MORAND, PAUL (appelé Hypolithe dans sa jeunesse), orfèvre, né soit en 1782, soit en 1783 ou en 1785, fils de Laurent Morand, forgeron, et de Pélagie Massue ; le 29 septembre 1845, il épousa à Montréal Marie-Anne Dufresne, veuve de François Bergevin, dit Langevin ; décédé dans cette ville le 11 juillet 1854.
L’identité des parents de Paul Morand ne fait aucun doute, car leur nom apparaît sur son acte de mariage. Ils se marièrent à Varennes en 1771 et, jusqu’à maintenant, on a relevé dans les registres paroissiaux le nom de 12 de leurs enfants, nés entre 1772 et 1795 à Varennes, à Pointe-aux-Trembles (Montréal), à Saint-Eustache et à Sainte-Thérèse-de-Blainville (Sainte-Thérèse). Paul, cependant, ne figure pas parmi eux. Le 28 avril 1802, « Hypolithe » Morand, fils de Laurent Morand et âgé d’environ 18 ans, était placé en apprentissage chez un orfèvre. « Paul » étant de toute évidence une contraction d’« Hypolithe », il est raisonnable de penser ; malgré l’hypothèse formulée par Gérard Morisset* en 1954, qu’il s’agit d’une seule et même personne et que, étant donné la date de naissance des 12 autres enfants, il serait né entre septembre 1782 et juin 1783, ou encore entre février et avril 1785.
C’est chez Pierre Huguet*, dit Latour, orfèvre et marchand prospère, qui possédait alors l’un des plus grands ateliers et l’un des plus gros magasins de Montréal, que Morand apprit son métier. Huguet avait déjà eu plusieurs apprentis. Au moment de l’arrivée de Morand, il était assisté par son fils Pierre et par un apprenti nommé Salomon Marion*, avec qui Morand, collabora sans doute étroitement. L’apprentissage de Marion, selon son contrat, devait se terminer en février 1803. Quant à celui de Morand, il prit fin lorsqu’il atteignit l’âge de 21 ans, présumément entre septembre 1803 et avril 1806. Apparemment, Huguet ne prit pas d’autres apprentis avant 1810, année où il engagea Alexander Fraser et signa un contrat très important pour la fabrication de plusieurs vases sacrés qui devaient être faits par Marion. Morand fut probablement engagé lui aussi par Huguet au terme de son apprentissage : on ne connaît aucune œuvre portant son poinçon qui serait antérieure à 1819. Le 20 octobre 1817, quatre mois après la mort de Huguet père, Morand servit de témoin au mariage de Marion : c’est la première mention que l’on trouve de son nom après son apprentissage.
On sait peu de chose au sujet de Morand, sinon qu’il habita rue Saint-Vincent en 1819–1820 et rue Viger (rue Saint-Amable) de 1831 à sa mort. Son mariage, célébré en 1845, semble avoir été l’événement majeur de sa vie. L’année suivante, il légua tous ses biens à sa femme. Il mourut le 11 juillet 1854, « à 5 1/2 heures P.M., après une longue maladie, soufferte avec la résignation d’un vrai chrétien [...] il laiss[ait] dans le deuil, une épouse et une sœur inconsolables ». En 1855–1856, sa veuve habitait toujours rue Saint-Amable ; l’année suivante, son nom n’apparaît plus dans l’annuaire de la ville.
Les premières œuvres connues de Morand sont un bénitier et une aiguière achetés par la paroisse Sainte-Madeleine à Rigaud en 1819, année où, pour la première fois, il figure comme orfèvre dans l’annuaire de Montréal. À compter de cette année-là et jusqu’en 1851, il reçut des paiements de 17 paroisses pour des vases sacrés ou des réparations. On a aussi retrouvé des pièces d’orfèvrerie de sa main dans plusieurs autres endroits. Morisset a interprété assez librement et presque abusivement les documents qui rendent compte de ces activités : « Salomon Marion recueille [... en 1817] une grande partie de la clientèle religieuse de son ancien maître et la garde jusqu’en 1830, date de son décès. À son tour, Paul Morand bénéficie de la disparition prématurée de son confrère : désormais, et jusqu’à sa mort, il est le fournisseur attitré des paroisses de la région de Montréal. » Une grande partie des œuvres de Morand sont identiques à des pièces qui portent le poinçon de Huguet, PH ; marquées et vendues par Huguet, elles ont peut-être été fabriquées par Morand.
Dans son article sur Morand, Morisset traite de son style et de ses œuvres en les comparant à ceux d’autres orfèvres de l’époque, et il conclut : « Les deux encensoirs de Varennes, martelés en 1826 [...] sont probablement ses chefs-d’œuvre ; tout au moins les ouvrages les plus parfaits qu’il a laissés. » Les critères de Morisset sont discutables ; il rejette tout style qui s’éloigne de « la meilleure tradition canadienne ». Adoptant une attitude xénophobe, il conclut que toutes les influences anglo-saxonnes qui s’exercèrent sur les orfèvres de Montréal furent une cause de décadence et de profonde dégradation stylistique. Or, les œuvres de Morand fournissent la meilleure preuve que ces influences furent un facteur d’évolution et d’enrichissement. La forme et l’ornementation de ses calices, encensoirs, aiguières baptismales et instruments de paix révèlent un esprit novateur. Nombre de ces objets, ceux de la collection Henry-Birks d’orfèvrerie canadienne par exemple, sont beaucoup plus intéressants que les deux encensoirs de Varennes, vantés par Morisset à cause de leur ressemblance avec ceux de Laurent Amiot* ou de François Sasseville*. L’industrialisation eut un effet important sur l’esthétique : certaines des œuvres de Morand sont moins réussies parce qu’elles imitent des pièces commerciales d’un goût douteux.
Un bon nombre des pièces d’orfèvrerie vendues aujourd’hui comme des œuvres d’artisans canadiens du xixe siècle proviennent en fait des îles Anglo-Normandes ou de l’Inde. Leur style et leurs poinçons sont très semblables à ceux de Huguet, de Morand ou de Henry Polonceau, ce qui démontre à quel point il importe d’analyser l’orfèvrerie canadienne de l’époque coloniale sur le plan stylistique et de la comparer à celle d’autres colonies britanniques. Il reste que l’œuvre de Paul Morand marque une étape importante dans l’évolution de l’orfèvrerie religieuse au Canada et que, tout comme lui, elle mérite d’être mieux comprise.
On retrouve des œuvres de Paul Morand dans la collection Henry-Birks conservée à la Galerie nationale du Canada, au Musée du Québec, au Musée des beaux-arts de Montréal, au musée McCord et dans plusieurs églises de la région montréalaise.
ANQ-M, CE1-10, 10 sept. 1771 ; CE1-51, 20 oct. 1817, 29 sept. 1845, 14 juill. 1854 ; CN1-32, 19 oct. 1846 ; CN1-74, 14 juill. 1812 ; CN1-128, 30 mars 1795, 25 sept. 1797, 23 juill. 1798, 28 avril 1802 ; CN1-243, 13 févr., 14 juin 1810.— AP, Sainte-Madeleine (Rigaud), Livres de comptes, 1819.— MAC-CD, Fonds Morisset, 2, M829.2/P324.— La Minerve, 2 oct. 1845, 22 juill. 1854.— Canada directory, 1851–1857.— Groupe de recherche sur la société montréalaise au xixe siècle, Répertoire des rues de Montréal au XIXe siècle (Montréal, 1976).— Montreal directory, 1819.— R. H. Mayne, Old Channel Island silver, its makers and marks (île de Jersey, 1969).— Morisset, Coup d’ceil sur les arts, 106–107.— Ramsay Traquair, The old silver of Quebec (Toronto, 1940).— W. R. T. Wilkinson, Indian colonial silver : European silversmiths (1790–1860) and their marks (Londres, 1973).— Gérard Morisset, « l’Orfèvre Paul Morand, 1784–1854 », SRC Mémoires, 3e sér., 48 (1954), sect. i : 29–35.
Robert Derome et Norma Morgan, « MORAND, PAUL (Hypolithe) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/morand_paul_8F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 8 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1985 |
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