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MORICE, ADRIEN-GABRIEL (à sa naissance, il reçut les prénoms de Marie-Gabriel-Adrien-Arsène), oblat de Marie-Immaculée, missionnaire catholique, linguiste, ethnographe, historien, rédacteur en chef et auteur, né le 28 août 1859 à Saint-Mars-sur-Colmont, France, fils de Jean Morice, charron, et de sa deuxième femme, Virginie Seigneur ; décédé le 23 avril 1938 à Saint-Boniface (Winnipeg).
Élève médiocre, Adrien-Gabriel Morice étudia à l’école primaire locale puis, à 14 ans, entra au petit séminaire de Mayenne. Imprégné de la tradition du catholicisme français qui entourait de romantisme les grands espaces sauvages de l’Amérique du Nord et ses habitants, il décida de devenir missionnaire oblat au Canada après un exposé de l’évêque Vital-Justin Grandin* à son école. La perspective d’actions héroïques, même si elle constituait assurément un attrait, venait au second rang après la promesse de puissance. Dans son autobiographie incroyablement présomptueuse, publiée sous un nom d’emprunt en 1930, Morice raconterait comment il s’était senti appelé « à se battre parmi les humbles d’Amérique et à les conquérir ». En guise de préparation à cette tâche, il fréquenta trois collèges. Pendant ses trois années au juniorat de Notre-Dame-de-Sion, où il entra en 1874, il acquit une formation en lettres classiques. Par la suite, le noviciat de Nancy testa ses aptitudes à la prêtrise. Enfin, il étudia la philosophie et la théologie pendant deux ans au scolasticat d’Autun.
Le 9 octobre 1879, à Autun, Morice prononça ses vœux perpétuels, bien qu’ayant déjà manifesté de la difficulté à obéir à ses supérieurs. Il se vantait de ses faibles notes et se préoccupait de ses propres projets, dans lesquels l’écriture et l’imprimerie tenaient souvent une place importante. Il lisait avidement les Missions de la Congrégation des missionnaires oblats de Marie Immaculée, organe de diffusion du prosélytisme de l’ordre publié à Paris, et utilisait ces comptes rendus pour préparer et imprimer les exposés qu’il livrait aux jeunes étudiants. Il est presque certain qu’il leur fit connaître les travaux d’Émile Petitot*, missionnaire oblat et érudit auquel il vouait une grande admiration. Ses réalisations ultérieures présenteraient une telle analogie avec celles de Petitot qu’elles furent sans doute le fruit d’une émulation délibérée. Il planifia même de convertir des membres du groupe d’autochtones canadiens auprès desquels Petitot avait exercé son ministère et il ajouta l’apprentissage de leur langue à une longue liste d’activités qu’il menait au détriment de ses études. Plus tard, le directeur du scolasticat informerait le supérieur de Morice au Canada que le jeune homme avait été réprimandé pour sa vanité, son ambition et son insubordination. Les oblats ne l’expulsèrent pas, en partie parce que, tout en faisant preuve d’intelligence et de dynamisme, il possédait un don pour les langues, qualités toutes souhaitables chez un missionnaire. Mais c’est la crise provoquée par les politiques anticléricales du gouvernement français qui explique probablement le mieux l’indulgence extraordinaire dont bénéficia Morice. En juin 1880, il fit partie de la trentaine d’étudiants envoyés à l’étranger pour terminer leur formation.
