PAPINEAU, TALBOT MERCER, avocat et officier, né le 25 mars 1883 à Montebello, Québec, deuxième des quatre fils de Louis-Joseph Papineau et de Caroline Rogers ; arrière-petit-fils de Louis-Joseph Papineau* ; décédé célibataire le 30 octobre 1917 à Passchendaele (Passendale, Belgique).

Bel homme intelligent et athlétique, doué pour l’art oratoire et l’écriture, parfaitement bilingue et pourvu de charisme, Talbot Mercer Papineau incarnait l’idéal de sa génération. Encore aujourd’hui, sa courte vie symbolise tous les grands espoirs fauchés par la Première Guerre mondiale. Bien qu’il ait porté l’un des noms les plus illustres du Québec, son ascendance était en grande partie américaine et il fut élevé surtout en anglais. L’influence dominante dans son enfance fut sa mère, femme volontaire et ambitieuse issue d’une éminente famille de Philadelphie. Il grandit dans la religion protestante et étudia à la High School of Montreal et à la McGill University. Pourtant, il se définissait comme « Canadien français » et son enfance à Montebello, dans la seigneurie de la Petite-Nation, propriété de la famille Papineau, lui instilla un attachement quasi métaphysique pour le paysage de la province de Québec.

En 1905, Papineau reçut l’une des premières bourses Rhodes décernées à un Canadien. Inscrit en droit au Brasenose College d’Oxford, il obtint une licence avec mention assez bien et fut chef de nage dans l’équipe collégiale d’aviron. De retour à Montréal en 1908, il ouvrit un cabinet d’avocat et entreprit une carrière publique. Ses idées politiques étaient encore éclectiques : fervent partisan du libre-échange, il appartenait en même temps au chapitre montréalais d’un cercle de discussion sur la fédération impériale, le mouvement Round Table [V. Edward Joseph Kylie]. Probablement sous l’influence de son cousin Henri Bourassa*, qui fonda le Devoir en 1910, il commença à s’intéresser à la culture canadienne-française. L’expression la plus concrète de la pensée politique qui se formait en lui apparaît dans une lettre d’octobre 1915 : « Surtout, je veux voir la fierté des Canadiens s’appuyer sur des réalisations concrètes, et non sur cette fallacieuse suffisance que nous avons empruntée à l’Angleterre. »

Dès le début des hostilités, en août 1914, Papineau s’enrôla dans le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry [V. Charles James Townshend Stewart]. Les mobiles de son geste étaient simples. Pour lui, faire la guerre était aussi bien une aventure que le pari éclairé d’un carriériste. Même s’il n’avait jamais appartenu à la milice, il savait que de bons états de service favoriseraient son avenir politique.

Nommé tout de suite lieutenant, Papineau se révéla à la fois fougueux et plein de ressources. Pour sa participation au commandement d’un raid fructueux à Saint-Éloi (Sint Elooi, Belgique) dans la nuit du 27 au 28 février 1915, il reçut l’une des premières Croix militaires décernées à des Canadiens pendant le conflit. En mai, il survécut à la bataille de la crête de Frezenberg, où son régiment subit des pertes massives ; il fut le seul officier de l’effectif original à ne pas être tué, blessé ni évacué pour cause de maladie. Cet été-là, promu capitaine, il entama l’une des plus remarquables correspondances engendrées par la guerre, avec une jeune femme qu’il n’avait jamais rencontrée, une sculpteure de Philadelphie nommée Béatrice Fox. Comme il le dirait plus tard, il était en quête d’une relation qui pourrait être « absolument naturelle et libre des artifices qui entourent si généralement les rapports entre hommes et femmes ». À peu près toutes ses lettres subsistent, de même que celles qu’il écrivait presque quotidiennement à sa mère. Son style est alerte et assuré, ses observations fines, et ses sentiments s’expriment avec sincérité, sans retenue, comme l’illustre un passage daté du 5 août 1915 : « Je hais cette affaire meurtrière. J’ai vu la mort tant de fois [...] Jamais plus je ne chasserai le canard ni ne tirerai de l’eau une truite mouchetée pour la jeter, haletante, dans mon panier – même voir mourir une araignée me serait pénible. »

En février 1916, grâce à l’intervention de sir William Maxwell Aitken*, chef du Bureau des archives militaires canadiennes, Papineau devint officier d’état-major. En juin, il fut détaché auprès de l’état-major du bureau, au quartier-général du Corps d’armée canadien en France. Ses fonctions consistaient notamment à rédiger des communiqués de presse et à diriger les photographes et preneurs de vues cinématographiques. Ses idées politiques continuaient de se préciser. « Après la guerre, le Canada devra opter entre impérialisme et nationalisme, écrivit-il à Béatrice Fox le 16 mars 1916. Pour ma part, j’incline tout à fait en faveur d’un Canada indépendant, doté de tous les attributs de la souveraineté, devoirs compris. »

La seule contribution de Papineau à un débat public date de la même période. Dès 1915, il avait qualifié la deuxième bataille d’Ypres de « difficile accouchement de [la] nationalité [canadienne] ». Pourtant, au Canada même, la guerre était devenue une source de graves dissensions à cause de la répugnance de la province de Québec à y participer. Au grand mécontentement de Papineau, le principal porte-parole de l’opposition à la guerre était son cousin Bourassa. Papineau le défia dans une lettre ouverte parue d’abord dans la Gazette de Montréal le 28 juillet 1916. « Tandis que j’écris, disait le passage le plus éloquent, des Canadiens français et des Canadiens anglais combattent et meurent côte à côte. Leur sacrifice sera-t-il vain, ou ne cimentera-t-il pas les fondations d’une véritable nation canadienne, [...] indépendante de pensée, indépendante dans ses actes, indépendante jusque dans son organisation politique – mais unie en esprit, pour de hauts desseins internationaux et humanitaires, aux deux mères patries, l’Angleterre et la France ? » Ailleurs dans sa lettre, il indiquait quel objectif politique il poursuivrait une fois le conflit terminé. « En tant que minorité [française] dans un vaste continent de langue anglaise, [...] nous devons rechercher des points de rencontre et des intérêts communs plutôt que des points de friction et de séparation. Nous devons faire certaines concessions et sacrifier dans une certaine mesure notre individualité distincte si nous entendons vivre en termes amicaux avec nos concitoyens ou escomptons de leur part des concessions semblables. »

La réponse de Bourassa à Papineau parut une semaine plus tard. Bon nombre de ses arguments étaient ironiques et dirigés contre la personne de son cousin, mais quelques-uns étaient fort justes. Opposé à la guerre parce qu’il rejetait l’impérialisme et l’exploitation des peuples, Bourassa établissait des parallèles entre les souffrances subies par les Belges aux mains des Allemands et celles des Franco-Ontariens sous le Règlement 17 [V. sir James Pliny Whitney]. Il disait par exemple : « Prêcher la croisade pour la « liberté des peuples » d’outre-mer et opprimer les minorités nationales au Canada nous semblent une odieuse hypocrisie. »

À court terme, ce fut surtout Papineau qui remporta les honneurs. Il devint un héros national du jour au lendemain et gagna une certaine renommée internationale. Le 22 août 1916, le Times de Londres publia sa lettre quasi intégralement sous le titre « The soul of Canada ». Défini en termes éloquents par les deux cousins, ce débat sur le caractère de leur pays pourrait être reproduit presque tel quel aujourd’hui.

En juin 1917, peu après la bataille de la crête de Vimy, Papineau reprit du service actif au sein du Princess Patricia’s Canadian Light Infantry en tant que commandant de compagnie. Dans la mesure où ses lettres permettent d’en juger, il avait pris cette décision à la fois par patriotisme et par ambition. À titre d’officier d’état-major, il avait été tenaillé par un sentiment de culpabilité. « D’autres amis sont partis, écrivit-il à Beatrice Fox le 30 septembre 1916. En vertu de quelle étrange loi suis-je encore ici ? Quel droit ai-je encore au plaisir égoïste ? » Il y avait aussi du calcul chez lui. Ainsi, le 11 mai 1917, l’officier commandant le Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, le lieutenant-colonel Agar Stewart Allan Masterton Adamson*, écrivait à sa femme, Mabel Cawthra* : « [Papineau] a l’intention d’entrer dans la vie publique après la guerre et pense que ses chances seraient meilleures [...] s’il pouvait montrer qu’il se trouvait avec le régiment pendant une grande offensive comme la dernière. »

En août 1917, Papineau fut promu major intérimaire. Tard en octobre, le régiment fut dépêché à Passchendaele pour prendre la tête d’un assaut. L’attaque commença à 6 heures le matin du 30 octobre. Juste avant de s’élancer, Papineau dit au major Hugh Wilderspin Niven : « Vous savez, Hughie, c’est un véritable suicide. » Ce sont les dernières paroles de lui qui ont été rapportées. Un obus l’atteignit au moment où il quittait la tranchée.

Sans nul doute, déclara l’Ottawa Citizen, Talbot Mercer Papineau était destiné à occuper une haute position dans la vie publique. « Même sans le connaître personnellement, bien des gens le croyaient particulièrement apte à jouer le rôle de chef de file dans la réconciliation des deux races. » En Grande-Bretagne, le Daily Mail salua en lui « un chef disparu ». Faute de réalisations tangibles, il est difficile de lui assigner sa juste place dans l’histoire. Aucune autre figure n’évoque de manière plus frappante le Canada des années de guerre : la réalité de promesses non tenues, l’émergence du nationalisme canadien, le fossé grandissant entre les deux cultures. « Me voilà presque parvenu à l’âge de 35 ans, et je n’ai rien fait, ou presque », écrivit Papineau à sa mère peu avant la bataille de Passchendaele. Pourtant, il se trompait. Les lettres remarquables qu’il expédia du front sont la voix canadienne de la Première Guerre mondiale, un rappel de tout ce qui y fut perdu.

Sandra Gwyn

La lettre de Talbot Mercer Papineau à Henri Bourassa ainsi que la réponse de ce dernier et d’autres documents connexes ont été publiés dans un opuscule intitulé Canadian nationalism and the war (Montréal, 1916). Une allocution présentée par Papineau en 1917 a paru à titre posthume sous le titre The war and its influences upon Canada [...] ([Montréal, 1920]).

AN, MG 30, E52 ; E 149.— Sandra Gwyn, Tapestry of war : a private view of Canadians in the Great War (Toronto, 1992).— Ralph Hodder-Williams, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry, 1914–1919 (2 vol., Londres, 1923).— Mason Wade, The French Canadians, 1760–1967 (éd. rév., 2 vol., Toronto, 1968), 2.— Jeffery Williams, Princess Patricia’s Canadian Light Infantry (éd. rév., Londres, 1985).

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Sandra Gwyn, « PAPINEAU, TALBOT MERCER », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/papineau_talbot_mercer_14F.html.

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Auteur de l'article:    Sandra Gwyn
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
Année de la révision:    1998
Date de consultation:    1 décembre 2024