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ORONHYATEKHA (qui signifie « nuage en feu » ; baptisé Peter Martin), médecin, fonctionnaire, administrateur d’une société mutualiste et auteur, né le 10 août 1841 dans la réserve des Six-Nations près de Brantford, Haut-Canada, petit-fils de George Martin* ; le 28 août 1863, il épousa Ellen Hill (Karakwineh, « soleil en mouvement »), arrière-petite-fille de Joseph Brant [Thayendanegea*], et ils eurent six enfants, dont une fille et un garçon parvinrent à l’âge adulte ; décédé le 3 mars 1907 à Savannah, Georgie, et inhumé dans la réserve de Tyendinaga près de Deseronto, Ontario.
Tracer un portrait fidèle de l’ensemble de la vie et de la carrière d’Oronhyatekha n’est pas facile, car les biographies écrites de son vivant (plutôt des hagiographies à vrai dire) regorgent de fables, dont un grand nombre furent propagées par lui-même. Cela dit, on peut quand même brosser à grands traits un tableau de ce qu’il a accompli. Né au bord de la rivière Grand, dans une famille mohawk, il apprit tôt à tirer parti des ressources environnantes. De 1846 à 1854, à l’école technique de la New England Company, près de la réserve, il perfectionna son anglais et apprit la cordonnerie. Puis, en 1855–1856, il fréquenta la Wesleyan Academy de Wilbraham, dans le Massachusetts. La plus ancienne de ses fables porte sur cette période : de nombreuses biographies rapportent qu’il disait avoir assuré sa subsistance en coupant du bois. Plus probablement, l’assemblée de fidèles méthodistes de la réserve participait au financement de ses études. Manifestement, il enseignait dans la réserve pendant les mois d’été. De 1857 à 1860, il étudia au Kenyon College, école épiscopale pour hommes située à Gambier, dans l’Ohio. D’après son propre témoignage, il fit en trois ans le cours de quatre ans et finit premier de sa classe.
Après le retour d’Oronhyatekha au Canada survint un événement que, rétrospectivement, il allait présenter comme un tournant dans son existence. En 1860, les chefs du Conseil des Six-Nations lui confièrent le mandat de prononcer une allocution de bienvenue devant le prince de Galles. À 19 ans, Oronhyatekha avait cette allure imposante qui allait le distinguer tout au long de sa vie publique : il mesurait six pieds, pesait 230 livres, avait une peau aux reflets cuivrés, de grands yeux proéminents et une énorme tête. Son discours de deux minutes, en anglais, fut médiocre, mais sa voix était belle et grave. Le prince fut si impressionné, dit-on, qu’il l’invita à parfaire ses études à la University of Oxford. On ne sait trop si le prince était sincère, mais Oronhyatekha partit pour l’Angleterre dans le courant de 1860 et étudia à Oxford sous la tutelle du professeur royal Henry Wentworth Acland, qui avait accompagné le prince en Amérique du Nord. La nature du programme suivi par Oronhyatekha n’est pas connue, mais il ne revint pas médecin, contrairement à ce qu’il dirait par la suite dans des annonces publicitaires.
En 1863, Oronhyatekha rentra au Canada et se maria. L’année suivante, il fut admis à la University of Toronto, où il obtint un baccalauréat en médecine en 1866. Il acheva ses études à la Toronto School of Medicine en 1867 : ses résultats aux examens finals furent passables, et il eut son doctorat en médecine. Dans les mêmes années, il s’enrôla dans le corps de milice de l’université et dans le 2nd Battalion of Rifles (Queen’s Own Rifles of Toronto), ce qui s’avéra une bonne préparation aux concours de tir auxquels il participerait par la suite à Wimbledon (Londres). Ce fut également pendant son séjour à l’université qu’il s’affilia pour la première fois à une loge : en octobre 1865, il fut admis dans la franc-maçonnerie.