Morice était ravi d’être envoyé en Colombie-Britannique. Là-bas, son enthousiasme fléchit cependant devant ses responsabilités : enseigner le catéchisme et la musique au pensionnat de la mission Sainte-Marie (Mission City) tout en se préparant à l’ordination. Il préférait de loin imprimer des catéchismes et rédiger des comptes rendus ethnographiques pour les Missions. Lorsque son tuteur, le père Alphonse Carion, insista pour qu’il consacre plus de temps à ses études, Morice entreprit une campagne de résistance passive qui se transforma en révolte ouverte. Il se moquait des règlements de la communauté, refusait d’assumer correctement ses tâches d’enseignement, créait de la confusion en faisant sonner les cloches au mauvais moment et, le plus scandaleux, recevait la sainte communion sans se confesser au préalable. Le père Jean-Marie-Raphaël Le Jeune*, témoin de ce comportement déconcertant, conclut que Morice présentait un manque de spiritualité quasi total. Morice commença à s’amender seulement lorsqu’il comprit que la prêtrise lui apporterait plus de liberté. En septembre 1881, dans une lettre à l’évêque Louis-Joseph d’Herbomez*, il avoua qu’il souhaitait être ordonné sous peu afin de se libérer de son tuteur. Mgr d’Herbomez l’ordonna le 2 juillet 1882.
Une fois prêtre, Morice s’emploierait à accroître son pouvoir en tant que missionnaire. Il aspirerait également à une reconnaissance comme spécialiste des langues et cultures autochtones, à l’instar de celle qu’avait obtenue Petitot. Il ne pourrait concrétiser ses ambitions que dans des régions non colonisées, où l’absence de contraintes conjuguée à la soif des autochtones d’acquérir les supposés bienfaits du christianisme lui assurerait indépendance et autorité. Sans ces deux éléments, il risquait de sombrer rapidement dans la dépression nerveuse et l’épuisement.
Ironiquement, Morice s’était tant affaibli par sa rébellion qu’il fut d’abord considéré comme trop fragile pour le travail missionnaire. On l’affecta à la direction d’une école pour enfants blancs et métis à Williams Lake, petite ville quasi isolée de l’intérieur septentrional de la Colombie-Britannique. Refusant de substituer à son rêve ce qu’il décrirait dans son autobiographie comme « une carrière banale, terne », il s’engagea dans la résistance passive et l’action perturbatrice. Pendant trois ans, il livra un enseignement médiocre, rompit le contact avec ses confrères oblats, négligea ses devoirs sacerdotaux élémentaires et dérangea ses collègues pendant qu’ils célébraient leurs offices. Le 19 août 1885, ses supérieurs exaspérés l’exilèrent au fort St James (Fort St James) au bord du lac Stuart, dans une région surnommée la « Sibérie du commerce des fourrures » par les compagnies de traite qui punissaient les employés à problèmes en les y affectant.
La décision de reléguer Morice encore plus au nord était une capitulation déguisée, car, depuis longtemps, le prêtre considérait cette vaste région comme la terre promise. Habitée par les Porteurs, semi-nomades qui comptaient parmi les peuples autochtones les plus isolés et les moins acculturés, et par des bandes de Sèkkanais nomades qui faisaient du commerce aux forts McLeod et Grahame, la région lui convenait à merveille. Morice en vint à aimer ces terres accidentées. Il trouvait dans l’exploration des montagnes, des lacs et des rivières un exutoire à son travail routinier. La conquête de ces obstacles physiques, qu’il baptisait souvent de son propre nom, lui apporta sûrement une partie de la reconnaissance qu’il recherchait.
Sachant exactement où il voulait travailler, Morice avait commencé à apprendre la langue des Porteurs auprès d’un élève à Williams Lake. Enchanté par sa complexité, notamment des mots et structures utilisés pour décrire le mouvement et le monde matériel, il l’étudia avec zèle. La maîtrise de cette langue s’avérerait essentielle au renforcement de son autorité tant religieuse que séculière. En effet, Morice se glorifierait de ses connaissances en déclarant qu’elles avaient servi « à faire de lui le roi du pays ». Craignant que le contact des autochtones avec la société européenne ne compromette sa suprématie, il rejeta les demandes des Porteurs d’apprendre l’anglais, langue qu’il parlait et écrivait couramment. Quelques mois après son arrivée, en digne émule de Petitot, il avait conçu une écriture syllabique. Cette écriture présentait quelques faiblesses phonologiques, sans doute en raison de cette précipitation. Elle connut cependant un grand succès sur le plan pratique. Le système était si simple que, dans chaque village, Morice pouvait l’enseigner à une personne qui, à son tour, devenait l’enseignant du village. En un rien de temps, la plupart des Porteurs avaient appris à lire et à écrire. Morice, qui s’était servi au début d’une machine rudimentaire, leur fit acheter une presse typographique plus sophistiquée qu’il utiliserait pour produire du matériel religieux ; de 1891 à 1894, il imprimerait également un journal, Test’ Les Nahivelnek (le Papier qui raconte). Son premier directeur à la mission du fort St James, le père Charles Pandosy*, homme d’âge avancé au naturel accommodant, semble avoir donné carte blanche à son jeune compagnon pour travailler sur ses divers projets.
