ROMA, JEAN-PIERRE, directeur d’une entreprise de pêcherie sédentaire, né à Bordeaux, France ; il épousa Marie-Madeleine Moreau de Paris qui lui donna deux filles et deux fils ; circa 1715–1757.

Le nom de Jean-Pierre Roma est passé à la postérité surtout pour ses activités à l’île Saint-Jean (Île-du-Prince-Édouard) ; on connaît peu de chose de sa vie ailleurs. Il écrivit en 1741 au ministre de la Marine qu’il avait été ruiné en 1715 par un certain M. Desmarets, que le duc d’Orléans avait entravé ses efforts pour rétablir sa fortune en rattachant au domaine royal une concession qu’il avait sur la côte de Saint-Domingue (île d’Haïti), et qu’en 1726, l’ambassadeur de France à Turin (Italie) l’avait empêché d’entrer au service du roi de Sardaigne.

Le 17 juillet 1731, Louis XV et son ministre de la Marine, Maurepas, signaient un document par lequel une concession était accordée aux sieurs Claude Cottard, Joseph Du Boccage, Joseph-Philippe Narcis et Jean-Pierre Roma, ce dernier étant désigné comme marchand de Paris. Ces hommes formaient à eux quatre la Compagnie de l’Est de l’Île Saint-Jean. La concession mesurait 3 500 arpents de front sur 40 de profondeur ; elle était située sur la côte est de l’île Saint-Jean et comprenait les terres arrosées par les rivières connues aujourd’hui sous les noms de Brudenell, Montague et Cardigan ; l’emplacement était appelé Trois-Rivières et aussi, parfois, « La Rommanie ». La concession était détenue « en franc aleu noble » et ne comportait pas de redevances royales, mais foi et hommage devaient être rendus à Louisbourg, île Royale (île du Cap-Breton), et la justice était réservée au roi. Pour en faire une exploitation de pêcherie sédentaire, la compagnie devait y établir 80 personnes en 1732 et 30 par année ultérieurement ; ces colons devaient défricher la terre et construire des bâtiments. Les postes de séchage du poisson et les entrepôts pouvaient être installés sur la rive du côté nord et les terres en seraient concédées proportionnellement au nombre de bateaux qu’on emploierait.

Roma, nommé administrateur de la compagnie, arriva à Trois-Rivières en juin 1732. Il envisageait l’exploitation non seulement comme un établissement de pêche qui ferait le commerce avec la France mais aussi comme le centre du commerce entre Québec, l’île Saint-Jean et les Antilles. Il vendrait aux Antilles de la morue, de la planche et de la bière brassée à Trois-Rivières, en échange de mélasse et de rhum qu’il pourrait par la suite revendre à Québec contre des vivres tels que de la farine.

Roma fut nommé commandant de la concession sous l’autorité de Louisbourg en avril 1733. Mais presque aussitôt les difficultés commencèrent pour lui. Ses rapports avec le missionnaire, l’abbé Bierne (Byrne), se détériorèrent rapidement lorsqu’ils en vinrent à se disputer au sujet du partage des pouvoirs temporel et ecclésiastique. Ses relations avec ses associés de France furent également orageuses. Ceux-ci se plaignaient de sa gestion, de son esprit indépendant et de ses projets ambitieux ; lorsque le bilan de la première année d’exercice révéla une absence de bénéfices, ils refusèrent de continuer leur aide financière. Roma se défendit en faisant remarquer que la fondation d’une colonie entraînait inévitablement des dépenses, et il dégageait sa responsabilité quant aux pertes encourues, notant que ce qu’il avait accompli était considérable, compte tenu de l’appui financier dont il jouissait, et il rappela que la faillite de son exploitation aurait pour effet de décourager ceux qui envisageaient de tenter la même aventure. Pour fournir la preuve de l’emploi industrieux de son temps, il présenta un rapport sur chaque projet mis sur pied, son but et la manière dont il l’avait entrepris.

En août 1734, Roma avait déjà nivelé le cap à Trois-Rivières, construit deux quais, défriché une superficie de 1 700 pieds sur 1 200 et construit neuf bâtiments. Ces bâtiments comprenaient cinq maisons, un entrepôt, une boulangerie, une forge et une écurie. On avait creusé des puits et bâti une glacière. Des jardins avaient été mis en culture et des champs étaient ensemencés avec du blé et des pois. On avait préparé un vaste cellier pour l’entreposage des provisions, construit deux réservoirs pour l’eau et plusieurs petites embarcations. Des routes étaient ouvertes pour se rendre à Saint-Pierre (St Peters) vers le nord, à la rivière des Esturgeons (rivière Sturgeon), à la rivière du Nord-Est (rivière Cardigan), à Souris et à Port-La-Joie (Fort Amherst). À Saint-Pierre, on avait construit des maisons et des échafauds de séchage pour les 55 colons qui travaillaient à cet endroit.

Malgré des rapports favorables de la part de Jacques d’Espiet* de Pensens et de Saint-Ovide [Monbeton], hauts fonctionnaires à l’île Saint-Jean et à Louisbourg, Roma ne réussit pas à convaincre ses associés du mérite de son entreprise. À la suite de négociations menées avec eux, en France, au cours de l’hiver de 1736–1737, il devint, au mois de mai suivant, l’unique propriétaire de la concession. Néanmoins, les difficultés persistèrent. Il se plaignait, en 1737, que le supérieur des récollets à Louisbourg avait contribué à éloigner deux jeunes filles qu’il avait ramenées de France et qu’à leur tour celles-ci avaient entraîné avec elles trois de ses hommes et un tonnelier dont il avait pourtant grand besoin. Une épidémie de souris ravagea les récoltes en 1738. Comme les colons avaient la possibilité de s’établir ailleurs sur le domaine de la couronne, sur des terres libres de redevances, il devenait difficile pour Roma de les attirer et il dut se rabattre sur plusieurs faux sauniers. En janvier 1740, le feu lui fit perdre des bâtiments et du bétail et, en 1741, un bateau et sa cargaison coulèrent au cours d’un naufrage. Il était contraint, en septembre 1741, de solliciter du ministre une avance de 500#.

L’entreprise de Roma à l’île Saint-Jean prit fin le 20 juin 1745 lorsque son établissement fut rasé par les troupes de la Nouvelle-Angleterre, que William Pepperrell avait expédiées à la suite de la prise de Louisbourg. Roma, son fils, sa fille et cinq domestiques réussirent à s’enfuir dans les bois puis gagnèrent Québec. Roma y travailla aux magasins du roi, mais ses livres étaient tenus de façon si peu orthodoxe qu’il fallut y mettre bon ordre dans bien des cas. On envisagea, en 1752, sa nomination au poste de subdélégué de l’intendant à l’île Saint-Jean, rétrocédée à la France, mais on se ravisa. Roma quitta Québec pour la Martinique où, en 1757, il était administrateur du Domaine de la Guadeloupe.

L’entreprise de Roma à l’île Saint-Jean était la seconde tentative du genre faite par une société à charte en vue d’y établir une colonie et, tout comme celle du comte de Saint-Pierre, elle fut un échec [V. Gotteville* de Belile]. On considérait généralement Roma comme un homme obstiné et partial, et les explications qu’il fournit, touchant ses problèmes, donnent dans bien des cas l’impression qu’il souffrait de la manie de la persécution ; néanmoins on ne peut qu’admirer sa persévérance et reconnaître qu’un grand nombre de ses malheurs et son échec final furent le résultat de facteurs qui échappaient largement à sa volonté.

Il ne reste que peu de vestiges de ses efforts ; une bonne partie du littoral a été balayée par les eaux et lorsque, en 1968 et 1969, on a procédé à des fouilles archéologiques sous la direction de la Commission nationale des Sites historiques, on n’y a trouvé que quelques ruines de fondations et de maçonnerie, seuls vestiges de l’ambitieux projet de Roma.

Margaret Coleman

AN, Col., B, 55, ff.59v., 569, 585 ; 57, ff.602, 740 ; 58, ff.518v., 565 ; 59/1, f.434v. ; 61, ff.616v., 617–617v. ; 62, ff.9, 45v., 54v. ; 63, f.563 ; 64, f.466 ; 65, ff.53, 455, 480v.–481 ; 66, f.304 ; Col., C11B, 13, ff.53, 79, 195, 197 ; 14, ff.22, 379, 387, 403, 405 ; 15, ff.84, 211 ; 16, ff.161, 165, 169, 173, 224, 252 ; 19, ff.35, 67, 76, 248 ; 20, ff.52, 122, 271 ; 23, ff.220, 222 ; 28, f.10 ; 29, ff.356–384, 400–427 ; 30, f.294 ; 32, f.220 ; Section Outre-Mer, G1, 466/2 (recensements de l’île Saint-Jean, sept. 1734, 1735) ; G2, 190/2/D, f.2 ; G3, 2 038/1 (8 juin 1732) ; 2 045 (28 juin 1757).— Harvey, French régime in P.E.I., 73–89 (il s’agit de l’étude la plus complète dont on dispose et elle semble exacte  [m. c.]).

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Margaret Coleman, « ROMA, JEAN-PIERRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/roma_jean_pierre_3F.html.

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Auteur de l'article:    Margaret Coleman
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 3
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1974
Année de la révision:    1974
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