O’BRIEN, JOHN, fermier, né en 1790, probablement en Irlande ; le 29 novembre 1823, il épousa à St John’s Mary Darcy, et ils eurent au moins quatre fils et deux filles ; décédé en 1855 près de St John’s.

C’est entre 1815 et 1820 que John O’Brien commença de défricher une terre à Freshwater, région qui avait été ouverte à la colonisation vers 1800 et qui était située à deux milles à l’ouest de St John’s. Fiant donné qu’aucun O’Brien ou Darcy n’est enregistré comme témoin de leur mariage ou comme parrain ou marraine de leurs enfants, il est presque certain que John O’Brien et sa femme étaient de nouveaux venus qui avaient immigré à Terre-Neuve sans leur famille. La plupart des parrains et marraines cités étaient originaires de paroisses du sud du comté de Kilkenny (république d’Irlande), comme l’étaient beaucoup d’Irlandais catholiques de St John’s, et les O’Brien venaient probablement de cette région eux aussi.

De petite ville d’un millier d’habitants qu’elle était, St John’s était devenue, dans les années 1790 à 1815, le centre du commerce de la pêche morutière de Terre-Neuve, avec une population qui variait entre 8 000 et 10 000 habitants. Les prix du poisson avaient monté en flèche dans les marchés européens, en grande partie à cause des guerres napoléoniennes, et l’augmentation des salaires qui s’ensuivit avait attiré un grand nombre de jeunes immigrants irlandais, aussi bien des femmes que des hommes. Au cours du xviiie siècle, une bonne partie des aliments consommés dans la ville, exception faite du poisson, avaient été importés soit de Grande-Bretagne, soit du continent nord-américain, mais des interruptions de l’approvisionnement pendant les guerres, l’augmentation de la population fixe de St John’s et une présence militaire plus importante, de même que l’apparition d’une classe moyenne, furent autant de facteurs qui accrurent la demande pour des produits susceptibles d’être cultivés dans la région. Encouragés par l’adoucissement qu’avait apporté, en 1813, le gouverneur sir Richard Goodwin Keats* aux lois entravant le développement de l’agriculture commerciale, les immigrants arrivant à St John’s commencèrent à établir de petites fermes autour de la ville et à produire des denrées telles que du lait frais et des légumes. En 1840, on comptait plus de 400 fermes qui formaient d’étroites bandes de peuplement le long des nouvelles routes qui rayonnaient autour de la ville.

Au moment où O’Brien arriva dans la colonie, presque toutes les terres cultivables qui se trouvaient le long de la route reliant St John’s et Freshwater, de même que celles qui étaient en bordure des chemins rejoignant cette route, étaient occupées par quelque 30 fermes ; O’Brien alla donc s’installer encore plus à l’ouest. Après avoir essayé un emplacement qui ne convenait pas, il s’établit sur les flancs de la colline Nagles, où il choisit un morceau de terrain plat constitué d’argile à blocaux et entreprit le défrichement. Ce terrain était situé près de la lisière est de ce qui fut plus tard officiellement délimité comme son lot ; il y construisit un tilt ou abri provisoire.

Défricher la terre représentait un travail énorme. O’Brien devait venir à bout d’une dense forêt d’épinettes et de sapins avant de pouvoir utiliser le sol qui constituait sa ferme, et les outils dont il disposait étaient rudimentaires : des haches étroites et légères ainsi que des hachettes pour couper les arbres et les broussailles, puis des pics, des pieds-de-biche et des leviers de fortune en bois pour arracher les souches qui résistaient. On laissait pourrir les plus grosses racine ou on les brûlait. Après avoir réussi à débarrasser un morceau de terrain de sa couverture naturelle, O’Brien se trouvait devant une mince couche de sol rocailleux dont il devait extraire les roches et les pierres, tâche non moins laborieuse que le défrichement de la forêt. Une partie de cette pierre était transportée à St John’s pour être vendue comme lest ou utilisée à la construction du port, mais la plus grande partie servait à former les murs épais qui délimitaient les différents champs de la ferme.

Par rapport aux critères nord-américains, le défrichement de la terre se faisait à une vitesse extrêmement lente. En 1849, environ trois décennies après avoir commencé à occuper les lieux, O’Brien avait 14 acres de terre aménagée et cultivée. Il est peu probable qu’il eût réussi à aménager même une si petite surface s’il avait été seul pour faire le travail. Jusque dans les années 1840, beaucoup de fermiers de la région embauchèrent, pour défricher la terre et ouvrir des sentiers et des chemins à travers bois, des travailleurs immigrés d’origine irlandaise qui cherchaient du travail pour l’hiver après avoir vécu de la pêche durant l’été. Souvent ces jeunes hommes ne demandaient que le gîte et le couvert en échange de leur travail, et il est probable qu’O’Brien profita de ce réservoir de main-d’œuvre à bon marché, au moins jusqu’à ce que les plus âgés de ses fils puissent se joindre à lui. On défrichait d’abord les emplacements élevés, plus secs, puis les dépressions, dont le sol humide devait être considérablement asséché avant d’être cultivé. Les couches les plus épaisses d’argile à blocaux situées dans les dépressions fournissaient normalement une base plus fertile pour les cultures, mais généralement la couche de terre naturelle n’avait pas plus de six pouces d’épaisseur ; elle devait être fertilisée intensivement et être utilisée avec modération et avec soin pendant une génération avant d’atteindre une productivité satisfaisante.

Le climat et le sol ne se prêtaient pas à la culture des céréales sur une échelle commerciale. Les étés courts, frais et humides, étaient propices à la croissance de plantes à fourrage de qualité supérieure, et, comme tous les fermiers de Freshwater, O’Brien s’adapta à ces conditions en se lançant dans la production commerciale du lait, qu’il vendait aux ménagères et aux marchands de l’extrémité ouest de St John’s. Dans une ferme laitière, le principal objectif était d’en arriver à avoir un bon pré. En effet, une vache pouvait consommer plus de deux tonnes de foin durant le long hiver et, à chaque printemps, les deux tiers de la terre étaient réservés à cette culture. Les prairies gagnaient à être cultivées périodiquement et, par conséquent, on élabora petit à petit une méthode de rotation des cultures : un « vieux » pré était planté en navets et en choux la première année, en pommes de terre la deuxième, puis en avoine et en graines de foin la troisième année, après quoi il était de nouveau utilisé pour la production de foin pendant plusieurs années. Ces prés, situés en haut du versant sud de la colline Nagles, étaient protégés des éléments par de larges bandes de terrain boisé.

À Freshwater, la ferme d’O’Brien était située en bordure de l’arrière-pays ; elle était donc l’une des plus éloignées du marché. O’Brien ouvrit, en plein bois, un chemin d’un demi-mille de long depuis sa première maison jusqu’à son plus proche voisin. Sa deuxième demeure, une construction beaucoup plus solide, s’élevait à proximité de ses voisins qui habitaient près de la limite est de sa ferme. Comme d’autres fermiers, O’Brien savait comment construire des routes et pouvait fournir les outils et les matériaux de base nécessaires ; il obtint donc de petits contrats du gouvernement pour ouvrir et entretenir des routes et des chemins publics, travaux pour lesquels il était payé en espèces. Un contrat de cette nature, conclu en automne 1844, devint caduc lorsque le gouvernement manqua de capitaux ; un autre, passé en été 1849 et stipulant qu’une route devait être construite à travers la terre non défrichée d’un voisin, se termina par un litige où O’Brien faillit perdre sa ferme. Il fut condamné à une amende de £12 pour tentative de voies de fait, et le shérif saisit sa ferme et la mit en vente après qu’O’Brien eut déclaré ne pas pouvoir payer. Cette action donna lieu à un éditorial virulent du Newfoundland Patriot, dirigé par Robert John Parsons*, qui considérait cette procédure comme un abus d’autorité sans précédent contre un homme qui, « à force de travail assidu, a[vait] réussi à défricher quinze des quelque cinquante acres de terre inculte que la couronne [lui avait accordées] [tout en] élev[ant] une famille nombreuse, prévoyant qu’ [...] il pourrait leur léguer [cette terre] comme le produit d’une vie de labeur et de misère ». Apparemment, personne ne fit d’offre pour la ferme, et O’Brien en resta propriétaire.

Après 1850, on effectua peu de défrichement dans le premier lot occupé par les O’Brien, mais le fils aîné, avec l’aide de la famille, établit une ferme et construisit une maison à l’ouest de la terre de son père. Le lot ancestral fut légué aux deux autres fils et, peu de temps avant sa mort, O’Brien aida l’un d’eux à construire une imposante maison à charpente de bois de deux étages. C’est ce même fils qui se porta acquéreur d’une autre ferme aux abords de St John’s et ouvrit une épicerie sur la route qui conduisait à Freshwater, position stratégique pour monopoliser le commerce de détail de la localité. Finalement, le fils cadet obtint la ferme ancestrale, suivant la coutume qui avait cours dans la région, selon laquelle la succession devait rester indivise. L’une des filles quitta l’île lors de l’exode d’une partie de la population locale vers Boston ; l’autre travailla avec ses frères dans la ferme familiale ou dans le magasin. Deux des fils épousèrent des immigrantes récemment arrivées du sud du comté de Kilkenny, renforçant ainsi les liens culturels avec la mère patrie. O’Brien et sa femme moururent avec la certitude que leurs enfants avaient reçu tout ce dont ils avaient besoin, d’après les critères de leur époque.

La vie des O’Brien résume bien l’expérience vécue par les Irlandais qui vinrent s’établir à St John’s au début du xixe siècle et y vécurent des produits de la terre. Comme beaucoup d’immigrants installés dans la campagne en Amérique du Nord britannique, John O’Brien choisit de vivre dans une localité où dominaient, à l’origine, des gens natifs de la même région d’Irlande que lui. Même si, plus tard, quelques marchands d’origine britannique et protestante construisirent des camps d’été dans les environs, ce que firent également quelques Irlandais catholiques de St John’s appartenant à la classe moyenne, durant la vie d’O’Brien Freshwater conserva son homogénéité culturelle et son égalité sociale. La grande majorité des voisins d’O’Brien exploitait de petites fermes semblables à la sienne ; quelques-uns étaient aussi des artisans et exerçaient leur métier en ville, afin d’augmenter le maigre revenu qu’ils tiraient de la terre. La vie était dure, et plusieurs familles s’en allèrent avant qu’une génération se soit écoulée. En dépit des rudes conditions du milieu et de la situation économique, O’Brien réussit à s’enraciner profondément dans ce pays, puisque, quatre générations plus tard, ses descendants travaillent encore la terre. Une bonne partie du paysage du xixe siècle subsiste, témoignant des efforts qu’il déploya il y a un siècle et demi pour arracher à la forêt de Terre-Neuve un morceau de terre afin d’en faire sa ferme.

John Mannion

L’auteur tient à remercier Aly O’Brien, arrière-petit-fils de John O’Brien, pour son aide dans la préparation de cette biographie.  [j. m.]

Basilica of St John the Baptist (Roman Catholic) (St John’s), St John’s parish, reg. of baptisms and marriages, 10 sept., 29 nov. 1823, 28 janv. 1832, 17 nov. 1834, 10 avril 1837 (mfm aux PANL).— T.-N., Dept. of Forest Resources and Land, Lands Branch (St John’s), Registry of crown grants, geographical index to crown grants, vol. A (1813–1823) : 12 (copie dactylographiée) ; grants, 27 : fo 63 ; 36 : fo 9 ; land titles, vol. A (1813–1823).— PANL, GN 2/1, 1806 : 427–429 ; 1813 : 310–314, 413–414 ; 1815 : 342–346 ; 1816 : 234–240 ; 1817 : 25–29 ; 1818 : 163–170 ; 1819–1820 : 3–5, 270–277 ; GN 2/1/A, 24 (1813) : 3–9.— PRO, CO 194/12–49.— Morning Courier and General Advertiser (St John’s), 11 août 1849.— Patriot (St John’s), 1er oct. 1845, 11 août 1849.Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 30 sept. 1834.— R. A. MacKinnon, « The growth of commercial agriculture around St John’s, 18001935 : a study of local trade in response to urban demand » (thèse de m.a., Memorial Univ. of Nfld., St John’s, 1981).— J. J. Mannion, Irish settlements in eastern Canada ; a study of cultural transfer and adaptation ([Toronto], 1974), 65, 143–145.— The peopling of Newfoundland : essays in historical geography, J. J. Mannion, édit. (Toronto, 1977), 7.

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John Mannion, « O’BRIEN, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/o_brien_john_8F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1985
Année de la révision:    1985
Date de consultation:    1 décembre 2024