SALLIS, ISAAC, soldat, tavernier, charretier et fleuriste, né vers 1833 dans le Gloucestershire, Angleterre ; le 2 mai 1857, il épousa à Halifax Mary Frost, et ils eurent une fille ; décédé le 20 août 1904 au même endroit.

Sergent dans le 63rd Foot, Isaac Sallis fit toute la guerre de Crimée, pendant laquelle lui-même et son régiment accumulèrent un impressionnant éventail de distinctions. Il débarqua à Halifax le 2 juin 1856 avec le 63rd Foot, qui amorçait un tour de garnison de six ans. Toutefois, en moins d’un an, il acheta sa libération et s’établit dans la haute ville comme logeur à la nuit et détaillant d’alcool. Sa clientèle se composait d’hommes de troupe, de marins et d’ouvriers de passage ou résidant à Halifax. Comme bon nombre d’anciens combattants au xixe siècle, il eut du mal à passer à une vie civile « respectable ». Marginale, la vente d’alcool était risquée, hautement concurrentielle et soumise à des restrictions appliquées de manière capricieuse ; les principaux clients étaient des soldats et des marins querelleurs et impopulaires.

En raison des liens étroits qui existaient entre la consommation publique d’alcool et la prostitution, la tenue d’une taverne et le recel, les bistrots minables et le désordre, Sallis ne tarda pas à comparaître devant le tribunal de la police, où il eut à se défendre contre des accusations de violation de permis d’alcool, de proxénétisme et de voies de fait. Les archives indiquent que de 1857 à 1880, il subit au moins 39 procès, soit devant le tribunal de police, le tribunal criminel municipal ou la Cour suprême. La plupart du temps, quand il était reconnu coupable, il s’en tirait avec une amende, ce qui témoigne de sa réussite matérielle dans les milieux mal famés de Halifax, et il fut aussi acquitté bon nombre de fois. La fréquence de ses comparutions et le succès de ses plaidoyers de « non-culpabilité » furent soulignés en deux occasions différentes en 1866 : la presse parla de lui comme de l’une des « créatures abandonnées » qui « hantaient » le tribunal de la police et comme d’un personnage sournois qui « avait jusqu[e-là] échappé à la justice » de la Cour suprême. À l’époque, il avait acquis assez de poids en tant que propriétaire et électeur pour avoir le dessus sur la plupart de ses accusateurs.

À compter de 1870, une grave menace pesa sur le gagne-pain de Sallis. Cette année-là, les autorités de l’armée interdirent aux militaires les sections de Halifax où ils avaient l’habitude d’aller se distraire. L’interdiction fut ensuite levée, puis prononcée par intermittence pour des périodes variant de quelques semaines à plusieurs années, mais appliquée avec rigueur. En été, le commandement de la marine se joignait souvent au mouvement. Ces restrictions contribuèrent à transformer les rues du haut de la colline, particulièrement les rues Barrack (Brunswick) et Albemarle (Market) ; en outre, elles réduisirent temporairement la vie nocturne dans les rues Grafton et City (Maynard). Pour survivre, Sallis et ses concurrents durent déménager. En 1869, Sallis relocalisa son commerce rue Albemarle, puis cinq ans plus tard, rue Duke. Les forces de la tempérance s’alliaient au commandement militaire pour harceler les taverniers, et il avait assez de discernement pour prévoir le déclin de la vente d’alcool au détail qui en résulterait. Peut-être aussi en avait-il assez d’être rangé parmi « les détaillants d’alcool les plus louches des rues Barrack et Albemarle » et d’être le rude tenancier de la taverne Black Dog, où les rixes, auxquelles il se mêlait souvent, étaient si fréquentes que les morts violentes n’étaient pas rares. Le cas le plus célèbre fut celui de Jesse Heathfield, marin sur un navire de la marine britannique, le Sphinx, qui mourut soit par suite des coups de Sallis ou de la qualité douteuse de son alcool. Ce fut cette mort qui déclencha l’« émeute des marins » en 1867. Vu le nombre d’occasions où il s’en était tiré seulement de justesse et la conjoncture défavorable, Sallis diversifia ses investissements en faisant du transport par charrette et de la location de propriétés pendant les années où il fut rue Duke.