Morice observa que la plupart des Porteurs souhaitaient devenir catholiques, mais qu’ils étaient réticents à abandonner leurs croyances traditionnelles. Ils avaient demandé aux oblats d’établir leur système de gouvernance indirecte, connue sous le nom de régime Durieu d’après son concepteur, l’évêque Paul Durieu*. Pour assurer la conformité à l’orthodoxie catholique, Durieu nommait des gardiens autochtones qui dénonçaient les transgressions et des capitaines qui infligeaient des punitions avec l’approbation du missionnaire visiteur. Dans la première phase du régime, les confessions et pénitences publiques, comportant coups de fouet et autres formes d’humiliation, comptaient parmi les méthodes utilisées pour rompre les liens avec le paganisme. À l’issue de ce processus de répression, la peur du châtiment était remplacée par la peur de l’enfer mêlée à une révérence envers les sacrements. Dans la seconde étape, le processus de façonnement, Durieu avait recours à l’apparat. Les représentations spectaculaires et réalistes des « Passions » devinrent extrêmement populaires. Témoin de ces pièces de théâtre, Morice en publia des comptes rendus dans les Missions. Il devint vite un admirateur du régime Durieu. Toutefois, il s’occupa rarement du stade répressif, dont les gardiens et capitaines autochtones avaient la charge, ce qui lui laissait le temps de vaquer à ses recherches. Il aimait bien organiser quelques spectacles modestes, qu’il menaçait d’annuler pour encourager l’obéissance. Les Porteurs toléraient son comportement, même lorsque des punitions étaient infligées pour des actes qui n’étaient pas des péchés.
L’enthousiasme avec lequel les Porteurs embrassèrent le catholicisme et acceptèrent la théocratie autoritaire des oblats peut s’expliquer par une tentative d’apaiser un sentiment de vulnérabilité. Leurs chamans étaient impuissants devant les nouvelles maladies apportées par les Européens. Les autochtones, qui avaient remarqué que les Blancs survivaient généralement à ces maladies, conclurent que le christianisme fournissait une protection aux nouveaux venus. Morice exploita adroitement les ravages provoqués par les épidémies pour discréditer ceux qui résistaient à ses ambitions hégémoniques, surtout les chamans. Après la conversion en règle des autochtones au catholicisme, Morice continua pourtant d’appliquer une approche punitive arbitraire. Le père Georges Blanchet, son supérieur au fort St James après le départ de Pandosy en 1887, se plaignit auprès de l’évêque d’Herbomez que Morice refusait d’entendre en confession les convertis qui rataient l’un de ses sermons. L’évêque approuva la position de Blanchet selon laquelle un prêtre ne pouvait invoquer le refus de la confession comme mesure disciplinaire.
