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NORQUAY, JOHN, homme politique, né le 8 mai 1841 près de St Andrews (Manitoba), cinquième des six enfants de John Norquay et d’Isabella Truthwaite ; en juin 1862, il épousa Elizabeth Setter à Parkdale (Manitoba), et ils eurent trois filles et cinq fils ; décédé le 5 juillet 1889 à Winnipeg.
John Norquay descendait d’une famille d’employés de la Hudson’s Bay Company qui avaient travaillé sur les rives de la baie d’Hudson et le long des rivières du Nord pendant le xviiie siècle. Sa grand-mère maternelle, Elizabeth Vincent, était issue de l’union d’une Indienne ou d’une Métisse et d’un fonctionnaire de la Hudson’s Bay Company. Son père, homme à tout faire digne de confiance qui travaillait à Norway House (Manitoba) au milieu des années 1830, s’installa en 1838 dans la colonie de la Rivière-Rouge ; il y acheta une petite ferme et quelques têtes de bétail. John eut une enfance troublée. Sa mère mourut en 1843 – il avait à peine deux ans – et son père en 1849. Il fut par la suite élevé par sa grand-mère paternelle, Mme James Spence, et par ses professeurs à la St John’s Collegiate School, institution anglicane de la Rivière-Rouge. Étudiant talentueux, il devint bientôt le protégé de l’évêque du diocèse de Rupert’s Land, David Anderson, qui s’occupa de lui trouver des petits travaux et qui lui fit obtenir, en 1854, une bourse lui permettant de demeurer au collège.
Après avoir obtenu son diplôme de la St John’s Collegiate School, vers 1857, Norquay enseigna dans la colonie. Il devint en 1858, à l’âge de 17 ans, instituteur à l’école de l’église St James et s’installa, l’année suivante, à Parkdale. Il y rencontra Elizabeth Setter, sang-mêlé elle aussi, et ils se marièrent trois ans plus tard. Au milieu des années 1860, ils vinrent demeurer à High Bluff, près de Portage-la-Prairie, et Norquay se lança dans l’agriculture. Pendant les temps morts, il faisait le commerce des fourrures au lac Manitoba, mais il ne connut jamais l’aisance. Son épouse, qui devait mourir en 1933, évoquera leur situation durant ces années où ils vécurent près de la nature, dans une cabane faite de troncs d’arbres, avec un foyer et une cheminée de terre et des meubles fabriqués dans la colonie. Leurs vêtements étaient faits de laine tissée à la maison, leur farine était moulue à partir du blé cultivé sur leurs propres terres, et l’orge de leur soupe était mondé dans un plat en bois avec un maillet de bois ; un riche gâteau aux framboises, aux bleuets et aux saskatoons (baies de la Saskatchewan) séchés ajoutait une touche de raffinement à leurs repas.
La politique, y compris les troubles de 1869–1870, n’eut pas d’influence directe sur la famille, même si Norquay assista à plusieurs assemblées publiques portant sur le gouvernement provisoire de Louis Riel et sur le transfert par la Hudson’s Bay Company du Nord-Ouest au Canada. Lorsque son cousin, qui s’appelait également John Norquay, fut élu au sein du gouvernement provisoire, Norquay signa son certificat d’élection. Par ailleurs, les électeurs de la nouvelle circonscription de High Bluff l’élirent à l’unanimité membre de la nouvelle Assemblée législative du Manitoba au cours d’une réunion tenue le 27 décembre 1870.
À partir de 1874 environ et jusqu’au début des années 1880, Norquay et sa famille vécurent dans une petite ferme du district de St Andrews, au nord de Winnipeg, où demeuraient de nombreux sang-mêlé anglophones. Si elles ne le réduisaient pas à la gêne, ses finances personnelles étaient certainement limitées, mais, après 1871, son salaire de ministre s’avéra suffisant pour entretenir sa maisonnée dans le confort ; ses enfants fréquentèrent les écoles de la paroisse anglicane St John. Le rang élevé qu’occupait Norquay dans la communauté anglicane et parmi les sang-mêlé anglophones joua assurément un rôle dans son élection en 1874 au poste de député de St Andrews, poste qu’il devait conserver jusqu’à sa mort. À partir de 1875, on l’élut chaque année comme représentant de son église au synode du diocèse de Rupert’s Land et on le nomma régulièrement membre du conseil exécutif du synode ainsi que des conseils d’administration de la St John’s Collegiate School et de la St John’s Ladies’ School. Respecté par la plupart de ses concitoyens, Norquay était néanmoins considéré avec un certain amusement bienveillant. Sa grande taille – il mesurait plus de six pieds et pesait environ 300 livres – inspira au journal satirique de Winnipeg, le Quiz, certaines plaisanteries évoquant l’image de Norquay brisant les chaises délicates de l’élégant salon du gouverneur général du Canada, lord Lorne [Campbell*]. Bien que des commentaires grossiers relatifs à son origine sang-mêlé fussent inévitables (en 1875, par exemple, Donald Gunn*, conseiller législatif du Manitoba, faisant allusion à Norquay, le qualifia de « John le graisseux »), l’attitude prédominante était la tolérance. Ses talents, son instruction, sa cordialité et son respect de la tradition au sein de la petite société dans laquelle il vivait laissaient prévoir qu’il deviendrait dans les années 1870 un homme politique estimé.
Norquay avait pris la direction d’un groupe de sang-mêlé anglophones pendant la période d’instabilité politique qui suivit l’entrée en vigueur de l’Acte du Manitoba en 1870 et l’arrivée, la même année, du lieutenant-gouverneur Adams George Archibald* dans la nouvelle province. Sa situation à cette époque était comparable à celle du docteur John Christian Schultz* au sein des nouveaux arrivants canadiens ou à celle de Joseph Royal* parmi les Canadiens français venus du Québec. À titre de représentant d’un des groupes modérés, il devint bientôt membre du bureau d’Éducation de Manitoba, juge de paix et même surveillant d’une quarantaine pendant une épidémie de petite vérole. Son crédit augmenta encore à l’automne de 1871. Les « loyalistes » canadiens avaient créé une situation chaotique, qui mettait en doute la capacité du gouvernement de faire appliquer la loi, en tenant une série d’assemblées publiques de contestation visant à obtenir une place pour Schultz dans le cabinet provincial. Archibald obtint qu’Alfred Boyd*, un Anglo-Canadien qui ne pouvait tenir tête à Schultz dans ces assemblées houleuses, démissionnât du cabinet et il désigna Norquay pour le remplacer comme ministre des Travaux publics et de l’Agriculture, décrivant ce dernier comme « un sang-mêlé assez instruit et très compétent ». Ce faisant, Archibald avait affronté et résolu le problème de la représentation anglo-protestante qu’avaient soulevé les extrémistes orangistes. Norquay prêta le serment d’office le 14 décembre 1871 et contribua, sous la tutelle d’Archibald, à assurer la stabilité nécessaire à la survie du gouvernement.
Le ministère que dirigeait Norquay était responsable de la construction et de l’entretien des routes, des ponts et des édifices publics. Ce dernier s’acquittait bien de ses fonctions, et était aimé et respecté également comme orateur et représentant du régime qui existait jadis à la Rivière-Rouge. En 1872, il se porta candidat aux élections fédérales dans la circonscription de Marquette, mais fut défait par Robert Cunningham* qui l’emporta dans une proportion de trois contre un. Norquay collabora souvent, dans les premières années, avec son excentrique collègue du cabinet, Henry Joseph Clarke. En juillet 1874, il démissionna avec le reste du cabinet ; en effet, la vie privée scandaleuse de Clarke et le fait que ce dernier n’avait pas protégé Riel contre les poursuites judiciaires provenant de l’Ontario aliénèrent la majorité des députés à l’Assemblée et entraînèrent la défaite du gouvernement sur la question du remaniement de la carte électorale. Parce qu’il avait soutenu Clarke, Norquay ne reçut aucune responsabilité au sein de l’éphémère gouvernement de Marc-Amable Girard* et, après les élections générales de 1874, le nouveau premier ministre, Robert Atkinson Davis*, ne l’invita pas à faire partie du Conseil exécutif. Mais on ne pouvait mettre de côté le groupe de députés anglophones auquel appartenait Norquay, et, en mars 1875, celui-ci reprit sa place au cabinet, ayant reçu de Davis la promesse d’un remaniement de la carte électorale pour assurer une représentation plus équitable de la communauté anglophone, de plus en plus nombreuse. Une révision de gré à gré de la carte électorale assura huit sièges à chacun des trois groupes : les francophones composés en grande partie de Métis mais également d’un nombre croissant de Canadiens français ; les vieux colons, pour la plupart des sang-mêlé anglophones, mais dont faisaient aussi partie de nombreux descendants des colons amenés par lord Selkirk [Douglas*] ; et les nouveaux arrivants, des anglophones venus de l’Ontario surtout. Les nouveaux colons se trouvaient encore sous-représentés, mais Norquay défendit le traitement spécial accordé aux Métis et aux sang-mêlé à cause de leur contribution en tant que pionniers de l’Ouest et de leurs efforts pour respecter les nouveaux arrivants.
Norquay exerçait, en 1878, un ascendant incontesté au sein de l’Assemblée, et sa position modérée dans les questions d’intérêt public avait fait de lui un représentant non seulement des sang-mêlé mais aussi de tout le Manitoba. Il connut certains reculs, notamment lors des derniers remaniements du cabinet, et se fit des ennemis de taille, le principal étant Schultz. Néanmoins, la désignation de Norquay pour succéder à Davis au poste de premier ministre, en novembre 1878, était à la fois prévisible et bien vue du public. Ce mois-là, son gouvernement fut reporté au pouvoir avec une majorité comparable à celle de son prédécesseur ; Norquay pouvait compter sur l’appui d’un groupe uni de francophones dirigé par Royal et d’un nombre suffisant de députés anglophones pour être assuré de 14 à 17 partisans dans un parlement comprenant 24 sièges.
La carrière politique de Norquay coïncida avec une période de profonds changements dans la province. La population du Manitoba, qui était passée de 12 000 à 30 000 habitants entre 1870 et 1877, doubla au cours des quatre années suivantes et avait encore doublé au moment où Norquay quitta son poste en 1887. Ces années de rapide croissance entraînèrent des demandes constantes ayant trait à de nouvelles écoles, à des travaux publics, au drainage des terres et à de meilleurs moyens de transport à coûts moindres. Les dépenses gouvernementales augmentèrent considérablement, passant de $90 000 en 1876 à environ $700 000 en 1886. Les efforts déployés par le gouvernement de Norquay aboutirent à un certain succès entre 1878 et 1886. Ses négociations énergiques entreprises avec Ottawa et ses représentations pressantes auprès du gouvernement fédéral valurent au Manitoba de plus grosses subventions et des frontières élargies. Les cabinets furent compétents en ce qui regardait l’administration de la justice, des travaux publics et de l’agriculture.
Ce gouvernement était toutefois aux prises avec certains problèmes quant aux relations de Norquay avec le caucus du parti et avec le système de partis de l’est du Canada. Conservateur en matière de politique fédérale à partir du milieu des années 1870, Norquay avait résisté à l’introduction dans le domaine provincial des lignes de partis fédérales, d’une part parce qu’il croyait qu’un front non partisan renforcerait sa position dans les négociations avec Ottawa et d’autre part à cause de difficultés politiques régionales. Celles-ci devinrent manifestes lorsque, au printemps de 1879, son gouvernement échappa de justesse à une tentative de renversement manigancée par un de ses collègues du cabinet, Royal, avec l’approbation d’un influent conservateur de l’opposition, Thomas Scott. Cette alliance incongrue entre un Canadien français catholique du Québec et un orangiste anglophone de l’Ontario avait pour but d’entraîner une modification des forces appuyant le premier ministre Norquay, sang-mêlé anglophone, en faveur de Royal et d’un nouveau gouvernement de coalition. Royal crut probablement qu’il maîtriserait plus facilement l’introduction dans la politique manitobaine des lignes de partis de l’Est tandis que Scott souhaitait sans aucun doute voir le parti conservateur s’établir solidement dans la province. La riposte prompte de Norquay déjoua le stratagème. Lors d’un caucus de tous les députés anglophones, convoqués à la hâte, Norquay écouta sans réagir, s’il n’en fut pas lui-même l’instigateur, une série de discours antifrançais, puis offrit de diriger un gouvernement « anglais » qui chercherait à limiter les droits linguistiques et la représentation politique des francophones. Le premier ministre rallia le soutien de la majorité du caucus et demanda la démission de Royal. La menace qui pesait sur les francophones de la province se réduisit cependant à un remaniement mineur de la carte électorale par lequel leurs représentants n’étaient plus assurés que de six ou sept sièges au lieu de huit ou neuf ; cette menace entraîna la présentation d’un projet de loi visant à mettre fin à l’impression de certains documents officiels en français, que le lieutenant-gouverneur Joseph-Édouard Cauchon mit de côté et que le gouvernement fédéral relégua aux oubliettes. En novembre 1879, Girard faisait partie du gouvernement de compromis de Norquay. Celui-ci avait écrit en juin au premier ministre du Canada, sir John Alexander Macdonald* : « Je regrette infiniment d’avoir dû prendre des mesures aussi radicales avec Royal, mais sa trahison ne me laissait aucun choix. » La crise avait fourni à Norquay des motifs supplémentaires pour se méfier de l’influence que pourrait avoir l’adhésion au système de partis de l’est du Canada. Son gouvernement, qui remporta une victoire éclatante aux élections générales du mois de décembre 1879, était fondé toutefois sur une alliance précaire des libéraux et conservateurs fédéraux, des premiers colons francophones et anglophones, coalition destinée à se rompre.
Tous les problèmes politiques de Norquay semblaient tourner autour de la question des chemins de fer. La construction d’une ligne transcontinentale par la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, la possibilité d’avoir des lignes secondaires, le niveau des tarifs pour le transport des marchandises et la nécessité de maintenir la concurrence se trouvaient au centre de la politique manitobaine durant les années 1880. Lorsque le boom spéculatif à Winnipeg s’effondra à la fin de 1882, la chambre de commerce de la ville dénonça le fret exigé par la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique ; puis lorsque des gelées hâtives et la baisse des prix du blé affectèrent les agriculteurs du Manitoba en 1883–1884, ceux-ci blâmèrent également la compagnie. Au centre de ces plaintes et de ces discussions à propos des chemins de fer, se trouvait une clause dans le contrat fédéral de 1880 avec la compagnie ; insérée à la demande pressante de George Stephen*, cette clause, qui garantissait à la compagnie le monopole du transport dans l’Ouest pendant 20 ans, devint la préoccupation centrale de la politique manitobaine et de la lutte de Norquay pour sa survie politique.
Les Manitobains voulaient des lignes secondaires, des tarifs de transport concurrentiels et, notamment, des profits tirés de la spéculation, ce qui entraîna des demandes de chartes ferroviaires de la part de groupes d’hommes d’affaires de la région ainsi que de la part d’investisseurs de l’est du Canada et des États-Unis. Le gouvernement de Norquay n’allait pas manquer d’approuver ces chartes. Les députés présumaient qu’ils pourraient briser le monopole de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique en construisant des lignes secondaires à l’intérieur de la province et en établissant d’autres liaisons ferroviaires avec l’Est. Norquay croyait qu’en vertu de la loi, la construction de ces lignes relevait de la province, bien qu’en élaborant sa politique son cabinet ne fût pas si sûr d’agir dans la légalité en construisant des lignes de chemin de fer devant être reliées à la frontière aux lignes américaines. Préoccupé de la santé financière de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, de la réputation du Canada auprès des investisseurs étrangers et des intérêts commerciaux de l’est du Canada, Macdonald allait sûrement rejeter les chartes manitobaines si celles-ci enfreignaient la soi-disant « clause de monopole ». Un conflit s’annonçait dès lors inévitable.
Le premier refus par le fédéral de sanctionner des chartes de chemin de fer émises par le Manitoba survint en 1882. En l’espace de quelques mois, Thomas Greenway*, agriculteur et spéculateur foncier venu de l’Ontario quatre ans plus tôt, forma une petite opposition en faveur des « droits provinciaux » à l’intérieur de l’Assemblée manitobaine, groupe qui avait des liens avec le parti libéral de l’est du Canada. Greenway et ses collègues soutenaient, probablement avec raison, que Norquay, partisan déclaré de Macdonald en politique fédérale, avait accepté l’instauration du monopole de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique ; certes, en 1879 et peut-être de nouveau en 1882, Norquay avait convenu de respecter la politique ferroviaire fédérale en échange d’une aide financière additionnelle pour le Manitoba. Qu’il l’eût voulu ou non, Norquay était associé au parti conservateur fédéral de par la politique ferroviaire des années 1880. Il prit conscience des avantages que lui offrait cette association lorsque des conditions financières meilleures que celles prévues par l’Acte du Manitoba furent négociées en faveur de la province presque chaque année entre 1879 et 1885 ; il se rendit compte cependant des problèmes que cela occasionnait quand la demande générale pour de meilleurs services ferroviaires menaça de faire tomber son gouvernement. Premier ministre conservateur parce que ses adversaires étaient libéraux, Norquay n’était toutefois pas nécessairement celui que les conservateurs auraient choisi comme chef.
Le premier ministre, par exemple, n’avait jamais été en bons termes avec Schultz et ses « loyalistes » ; il s’était par ailleurs aliéné Scott dans les remaniements ministériels de 1879. D’autres conservateurs orangistes ontariens, comme Stewart Mulvey et Gilbert McMicken*, n’aimaient pas Norquay à cause de son appui indécis à la politique ferroviaire de Macdonald. Il s’en trouvait toujours quelques-uns, comme William Wagner, pour lui reprocher son origine sang-mêlé : « pour ce qui est de N[orquay], la plus belle botte de cuir verni n’arrivera jamais à cacher le mocassin », écrivait ce dernier en 1885. Seule la poigne de Macdonald pouvait réprimer les révoltes qui survenaient chaque année au sein du parti conservateur manitobain ; seul un ordre en provenance de son bureau pouvait réunir les partisans pour soutenir Norquay lors des campagnes électorales. Macdonald empêcha, en 1883, la distribution de 10 000 tracts de protestation, distribution parrainée par l’ordre d’Orange et qui aurait pu entraîner le renversement du gouvernement ; apparemment à cause d’un oubli, le gouvernement de Norquay avait omis à la dernière séance du parlement d’adopter un projet de loi constituant l’ordre en société. Un télégramme envoyé par Macdonald aux principaux tories de la région en 1885 assura la victoire lors d’une élection ministérielle partielle très importante. Selon le lieutenant-gouverneur du Manitoba, James Cox Aikins*, les assemblées publiques tenues lors du passage de Macdonald à Winnipeg en 1886, au cours d’un voyage officiel effectué à bord des wagons de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, rallumèrent l’enthousiasme des tories de la région et sauvèrent Norquay d’une défaite certaine aux élections générales. Macdonald entretenait toutefois des réserves face au gouvernement du Manitoba et souhaitait à l’occasion que Norquay pût être remplacé. Mais il en arrivait toujours à la conclusion que le premier ministre, même s’il n’appuyait pas totalement le gouvernement du Canada, demeurait, malgré ses « nombreux défauts et faiblesses [...], loyal au Canada ».
Norquay était, dans les années 1880, un homme influent, voyageant sur un pied d’égalité avec les dirigeants de la société et les hommes d’affaires tels qu’Alexander Walker Ogilvie* et William Bain Scarth. Ses voyages lui firent entrevoir les possibilités de gain dans le secteur privé par suite du boom dans l’Ouest. Il se joignit ainsi, au début de la décennie, à plusieurs petits groupes qui investirent dans un chemin de fer, une mine de charbon, deux mines d’or et se lancèrent dans la spéculation foncière. Il n’y avait rien d’inhabituel dans cette association avec des hommes d’affaires et avec leurs entreprises, car le code d’éthique de l’époque n’interdisait que les gains des particuliers réalisés à même les fonds publics. Ces initiatives illustrent bien, par ailleurs, l’appartenance de Norquay au groupe important de leaders du xixe siècle qui combinaient la finance et la politique au profit de l’une et de l’autre. Partageant l’optimisme général, il se conduisait comme s’il « était né pour vivre ainsi ». Il acheta vers 1884 une nouvelle et confortable maison à Winnipeg et dépensait par ailleurs sans compter pendant ses voyages concernant les affaires publiques. Il avait le style d’un homme politique du Canada plutôt que de la Rivière-Rouge ; comme la province qu’il dirigeait, il était passé du commerce des fourrures au monde du capitalisme industriel.
Norquay connut cependant un revers de fortune lorsque la Saskatchewan Coal Mining and Transportation Company, dont il était président, eut des problèmes financiers en 1886 et, malgré ses manœuvres effrénées, il se retrouva avec une dette personnelle de $1 500 à l’endroit de son propre gouvernement. Pis encore, l’opposition apprit certains détails concernant son activité financière et l’accusa d’escroquer la population du Manitoba en possédant des intérêts dans un terrain sur lequel on était en train de construire l’asile provincial. Le prétendu « vol de charbon et l’affaire de l’asile » suscitèrent une enquête en 1886 par une commission royale présidée par le juge en chef Lewis Wallbridge, qui jugea non fondées les accusations contre Norquay. Les électeurs n’étaient cependant pas rassurés. Le gouvernement n’avait pas répondu aux demandes de services de la population et n’arrivait plus, par hâte ou par négligence, à rendre compte convenablement de ses dépenses. Le suffrage populaire aux élections de 1886 se partagea presque également entre les partis en présence. Norquay survécut, mais avec une majorité réduite de députés à l’Assemblée. Il dut sa victoire à Macdonald, à une légère manipulation de la carte électorale et à la promesse qu’il fit de mettre fin au monopole de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique.
La question des chemins de fer entraîna finalement la chute humiliante de Norquay en 1887. Influencé par les protestations des agriculteurs, les demandes des hommes d’affaires de Winnipeg, le sentiment que la province avait le droit, suivant la constitution, d’accorder des chartes pour les lignes secondaires ou la croyance que le bluff et la négociation porteraient fruit, son cabinet encouragea la construction du chemin de fer de la vallée de la rivière Rouge, menant de Winnipeg à la frontière des États-Unis où il pourrait être relié à une ligne américaine. On procéda à la cérémonie du premier coup de bêche en juillet 1887. Adoptant une politique de refus de sanction si cela s’avérait nécessaire, Macdonald usa de tous les moyens possibles pour arrêter la construction du chemin de fer. La Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique négocia désespérément avec les deux gouvernements, cherchant non pas à préserver son monopole, que ses dirigeants considéraient comme perdu, mais à obtenir un prix élevé en échange de l’abandon de ce privilège. Tout au long de l’été de 1887, les fonctionnaires de la compagnie gênèrent les entrepreneurs manitobains, subventionnèrent les journaux locaux sympathiques à leur cause, encouragèrent les révélations de Corydon Partlow Brown, ancien membre du cabinet de Norquay qui avait été révoqué et qui voulait se venger, et demeurèrent en rapports étroits avec Macdonald, le gouverneur général lord Lansdowne* et les membres du cabinet fédéral. Ce fut sir Donald Alexander Smith*, membre éminent de la compagnie, qui avertit Macdonald que le gouvernement du Manitoba s’était rendu à Londres pour essayer de négocier un arrangement financier pour le chemin de fer de la vallée de la rivière Rouge. Le président de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique, George Stephen, informa Macdonald que la Banque des marchands du Canada chercherait à obtenir une garantie du Canada pour les prêts ultérieurs consentis au Manitoba : « Il semble que Norquay soit aux abois et il serait bon qu’il subisse les conséquences de ses mauvaises actions. » De la même façon qu’il avait été maintenu au pouvoir par le premier ministre, Norquay fut révoqué de son poste par Macdonald. En septembre, ce dernier informa le lieutenant-gouverneur Aikins que Norquay avait détourné des fonds de l’État ; un compte spécial constitué par les revenus des terres et gardé en fiducie pour les enfants métis avait, dit-on, été utilisé pour régler les factures courantes du gouvernement. Des rumeurs de scandale financier circulèrent à Winnipeg pendant quelques semaines et furent ensuite rendues publiques par un ancien partisan de Norquay, Edward Philip Leacock. La pression exercée sur Norquay et ses collègues était alors intense.
Pendant ces mois agités, Norquay passa de l’euphorie à un profond abattement. Homme le plus populaire de la province au cours de l’été, lorsque le projet de chemin de fer allait de l’avant, il n’était plus qu’un proscrit à la fin de l’automne, au moment de sa déconfiture complète. Il s’était rendu à Chicago, à New York, à Montréal et à Toronto à la recherche de fonds pour le chemin de fer de la vallée de la rivière Rouge, mais partout les agents de Macdonald l’avaient précédé. Les magnats du commerce à Winnipeg n’étaient pas prêts à l’aider financièrement. On disait qu’il s’était effondré à New York et qu’il avait fait la noce, et que, lorsqu’on lui avait reproché son ingratitude envers Macdonald, il avait pleuré de remords. Quel que soit le bien-fondé de ces rumeurs, Norquay était un homme découragé lorsqu’il rendit visite à des amis aux environs de la fête de saint André, en novembre. Il continua, toutefois, de lutter avec courage, se défendant contre les accusations de corruption lancées contre lui, jusqu’à ce que Macdonald intervînt de nouveau. Le premier ministre du Canada était sans aucun doute fâché contre Norquay parce que celui-ci avait assisté, à Québec, à la conférence inter-provinciale convoquée en octobre par le premier ministre Honoré Mercier* ; seul à ne pas être libéral à cette réunion, Norquay donna une allure à la fois bipartite et respectable à la conférence. Macdonald décida peut-être pour cette raison de jouer un rôle plus actif dans la suite des événements. L’occasion se présenta : le gouvernement manitobain versa une subvention d’environ $256 000 à un entrepreneur pour la construction du Hudson Bay Railway ; Ottawa était censé donner à la province 256 000 acres de terre en échange, mais Macdonald nia avoir approuvé une telle cession : « J’ai dû dire [au trésorier provincial du Manitoba, Alphonse-Alfred-Clément La Rivière*] qu’il avait dû rêver toute cette histoire. » Il causa ainsi un déficit de $256 000 dans les comptes publics du Manitoba. Les collègues de Norquay au cabinet le désertèrent, et le gouvernement tomba le 23 décembre 1887. Le fragile gouvernement qui lui succéda, dirigé par David Howard Harrison*, fut remplacé moins d’un mois après par le gouvernement libéral de Thomas Greenway, qui géra les affaires du Manitoba pendant la décennie suivante. La chute de Norquay annonçait en fait une révolution dans la politique provinciale en matière d’éducation et de culture, dont Greenway, Joseph Martin* et Clifford Sifton* devaient être les initiateurs.
Norquay ne désespéra pas à la suite de sa défaite. Il continua d’affirmer son innocence. Grâce à sa grande habilité, il obtint le titre de chef de l’opposition lorsque Greenway prit le pouvoir. Mais les fidèles partisans du parti conservateur ne lui faisaient plus confiance ; pendant les 18 mois qui s’écoulèrent entre sa défaite et sa mort, ils essayèrent de lui trouver un emploi au gouvernement qui le tiendrait à l’écart de la politique. Macdonald, cependant, refusait carrément de donner à un ennemi un poste dans la fonction publique ; Norquay fut alors contraint d’accepter un emploi de secrétaire-légiste. Il vint près d’être battu lors de l’écrasante victoire du parti de Greenway aux élections générales de juillet 1888 ; il continua de diriger un petit groupe d’opposition, mais ne trouva aucune bienveillance de la part du parti conservateur. Au début de 1889, il vendait de l’assurance pour arrondir son salaire de député. Malgré ses critiques efficaces à l’égard du gouvernement, il trouva peu d’appui auprès de la population. Il fut atteint, au début de juillet 1889, d’une maladie soudaine, peut-être l’appendicite et, à cause de la chaleur, de la gravité de l’attaque et de sa corpulence, il mourut rapidement.
Une vague de sympathie de la part du public accueillit la nouvelle de la mort de Norquay, survenue le 5 juillet, et un grand nombre de Manitobains versèrent chacun un dollar pour l’érection d’un monument à sa mémoire. Assailli de critiques pour la manière dont il avait traité son ancien allié, Macdonald se hâta d’écrire une lettre de sympathie à la veuve de Norquay tout en se plaignant qu’il n’arrivait pas à comprendre comment ses amis pouvaient lui « reprocher de n’avoir pas accompli les formalités de condoléances » alors que Norquay avait à ce point trahi le parti. Il insista le mois suivant sur le fait qu’il n’avait rien fait pour enlever à Norquay le poste de premier ministre ; cela, disait-il, avait été l’œuvre de ses collègues du cabinet au Manitoba, et il ajoutait : « j’ai toujours estimé Norquay personnellement et je regrette beaucoup sa mort prématurée ».
John Norquay fut l’une des figures dominantes du Manitoba à une époque marquée par une rapide croissance démographique, des transformations sociales extraordinaires et, semble-t-il, par des négociations continuelles avec le gouvernement fédéral portant sur les conditions et même sur la nature de la Confédération. Malgré une atmosphère agitée, Norquay gouverna avec facilité et représenta avec distinction les intérêts de sa communauté à Ottawa. Les conditions économiques et les manœuvres politiques l’obligèrent, à la fin, à lutter contre le gouvernement fédéral et la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique au sujet du monopole ferroviaire. Il perdit la lutte, certes, et dut s’exiler politiquement. Même s’il n’avait ni propriété ni pouvoir au moment de sa mort – mort prématurée qui l’empêcha de montrer qu’il était au nombre des leaders politiques du pays – il avait toujours l’affection de ses concitoyens de la Rivière-Rouge. Comme le soulignait l’évêque Robert Machray* : « Toujours se détachaient la générosité de cœur et l’amabilité qui l’ont rendu cher partout où il était connu. »
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Gerald Friesen, « NORQUAY, JOHN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/norquay_john_11F.html.
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Auteur de l'article: | Gerald Friesen |
Titre de l'article: | NORQUAY, JOHN |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |