MORIN, ACHILLE (baptisé Achille-Gabriel), patriote et marchand, né le 17 juillet 1815 à Montréal, fils de Pierre-Hector Morin, marchand, et de Victoire Côté ; décédé le 30 août 1898 à Amherstburg, Ontario.
Au début de 1838, Achille Morin s’installa avec ses parents à Napierville, au Bas-Canada, dans une maison qui appartenait à son oncle Cyrille-Hector-Octave Côté*, exilé aux États-Unis par suite de l’échec de la rébellion de 1837. D’une taille légèrement supérieure à la moyenne (il mesurait 5 pieds 7 pouces), il avait les cheveux bruns et les yeux noisette foncé. Peut-être avait-il déjà, du côté gauche de la bouche, la grande brûlure que les autorités britanniques allaient soigneusement noter, plus tard, comme signe distinctif. Son installation à Napierville allait avoir des conséquences désastreuses pour lui car, le 3 novembre 1838, l’insurrection éclata de nouveau au sud de Montréal. Ce jour-là, Napierville était en pleine effervescence et, dès le début de l’après-midi, plus de 150 patriotes étaient rassemblés. Équipés d’armes de toutes sortes, ils arrêtèrent des loyalistes et quelques personnes neutres. Dans la nuit, Côté, Robert Nelson* et Charles Hindenlang* arrivèrent des États-Unis. Mobilisées sans délai, les troupes britanniques marchèrent sur Napierville, et Nelson, à la tête d’un groupe de plus d’un millier d’hommes, parmi lesquels se trouvaient Achille Morin et son père, se replièrent en toute hâte sur Odelltown. Blessé à la jambe au cours de la bataille qui eut lieu à cet endroit le 9 novembre, Achille ne put s’enfuir. Il fut arrêté par nul autre que le commandant en chef, sir John Colborne*, et dut regagner Napierville à marche forcée.
Le 14 novembre, Morin rejoignit son père en prison à Montréal. Accusés de trahison, ils passèrent tous deux devant le troisième conseil de guerre chargé de juger les patriotes. D’autres habitants de Napierville, dont Guillaume Lévesque* et Pierre-Théophile Decoigne*, comparurent aussi au cours de ce procès spectaculaire, qui s’ouvrit le 24 décembre. La couronne ne produisit qu’une maigre preuve contre le jeune Morin. Aucun témoin ne l’avait vu porter une arme à Napierville ni participer à la bataille d’Odelltown ; personne ne put prouver qu’il appartenait à l’Association des frères-chasseurs, la société secrète des patriotes. Cependant, un marchand, également juge de paix, jura l’avoir entendu dire qu’« il a[vait] été blessé à Lacol[l]e ou à Odelltown », ce que l’intéressé ne contesta pas. Comme tous les autres accusés, Morin dut se défendre lui-même. Il minimisa l’importance de sa blessure en affirmant que la couronne n’avait pas établi si c’était « un patriote ou un loyaliste » qui la lui avait infligée. Indifférent aux subtilités juridiques et même à la nécessité d’avoir une preuve satisfaisante, le tribunal militaire s’empressa de le juger coupable et, le 2 janvier 1839, le condamna à la pendaison.
Le père de Morin avait été condamné à la même peine ; comme aucun d’eux ne bénéficiait d’une demande de grâce, ils connurent tous deux des mois d’incertitude terrible. Le Montreal Transcript réclama une sentence exemplaire, la pendaison, pour Morin père, homme « instruit et cultivé » ; quant au Montreal Herald, journal ultra-conservateur, il trouvait que la preuve de la couronne n’était pas convaincante et demanda que l’on fasse grâce à ce citoyen respecté. À la fin de janvier, la Gazette de Québec rapporta que Colborne avait commandé des cercueils pour les Morin mais, en mars, ils savaient qu’ils échapperaient à l’échafaud. De multiples rumeurs sur leur sort parcoururent la prison jusqu’à ce que, le 25 septembre, ils apprennent officiellement qu’on les exilerait dans une colonie pénitentiaire avec 56 autres prisonniers.
Le 27 septembre 1839, le bâtiment de transport Buffalo quittait Québec avec à son bord les 58 patriotes, dont les Morin. Les prisonniers bas-canadiens débarquèrent le 25 février 1840 à Sydney, en Nouvelle-Galles du Sud. Le gouverneur, sir George Gipps, projetait d’envoyer les patriotes au bagne de l’île Norfolk, mais le vicaire apostolique catholique d’Australie, John Bede Polding, se porta personnellement garant de leur bonne conduite, et Gipps les plaça plutôt au camp de travail de Longbottom, à huit milles de Sydney. Contrairement aux criminels, les patriotes n’étaient pas enchaînés pour travailler, mais ils trimaient dur ; leur labeur consistait surtout à concasser des pierres et à fabriquer des briques pour les routes de Sydney. À mesure qu’ils s’accoutumaient à la captivité, ils se mirent à capturer du poisson pour agrémenter leur ordinaire, à inventer des jeux pour passer le temps et à exploiter, illégalement, des petits commerces, la vente de charbon de bois par exemple. En juillet 1840, Achille Morin faillit être abattu d’un coup de feu en tentant de jouer un tour à des camarades qui gardaient du charbon de bois.
Respectés dans leurs paroisses avant la rébellion, les prisonniers canadiens ne pouvaient accepter qu’on les traite comme des criminels de droit commun. Cette humiliation, ajoutée au mal du pays et à la malnutrition, comme à la cupidité et à l’ambition de quelques-uns d’entre eux, éroda leur camaraderie. En décembre 1840, au cours d’un incident provoqué par Jérémie Rochon, Morin en vint aux mains avec Jean Laberge. En mai 1841, François-Maurice Lepailleur, toujours prêt à critiquer, l’accusa de paresse et d’insubordination parce qu’« il partait, comme un patron », pour Longbottom avant d’avoir terminé les heures où il devait décharger des pierres au quai.
L’horizon de Morin s’élargit en août 1841 : il devint messager du camp, si bien qu’il accompagnait le commandant quand celui-ci se rendait à Sydney ou à Parramatta. Grâce à cette fonction, il entendait toutes les rumeurs qui portaient sur le sort des Canadiens. Avant la fin de l’année, quelques prisonniers, assignés à un maître, commencèrent à quitter Longbottom grâce à des permis de mise en liberté conditionnelle. En janvier 1842, Morin devint aide-imprimeur chez Patrick Grant, l’éditeur de la Sydney Gazette and New South Wales Advertiser. Une fois son contrat terminé, il quitta Grant pour ouvrir, avec son père, une entreprise de bière de gingembre. Cependant, Sydney connaissait une grave crise économique au début des années 1840 et, comme ses compatriotes, Morin cherchait surtout à demeurer solvable. En février 1843, il avait des dettes parce que Grant lui devait encore des gages. En juin, il était ouvrier dans un vignoble, mais son père, souvent malade et en chômage, grignotait tout son revenu.
Entre-temps, même s’il avait refusé d’amnistier les exilés, le gouvernement britannique avait promis d’accueillir positivement les requêtes individuelles. Le frère de Morin, capitaine de port à Sandwich (Windsor, Ontario) et premier lieutenant dans l’artillerie provinciale, en présenta immédiatement une pour la libération de ses deux parents. Les Morin apprirent le 10 avril 1844 qu’ils étaient graciés mais, en raison de l’état de santé de Pierre-Hector et d’une pénurie de fonds, ils durent rester sur place quand, en juillet, leurs camarades mieux pourvus achetèrent des places pour Londres. Les Morin ne purent partir qu’en février 1847 et arrivèrent à Montréal en août.
Amer, Achille Morin avait quitté le Bas-Canada sans regret en 1839, en proclamant qu’il ne pouvait pas imaginer pire endroit au monde. Une fois de retour, il trouva difficile de s’établir dans sa province natale. Au début de 1850, il partit pour la Californie, présumément pour participer à la ruée vers l’or. N’ayant pas eu de succès, il revint et ouvrit un commerce à Montréal. Le 4 novembre 1851, il épousa Marie-Esther Routier. Pendant les dix années suivantes, ils vécurent à Sandwich, eurent une terre dans le Missouri et s’installèrent finalement à Amherstburg, où Morin trouva un emploi stable dans une compagnie de transport maritime. Marie-Esther mourut le 11 juin 1860 ; aucun de leurs enfants ne survécut. Le 19 novembre 1861, Morin épousa Antoinette Caldwell, avec qui il eut quatre enfants, dont un mourut en bas âge. De constitution forte, il demeura en bonne santé presque jusqu’à sa mort, en 1898 ; il avait alors 83 ans. Ses funérailles eurent lieu sous les auspices de la section locale de la Société Saint-Jean-Baptiste, et on l’inhuma dans le cimetière catholique.
Jeune homme, Achille Morin avait été entraîné dans des événements qui le dépassaient. Contrairement à la plupart des insurgés de 1838, il fut sévèrement puni mais, comme bon nombre de ceux que l’on déporta, il passa le reste de sa vie dans une obscurité relative. Peut-être est-il juste que la plus belle épitaphe consacrée aux exilés ait paru à Sydney 40 ans après leur départ. Elle disait : « Leurs bonnes actions, leur bienveillance envers les pauvres, leur courtoisie et leur ardeur au travail ont laissé un souvenir durable ».
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Beverley D. Greenwood, « MORIN, ACHILLE (baptisé Achille-Gabriel) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/morin_achille_12F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
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Date de consultation: | 1 décembre 2024 |