MEAGHER, THOMAS, tailleur, homme d’affaires et fonctionnaire, né vers 1764 dans le comté de Tipperary (république d’Irlande) ; il épousa une veuve, Mary Crotty, et ils eurent trois fils ; décédé le 26 janvier 1837 à Waterford (république d’Irlande).

Né d’un père qui était probablement fermier, Thomas Meagher se fixa à St John’s au début des années 1780. Il devint apprenti chez un tailleur, lui aussi venu d’Irlande, dont il allait par la suite épouser la veuve. En cette fin du xviiie siècle, l’accroissement de la population permanente à Terre-Neuve favorisait l’émergence de nouveaux artisans, entre autres des tailleurs, dont plusieurs étaient irlandais. On ignore comment Meagher organisa sa boutique et quelle importance elle avait, mais des indices révèlent qu’entre 1800 et 1807 il faisait venir ses étoffes de Grande-Bretagne et comptait parmi sa clientèle une forte proportion d’Irlandais catholiques.

Ayant accumulé peu à peu suffisamment de capital pour se lancer dans le commerce de gros et de détail, Meagher abandonna vers 1811 son métier de tailleur. En 1807, il figurait sur la liste des membres de la Society of Merchants de St John’s et, l’année suivante, il était propriétaire d’un navire. Déjà, il investissait dans le marché foncier de l’île, ce qui était typique de la classe montante des Irlandais de St John’s, et il louait à deux marchands du comté de Tipperary une partie d’un vaste terrain situé sur le front de mer. En 1809, il était copropriétaire de deux installations portuaires construites juste au bord de l’eau et assurées pour £2 500. En outre, il possédait un grand champ au sud-ouest du fort Townshend et un jardin dans la ville. Deux ans plus tard, il loua du gouvernement, à raison de £120 par an, deux autres lots qui auparavant avaient été des graves. La plupart de ces propriétés et de celles qu’il allait acquérir par la suite étaient sous-louées à des boutiquiers et artisans irlandais, ce qui lui procurait du capital pour étendre ses entreprises commerciales.

Dès 1808, Meagher avait acheté le Mary, qu’il remplaça l’année suivante par le Triton ; à l’automne de 1809, il expédia à Waterford plus de 1 350 quintaux de morue et autres denrées. Au retour, le Triton avait à son bord 62 passagers ainsi que des provisions, ce qui illustre le type d’activité que Meagher poursuivit essentiellement pendant plus d’une décennie. Bien vite, ses itinéraires commerciaux en vinrent à comprendre d’autres ports nord-américains. Le moment était propice aux investissements : la demande de morue croissait en Europe méridionale, et le transport des passagers comme des approvisionnements rapportait des bénéfices considérables.

Chaque automne, Meagher préparait la saison suivante en envoyant des commandes d’approvisionnements, des informations pour les passagers et des lettres de change, généralement tirées par des associés ou des représentants à Terre-Neuve de maisons britanniques ou irlandaises. Durant l’hiver, Richard Fogarty, son principal représentant à Waterford, écoulait les marchandises qu’il lui avait expédiées à l’automne ; il s’agissait surtout de morue et d’huile de morue mais aussi de bois et, à l’occasion, de produits de réexportation comme le sucre. Fogarty commandait également à des artisans et commerçants locaux des marchandises pour Terre-Neuve. Waterford n’était cependant pas la seule base d’outre-mer pour Meagher : il recevait régulièrement des cargaisons d’Angleterre, en particulier de Liverpool, où il fit immatriculer en 1813 son troisième brick, le Beresford, en remplacement du Triton, et prit comme représentante la Ryan and Sons [V. Henry Shea*]. Le succès du commerce d’approvisionnement terre-neuvien reposait en partie sur la diversité des produits, et Meagher en offrait une gamme complète qui allait des aliments et boissons aux vêtements et lits de plumes. Le 1er janvier 1816, soit à un moment où la récession de la pêche entraînait la faillite de plusieurs sociétés de St John’s, il prit officiellement comme associés deux de ses fils, Thomas et Henry. Plus encore, il étendit ses opérations de Harbour Grace jusqu’à Burin.

En 1818, Meagher partit s’installer à Waterford pour superviser son commerce et réalisa le rêve de presque tout marchand irlandais en achetant une villa de style georgien à l’extérieur de la ville. Avec Thomas Beck, un nouvel associé, Thomas fils était demeuré à St John’s pour assumer la direction des affaires, mais en 1820 lui et Henry avaient rejoint leur père à Waterford. En se dotant d’une base en Irlande, la Thomas Meagher, Sons and Company était mieux placée pour transiger avec Terre-Neuve, et pourtant au moment même où les Meagher semblaient en position de prendre de l’expansion ils décidèrent d’abandonner la partie. En juin 1820, ils tentèrent sans succès de vendre le Beresford. En août, ils signèrent une entente qui mettait fin à leur association avec Beck et, en décembre, ils annoncèrent qu’ils se retiraient de St John’s. Pourtant, 1821 fut l’une de leurs années les mieux remplies. Le Beresford naviguait toujours, et les Meagher achetèrent de Beck, qui était toujours leur représentant, le Betty and Nancy. Celui-ci faisait déjà la liaison entre Waterford et St John’s. Un an plus tard, avec Beck, ils firent immatriculer à St John’s un sloop, probablement en remplacement d’un schooner perdu sur la côte française de Terre-Neuve.

L’entreprise avait tout de même subi des revers. En juillet 1819, un incendie avait rasé ses principales installations situées sur le front de mer à St John’s et, même si la Meagher and Sons se mit sans tarder à les reconstruire, cette tâche draina probablement ses ressources, au moment même où elle affectait des fonds considérables à son entreprise de Waterford. En décembre, elle mit la propriété en vente. La compagnie perdit ou vendit au moins quatre navires entre 1820 et 1823 et ne fut plus inscrite par la suite comme propriétaire de navires, même si en 1824 elle figurait parmi les rares maisons de Waterford qui se spécialisaient dans le commerce terre-neuvien. Cette activité était cependant en pleine chute, et en 1825 la compagnie loua à d’autres marchands la plupart de ses installations de Waterford. On n’a rapporté qu’une seule autre transaction de la compagnie à Terre-Neuve.

Meagher avait réussi à St John’s notamment en accumulant des propriétés qu’il sous-louait ensuite. Il adopta une stratégie semblable à Waterford, où il acquit peu à peu une grande partie des vastes propriétés des Quan, famille de marchands avec laquelle il était lié par alliance. En 1829, il vendit son domaine de campagne et s’installa à Waterford même, avec sa femme et leur fils Thomas. Retiré des affaires puis devenu veuf en 1832, il légua tous ses biens aux enfants de Thomas et nomma celui-ci fiduciaire. Il mourut en 1837.

Simple apprenti tailleur devenu marchand prospère, Meagher gagna par sa remarquable réussite le respect des membres de toutes les confessions. À St John’s, il fut l’un des rares catholiques irlandais élus à un comité de la Benevolent Irish Society, qui avait été fondée en 1806 ; il en fut d’ailleurs le trésorier de 1814 jusqu’à son départ de Terre-Neuve. En 1812, il fit « un don très généreux de livres » à la nouvelle école du dimanche de la ville et présida le comité paroissial chargé d’organiser la construction d’une résidence pour le clergé catholique. Durant la récession de 1817, sa compagnie se montra, envers les pauvres de la ville, aussi généreuse que le marchand James MacBraire*. En outre, comme il habitait l’île depuis longtemps et en connaissait bien les caractéristiques économiques et culturelles, Meagher servit souvent comme juré ou arbitre dans des litiges concernant le paiement de biens et services, l’application des règlements de transport maritime ou des transferts de propriétés, et à l’occasion de procès pour vol, voie de fait ou meurtre. En 1811, on le nomma membre du jury d’accusation, honneur qui échut seulement à une douzaine d’Irlandais ; il fut aussi responsable de la lutte anti-incendie, constable spécial et membre du comité de l’hôpital. Meagher et sa femme nouèrent des liens étroits avec la nouvelle bourgeoisie irlandaise, en particulier les familles de tailleurs et de marchands du comté de Tipperary. Ainsi il fut parrain du premier enfant de Patrick Morris et de la fille de Henry Shea.

Fonctionnaire loyal et impartial, Thomas Meagher se mêla rarement de politique. En 1811, il se joignit aux protestations générales qui s’élevèrent lorsque le gouvernement décida d’autoriser la location des graves de St John’s et, en 1813, il siégea au sein du jury qui acquitta le tailleur John Ryan d’une accusation controversée, portée par le gouvernement. Il quitta Terre-Neuve avant la vague d’agitation des années 1820 et, une fois à Waterford, il laissa la politique à son fils Thomas, qui allait devenir le premier maire catholique de la ville depuis 200 ans et siéger par la suite à la chambre des Communes. Le plus célèbre membre de la dynastie des Meagher fut un de ses petits-fils, Thomas Francis. Cet avocat, qu’on surnommait « Meagher of the Sword », était un orateur talentueux. Il se distancia de sa famille en refusant d’appuyer Daniel O’Connell, et devint un leader du mouvement de la Jeune-Irlande ; exilé, il fut par la suite gouverneur intérimaire du territoire du Montana, aux États-Unis.

John Mannion

Basilica of St John the Baptist (Roman Catholic) (St John’s), St John’s parish, reg. of baptisms, 1803–1817 ; reg. of marriages, 21 nov. 1807, 13 févr. 1809, 24 oct. 1814 (mfm aux PANL).— PANL, GN 2/1/A, 10 : 66 ; 19 : 120 ; 20 : 117 ; 21 : 157 ; GN 5/2/A/1, 1804, 1806–1809, 1811–1816, 1820–1821, 1826 ; GN 16/1, reg. of rents : 2 ; P1/5, 18 déc. 1809, 12 oct. 1811 ; P3/B/14, letter-book, 1811–1813 (photocopies) ; P7/A/18, letter-book and ledger, 12 mars, 6 mai 1814, 17 août 1817, 9, 30 mai 1818.— Phoenix Assurance Company Ltd. (Londres), Jenkin Jones, report to Matthew Wilson on St John’s, 6 juin 1809 (photocopie aux PANL).— PRO, BT 107, 1820 : 31, 84 ; 1822 : 27 (copies aux MHA).— Registry of Deeds (Dublin), Deeds, 737 : 579 ; 801 : 227 ; 803 : 424, 426 ; 876 : 399, 401.—« Extracts from the census of the city of Waterford, 1821 », E. W. Kelly, compil., Kathleen Kelly, édit., Irish Genealogist (Londres), 4 (1968–1979) : 23.— Lloyd’s List (Londres), 1810, 1817.— Morning Post, and Shipping Gazette (St John’s), 22 nov. 1849.— Newfoundland Mercantile Journal, 23 mai 1817–2 juill. 1821.— Public Ledger, 16 mai 1817.— Ramsey’s Waterford Chronicle (Waterford, république d’Irlande), 4 avril 1811–18 avril 1822.— Royal Gazette and Newfoundland Advertiser, 11 juin 1810–8 déc. 1817, 1er mai 1832.— Waterford Mirror, 24 avril 1810, juin 1819, 30 mars 1825, 27 mars 1830, 26 janv. 1837.— The register of shipping (Londres), 1808, 1818, 1820.— Michael Cavanagh, Memoirs of Gen. Thomas Francis Meagher [...] (Worcester, Mass., 1892).— Centenary volume, Benevolent Irish Society of St. John’s, Newfoundland, 1806–1906 (Cork, république d’Irlande, 1906).— M. F. Howley, « How Meagher became a millionaire ; a true story of old St. John’s », Nfld. Quarterly, 4 (1904), no 3 : 2–3.

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John Mannion, « MEAGHER, THOMAS », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/meagher_thomas_7F.html.

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Auteur de l'article:    John Mannion
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
Année de la révision:    1988
Date de consultation:    28 novembre 2024