Au début de 1888, d’Herbomez avait également admonesté Morice pour avoir nommé un nouveau village Moricetown. Loin de tenir compte des reproches de l’évêque, Morice continua de baptiser des lacs, des montagnes et des rivières de son propre nom ; de plus, il rendit la vie si difficile à Blanchet, homme doux que les Porteurs aimaient beaucoup, que, plus tard dans l’année, ce dernier supplia d’être muté avant que les désaccords perpétuels avec Morice ne le fassent devenir fou. Cette année-là, Blanchet céda la supervision de la mission à Morice pour éviter d’autres conflits, mais il demeurerait sur place, construisant des églises et vaquant à des tâches domestiques jusqu’à sa retraite dix ans plus tard. Une succession de prêtres, trouvant Morice insupportable tant dans la vie quotidienne que dans le travail et refusant de devenir ses serviteurs, choisirent de partir. Morice possédait l’atout redoutable d’être le seul missionnaire à parler la langue des Porteurs. Le bienveillant et pragmatique Blanchet avait renoncé à apprendre cette langue « horriblement difficile » et ne pouvait donc confesser les fidèles que son confrère avait éconduits. Les prouesses linguistiques de Morice et son succès dans l’intimidation, tant de ses collègues prêtres que des autochtones convertis, lui avaient permis en quelques années d’exercer une domination cléricale dans l’intérieur septentrional de la Colombie-Britannique.
L’habileté de Morice à imposer l’obéissance chez les autochtones élargit également son influence dans les affaires séculières jusqu’à le rendre capable de saper l’autorité des commerçants de fourrures de la Hudson’s Bay Company (HBC) et celle des chefs autochtones qui avaient auparavant agi comme intermédiaires. Lorsque des commerçants indépendants établirent un poste à Quesnel, au sud du fort St James, pour faire concurrence à la HBC, Morice offrit de déclarer que le nouvel établissement était interdit aux trappeurs autochtones. En retour, il exigea que la HBC lui expédie ses provisions à moindre prix, fasse une contribution annuelle de 50 $ à la mission et le laisse choisir les équipages autochtones pour les bateaux de la compagnie. Il créa manifestement, ou renforça, une dépendance afin d’assujettir à la fois les autochtones et les Blancs.
En revanche, Morice traitait l’agent des Affaires indiennes, Richard Ernest Loring, comme un ami et un égal. Pendant ses visites annuelles, Loring, qui n’entendait rien à la langue ni à la culture des Porteurs, trouvait commode de laisser Morice assumer ses responsabilités, dont la diffusion d’avis et le règlement de différends. Morice avait ainsi peu de raisons de percevoir Loring comme un rival. Il limitait l’ingérence du département des Affaires indiennes tout en renforçant la dépendance des autochtones envers lui. Morice utilisa cette sujétion des autochtones pour exiger leur assistance non rémunérée dans ses explorations et ses travaux de cartographie, ainsi que dans ses publications linguistiques. Des Porteurs l’accompagnaient parfois pendant des semaines comme guides, bateliers et porteurs ; ils le faisaient même traverser des rivières peu profondes sur leurs épaules.
Une fois sa domination assurée parmi les autochtones, Morice chercha à asseoir sa réputation comme érudit. En 1890, l’évêque Durieu et plusieurs prêtres, à la recherche d’une écriture qui conviendrait au jargon chinook, rejetèrent le syllabaire de Morice en faveur d’une écriture sténographique qui, en raison de sa plus grande flexibilité, serait adaptée par le père Le Jeune. Outré de cet affront et du désaveu de son travail, Morice inclut, en 1894, une diatribe dans la préface de la deuxième édition de son abécédaire. Durieu qualifia ses commentaires d’« abominables » ; il lui ordonna de cesser la publication de cette attaque et de retirer la page incriminée des exemplaires imprimés. Morice refusa d’obtempérer.
Malgré la désobéissance éhontée de Morice, Durieu lui permit en 1896 de passer une année en France pour préparer la publication de deux livres. Malheureusement, le mécène qui devait financer son dictionnaire porteur-français perdit sa fortune dans le scandale de Panama ; l’ouvrage ne fut donc pas imprimé à ce moment-là. Dans le deuxième manuscrit, intitulé Au pays de l’ours noir : chez les sauvages de la Colombie Britannique : récits d’un missionnaire, paru à Paris et à Lyon en 1897, Morice décrivit ses exploits de missionnaire et d’explorateur. De retour au fort St James, il continua ses explorations et ses travaux d’érudition. Rédigées le plus souvent en anglais, ses premières contributions sur des sujets aussi divers que « The use and abuse of philology » et « Déné surgery » furent publiées à Toronto dans les Transactions du Canadian Institute. Plus tard, l’American Anthropologist (Lancaster, Pennsylvanie), revue plus prestigieuse, publierait un certain nombre d’articles, dont beaucoup consacrés à des sujets linguistiques ésotériques.