De 1867 à 1878, le docteur Oronhyatekha s’employa à se constituer une clientèle. Amateur d’astuces publicitaires et habile à discerner les besoins de ses contemporains, il s’installa à Frankford, en Ontario, et se présenta comme un médecin d’Oxford qui avait étudié auprès du docteur Acland et dont la spécialité était les maladies de la gorge et des poumons et les désordres nerveux. Comme Frankford n’était pas loin de la réserve de Tyendinaga, les Mohawks le consultèrent en grand nombre une fois qu’il eut ajouté, dans ses réclames journalistiques, la mention « remèdes indiens et plantes médicinales ». Dès 1870, il était assez bien établi dans le milieu médical pour être élu premier secrétaire de la Hastings County Medical Association. Vers 1871, un certain docteur Lucas l’invita à s’associer à son cabinet de Stratford. Ambitieux, le jeune Oronhyatekha accepta. Peu après, il vécut son unique aventure en politique active. Il organisa la campagne du Parti conservateur, manifestement aux élections fédérales de 1872, dans le canton de Wallace, au nord de Stratford, et peut-être aussi dans d’autres régions rurales. C’est à ce moment qu’il rencontra sir John Alexander Macdonald*, qui recommanda que le gouvernement le nomme médecin consultant auprès des Mohawks de la réserve de Tyendinaga. Oronhyatekha accepta ce poste avec joie et s’installa à Napanee en 1873. Il construisit une immense maison pour sa famille, qui comptait alors quatre personnes. Cependant, son salaire annuel de 500 $ ne lui permettait pas de mener le train de vie qu’il jugeait compatible avec sa nouvelle position. Dans l’espoir d’augmenter ses revenus, il acheta la moitié d’un magasin général à Mill Point (Deseronto), mais il fit bientôt faillite – parce qu’il avait fait crédit trop généreusement, disait-il. En 1874, après avoir hypothéqué tous ses biens, il ouvrit un nouveau cabinet à London.
Dans cette ville, Oronhyatekha se présentait comme un médecin d’Oxford et comme un ex-fonctionnaire. Désireux de nouer le plus de relations possible, il s’inscrivit à diverses sociétés mutualistes, organisations de tempérance et sociétés maçonniques ; il adhéra même à l’ordre d’Orange. Surtout, en février 1878, il se joignit à la Court Dufferin No. 7 de l’Independent Order of Foresters. Son admission était un fait remarquable, car cette association américaine stipulait dans sa constitution qu’elle n’acceptait que les « hommes de race blanche ». Cependant, grâce à ses activités antérieures dans des sociétés d’entraide et à sa notoriété dans son milieu, Oronhyatekha avait atteint un rang suffisant parmi les orangistes (seuls ces derniers étaient admis à l’Independent Order of Foresters) pour obtenir une dispense.
Oronhyatekha adhéra à l’Independent Order of Foresters et au mutualisme avec tout le zèle d’un converti. Pour lui, les sociétés d’entraide étaient fondées sur l’amour fraternel et le principe de l’assurance. Dans une organisation de ce genre, tous les membres mettaient leurs ressources en commun pour aider ceux qui étaient dans le besoin, et protéger les individus et les familles contre les incertitudes de l’avenir. Pareille chose n’était pas superflue dans le Canada victorien : les salaires des ouvriers étaient bas, la mortalité attribuable à la maladie ou aux accidents était élevée. Selon des rapports officiels parus en Ontario à compter de 1892, cette province comptait à elle seule plus de 90 sociétés de secours mutuel et d’entraide, et un tiers de la population masculine appartenait à au moins l’une d’entre elles.
À compter de 1878, on accusa Oronhyatekha de s’inscrire à des sociétés uniquement par ambition. C’était en grande partie injuste car, dès son entrée à l’Independent Order of Foresters (qui était alors en difficulté financière), il travailla pour cette organisation bénévolement et presque avec frénésie. Bientôt, il fut élu à une fonction prestigieuse au sein de l’ordre, celle de haut chef forestier de l’Ontario High Court. De 1878 à 1881, il sillonna la province à ses frais, prêchant le mutualisme dans de petites localités. Toutefois, un groupe de loges canadiennes désireuses de quitter l’organisation américaine sapait ses efforts. En raison de la mortalité élevée qui frappait les États du Sud, l’association avait dû payer de fortes indemnités. Sa situation financière n’avait donc rien de reluisant. De plus, en apprenant que le trésorier s’était enfui avec des fonds, les loges scissionnistes formèrent une organisation parallèle, le Canadian Order of Foresters.