Même en s’éloignant peu à peu de son rôle de rude homme d’affaires de la haute ville, Sallis ne put échapper aux poursuites judiciaires. Elles avaient cependant une origine différente. En 1879, la Nova Scotia Society for the Prevention of Cruelty l’accusa d’estropier ses chevaux [V. John Naylor]. Au dépit de voir ses prosaïques entreprises commerciales attaquées s’ajouta l’humiliation publique que subit sa fille adolescente quand la même société distribua, dans les écoles, de la propagande qui le mettait en cause. Son acquittement, en 1880, marqua la fin de ses démêlés avec la justice. Il quitta la haute ville et le commerce de l’alcool pour s’installer dans un coin à demi rural, rue Cunard, où il passa les 25 dernières années de sa vie comme fleuriste et entrepreneur charretier, employé à l’occasion par des organismes officiels tel le conseil scolaire.

Pendant cette période, Sallis accéda à une respectabilité qu’il n’avait jamais connue jusque-là. Certes, elle provenait en partie de son changement d’occupation et de domicile, mais surtout de son statut d’honorable ancien combattant. Le sentiment impérialiste de plus en plus vif qui accompagnait le nationalisme canadien des années 1880 suscitait une fascination rétrospective pour les héros militaires du pays, surtout ceux qui avaient combattu pendant la guerre de Crimée et la révolte des cipayes. À Halifax, unique endroit au Canada à posséder encore une importante garnison britannique, les anciens hommes de troupe comme Sallis trouvèrent en la personne du major général John Wimburn Laurie un prestigieux protecteur qui les aida à mettre sur pied, en 1884, un cercle social et une société de secours mutuel, la Royal British Veterans’ Society of Nova Scotia (constituée juridiquement en 1899). En raison de la ferveur militariste que déclenchèrent la rébellion du Nord-Ouest, puis la guerre des Boers, les vétérans devinrent de précieux témoins d’un passé de gloires militaires, et apparemment, on oublia leurs basses occupations civiles et leurs expériences fantasques et douteuses. Pendant les premières années de l’association, Sallis fut l’un des principaux membres de la direction. Lorsque, au cours de célébrations organisées par les vétérans, en 1900, il se décrivit comme « un Canadien » et « un Britannique, toujours », qui « était heureux de ce qu’il avait fait pour l’Empire », il exprimait bien l’esprit de l’époque. À sa mort, on ne rappela pas ses méfaits ; on loua plutôt, en lui, le « brave vieux soldat ».

Judith Fingard

La carrière d’Isaac Sallis est commentée dans l’ouvrage de Judith Fingard, The dark side of life in Victorian Halifax (Halifax, 1989).

AN, RG 31, C1, 1861, 1871, 1881, 1891, Halifax.— Halifax County Court of Probate (Halifax), Estate papers, no 5967 (mfm aux PANS).— PANS, MG 12, HQ, 50, n° 1.— St Paul’s Anglican Church (Halifax), RBMS, 2 mai 1857.— Acadian Recorder, 24 févr. 1866.— Daily Echo (Halifax), 20, 22, 29 août 1904.— Evening Mail (Halifax), 13 sept. 1900, 20, 22, 29 août 1904.— Sun and Advertiser (Halifax), 26 oct. 1866.— Annuaire, Halifax, 1863, 1869–1891.— History of the Manchester Regiment (late the 63e and 96th Foot), H. C. Wylly, compil. (2 vol., Londres, 1923–1925), 1 : 241.

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Judith Fingard, « SALLIS, ISAAC », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/sallis_isaac_13F.html.

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Auteur de l'article:    Judith Fingard
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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