La grande fascination de Morice pour les langues imprégnait ses rapports anthropologiques, habituellement à bon escient, mais pas toujours. Ses études linguistiques fournissaient parfois des indications précieuses qu’il utilisait pour démontrer des phénomènes d’emprunts culturels et de contact interethnique ; cependant, il tendait à attribuer trop d’importance à la langue pour déterminer les origines et affinités ethniques. Probablement influencé par le philologue Horatio Emmons Hale*, il était convaincu que si deux groupes parlaient la même langue, il était « certain » qu’ils jouissaient d’une ascendance commune. Son incapacité à comprendre que la langue n’était pas un phénomène immuable, qu’elle pouvait être apprise ou abandonnée, resterait une fâcheuse lacune de son travail ethnographique. De plus, son recours aux stéréotypes ethniques gâcha ses tentatives d’expliquer les actions et interactions des groupes. Il soutenait, par exemple, que la propension des Porteurs à l’imitation expliquait qu’ils aient copié des éléments de la culture de la côte ouest et non l’inverse. Il prenait également plaisir à exposer les théories discutables des autres. Le ridicule était l’arme de prédilection de ce polémiste habile et agressif qui critiqua même Petitot, dont il admirait beaucoup les travaux.
Morice, continuant de s’investir dans ses travaux d’érudition, négligea ses voyages estivaux au cours desquels il exerçait son ministère auprès de ses ouailles des régions éloignées, tout comme ses responsabilités à la mission du lac Stuart. Il passa l’hiver de 1899–1900 à New Westminster pour se rétablir d’une pneumonie et écrire. Il trouva que ce lieu de séjour lui était particulièrement propice et fit des plans pour y retourner à l’hiver de 1903–1904. À l’automne de 1903, son incurie à l’égard de ses devoirs sacerdotaux, son refus d’enseigner l’anglais, son attitude autocratique et ses exigences de plus en plus audacieuses adressées à la HBC se combinèrent pour amener sa perte. Certains autochtones parmi les plus acculturés, qui avaient appris l’anglais et n’avaient plus besoin de lui comme intermédiaire, avaient adressé leurs griefs à l’évêque Augustin Dontenwill. Pierre-Marie Conan, jeune prêtre envoyé pour assister Morice, rapporta que ce dernier traitait les autochtones « comme des esclaves », tandis qu’en matière de développement spirituel, il les laissait loin derrière les convertis d’ailleurs.
En novembre 1903, en route pour passer l’hiver à New Westminster, Morice apprit qu’il était démis de ses fonctions. D’une manière prévisible, il accusa ses supérieurs de persécution et refusa de vivre en paix avec ses collègues. Il semble avoir passé les deux années suivantes dans la région de Vancouver, puis il partit pour Kamloops. Il termina sa première incursion dans le domaine de l’histoire, The history of the northern interior of British Columbia, formerly New Caledonia, 1660 to 1880, paru à Toronto en 1904 ; cet ouvrage recevrait un accueil élogieux. Pionnier dans l’usage des témoignages oraux, Morice peut à juste titre être reconnu comme le premier ethnohistorien du Canada. Un autre ouvrage d’envergure fut publié à Victoria en 1907 par le gouvernement provincial sous le titre Map of the northern interior of British Columbia. Longtemps après, en 1945, le cartographe en chef de la province louerait encore son « étonnante exactitude » et considérerait le travail de Morice comme supérieur à celui des arpenteurs de son service. À Kamloops, Morice avait élaboré le Dictionnaire historique des Canadiens et des Métis français de l’Ouest (1908), livre de référence fort utile. Son séjour à cet endroit ne dura que deux années à peine, car il reçut une telle correction dans une bagarre avec des confrères prêtres qu’on dut le muter à nouveau. À Rome, les autorités de l’ordre envisagèrent sérieusement la possibilité de le faire déclarer atteint d’aliénation mentale et de le confiner à un asile. Tout compte fait, ils craignirent que, grâce à son verbe facile, sa maîtrise de l’anglais et ses talents de polémiste, il ne provoque un scandale. On l’expédia plutôt au Manitoba.
Morice passa près de 20 ans à Saint-Boniface, à l’exception de quelques intervalles d’une année ou deux où il resta ailleurs. Il fut d’abord envoyé à Duck Lake, en Saskatchewan, en 1910, pour assumer les fonctions de rédacteur en chef d’un nouveau journal francophone qu’il intitula le Patriote de l’Ouest. Il se mit bientôt tout le monde à dos. Au juniorat oblat de Saint-Boniface, il utilisa ses bonnes vieilles tactiques pour s’isoler, s’aliéner les autres, les provoquer et les déranger.
Au début des années 1920, alléguant toujours la persécution, Morice s’enfuit du juniorat et vécut deux ans tel un fugitif en Saskatchewan. Des curés naïfs l’accueillirent, mais regrettèrent aussitôt leur hospitalité. Au comble du désespoir, les prêtres de Marieval le mirent dans une voiture et, sans prévenir ni demander la permission, le larguèrent chez le curé de Lebret qui ne se doutait de rien. Ses supérieurs se demandèrent à nouveau s’ils risqueraient un scandale en l’enfermant. Après avoir conclu qu’il ne devait pas être tenu responsable de ses actes, ils décidèrent de ne pas appliquer cette solution. On ne pouvait pourtant pas le laisser continuer à causer des problèmes. Un médecin qui l’avait examiné le déclara atteint de neurasthénie, diagnostic associant maladie mentale et épuisement physique. Son état serait probablement décrit plus tard comme un trouble de personnalité narcissique. Sans doute à la suggestion de son patient, le médecin recommanda que Morice vive seul ou dans un endroit tranquille. En 1925, les oblats lui fournirent une maison à Winnipeg, achetée d’une veuve obligeante et respectueuse qui y demeura en tant que gouvernante. Morice avait besoin, comme d’habitude, de se soustraire à la société de ses pairs et à l’autorité de ses supérieurs.
Possédant toujours sa presse typographique, Morice fonda une maison d’édition pour diffuser son abondante production littéraire. Son vœu d’obéissance avait été pure parodie dès le départ ; désormais son propre éditeur, il se moqua également de son vœu de pauvreté. Maintenant qu’il avait trouvé la liberté, ses démonstrations de paranoïa et son comportement fantasque disparurent. Peut-être avait-il eu recours à de tels esclandres lorsqu’il les jugeait nécessaires ; peut-être aussi étaient-ils attribuables au stress et à l’épuisement causés par ses combats acharnés avec ceux qui contrecarraient sa volonté. Pendant ses batailles contre l’autorité, sa vigueur intellectuelle n’avait jamais flanché. Il réussit à publier son ouvrage principal en trois tomes, intitulé Histoire de l’Église catholique dans l’Ouest canadien, du lac Supérieur au Pacifique (1659–1905), à Winnipeg et à Montréal en 1912. Guy Lacombe, historien des oblats, serait d’avis que les travaux de Morice, même s’ils étaient bien documentés, relevaient de l’école préprofessionnelle des écrits catholiques historiques, qui décrivait typiquement les missionnaires comme des héros et cherchait à promouvoir la vocation sacerdotale. Par ailleurs, lorsque Morice vivait dans les Prairies, il défendait volontiers de sa plume les Canadiens français et les Métis.
Chose intéressante, lorsque Morice obtint enfin la reconnaissance qu’il avait cru si fortement mériter, celle-ci provint surtout du milieu universitaire anglophone. En novembre 1910, après un incendie à Duck Lake qui avait détruit le manuscrit du dictionnaire auquel il avait travaillé de nombreuses années, il avait dû tout recommencer. Il s’adressa, bien sûr, aux autochtones et avant tout à Louis Billy Prince, chef du fort St James. À l’aide de l’écriture syllabique de Morice, ils correspondirent pendant nombre d’années et, à deux occasions, en 1920 et en 1927, Morice retourna à la mission. Prince passa trois semaines à recueillir des données et à aider Morice à saisir pleinement le génie de la langue. Non seulement il ne reçut aucun remerciement ni dédommagement pour sa précieuse collaboration, mais Morice demanda même de l’argent aux Porteurs pour couvrir les frais de publication. Ces derniers n’avaient pas oublié ses abus d’autorité sacerdotale et lui en gardaient rancœur, mais ils souscrivirent tout de même à sa demande. L’ouvrage intitulé The Carrier language (Déné family) : a grammar and dictionary combined, publié en deux tomes en 1932 par l’Anthropos Institute à St-Gabriel-Mödling, en Autriche, et par l’auteur à Winnipeg, serait consulté par un petit cercle de spécialistes. L’éminent linguiste Edward Sapir en fit l’éloge dans la revue American Anthropologist ; il le décrivit comme un « travail magnifique » témoignant d’une « maîtrise évidente » de la langue et d’une approche du sujet qui « mérit[ait] de compter parmi les véritables contributions à la méthode linguistique ».
Une reconnaissance supplémentaire fut accordée à Morice sous la forme de diplômes honorifiques. Pendant son bref séjour à Duck Lake, il avait noué des liens d’amitié avec Walter Charles Murray*, recteur de la University of Saskatchewan, qui eut le rare talent de rester en bons termes avec lui. À l’invitation de Murray, Morice prononça des conférences à cette université en 1911 et entre 1912 et 1914. Murray fit en sorte qu’il reçoive, en mai 1933, un doctorat en droit. L’université d’Ottawa, dirigée par des oblats, lui décernerait un diplôme semblable l’année suivante.
Adrien-Gabriel Morice fut de toute évidence un linguiste doué et créatif ; sa carte géographique et son History of the northern interior sont devenus, à juste titre, des ouvrages classiques. Un anthropologue professionnel a loué ses observations précises et ses excellents comptes rendus. Morice échoua pourtant dans l’essence même de sa vocation : il est indéniable qu’il n’aurait jamais dû être ordonné prêtre. Ses paroissiens autochtones furent affreusement négligés et exploités ; ses confrères prêtres et ses supérieurs oblats furent les cibles principales de son mépris cinglant. Le traitement qu’il réserva à Louis Billy Prince et à d’autres était l’expression typique de son besoin de subordonner et d’utiliser les gens, besoin qu’il n’aurait pu assouvir au sein d’une société européenne. Ses problèmes psychologiques le poussèrent aux confins géographiques et sociaux de son milieu. Il mourut dans une amère réclusion en 1938.
Cette biographie repose sur notre ouvrage, Will to power : the missionary career of Father Morice (Vancouver, 1986), qui contient une liste exhaustive de la documentation que nous avons consultée. Les écrits du père Adrien-Gabriel Morice sont énumérés dans Gaston Carrière, « Adrien-Gabriel Morice, o.m.i. (1859–1938) : essai de bibliographie », Rev. de l’univ. d’Ottawa, 42 (1972) : 325–341. On trouve des détails sur quelques aspects de la carrière post-missionnaire du père Morice dans R. [J. A.] Huel, « Adrien-Gabriel Morice, o.m.i. : brief sojourn in Saskatchewan », Rev. de l’univ. d’Ottawa, 41 (1971) : 282–293.
Arch. départementales, Mayenne (Laval, France), État civil, Saint-Mars-sur-Colmont, 28 août 1859.
David Mulhall, « MORICE, ADRIEN-GABRIEL (Marie-Gabriel-Adrien-Arsène) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/morice_adrien_gabriel_16F.html.
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Auteur de l'article: | David Mulhall |
Titre de l'article: | MORICE, ADRIEN-GABRIEL (Marie-Gabriel-Adrien-Arsène) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2015 |
Année de la révision: | 2015 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |