NOLIN, CHARLES, fermier, trafiquant de fourrures et homme politique métis, né en 1837 à Saint-Boniface (Manitoba), fils d’Augustin Nolin et d’Hélène-Anne Cameron ; il épousa Marie-Anne Harrison (décédée en 1877), puis Rosalie Lépine, veuve de Godefroi Lagimodière ; de ces deux mariages naquirent au moins 11 enfants, et Nolin adopta aussi deux garçons ; décédé le 28 janvier 1907 au lac Outarde (lac Goose), près de Battleford, Saskatchewan.
Dans les années 1770, le grand-père de Charles Nolin, Jean-Baptiste Nolin*, quitta Saint-Pierre, à l’île d’Orléans, dans la province de Québec, pour aller faire la traite des fourrures dans les pays d’en haut. Il épousa Marie-Angélique Couvret, dont la mère appartenait à la tribu des Sauteux, et s’établit comme trafiquant à Sault-Sainte-Marie (Michigan). En 1820, son fils Augustin était à Pembina (Dakota du Nord) ; par la suite, il se fixa à Saint-Boniface, dans la colonie de la Rivière-Rouge (Manitoba). Selon des témoignages ultérieurs, la famille Nolin était à l’aise et pleine d’initiative. Charles fréquenta l’école primaire à la mission de Saint-Boniface, mais d’après ses lettres, il reçut une formation limitée. Dans les années 1850, lui-même et ses frères Joseph et Duncan s’installèrent à Pointe-de-Chêne (Sainte-Anne-des-Chênes) pour cultiver la terre et faire la traite des fourrures.
À la fin des années 1860, les frères Nolin étaient prospères et faisaient partie des Métis conservateurs ou « loyalistes » qui soutenaient le Conseil d’Assiniboia et le projet de transfert de Rupert’s Land au Canada. Ce groupe comprenait aussi les Breland [V. Pascal Breland*], les Hamelin et leurs parents. Parmi ceux qui s’opposaient à l’annexion, on trouvait les Riel, les Lépine et les Nault [V. Louis Riel* ; Jean-Baptiste Lépine* ; André Nault*]. Riel et ses partisans voulaient un règlement négocié qui donnerait aux Métis des garanties sur leurs terres et leurs droits politiques. En décembre 1869, Nolin et ses frères rencontrèrent le lieutenant-colonel John Stoughton Dennis*, représentant du lieutenant-gouverneur désigné, William McDougall. Dennis avait été autorisé à lever une armée pour tenir les « résistants » en échec, et il enrôla les Nolin. Cependant, il ne parvint pas à réprimer la résistance et s’enfuit de la colonie le 11 décembre.
En fin de compte, Charles Nolin participa au gouvernement provisoire que Riel avait mis sur pied pour remplacer le Conseil d’Assiniboia. À titre de représentant de Sainte-Anne-des-Chênes, il fut l’un des 20 délégués francophones élus à un congrès convoqué par Riel et qui eut lieu pour la première fois le 26 janvier 1870 ; il fut nommé au comité de direction de ce congrès. À ce moment, une rivalité intense commença à se dessiner entre Nolin et Riel. Le 3 février, Riel proposa que la région obtienne le statut de province ; Nolin n’était pas d’accord avec cette proposition et, manifestement, l’ascendant que Riel avait sur les Métis le hérissait. Leurs différends s’intensifièrent au point que Riel tenta de le faire arrêter. Nolin se résigna à soutenir le gouvernement provisoire et son chef. Plus tard en février, il fut élu à l’Assemblée de 24 membres instaurée par le congrès, mais il en fut bientôt exclu et fit un bref séjour en prison. Après l’adoption de l’Acte du Manitoba en mai 1870, Riel se rendit à Sainte-Anne-des-Chênes dans l’espoir d’une réconciliation. Toutefois, l’animosité entre les deux factions était telle que la famille Nolin le menaça. Par la suite, l’évêque catholique Alexandre-Antonin Taché* intervint pour ramener la paix entre les deux hommes, cousins par alliance. En mars 1871, Nolin écrivit une lettre d’excuses à Riel ; la solidarité revint parmi les Métis.
On ignore si Nolin se réconcilia avec Riel en songeant avant tout à sa propre carrière politique. En tout cas, malgré ses efforts, il ne réussit pas à se faire mettre en nomination dans Sainte-Anne pour les premières élections provinciales du Manitoba, en décembre 1870. Il lui manquait l’appui du prêtre de l’endroit, Louis-Raymond Giroux, ainsi que d’un grand nombre de Métis. Au moment de la menace d’invasion fénienne, en octobre 1871 [V. William Bernard O’Donoghue*], il commanda le contingent métis de Sainte-Anne-des-Chênes, et il rencontra Riel et d’autres Métis à Saint-Vital afin de discuter de droits et de représentation politique. En 1873, il soutint la candidature de Riel dans la circonscription fédérale de Provencher. Une fois Riel parti en exil, il essaya, sans succès, de le remplacer à la tête des Métis.