S’étant placé à la tête du mouvement antiscissionniste, Oronhyatekha réussit à rassembler assez de membres des autres loges ontariennes à Ottawa en juin 1881 pour reconstituer sous une nouvelle forme l’Independent Order of Foresters. Il en devint le premier chef forestier suprême, mais l’avenir ne devait certainement pas être encourageant. La nouvelle société avait seulement 369 membres, et sa dette s’élevait à 4 000 $. Certains membres accusaient Oronhyatekha d’avoir truqué le scrutin pour se faire élire. Un tribunal d’enquête le lava toutefois de cette accusation et, bientôt, il put se consacrer à ce qui allait être l’œuvre de sa vie : fonder des loges de l’Independent Order of Foresters dans toute l’Amérique du Nord et outre-mer. Dans une large mesure, il atteindrait son objectif : à sa mort en 1907, l’ordre compterait plus d’un quart de million de membres dans le monde entier et aurait 11 millions de dollars de liquidités.
Pour commencer, Oronhyatekha remania la constitution de l’Independent Order of Foresters afin de mettre l’organisation sur la voie de la rentabilité. Pour que la société ne soit pas périodiquement engloutie sous des vagues de demandes de règlement après décès, il remplaça les redevances perçues à la mort des membres par une échelle de primes selon l’âge. Ce fut le principal changement auquel il procéda. La nouvelle constitution prévoyait également la création d’un fonds de réserve qui restait intouchable indépendamment des indemnités versées. Pour maintenir au plus bas le taux de mortalité chez les membres, Oronhyatekha insista pour que tous subissent des examens médicaux minutieux, et il bannit quiconque présentait le moindre risque, dont les personnes associées, même de loin, à l’industrie de l’alcool. Grâce aux primes fixées en fonction de l’âge, un jeune homme à faible revenu, unique soutien de famille, avait de bonnes chances de pouvoir verser les petites mensualités nécessaires pour que les siens soient protégés lorsqu’il viendrait à disparaître. Oronhyatekha tenait à réduire les primes au minimum afin que ceux qui étaient vraiment dans le besoin puissent adhérer à la société. Fièrement, il appelait l’Independent Order of Foresters « l’ordre du pauvre », et les compagnies d’assurances traditionnelles avaient du mal à soutenir la concurrence. Le principal attrait du nouvel Independent Order of Foresters était peut-être qu’il offrait une protection de la naissance à la mort – protection qui devint graduellement de plus en plus complète au cours des années 1880. En partie parce qu’il obtint une charte fédérale en mai 1889, l’ordre fut en mesure d’offrir à compter de 1891 non seulement de l’assurance-vie, mais aussi un régime de retraite, des prestations hebdomadaires de maladie, de l’assurance-invalidité et des indemnités pour frais funéraires.
La prédilection d’Oronhyatekha pour les offensives publicitaires fut un atout pour l’Independent Order of Foresters pendant ces années. En un temps où la plupart des sociétés d’entraide comptaient sur leurs membres pour en recruter d’autres, il plaçait des annonces pleine page dans des publications du domairie des assurances, dans le Canadian Magazine et dans le Fraternal Monitor, publié à Rochester, dans l’État de New York. En partie pour vaincre la méfiance du public, il faisait aussi paraître dans des quotidiens des annonces pleine page qui décrivaient en détail la situation financière de l’ordre et ses programmes d’assurances, dont le versement de « prestations ininterrompues de maladie ».
Oronhyatekha fit aussi de la réclame pour son cabinet de médecin dans le Fraternal Monitor, mais il cessa presque complètement d’exercer pour se consacrer à l’Independent Order of Foresters, qui quitta London en 1888 et réinstalla son siège social à Toronto. Dans les années 1880, Oronhyatekha parcourut le Canada et les États-Unis pour vanter la supériorité des sociétés d’entraide sur les compagnies d’assurances ordinaires et inciter les travailleurs à se protéger financièrement. En 1890, le nombre de loges était beaucoup plus élevé que quelques années plus tôt, et Oronhyatekha était peut-être le plus célèbre champion du mutualisme en Amérique du Nord. C’est d’ailleurs pourquoi certains l’avaient à l’oeil – William McCabe par exemple, administrateur dans le domaine des assurances, qui mettait en doute les principes actuariels de l’Independent Order of Foresters.
Un peu par hasard, l’Ontario avait nommé son premier inspecteur des assurances, John Howard Hunter, l’année même où Oronhyatekha avait pris la direction de l’ordre. Un affrontement survint entre les deux hommes en 1888 quand Hunter voulut faire placer les sociétés d’entraide sous sa surveillance. Oronhyatekha prit la tête de la résistance, affirmant que la province cherchait en fait à mettre au pas des travailleurs jugés révolutionnaires. Il remporta cette manche, mais en 1892, après qu’on eut découvert que certaines sociétés faisaient affaire frauduleusement en Ontario, le Parlement de la province adopta une loi conforme à la proposition de Hunter. Se résignant aux inspections, Oronhyatekha resta opposé à l’article de la loi qui interdisait aux nouvelles sociétés étrangères d’entrer en Ontario, et il continuerait de se quereller avec Hunter à propos de deux questions : les sommes qu’il convenait d’affecter à un fonds de réserve et les primes. Il avait fait adhérer l’Independent Order of Foresters au National Fraternal Congress, et il craignait que ce regroupement de sociétés mutualistes américaines ne prenne des mesures contre son association à cause de la politique d’exclusion de l’Ontario. Plus tard en 1892, pour protéger les sociétés d’entraide contre d’autres interventions gouvernementales, il mit sur pied la Canadian Fraternal Association, dont il devint le premier président. En 1896, à l’assemblée annuelle de cet organisme, Hunter préconisa l’adoption des tables de mortalité qu’il avait conçues à l’intention de toutes les compagnies d’assurances. Oronhyatekha, qui avait toujours mis l’accent sur les faibles cotisations de sa société, commença par s’y opposer, parce que l’adoption de ces tables allait entraîner une légère augmentation des primes. Cependant, lorsque le National Fraternal Congress accepta les tables de Hunter, en 1899, il dut baisser pavillon car il voulait devenir président. La même année, il accéda à la présidence du National Fraternal Congress, et l’Independent Order of Foresters adopta à son tour les tables de Hunter.
On peut dire que les années 1890 furent l’âge d’or de l’Independent Order of Foresters, et il ne fait aucun doute que l’association devait son succès à l’éclat avec lequel Oronhyatekha la dirigeait. Apparemment, il ne s’occupait guère de l’administration interne. Bon nombre de ses contemporains ont noté qu’il ne connaissait pas grand-chose à l’actuariat ; un de ses biographes, E. J. Dunn, a dit que ses discours regorgeaient de « bêtises sur l’entraide ». Il préférait voyager dans le monde entier et fonder de nouvelles loges. Peu d’entre elles lui survécurent longtemps, mais la vaste collection d’objets hétéroclites qu’il constitua au fil de ses voyages ne fut pas aussi éphémère. On y trouvait des vestiges amérindiens, des objets façonnés en Inde, des crânes, des oiseaux et des rongeurs empaillés, une momie égyptienne et une réplique dorée du fauteuil du couronnement d’Édouard VII qu’il garda un certain temps dans son bureau...
Oronhyatekha connaissait à fond son public. Il savait que, pour réussir en Ontario en cette dernière partie de l’époque victorienne, l’Independent Order of Foresters devait se présenter comme une entreprise saine, administrée par des chrétiens sérieux et de loyaux sujets britanniques. Mélanges souvent incongrus de tous ces éléments, les stratégies de promotion qu’il concevait étaient imaginatives et ne manquaient jamais d’attirer l’attention. Il était tellement porté à faire des mises en scène audacieuses et à mousser sa propre image qu’un autre de ses biographes, Gerald Anglin, l’a surnommé le « Barnum des assurances ». Par exemple, à l’Industrial Exhibition de Toronto en 1894, il fit dresser une immense tente « ouverte à tous », ornée de drapeaux britanniques et entourée de fanfares, pour commémorer le vingtième anniversaire de l’Independent Order of Foresters. (Certes, l’association formée en 1881 était pour ainsi dire une nouvelle organisation, mais Oronhyatekha soulignait judicieusement qu’elle prenait sa source dans la loge fondée à Newark, dans le New Jersey, en 1874. Ainsi, l’Independent Order of Foresters ne risquait pas d’être exclu des États-Unis en tant qu’association étrangère.) Au début des années 1890, Oronhyatekha jugea que l’ordre, étant donné la prospérité qu’il avait acquise à Toronto, avait besoin de nouveaux locaux. Construit à l’angle des rues Bay et Richmond de 1895 à 1897, le Temple Building, bâtiment imposant, d’une architecture avant-gardiste, devint la pièce maîtresse de la campagne tapageuse mais remarquable par laquelle Oronhyatekha faisait la promotion de l’ordre et cultivait sa propre image de chef forestier suprême. Pour marquer l’inauguration du Temple Building et souligner son propre dévouement, il commanda au statuaire Walter Seymour Allward* un bronze de lui-même, grandeur nature. Lorsque le duc et la duchesse de Cornwall visitèrent Toronto en 1901, l’Independent Order of Foresters se fit bien sûr un devoir de leur manifester son affection d’une manière digne d’eux. On décora le Temple Building de guirlandes d’ampoules et on éleva dans la rue Bay, à partir de l’édifice, un arc massif avec une couronne en son centre. L’occasion était trop belle pour qu’Oronhyatekha la laisse passer : les lumières clignotèrent durant un mois, le temps que l’ordre prépare un livret dans lequel on le voyait flanqué du couple royal. Grâce à cette brillante campagne de publicité, le nombre de membres augmenta de façon spectaculaire après la visite.
Présenter Oronhyatekha comme un simple promoteur serait pourtant injuste. Sa foi dans tous les aspects du mutualisme semble avoir été sincère, surtout dans les dernières années. C’est dans History of the Independent Order of Foresters, paru à Toronto en 1894, qu’il a livré l’exposé le plus complet et le plus cohérent de sa philosophie. Propriétaire d’un terrain dans l’île Foresters, dans la baie de Quinte, il le donna à l’association en 1903 pour qu’on y construise un orphelinat qui serait financé par les membres. Hélas, encore une fois, il en fit trop : au lieu d’un foyer modeste, il construisit un château miniature. L’édifice se révéla trop coûteux presque dès le début et ferma ses portes peu après la mort d’Oronhyatekha. Le chef forestier suprême envisagea aussi de donner le château qu’il possédait dans l’île, Sherwood, pour qu’il soit transformé en foyer pour les membres âgés et malades. En outre, après le tremblement de terre qui ravagea San Francisco en 1906, il ordonna que l’ordre verse 15 000 $ au fonds de secours. Pour lui, le mutualisme n’était pas simplement une affaire d’assurances ; c’était toute une philosophie qui incitait les membres à la débrouillardise et à l’entraide.
Il existe peu de documentation sur les autres activités d’Oronhyatekha, si ce n’est sur le travail de promotion et de commercialisation qu’il faisait à l’Independent Order of Foresters. On lit dans le bulletin de l’organisation, l’Independent Forester, qu’il était rédacteur en chef et directeur des examens médicaux. On a peine à s’imaginer comment il trouvait le temps d’exercer ces fonctions en voyageant autant. Au début des années 1890, il se remit à pratiquer la médecine pour son propre compte dans les bureaux de l’ordre, mais apparemment, sa tentative ne fut pas couronnée de succès. Fier d’être Amérindien, il utilisa toute sa vie le nom d’Oronhyatekha (seuls ses biographes l’ont appelé Peter Martin) et écrivit deux articles sur la langue mohawk. Cependant, on n’est pas sûr qu’il ait entretenu des rapports étroits avec son peuple. Certes, en 1874, il fut élu président d’une organisation autochtone, le Grand Council of Ontario, mais apparemment, il s’agissait plutôt d’un poste honorifique. Son domicile principal, The Pines, était à Deseronto, dans la réserve de Tyendinaga, mais il n’y allait presque jamais, préférant avoir un appartement à Toronto. Il était conservateur, et on lui demanda souvent de briguer une fonction politique. Il refusa toujours en alléguant que, à titre de chef forestier suprême, il ne pouvait pas risquer d’associer l’ordre à un parti. (Pourtant, il ne ratait jamais une occasion de dire que sir Wilfrid Laurier* entretenait des « liens étroits » avec l’Independent Order of Foresters.) En 1900, il participa à la création d’une société privée, la Union Trust Company, dont il devint président ; mais il ne sortit pas pour autant de la sphère de l’Independent Order of Foresters : dès l’année suivante, la Union Trust Company commença à investir des fonds de l’ordre, son principal actionnaire.
Oronhyatekha avait réussi à sauver l’Independent Order of Foresters de la faillite et à en faire la plus grande société d’entraide du continent. Dans les dernières années de sa vie, il aurait dû pouvoir goûter les fruits de son labeur. Par malheur, il perdit sa femme, Ellen, en 1901. Elle avait presque vécu en recluse, semble-t-il, après la mort de leur fils en 1881 et avait rarement quitté leur maison de Deseronto. En raison de son travail à l’Independent Order of Foresters, Oronhyatekha n’avait pas pu passer beaucoup de temps avec sa famille, mais la mort de sa femme l’affecta profondément, et il semble qu’il déclina vite par la suite. En même temps, le diabète rongeait sa forte constitution physique.
Oronhyatekha continua néanmoins de participer aux assemblées annuelles du mouvement d’entraide. Il apporta sa dernière contribution à l’Independent Order of Foresters à l’automne de 1906 en donnant, devant la commission royale d’enquête sur l’assurance-vie, un compte rendu complet des activités de l’ordre, y compris les pratiques d’investissement douteuses de la Union Trust Company. Lui-même et l’ordre éveillaient depuis longtemps des soupçons dans la population – lui, notamment, à cause de ses extravagances, l’ordre, surtout en raison de son remarquable succès. Malgré sa maladie – il était trop faible pour se tenir debout pendant les six jours que dura cet interrogatoire épuisant – et malgré sa piètre connaissance de l’actuariat, il présenta une série impressionnante de preuves et d’explications. Le rapport de la commission, paru en février 1907, concluait pour l’essentiel à la santé de l’ordre. Cependant, on sent bien, à la lecture du document, que les commissaires étaient très irrités que l’ordre ait réussi à contourner les règlements fédéraux sur les assurances et qu’Oronhyatekha ait si bien su exercer son influence pour obtenir des lois avantageuses.
Hélas, dans les mois précédents, l’état d’Oronhyatekha s’était aggravé. Sur l’ordre de son médecin, il passa l’hiver dans le Sud. Le 3 mars 1907, peu après s’être arrêté pour rendre visite au président Théodore Roosevelt, il mourut paisiblement à Savannah.
Comme on pouvait s’y attendre, Oronhyatekha avait réglé les détails de ses funérailles, et elles furent somptueuses. Sa dépouille fut exposée « en chapelle ardente » au Massey Music Hall de Toronto ; le 6 mars, en l’espace de quatre heures, plus de 10 000 personnes vinrent lui rendre hommage. Le soir, un service commémoratif eut lieu en l’église anglicane St Peter, qu’il avait fréquentée. Le lendemain, sa dépouille fut placée dans un train spécial et conduite dans la réserve de Tyendinaga. Une cérémonie réservée à la famille eut lieu à la Christ Church, après quoi il fut inhumé aux côtés de sa femme et de ses fils, dans un tombeau de béton « à l’épreuve des déterreurs de cadavres ».
Au cours de la période où Oronhyatekha dirigea l’Independent Order of Foresters, l’association distribua plus de 20 millions de dollars de prestations d’assistance sociale et d’indemnités d’assurances à plus de 100 000 bénéficiaires. Aucun établissement privé ou public dans le monde ne pouvait prétendre avoir distribué autant d’aide financière dans la même période. Non seulement l’Independent Order of Foresters était-il la société d’entraide la plus rentable au monde, mais son premier chef forestier suprême était, comme l’a noté un biographe américain, « l’un des plus énergiques et des plus grands bâtisseurs du mutualisme en Amérique ».
On peut lire deux articles d’Oronhyatekha sur « The Mohawk language » dans le Canadian Journal (Toronto), nouv. sér., 10 (1865) : 182–194 et 15 (1876–1878) : 1–12. La collection d’objets qu’Oronhyatekha a accumulés au cours de ses voyages a été donnée à l’Independent Order of Foresters en 1904 et est décrite dans le catalogue de cet organisme intitulé Catalogue and notes of the Oronhyatekha Historical Collection, F. B. Cumberland, compil. ([Toronto, 1904]) ; cette collection a été présentée au Musée royal de l’Ontario (Toronto) en 1911.
AO, RG 22, Ser. 340, n° 19689.— Univ. of Toronto Arch., A73–0026/352 (94) ; P78–0158 (Univ. of Toronto, class and prize lists), 1864, 1866.— Daily Mail and Empire, 7 mars 1907.— Gerald Anglin, « The strangest insurance company in the world », Maclean’s (Toronto), 64 (1951), n° 3 : 10s., 44.— Ethel Brant Monture, Famous Indians : Brant, Crowfoot, Oronhyatekha (Toronto, 1960).— Canada, Parl., Doc. de la session, 1906–1907, n° 123a.— Canadian Fraternal Assoc., Journal of proc. (Guelph, Ontario), 1893–1908 (exemplaires aux AO) ; Minutes of the preliminary convention, of the constituting meeting, and of the first annual session [...] (Toronto, 1892 ; exemplaires aux AO).— Canadian Journal of Medicine and Surgery (Toronto), 21 (janv.–juin 1907) : 256.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).— E. J. Dunn, The builders of fraternalism in America (Chicago, 1924 ; exemplaire conservé à l’Independent Order of Foresters Museum, Toronto).— Fraternity : a compilation of historical facts and addresses pertaining to fraternalism in general and the fraternal system in particular [...] (Rochester, N.Y., 1910).— Independent Forester (Toronto), 1880–1907 (exemplaires à l’Independent Order of Foresters Muséum).— Warren Potter et Robert Oliver, Fraternally yours : a history of the Independent Order of Foresters (Londres, 1967).— Prominent men of Canada (Adam).— C. E. Rich, « Dr. Peter Martin, S.D. ; Oronhyatekha ; « Burning Cloud, » Canadian Masonic Research Assoc., Papers, 1949–1976 (3 vol., [Toronto], 1986), n° 107.— F. G. Weir, « Great Indian characters » (copie tirée d’une publication intitulée Onward, 1er févr. 1930 : 38, et conservée à l’Independent Order of Foresters Museum).
Gayle M. Comeau-Vasilopoulos, « ORONHYATEKHA, baptisé Peter Martin », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/oronhyatekha_13F.html.
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Auteur de l'article: | Gayle M. Comeau-Vasilopoulos |
Titre de l'article: | ORONHYATEKHA, baptisé Peter Martin |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |