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SAINT-PIERRE, TÉLESPHORE, journaliste, éditeur et écrivain, né le 10 juillet 1869 à Lavaltrie, Québec, fils de Jean-Baptiste Saint-Pierre, cultivateur, et d’Azilda Lapierre ; il épousa Stéphanie Guérin, et ils eurent un fils et deux filles ; décédé le 25 octobre 1912 à Saint-Boniface, Manitoba.

En 1878, la famille de Télesphore Saint-Pierre quitte Montréal, où elle demeurait depuis 1872, et va s’établir à Detroit. Après une année à l’école anglaise, Télesphore entre au service de l’imprimerie Rousseau et Fils, de Detroit, comme apprenti typographe. Jusqu’à sa mort, il évoluera dans le milieu de l’imprimerie et de la presse ; il y puise la passion des grandes causes et le goût de l’étude. Le récit du séjour de Médéric Lanctot* dans l’Ouest américain (il est venu à Detroit en 1868 et en 1869) et de sa croisade en faveur de l’annexion du Canada aux États-Unis l’intrigue ; la révolte des Métis du Nord-Ouest enflamme son imagination. À la mort de Louis Riel* en 1885, Saint-Pierre, qui n’a que 16 ans, devient rédacteur au Progrès de Windsor, en Ontario, et participe à la lutte contre les conservateurs canadiens. En 1888, avec son ami Charles Guérin, du même âge que lui, il fonde le journal l’Ouest français, à Bay City, au Michigan, mais l’entreprise est un échec. En 1889, les deux amis sont à Lake Linden, dans le même État, où ils fondent l’Union franco-américaine.

À Lake Linden, comme à Bay City, Saint-Pierre se passionne pour la cause des Canadiens français du Michigan et du comté d’Essex, en Ontario. C’est un sujet qu’il connaît bien. Depuis des années, il passe ses loisirs à la bibliothèque de Detroit, où il lit tout ce qu’il trouve sur l’histoire du Canada français. Saint-Pierre évalue à 140 000 la population canadienne-française ou d’origine canadienne-française dans le Michigan en 1890. Il constate qu’elle est prête à bien des sacrifices pour conserver la langue et les us et coutumes de ses ancêtres. Dans la lutte pour la survie du fait français, Saint-Pierre, qui n’a pourtant que 20 ans, est de toutes les batailles. Dans les colonnes de ses journaux, il rappelle les luttes héroïques des ancêtres, vante le courage et le dévouement du clergé catholique et des dirigeants de sociétés mutuelles, fustige les lâcheurs, de même que les évêques toujours réticents à autoriser la création de paroisses « nationales » et à en confier la direction à des curés canadiens-français.

Cependant, les temps sont durs. Avant la fin de 1889, Saint-Pierre laisse la direction de l’Union franco-américaine, à son ami Guérin et rentre à Montréal tenter sa chance. S’ensuivent les dix années les plus productives de sa courte carrière. Il est tour à tour rédacteur à la Patrie, à la Minerve, au Canada, au Soir, à la Gazette et au Montreal Daily Herald. En 1894 et 1895, il est président de la tribune de la presse parlementaire et, par deux fois, choisi comme secrétaire du Congrès des métiers et du travail du Canada. Libéral en politique et grand admirateur de Wilfrid Laurier, il pourfend la politique protectionniste des conservateurs qui n’aurait produit, selon lui, que « désordre, corruption et désastre ». Il consacre ses moments libres à l’écriture. En 1894, il publie à Montréal une brochure, Theory and facts : a complete review of the development of Canada under protection, et un livre, Histoire du commerce canadien-français de Montréal, 1535–1893. Ce très beau livre, agrémenté de gravures, de portraits et de biographies d’hommes d’affaires, est une commande de la Chambre de commerce du district de Montréal. L’année suivante, à l’âge de 26 ans, Saint-Pierre publie, également à Montréal, un livre remarquable, Histoire des Canadiens du Michigan et du comté d’Essex, Ontario. Ce livre ainsi qu’une série d’articles et de conférences constituent une excellente synthèse de ses idées sur la présence française en Amérique du Nord.

« Les 65 000 colons abandonnés par la France, écrit Saint-Pierre, sont devenus un peuple de trois millions, unis par la communauté de la foi, de la langue et des aspirations » ; « une main invisible dirige les événements pour donner au peuple canadien son caractère particulier ». Dans la province de Québec, ils ont résisté à toutes les tentatives d’assimilation de leurs conquérants, mieux, l’élément anglais qui devait les submerger s’efface devant leur marche ascendante. Aux États-Unis, au fur et à mesure que leur nombre augmente, leur force de cohésion grandit. Ils sont en train de franciser la Nouvelle-Angleterre après avoir essaimé dans le Mid-West. Selon Saint-Pierre, au début du xxie siècle, les Canadiens français seront quelque 25 000 000, dont la moitié se retrouvera aux États-Unis. Quand les forces centrifuges qui sont à l’œuvre au sein de la race anglo-saxonne « auront produit leurs effets ordinaires, ils prendront leur place au sein des nations autonomes ».

Face au problème de la dispersion des Canadiens français, dû en grande partie à l’émigration, Saint-Pierre prie les élites de la province de Québec de freiner le mouvement et de convaincre leurs compatriotes désireux de partir que les villes du Québec offrent autant d’attrait que les villes américaines. À ceux qui comme Saint-Pierre ont vécu aux États-Unis, il rappelle que la masse des émigrés « ne sont pas plus riches que le jour où ils sont arrivés [...] il y en a à peine une poignée qui se soient acquis une honnête aisance ».

Saint-Pierre n’en croit pas moins que les tentatives de rapatrier les émigrés sont contre-indiquées. Ces mouvements appauvrissent ceux qui y participent et désorganisent les paroisses canadiennes aux États-Unis ; ils accroissent le danger de voir les Canadiens français émigrés perdre leur langue et leur foi. Il appartient plutôt aux élites de la province de Québec de chercher à se faire des alliés de leurs frères émigrés et de les aider dans leurs luttes. C’est ce que Saint-Pierre fait lui-même en devenant rédacteur en chef de l’Opinion publique de Worcester, au Massachusetts, de 1899 à 1903. Cette année-là, il s’installe à Winnipeg, où il travaille comme rédacteur au Manitoba Free Press et fonde l’Ouest canadien, qui aura une vie éphémère. Aux deux endroits, il aborde inlassablement les mêmes thèmes, reprend les mêmes combats qu’au Michigan quelques années plus tôt, mais il est plus optimiste.

Saint-Pierre voit dans la baisse considérable de l’émigration aux États-Unis depuis le début du siècle, « le commencement d’une nouvelle ère dans le mouvement d’expansion française en Amérique ». Les gens continuent d’émigrer, mais leur départ est largement compensé par le retour de compatriotes. Cela lui semble très positif. Selon lui, « il est essentiel pour la perpétuation de l’idée française au sein de colonies transplantées aux États-Unis qu’elles reçoivent de temps à autre un sang nouveau de la mère-patrie et que des relations suivies soient ainsi maintenues ». La diminution de l’émigration permet ainsi aux Canadiens français de se fortifier au Canada sans pour autant provoquer l’abandon des positions conquises par-delà les frontières.

Tout au long de sa vie, Télesphore Saint-Pierre se passionna pour la cause des francophones autant au Canada qu’aux États-Unis et il les défendit ardemment dans ses journaux, ses ouvrages et ses conférences. Il en fit le combat d’une vie.

Yves Roby

En plus des nombreux articles qu’il a écrits dans les journaux auxquels il a collaboré et des ouvrages cités dans la biographie, Télesphore Saint-Pierre est aussi l’auteur des écrits suivants : Histoire de la race française aux États-Unis (Detroit, 1886) ; les Canadiens des États-Unis ; ce qu’on perd à émigrer (Montréal, 1893) ; le Citoyen américain ; ses devoirs et ses droits (Worcester, Mass., 1902) ; « la Marche ascendante de notre race ; trois millions de Canadiens français en Amérique » et « les Sociétés et les Conventions canadiennes aux États-Unis », dans Fête nationale des Canadiens français [...], H.-J.-J.-B. Chouinard, compil. (4 vol., Québec, 1881–1903), 4 (1902) : 441–469 ; « le Nombre des descendants français aux États-Unis », la Rev. franco-américaine (Montréal), 10 (1912–1913) : 90–99 ; et « Cinquante Années de régime américain dans le Michigan – 1796–1846 », dans les Quarante Ans de la Société historique franco-américaine (Boston, 1940), 41–61.

ANQ-M, CE5-6, 10 juill. 1869.— Alexandre Belisle, Histoire de la presse franco-américaine [...] (Worcester, 1911).— Donald Chaput, « Some Repatriement dilemmas », CHR, 49 (1968) : 406s., 410s.— Dictionnaire de l’Amérique française ; francophonie nord-américaine hors Québec, Charles Dufresne et al., édit. (Ottawa, 1988), 334.

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Yves Roby, « SAINT-PIERRE, TÉLESPHORE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/saint_pierre_telesphore_14F.html.

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Auteur de l'article:    Yves Roby
Titre de l'article:    SAINT-PIERRE, TÉLESPHORE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    28 novembre 2024