Au Manitoba, dans les années 1870, la tension montait sans cesse entre tenants de l’« ordre ancien » et de l’« ordre nouveau ». Non seulement les immigrants anglophones venus de l’Ontario étaient-ils hostiles aux Métis, mais il y avait des problèmes à l’intérieur même de la collectivité francophone. Mgr Taché et certains prêtres préféraient, aux chefs traditionnels des Métis, les nouveaux arrivants canadiens-français, tels Joseph Royal, Joseph Dubuc* et Marc-Amable Girard*, qui rêvaient tous de diriger le « parti francophone ». Girard fut d’ailleurs le premier à accéder à la fonction de premier ministre du Manitoba, en juillet 1874. Pendant la campagne électorale provinciale, en décembre suivant, Nolin fit circuler une pétition en faveur d’un candidat métis plutôt que canadien-français. Il reprochait à Girard d’avoir un cabinet faible et critiquait l’ensemble des hommes politiques canadiens-français. Le combat politique lui plaisait et, selon ses adversaires, les scrupules ne l’étouffaient pas. À ces mêmes élections, il se présenta dans Sainte-Anne contre Alphonse-Alfred-Clément La Rivière*. Malgré l’intervention de l’abbé Giroux, il récolta 69 voix et La Rivière, 29. Le fossé entre Métis et Canadiens français ne ferait que s’élargir dans les années suivantes.
En mars 1875, le premier ministre de la province, Robert Atkinson Davis, nomma Nolin ministre de l’Agriculture. En cette période où les Métis défendaient leurs revendications territoriales et où l’immigration en provenance de l’Europe et du reste du Canada s’accroissait, c’était un poste de première importance. Nolin devint, parmi les Métis, le plus notable des hommes politiques et des dispensateurs de faveurs ; grâce à son influence et à son prestige, il obtenait des contrats gouvernementaux. Pendant les négociations qui avaient conduit en 1873 à la signature du traité n° 3 avec les Sauteux, il avait servi d’interprète au lieutenant-gouverneur Alexander Morris*. Même s’il représentait le gouvernement, il avait désapprouvé la manière dont celui-ci traitait les autochtones. Une fois ministre, il dénonça le fait que la politique agricole du gouvernement ne prévoyait pas assez d’aide pour les Métis. En signe de protestation, il démissionna de son poste de ministre en 1875 et siégea comme indépendant jusqu’en 1878. Il s’employa à faire annuler les emprunts de secours contractés auprès du gouvernement fédéral par les fermiers métis pauvres et critiqua ouvertement l’administration des concessions de terres des Métis. Réélu dans Sainte-Anne en décembre 1878 au terme d’une lutte particulièrement chaude contre un candidat canadien-français, Nolin fut accusé, avec ses agents, de corruption et de tractations malhonnêtes.
Cependant, Nolin n’était pas homme à se laisser contenir et fut bientôt mêlé à un autre épisode controversé. Au printemps de 1879, lui-même et d’autres députés métis essayèrent de faire tomber le gouvernement de John Norquay*. Royal, qui s’était arrogé le titre de chef du parti francophone, leur dama le pion en tentant, avec les autres députés canadiens-français, de briser l’alliance des députés anglophones. Cependant, les députés métis dirigés par Nolin refusèrent d’apporter leur concours au groupe de Royal, ce qui fit échouer la tentative. À la fin des années 1870, il y avait beaucoup de conflits entre Métis, Canadiens français et groupes anglophones d’ascendance autochtone et canadienne-anglaise, car tous recherchaient de nouvelles alliances et se disputaient le pouvoir. En fin de compte, les représentants anglophones, de plus en plus nombreux, battirent ou dispersèrent les hommes politiques francophones déjà divisés. Les grands perdants furent les Métis. En juin 1879, Nolin fut jugé coupable des accusations découlant de l’élection de 1878 et fut sévèrement réprimandé. Avant la fin de l’année, humilié et criblé de dettes, il partit pour les monts Touchwood (Saskatchewan), familièrement appelés la montagne de Tondre. Ses collègues politiques Louis Schmidt et Maxime Lépine* le rejoindraient peu après.
Nolin vécut trois ans dans une ferme des monts Touchwood. Il y avait, sur son domaine, une maison, une écurie, un magasin, un entrepôt et une petite école. En 1881, la superficie qu’il cultivait était de 12 acres. Il exploitait sa ferme, faisait la traite des fourrures et tenait une école pour les colons métis disséminés dans le district. En 1883, il s’installa plus au nord, sur une ferme située à mi-chemin entre Saint-Laurent-de-Grandin (St-Laurent-Grandin) et Saint-Louis. Il exploitait un traversier avec son voisin Lépine. À son arrivée dans le district de la Saskatchewan-du-Sud, il avait organisé des réunions secrètes, où les Métis discutaient notamment de leurs revendications territoriales, et avait collaboré à la préparation de pétitions à l’intention du gouvernement. Il dirigeait le mouvement de défense des droits des Métis avec Lépine, Michel Dumas et Gabriel Dumont. Il soutint fermement la résolution dans laquelle les Métis invitèrent Riel à venir pour les diriger. Après son arrivée, en juillet 1884, Riel habita chez Nolin ; pendant quelques mois, les deux hommes ne se quittèrent pas. Nolin fut parmi les premiers à préconiser la résistance armée et collabora à la rédaction de la pétition de décembre 1884, qui faisait valoir les griefs des Métis et des Indiens dans le Nord-Ouest. Toutefois, dans le courant du même mois, il constata l’opposition du clergé et vit sa femme guérir miraculeusement après une neuvaine, ce qui affaiblit d’un seul coup son ardeur à l’égard de Riel et l’appui qu’il lui accordait. D’autres facteurs, tels son ressentiment envers l’influence de Riel, la peur et la méfiance, entrèrent probablement en jeu. En mars 1885, il accéda au conseil de Riel, l’Exovidat, mais, en raison du caractère équivoque de sa conduite, le conseil l’accusa de trahison et le condamna à mort. Il y eut ensuite une réconciliation, et les conseillers lui confièrent deux missions importantes. Le 21 mars, ils lui demandèrent de remettre un ultimatum au surintendant de la Police à cheval du Nord-Ouest, Lief Newry Fitzroy Crozier ; il le remit aux représentants de Crozier le jour même. Deux jours plus tard, les conseillers le chargèrent d’enrôler dans la cause métisse les « sang-mêlé » anglophones vivant près de Prince Albert. Cependant, on s’aperçut qu’il appelait à la subversion contre le gouvernement provisoire. Il s’enfuit à Prince Albert pendant la bataille à l’établissement du lac aux Canards (Duck Lake, Saskatchewan) le 26 mars, mais fut vite arrêté et emprisonné par la Police à cheval du Nord-Ouest. Sa femme et ses jeunes enfants trouvèrent refuge chez les prêtres de Batoche. En échange de sa libération à la fin des hostilités, il accepta de figurer parmi les principaux témoins à charge au procès de Riel. Son témoignage fut particulièrement vindicatif et eut pour effet de lui aliéner le reste de la communauté, qui le traita de « vire-capot ».
Nolin conserva ses liens avec la faction conservatrice des Métis, et les gouvernements conservateurs lui dispensèrent des faveurs sous forme de postes et de contrats. Il fut nommé juge de paix ; en 1888, il fut l’un des principaux signataires d’une pétition rédigée par les Métis conservateurs du district de la Saskatchewan-du-Sud. En 1891, il brigua le siège de Batoche à l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest, mais ce fut Charles-Eugène Boucher, jeune et dynamique Métis, qui remporta la victoire. Nolin et ses associés furent jugés coupables de corruption et de fraude. Cette élection, dernier épisode de sa tumultueuse carrière politique, créa beaucoup de dissensions dans la communauté métisse.
Nolin continua de participer à des activités sociales et culturelles, telles les célébrations annuelles de la « fête des Métifs », mais il se consacra surtout à l’expansion de sa ferme. En 1895, lui-même et ses fils firent hiverner du bétail au sud de la réserve indienne de Thunderchild, près de Battleford. Aux élections fédérales de 1896, il appuya le Parti libéral. Nommé instructeur agricole à la réserve indienne One Arrow [V. Kāpeyakwāskonam*], non loin de Batoche, il dut démissionner à cause de l’opposition des gens de l’endroit. En 1901, il vivait au lac Outarde, sur un ranch, avec sa famille ; c’est là qu’il mourut six ans plus tard.
Tout comme Riel, Lépine et Dumont, le chef métis Charles Nolin tenait vraiment à promouvoir la cause de son peuple. Réputé pour son hospitalité et pour ses talents de chanteur et de conteur, il était aussi querelleur, suffisant et peu cohérent dans ses gestes politiques. Peut-être son plus grand malheur fut-il de vivre comme Schmidt, le secrétaire de Riel, « dans l’ombre de la grandeur ».
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Diane Paulette Payment, « NOLIN, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/nolin_charles_13F.html.
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Auteur de l'article: | Diane Paulette Payment |
Titre de l'article: | NOLIN, CHARLES |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |