POUGET, JEAN-BAPTISTE-NOËL, prêtre catholique, né le 25 décembre 1745 à Montréal, fils de Paul Pouget et de Marie-Joseph Payet ; décédé le 17 mai 1818 à Berthier-en-Haut (Berthierville, Québec).

Jean-Baptiste-Noël Pouget étudia à l’école d’enseignement secondaire dirigée par les sulpiciens à Montréal, où il eut pour condisciple le futur évêque de Québec, Mgr Denaut. À compter de 1769, Pouget fut chargé d’enseigner le latin et la rhétorique tout en poursuivant ses études. Le 19 septembre 1772, Mgr Briand* l’ordonna prêtre dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu de Montréal en même temps que Joseph-Mathurin Bourg*. Pouget devint alors vicaire de la paroisse Notre-Dame de Québec et s’acquitta de sa charge jusqu’au milieu de l’année 1773, au moment où il se vit confier la cure de Saint-Cuthbert, dans la seigneurie de Berthier.

Tâche délicate pour un jeune prêtre comme Pouget car, deux ans auparavant, son prédécesseur, le premier curé de l’endroit, avait été emprisonné pour dettes pendant quelques mois. Qui plus est, celui qui s’était occupé de ses paroissiens durant son incarcération avait soulevé la colère du seigneur James Cuthbert* pour avoir omis de prononcer « les prières ordinaires pour le roi ». Enfin, les habitants de Saint-Cuthbert ne comptaient certes pas parmi les plus dociles du diocèse, et le jeune curé Pouget allait bientôt l’apprendre. En 1775, au cours de l’invasion américaine, ses ouailles optèrent d’abord pour la neutralité. Le 10 octobre, un détachement de 67 miliciens commandé par Charles-Louis Tarieu de Lanaudière et Louis-Joseph Godefroy* de Tonnancour partit de Trois-Rivières à destination de Montréal. Les habitants de Saint-Cuthbert, sous les ordres d’un dénommé Merlet, leur tendirent alors une embuscade et retinrent prisonniers les deux commandants qui ne furent relâchés que sur les instances de Pouget. Les paroissiens de Saint-Cuthbert, tout comme ceux de la paroisse voisine de Sainte-Geneviève-de-Berthier (à Berthierville), n’en persistèrent pas moins dans leur refus de joindre les rangs de la milice, et le vicaire général de Montréal, Étienne Montgolfier*, rappela les curés. Pouget fut pour sa part nommé curé de La Visitation-de-la-Bienheureuse-Vierge-Marie, à Sault-au-Récollet (Montréal-Nord), à la fin de 1775. Il y œuvra un peu moins de deux années et se vit confier la direction de la paroisse Sainte-Geneviève-de-Berthier en 1777.

Deux ans plus tard, le curé de Saint-Cuthbert, qui était en rupture de ban avec le seigneur Cuthbert de même qu’avec une partie de ses paroissiens, tenta d’agrandir sa paroisse aux dépens de celle de Pouget. Mgr Briand, mécontent de la conduite et des « fières étourderies » du curé de Saint-Cuthbert, se prononça en faveur du maintien de l’intégrité de la paroisse Sainte-Geneviève-de-Berthier, tout en incitant Pouget à rappeler à son collègue de la paroisse voisine les devoirs inhérents à son état ecclésiastique.

En 1780, un nouveau brandon de discorde apparut parmi les habitants de Berthier-en-Haut, au sujet d’un chemin et d’un pont. Afin de ne froisser personne, Pouget s’abstint de se prononcer publiquement, mais, le 25 juin, il intervint secrètement auprès du gouverneur Haldimand pour lui suggérer quel parti appuyer dans cette affaire. Pouget parvint à maintenir l’harmonie entre tous, si bien qu’à l’été de 1781 ses paroissiens décidèrent d’un commun accord d’entreprendre la construction d’une nouvelle église. Le seigneur Cuthbert s’engagea même à faire tout en son pouvoir pour leur faciliter l’acquisition des matériaux nécessaires. Commencée en 1782, la nouvelle église fut bénite au mois d’août 1787.

Au cours de la même année, certains habitants de Berthier-en-Haut commencèrent à contester le droit du seigneur Cuthbert de percevoir des redevances seigneuriales, sous prétexte qu’il leur avait concédé des terres appartenant en réalité au domaine de la couronne. Or, Cuthbert se convainquit bientôt, à tort ou à raison, que c’était le curé Pouget qui incitait les censitaires récalcitrants à lui tenir tête. La situation s’aggrava à l’automne de 1789, lorsque deux des trois fils de Cuthbert demandèrent à Pouget la permission de se convertir au catholicisme. Après avoir obtenu l’autorisation de l’évêque de Québec, Mgr Hubert*, Pouget accepta de recevoir leur abjuration. Cette fois, le seigneur de Berthier sortit de ses gonds : plaintes auprès de l’évêque de Québec, menaces de poursuites judiciaires (voire de mort) contre Pouget, tentatives d’intimidation auprès de ses censitaires, lettres ouvertes dans la Gazette de Québec pour dénoncer l’immixtion du curé dans ses affaires seigneuriales et familiales. Mgr Hubert répondit laconiquement à Cuthbert que la conduite de Pouget lui paraissait irréprochable, tout en exhortant ce dernier à ne rien faire qui puisse envenimer les choses. Bon nombre de censitaires de la seigneurie de Berthier firent des déclarations sous serment devant notaire, dénonçant l’intransigeance de leur seigneur et disculpant leur curé. Le 2 mars 1790, Alexander Cuthbert, le fils du seigneur, signa même un billet dans lequel il déclarait s’être converti au catholicisme conformément à la liberté religieuse que son père lui avait accordée quelques années plus tôt. Pouget se tint coi, et cette querelle finit par se résorber d’elle-même.

Le curé Pouget n’en fut pas pour autant à l’abri de tout litige. En novembre 1791, Mgr Hubert lui confia le soin de mener une enquête dans la paroisse Saint-Antoine, à Lavaltrie, au sujet de nombreuses plaintes portées contre le curé de cette paroisse par ses habitants et par le seigneur Pierre-Paul Margane de Lavaltrie. Le mois suivant, l’évêque de Québec demanda même à Pouget de se rendre à Lavaltrie de temps à autre pour veiller à ce que le curé « ne fasse pas trop d’étourderies » jusqu’à ce qu’il soit retiré de cette paroisse, le printemps suivant.

La paix était à peine rétablie à Lavaltrie qu’un nouveau conflit impliquant Pouget éclata au village de Berthier-en-Haut. Depuis 1789, Louis Labadie* y tenait école dans une maison appartenant à la fabrique. Or, le 10 mai 1792, à la demande des marguilliers et pour des raisons demeurées obscures, Pouget chassa Labadie de son école. Ce dernier répliqua en intentant une poursuite contre Pouget devant la Cour des plaids communs de Montréal. Cette querelle fut portée à l’attention de la population du Bas-Canada en juillet, lorsque Labadie publia un article dans la Gazette de Québec pour stigmatiser la conduite soi-disant tyrannique du curé de Sainte-Geneviève-de-Berthier. Quelques semaines plus tard, dans le même journal, une cinquantaine de résidents de Berthier-en-Haut dénoncèrent à leur tour l’attitude ingrate et hautaine de Labadie, tandis qu’une trentaine d’autres attestèrent au contraire sa bonne conduite. Était-ce par lassitude qu’au cours de l’automne Pouget songea pendant un moment à quitter sa paroisse pour s’agréger au collège Saint-Raphaël ? Quoi qu’il en soit, Labadie ne semble pas avoir eu gain de cause devant les tribunaux. Le 24 juin 1793, il fit part à l’évêque de Québec de son regret « d’avoir dit tout ce qu’il avait dit bien que ce fût la vérité », tout en lui demandant de permettre à un prêtre de l’absoudre, car on lui avait refusé tout sacrement depuis le début du procès. Il tint encore sa propre école à Berthier-en-Haut pendant un an, puis il alla s’établir à Verchères en mai 1794.

Pouget était sans doute passé maître dans l’art de régler des différends puisque, en octobre 1794, Mgr Hubert le chargea d’une autre enquête au sujet de plaintes portées contre le nouveau curé de Saint-Antoine, à Lavaltrie. En novembre 1795, l’évêque songea encore à lui pour mettre un terme à une discorde opposant entre eux les récollets du couvent de Montréal. Dans ce dernier cas, cependant, Mgr Hubert se ravisa et confia la tâche à son coadjuteur.

Pouget ne se distingua toutefois pas uniquement par sa participation à divers conflits. En effet, il était doué d’un talent oratoire peu commun à l’époque, et on n’hésitait pas à recourir à ses services dans les grandes occasions. Mgr Hubert et Mgr Denaut l’amenèrent souvent avec eux durant leurs visites pastorales, et il fut en outre appelé à participer au sacre de l’évêque Plessis*. Mais à compter de 1801, Pouget s’en tint exclusivement à l’exercice de son ministère paroissial. Cette tâche devait être suffisante pour l’accaparer entièrement car, en 1807, Sainte-Geneviève-de-Berthier était devenue la paroisse la plus populeuse de la rive nord du fleuve, entre Québec et Montréal, le nombre de communiants y surpassant même de quelques centaines celui de la paroisse de l’Immaculée-Conception, à Trois-Rivières. Cette situation explique sans doute pourquoi Pouget fut en mesure, au moment de sa mort en 1818, de léguer respectivement 4 000# à l’Hôtel-Dieu de Montréal, à la Congrégation de Notre-Dame et à l’Hôpital Général de Montréal, ainsi qu’aux ursulines de Trois-Rivières, sans compter un autre montant de 1 000# destiné aux pauvres de Berthier-en-Haut.

La faiblesse numérique du clergé catholique au lendemain de la Conquête de même que la position fragile de l’autorité ecclésiastique face aux nouveaux dirigeants ont été soulignées maintes fois par les historiens. La carrière cléricale de Jean-Baptiste-Noël Pouget illustre encore davantage la précarité de la situation de l’Église catholique à cette époque, en montrant jusqu’à quel point l’ascendant du clergé sur la population n’était pas aussi grand qu’on serait porté à le croire, et en levant un coin du voile sur les difficultés auxquelles devait faire face l’évêque de Québec pour maintenir la discipline au sein de son clergé.

Pierre Dufour

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Pierre Dufour, « POUGET, JEAN-BAPTISTE-NOËL », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/pouget_jean_baptiste_noel_5F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    1 décembre 2024