvent semblables à ceux utilisés par les ultra-tories. Avec le temps, il en vint à accorder beaucoup d’importance, notamment, au fait que le programme législatif du gouvernement ne servait pas les intérêts du Haut-Canada.
Durant la crise de 1843–1844, Sherwood travailla à influencer l’opinion publique en faveur du gouverneur sir Charles Theophilus Metcalfe*. Il semble aussi avoir intrigué pour obtenir de l’avancement. Le 7 octobre 1844, on publia sa nomination au poste de solliciteur général du Haut-Canada ; mais celle-ci ne comportait pas un siège au Conseil exécutif. Metcalfe écrivit que Sherwood, en dépit de sa réputation, défendait des principes « libéraux » et que ces principes convenaient à ce gouvernement modéré qui n’était dominé par « aucun parti ». En effet, après sa victoire aux élections générales de 1844, Sherwood déclara lui-même publiquement qu’il n’était « pour aucune politique extrémiste ou prohibitive ».
La première session de la nouvelle législature, qui s’ouvrit à la fin de novembre 1844, était cruciale pour cet important ministère. Sa majorité était mince, et il dépendait beaucoup du tact et de l’habileté que démontreraient les leaders au cours des débats. En cela, Sherwood était remarquable. De plus, il était presque le seul ministre à exercer une influence importante au sein de l’Assemblée. Cependant, après les vacances de Noël, des difficultés surgirent entre lui et l’exécutif. Imbu de lui-même et susceptible, Sherwood s’offusqua du refus du cabinet de consulter soit lui ou les autres alliés du gouvernement avant de présenter des projets de loi qu’ils étaient supposés appuyer. La question de l’université fit ressortir le manque de communication. William Henry Draper*, chef du gouvernement, proposa de créer une seule université dans le Haut-Canada, qui comprendrait les collèges confessionnels existants, même si ceux-ci continueraient de jouer le rôle de centres d’enseignement religieux et recevraient une aide financière de la fondation anciennement affectée au King’s College de Toronto, de confession anglicane. Sherwood, qui était partisan de ce compromis quasi fédéral, vota effectivement pour le projet de loi de Draper, lors des première et deuxième lectures, mais ses électeurs faisaient pression sur lui, particulièrement l’évêque anglican John Strachan. Pour répondre à leurs désirs, il recommanda que la question soit reportée, ce qu’il obtint. Draper, qui avait endossé le projet de loi, était furieux.
Durant la session suivante, au printemps de 1846, les difficultés se multiplièrent. Sherwood protesta contre le temps inhabituel que mit Draper avant de déposer de nouveau le projet de loi sur l’université ; puis, quand le projet fut ramené devant la chambre, il s’opposa à ce qu’il soit présenté comme une question à discuter. Par conséquent, il se rangea du côté des ultra-tories au moment du vote, contribuant ainsi à rejeter le projet une fois de plus, mais suscitant en même temps de nouveaux doutes sur sa propre sincérité. Sherwood fut aussi outré par la révélation des négociations secrètes que Draper avait entreprises avec René-Édouard Caron* et qui avaient pour but d’introduire un important élément canadien-français au sein du ministère. La méfiance avec laquelle Sherwood fut alors considéré ne fit qu’augmenter lorsque l’on sut sur quoi reposait précisément son objection : ce n’était pas la tentative de gagner l’appui d’un plus grand nombre de Canadiens français qu’il condamnait, mais le fait que des postes soient apparemment échangés à l’insu des personnes qui les occupaient à ce moment-là. Des désaccords moins importants survinrent sur les questions de la liste civile et des tarifs douaniers. En 1845, Sherwood avait envisagé la possibilité de démissionner en raison de ses différends avec le cabinet. Cependant, ses amis tories l’avaient exhorté à ne pas le faire, car cela aurait affaibli, et peut-être même détruit, un régime déjà chancelant. Il s’en tint désormais à cette décision, mais il s’absenta de plus en plus souvent lorsque l’on procédait au vote sur des questions importantes où il ne pouvait, en conscience, appuyer le gouvernement. Sitôt la session terminée, Draper demanda qu’il quitte ses fonctions. Sa démission fut acceptée le 30 juin 1846.
Sherwood fut bientôt de retour au ministère et, qui plus est, à la tête du gouvernement. Ce revirement soudain se produisit au milieu de la tourmente créée par les dissensions internes. La haine de Sherwood pour Draper était largement partagée par les membres du cabinet qui venaient du Haut-Canada. Draper leur rendait bien cette haine. Sir Allan Napier MacNab et Sherwood n’étaient pas en très bons termes depuis que Sherwood avait accepté le poste de solliciteur général en 1842, et les événements de 1846, dont l’opposition de Sherwood au projet de loi de MacNab concernant les chemins de fer, avaient grandement détérioré leurs relations. MacNab s’était aussi brouillé avec Draper au sujet du poste d’adjudant général des milices. Beaucoup d’autres étaient mécontents et désiraient vivement un changement. Finalement, Draper démissionna pour être nommé à un poste de juge. À cette époque, MacNab était trop perçu comme un extrémiste pour pouvoir accéder à la tête du gouvernement ; de toute façon, il est possible qu’il n’ait pas voulu d’un honneur aussi équivoque. Même si Sherwood n’avait pas ménagé ses efforts pour obtenir ce poste, ce fut largement par défaut que, le 29 mai 1847, il fut nommé procureur général du Haut-Canada et chef du gouvernement.
Le cabinet dirigé par Sherwood n’avait pas beaucoup de force. Même si c’était loin d’être entièrement son choix, la partie du cabinet représentant le Haut-Canada comprenait une représentation équilibrée de conservateurs : William Cayley* et John Hillyard Cameron* étaient des extrémistes, William Morris et John Alexander Macdonald*, des modérés. La représentation du Bas-Canada, par contre, était extrêmement faible, à cause du refus de Canadiens français influents d’accepter les offres que leur avaient faites Draper, Sherwood et même le gouverneur en chef, lord Elgin [Bruce*]. À part Denis-Benjamin Papineau, qui continuait d’exercer ses fonctions de commissaire des Terres de la couronne, les autres membres qui venaient du Bas-Canada étaient britanniques : l’impassible William Badgley* et Peter McGill, président de la Banque de Montréal. Dominick Daly* demeurait secrétaire provincial du Haut et du Bas-Canada.
En plus de manquer de compétence et d’harmonie interne, et de ne pas jouir entièrement de la considération populaire, ce cabinet était désavantagé par sa majorité parlementaire d’à peine plus de deux sièges, sans compter qu’il ne pouvait être assuré de l’appui de ses alliés. Néanmoins, il fit adopter un certain nombre de projets de loi utiles. Le plus important concernait une réforme du tarif douanier canadien qui éliminait le tarif préférentiel pour l’Empire britannique en imposant des droits d’entrée moyens de 7,5 p. cent sur les produits manufacturés provenant aussi bien de la Grande-Bretagne que des États-Unis. La loi prévoyait l’extension des privilèges d’entreposage et d’emmagasinage ainsi que la réciprocité tarifaire conditionnelle avec les États-Unis. Cette réforme constituait une première affirmation de l’autonomie du Canada en matière de douanes. Ce gouvernement apporta aussi des modifications mineures au droit commercial, au Code criminel, au droit municipal du Bas-Canada et à la loi sur les écoles publiques du Haut-Canada. Sa seule tentative pour faire adopter un projet de loi controversé concerna la question de l’université. Il proposa à ce sujet un autre compromis, plus acceptable pour les ultra-tories que celui de Draper en ce qu’il abandonnait le concept d’une université provinciale unifiée et non confessionnelle en faveur de quatre collèges organisés et dirigés par le clergé ; ces collèges recevraient chacun une aide financière de la fondation initialement affectée au King’s College, mais ce dernier obtiendrait une plus grande part des fonds que les autres. Ce projet de loi fut cependant rejeté par l’opposition conjuguée d’un parti réformiste unifié et de deux conservateurs ayant fait défection, Walter Hamilton Dickson et John Wilson*. Cette défaite porta un dur coup au gouvernement. Sa façon de faire face aux problèmes posés par l’importante immigration irlandaise de 1847 manqua de vigueur ; son image fut aussi ternie par la dépression économique qui s’amorça au cours du printemps suivant. Le mécontentement se manifestait de plus en plus dans ses propres rangs. La session fut prorogée après seulement huit semaines de séance.
Cette situation ne pouvait pas durer. Après avoir temporisé quelque temps, le cabinet décida de déclencher des élections hâtives, tout en essayant de renforcer sa position par la nomination de François-Pierre Bruneau au poste de receveur général et de Joseph-Édouard Turcotte* à celui de solliciteur général du Bas-Canada. La campagne électorale se déroula en décembre 1847 et en janvier 1848. Sherwood lui-même fut élu dans la circonscription de Toronto, mais les membres de son gouvernement furent battus à plates coutures dans les deux parties de la province du Canada.
Même si Sherwood n’était en aucune façon entièrement responsable de cet échec, le résultat des élections le déconsidéra. Après les élections, la direction des conservateurs du Haut-Canada revint à sir Allan Napier MacNab, quoique Sherwood ait pris une part active, en 1849, à l’opposition acharnée des tories au projet de loi pour l’indemnisation des pertes subies pendant la rébellion, et ait réussi finalement à faire accepter par la chambre que Toronto et Québec soient tour à tour le siège du gouvernement. La crise de 1849 eut pour effet, au début, d’accentuer les divisions entre les tories modérés et extrémistes. Cependant, la création de la British American League [V. George Moffatt*] à l’été de cette année-là fut principalement l’œuvre des modérés, et Sherwood devint l’une des personnalités les plus en vue de cette association. Il défendit son programme avec vigueur au cours des années 1850 et 1851, prônant énergiquement l’union fédérative de l’Amérique du Nord britannique, en particulier. En 1850, il accepta explicitement le principe du gouvernement responsable comme on le concevait à l’époque, se déclara prêt à appuyer un conseil législatif électif, mais attaqua avec hargne les propositions de William Henry Boulton* qui allaient beaucoup plus loin en suggérant une réforme constitutionnelle. Tandis qu’il semblait se diriger petit à petit vers la formation d’un conservatisme libéral, Sherwood s’opposa toujours à ce que soit modifié l’arrangement de 1840 concernant les réserves du clergé. Par l’intermédiaire de la City of Toronto and Lake Huron Rail Road Company, dont il avait été l’un des administrateurs de 1846 à 1848 mais qui avait presque disparu depuis, il s’intéressa, de loin, à la politique des chemins de fer du début des années 1850.
La carrière de Sherwood approchait dès lors de sa fin. Aux élections générales de 1851, il perdit son siège, contre toute attente, en raison d’une confiance excessive, de la division du vote tory et, dans les dernières heures du scrutin, d’une ruée soudaine des réformistes pour appuyer l’un de ses adversaires conservateurs, George Percival Ridout*. Bien qu’il ait été réélu à la fin d’avril 1853, il ne devait occuper son siège que pendant 15 mois de plus, au cours desquels l’Assemblée ne siégea pas souvent. De plus, sa santé était chancelante. Il mena une campagne sans énergie en vue de sa réélection en juillet 1854 et fut défait une nouvelle fois, ce qui porta un dur coup à son moral. Dans le but de rétablir sa santé et de retrouver sa bonne humeur, il entreprit un voyage en Europe mais mourut en Bavière le 7 juillet 1855.
Henry Sherwood était un homme d’un égotisme profond qui avait une ambition considérable. Il possédait de nombreux talents, particulièrement comme orateur, mais il manquait de l’habileté nécessaire pour dissimuler derrière des principes son désir d’avancement et ses changements d’opinion, inévitables au cours de sa carrière. Par conséquent, les conservateurs autant que les réformistes se méfièrent de lui, sauf à Toronto. Mais il fut rapidement oublié même dans cette ville : on le trouvait habile mais pas assez réservé, et il n’était pas aimé malgré son affabilité. Pourtant son influence sur les événements, même quand elle fut négative, fut loin d’être sans importance. La carrière de Sherwood illustre très bien les tensions internes du torysme, l’évolution de ce parti, formé principalement d’extrémistes au début, vers un conservatisme modéré, et l’intérêt des tories pour les professions libérales, les affaires et l’Église.
Dans une brochure intitulée To the public, imprimée probablement à York (Toronto) vers 1828, Henry Sherwood réfuta les affirmations faites à son sujet par le juge John Walpole Willis. Parmi ses autres publications, on trouve : Federative union of the British North American provinces (Toronto, 1850), et deux rapports qu’il signa à titre de président de commission : H.-C., House of Assembly, Committee on the resolutions of the House of Assembly of Lower Canada, Report (Toronto, 1837), et Select committee on the political state of the provinces of Upper and Lower Canada, Report (Toronto, 1838) ; ce dernier a aussi été publié dans les App. to the journals, 1837–1838 : 257–277.
AO, MS 35, unbound papers, alphabetical list of students, 26 nov. 1827 ; letter-book 1844–1849 : 64, 67.— APC, MG 24, A13 ; B30, 1 : 390–391 ; B 101 (transcription) ; D16, 58 : 46369–46383 ; 105 : 69486, 69554–69557 ; E1 : 2855–2856 ; 165.— BNQ, Dép. des mss, mss-101, Coll. La Fontaine, 2 : 356–357 ; 5 : 1289–1299 (copies aux APC).— MTL, Robert Baldwin papers, J. Elliott à Baldwin, 17 oct. 1840 ; George Ridout à Baldwin, 6 mars 1843 ; J. H. Cameron papers, Dominick Daly à Cameron, 27 juin 1846 ; W. H. Draper à Cameron, 22 juin, 8 juill. 1846.— PRO, CO 42/430–594 ; 537/140–143.— Arthur papers (Sanderson).— Debates of the Legislative Assembly of United Canada (Abbott Gibbs et al.).— Coll. Elgin-Grey (Doughty).— Town of York, 1815–34 (Firth).— British Colonist (Toronto), 1838–1854, particulièrement 28 juill. 1846.— Brockville Gazette (Brockville, Ontario), 1829–1832.— Brockville Recorder, 1836.— Daily Leader (Toronto), 1854–1855, particulièrement 4 sept. 1855.— Montreal Gazette, 3 août 1855.— Toronto Patriot, 1832–1847.— Armstrong, Handbook of Upper Canadian chronology.— Toronto directory, 1843–1844 ; 1846–1847.— Wallace, Macmillan dict.— D. R. Beer, « Transitional toryism in the 1840’s as seen in the political career of Sir Allan MacNab » (thèse de m.a., Queen’s Univ., Kingston, Ontario, 1963).— Careless, Union of the Canadas.— D. [G.] Creighton, John A. Macdonald, the young politician (Toronto, 1952 ; réimpr., 1965).— J. C. Dent, The last forty years : Canada since the union of 1841 (2 vol., Toronto, [1881]).— G. P. de T. Glazebrook, Sir Charles Bagot in Canada : a study in British colonial government (Oxford, Angl., 1929).— F. J. K. Griezic, « An uncommon conservative ; the political career of John Hillyard Cameron, 1846–1862 » (thèse de m.a., Carleton Univ., Ottawa, 1965), 10–33.— George Metcalf, « The political career of William Henry Draper » (thèse de m.a., Univ. of Toronto, 1959).— Middleton, Municipality of Toronto.— D. R. Beer, « Sir Allan MacNab and the adjutant generalship of militia, 1846–47 », OH, 61 (1969) : 19–32.— George Metcalf, « Draper conservatism and responsible government in the Canadas, 1836–1847 », CHR, 42 (1961) : 300–324.— E. M. Richards [McGaughey], « The Joneses of Brockville and the family compact », OH, 60 (1968) : 169–184.— Hereward Senior, « Ogle Gowan, Orangeism, and the immigrant question, 1830–1833 », OH, 66 (1974) : 193–210.
Donald Robert Beer, « SHERWOOD, HENRY », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sherwood_henry_8F.html.
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Auteur de l'article: | Donald Robert Beer |
Titre de l'article: | SHERWOOD, HENRY |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
Année de la révision: | 1985 |
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