McMICKEN, GILBERT, homme d’affaires, fonctionnaire, notaire, homme politique, magistrat stipendiaire et juge de paix, né le 13 octobre 1813 à Londres ou à Glenluce, Écosse ; le 19 février 1835, il épousa à Chippawa, Haut-Canada, Ann Theresa Duff, et ils eurent six enfants et en adoptèrent un septième ; décédé le 7 mars 1891 à Winnipeg.

Gilbert McMicken n’a laissé aucun témoignage sur son enfance et sa jeunesse à Glenluce, ni aucun indice sur les raisons pour lesquelles, en immigrant dans le Haut-Canada en 1832, il s’installa à Chippawa. Peut-être sollicita-t-il des conseils au cours des quelques semaines qu’il passa d’abord à Montréal et à York (Toronto). Intéressé par le commerce et la finance, il devint, à Chippawa, consignataire de marchandises transitant par la presqu’île du Niagara en provenance ou à destination du Saint-Laurent. C’est ainsi qu’il fit la connaissance de marchands en vue et d’importants promoteurs fonciers de la région. Son mariage avec Ann Theresa Duff le liait à la famille du grand-père de celle-ci, Alexander Grant*, qui avait dominé la traite des fourrures à ses débuts, le transport maritime et la marine provinciale dans la région de Detroit et qui avait même occupé un siège au Conseil exécutif, ce qui dénote l’importance qu’il avait acquise sur les plans social et politique. La carrière de McMicken n’allait être qu’un pâle reflet de celle de Grant : affaires sans véritable prospérité, fonctions sans grande influence, mais loyauté constante aux institutions qu’il servait.

Les McMicken se fixèrent à Queenston en 1837 au plus tard. À l’été de 1838, Gilbert obtint son premier poste de fonctionnaire, celui de receveur des douanes, et il devint notaire avant la fin de l’année. En 1839, il annonçait qu’il tenait, avec James Hamilton, une maison de « transitaires et de commissionnaires », la McMicken and Hamilton. Il exploita quelque temps la Niagara Suspension Bridge Bank en 1840–1841 ; au milieu de la décennie, il loua et administra un chemin de fer hippomobile de neuf milles, l’Erie and Ontario Railroad. En 1846–1847, il participa à l’extension de la première ligne télégraphique du Canada ; construite à partir de Toronto, elle fut prolongée jusqu’à Lewiston, dans l’état de New York, de l’autre côté de la rivière Niagara, puis en aval jusqu’à Niagara (Niagara-on-the-Lake) [V. Thomas Dennie Harris*]. Il fit aussi breveter deux instruments télégraphiques. À ce moment, il avait déjà fait des transactions immobilières et construit ou acheté une grande maison dans sa propriété.

La carrière politique de McMicken commença en 1848 : élu au conseil municipal du district de Niagara, il y obtint un deuxième mandat en 1849. Après son élection, l’année suivante, au conseil du nouveau canton de Niagara, ses collègues conseillers le choisirent comme président. Ensuite, au moins en 1851, il fut préfet des comtés unis de Lincoln et Welland. Le 19 mars 1851, il participa à l’inauguration du pont suspendu de Queenston aux côtés de dignitaires canadiens et américains, tant en qualité de préfet que de secrétaire-trésorier de la compagnie qui avait construit l’ouvrage. À la fin de l’année, il s’installa à Clifton (Niagara Falls), mais auparavant, pendant la campagne provinciale, il prit la parole en faveur de Francis Hincks*, candidat réformiste dans la circonscription de Niagara. On le considérait même comme un remplaçant possible de Hincks si celui-ci représentait l’autre circonscription dans laquelle il briguait les suffrages.

Dans les années 1850, aucune localité de la presqu’île du Niagara ne connaissait une croissance plus rapide que Clifton. McMicken s’y occupait surtout de spéculation et de promotion foncières, de prêts et d’assurances, mais il était aussi fonctionnaire. Ainsi, il devint receveur des douanes d’une localité voisine, Stamford (Niagara Falls), et en 1854, au moment où il était maître de poste de Clifton (il exercerait de nouveau cette fonction en 1857), il transforma en bureau de poste un immeuble qu’il avait acheté. De 1850 à 1855 au moins, il fit partie du conseil d’administration de la Niagara District Building Society ; de 1853 à 1857, et peut-être plus longtemps, il fut membre de celui de l’Erie and Ontario Insurance Company. De 1854 à 1857, il fut représentant du promoteur foncier Samuel Zimmerman* et caissier (directeur) de la Zimmerman Bank. En 1856, avec ce dernier, il participa à l’organisation de la congrégation presbytérienne de Clifton, aida à trouver un terrain et contribua à la construction de l’église St Andrew. À la même époque, il fit construire une imposante maison pour sa famille dans une très belle propriété.

En 1856, au plus fort de sa croissance, on érigea Clifton en municipalité, et McMicken en devint le premier maire. L’année suivante, il occupa en outre la présidence du conseil scolaire. Peut-être fut-il aussi juge de paix quelque temps. Ironie du sort, quand on l’élut à l’Assemblée législative, en décembre 1857, la prospérité de Clifton et la sienne déclinaient déjà ; en 1861, il ne posséderait plus grand-chose en fait de biens fonciers. Reconnu comme un réformiste modéré par ceux qui l’appuyaient, il remporta la victoire contre un partisan clear grit de George Brown* et représenta la circonscription de Welland de février 1858 à mai 1861. De toute évidence, la sixième législature, querelleuse, lui laissa surtout le souvenir de l’incapacité dans laquelle elle était d’accomplir quoi que ce soit d’important. Entre 1860 et 1864, il installa sa famille à Windsor. Il fut président de la Bank of Western Canada de 1862 à 1864, mais même cela, semble-t-il, fut singulièrement peu gratifiant. Les années 1858 à 1864 ne lui apportèrent que découragement, bien que ses sombres réflexions de la fin de cette période soient à peu près les seuls indices qui en témoignent encore.

Malgré tous ses revers, McMicken retira, de son séjour à l’Assemblée, un atout solide qu’il sut mettre à profit : il se lia avec John Alexander Macdonald, le chef des libéraux-conservateurs. De Windsor, il le convainquit de lui trouver un poste lucratif. En novembre 1864, Macdonald usait de son influence pour le faire nommer agent d’accise dans cette ville ; « [c’est] pour nous un ami particulier », disait-il. Étant donné cette remarque, et le fait que, quelques jours plus tard, McMicken lui rappela d’un ton tranchant avoir « supporté la honte et l’opprobre, [...] même la prison et les fers pour [lui] », on se demande quel service, dont aucun d’eux n’allait jamais révéler la nature sur la place publique, était tel que Macdonald allait pouvoir décrire McMicken comme un « homme astucieux, calme et résolu qui ne perdrait pas facilement la tête et ferait courageusement son devoir ».

Deux crises dans les relations canado-américaines – non sans rapport l’une avec l’autre – transformèrent la vie de McMicken. Le 19 octobre 1864, une vingtaine de soldats de l’armée des confédérés, partis du Bas-Canada, firent un raid à St Albans, au Vermont, au cours duquel ils cambriolèrent des banques, endommagèrent des propriétés, tuèrent une personne et en blessèrent une autre [V. Charles-Joseph Coursol*]. Durant les deux mois qui suivirent, l’appréhension monta au Canada tandis que l’animosité s’intensifiait dans le nord des États-Unis. Pour empêcher un autre incident embarrassant de survenir, le Canada posta 2 000 volontaires de la milice le long de la frontière. Quant à Macdonald, procureur général du Haut-Canada, il s’employa à organiser le premier service secret du pays et chargea McMicken de mettre son plan à exécution. Les 16 et 17 décembre, on nomma celui-ci magistrat stipendiaire et juge de paix. Son pouvoir s’étendait à tout le Haut-Canada, et il était habilité à nommer des constables de police et à demander des salaires et des frais de déplacement au gouvernement. Frederick William Ermatinger* se vit confier des fonctions semblables au Bas-Canada. Dans la semaine qui suivit sa nomination, McMicken visita des villes frontalières des États-Unis afin d’assurer les représentants des autorités municipales et nationales que le Canada veillait sérieusement à prévenir d’autres raids. Il enrôla, dans sa « Western Frontier Constabulary », des recrues qui devaient travailler clandestinement dans la région limitrophe, soit sur les trains ou dans les localités haut-canadiennes. Ses hommes devaient déceler « l’existence de tout complot, conspiration ou organisation qui pourrait menacer la paix, insulter Sa Majesté la Reine ou aller à l’encontre de sa proclamation de neutralité », et signaler tout attroupement séditieux, tout exercice militaire et toute tentative clandestine de la part d’agents de l’armée des Nordistes pour recruter des sujets britanniques dans le Haut-Canada. Avec la collaboration des autorités américaines, il recruta aussi des agents à Detroit et à Buffalo.

Le travail de McMicken n’allait pas prendre fin en même temps que la guerre de Sécession. En effet, des rumeurs voulaient que la Fenian Brotherhood – aile nord-américaine de l’Irish Revolutionary Brotherhood qui avait pour mission de fournir des fonds, des armes et des renforts en prévision d’un soulèvement en Irlande – menace l’Amérique du Nord britannique et la Grande-Bretagne. Il y avait bien quelques féniens parmi les immigrants irlandais du Canada [V. Michael Murphy*], mais la plupart se trouvaient aux États-Unis, où leur nombre s’était accru à la faveur de la guerre de Sécession. Certains féniens caressaient le projet d’envahir les colonies d’Amérique du Nord britannique afin d’avoir une base à partir de laquelle libérer l’Irlande. Les premiers rapports qui faisaient état de ce danger parvinrent du consul britannique à New York dès octobre 1864. À la fin de décembre, McMicken reçut un message du même genre. Comme ces avertissements persistaient, il était tout à fait normal qu’il continue à exercer ses nouvelles fonctions à plein temps jusqu’en 1871.

Au début de 1865, McMicken en était à essayer de tisser et de diriger un véritable service de renseignements et, dans sa correspondance avec Macdonald, on trouve certains passages comiques à ce propos. Quand les premiers comptes rendus laissèrent entendre que la menace fénienne n’était pas grave, il ne tarda pas à congédier bon nombre de ses 15 premiers agents. Puis, quand on arrêta des conjurés féniens en Irlande à la fin de l’été, il demanda à ses agents, sur le conseil de Macdonald, de tenter de s’infiltrer dans les cellules féniennes de Chicago, de Cincinnati et de Detroit. Ceux qui y parvinrent communiquèrent des informations alarmantes, ce qui obligea McMicken et Macdonald à les analyser pour distinguer les plans sérieux de ce qui était de l’ordre de la chimère. Sous le couvert de l’anonymat, McMicken lui-même se présenta à un important congrès fénien à Philadelphie. Ayant découvert qu’un « sénat » de 15 membres allait mettre au point, en secret, les détails d’une invasion prévue pour novembre, il suggéra de trouver (et se mit à chercher) « une ou deux de ces femmes rusées dont les bonnes gens mettent la vertu en doute » et qui, en attirant « dans leurs filets des membres du « sénat » qui [étaient] sensibles [aux charmes féminins], leur arracheraient leurs secrets, comme Dalila [le fit] avec Samson ». Qu’il ait ou non mis ce projet à exécution, la sérénité avec laquelle il proposait ce genre de procédé et le fait qu’il comprenait que les activités comme l’espionnage et le passage au crible des officiers de milice devaient avoir pour but de faire avorter les plans d’invasion démontrent qu’il était fait pour ce genre de travail.

Le problème des agents de McMicken et d’autres informateurs, moins nombreux et moins organisés, à la solde de Macdonald, ne tarda pas à être évident : un informateur bien placé valait mieux que 20 agents inefficaces. Aussi ne fut-ce qu’une fois que le meilleur agent de McMicken eut été réaffecté temporairement à Toronto que lui-même et Macdonald eurent un tableau un tant soit peu clair de ce qu’était l’organisation fénienne dans le Haut-Canada. Au début de 1866, McMicken s’employa donc surtout à améliorer son réseau d’informateurs dans des villes américaines d’importance stratégique, comme Chicago et Buffalo. Cela lui permit d’annoncer par avance deux coups des féniens : la tentative d’invasion de l’île Campobello, au Nouveau-Brunswick, en avril, et l’offensive plus vaste lancée le 1er juin contre Fort Erie, dans le Haut-Canada [V. John O’Neill*]. Ces événements causèrent un tel émoi qu’on approuva la constitution d’un fonds régulier pour un service secret et que McMicken eut l’autorisation de placer des agents non seulement à Chicago, à Buffalo et dans quelques autres des principaux points de la frontière canadienne, mais aussi à Lockport, Rochester, New York et Brooklyn.

Ensuite, pendant quelques années, le service secret s’attacha surtout aux plans d’O’Neill, le plus résolu des chefs féniens, qui présida l’organisation à compter de la fin de décembre 1867. Peu avant cette date, O’Neill avait recruté le docteur Henri Le Caron – de son vrai nom Thomas Billis Beach – pour en faire l’organisateur itinérant des féniens. Cependant, Le Caron révéla certains plans secrets de l’organisation au ministère britannique de l’Intérieur et on le mit en contact avec McMicken en juin 1868. Les nouveaux agents de celui-ci vérifiaient, sans en omettre aucun, les nombreux renseignements que Le Caron fournissait rapidement.

Entre-temps, le meurtre du lieutenant irlandais de Macdonald à Montréal, Thomas D’Arcy McGee*, perpétré en avril 1868 à Ottawa, justifia la création de la Police du dominion, qui compta au début moins d’une douzaine d’hommes et avait pour mission de protéger les édifices du gouvernement dans la capitale fédérale et de voir à ce que certaines lois fédérales soient respectées. McMicken ne fut nommé officiellement commissaire de cette police qu’à la fin de décembre 1869, mais c’est tout de suite qu’il commença à la diriger et s’y intégra avec son réseau d’agents. La création de la Police du dominion légitima les services déjà en place et détermina la façon dont on s’y prit pour assurer la sécurité au pays jusqu’à la fusion de ce groupement et de la Gendarmerie royale à cheval du Nord-Ouest sous le nom de Gendarmerie royale à cheval du Canada, en novembre 1919.

Les nouvelles fonctions de McMicken étaient plus diversifiées que les précédentes. En collaboration avec l’agence américaine de détectives Pinkerton, il veilla en 1868 à ce que les frères Reno, célèbre duo de voleurs de banques et de trains, soient extradés du Canada. En outre, comme il le souligna fièrement par la suite, il participa à la solution d’autres crimes (vols, enlèvements, actes de piraterie), aida à préciser le tracé de la frontière canado-américaine dans certaines parties de la rivière Saint-Clair en prévision du traité conclu à Washington en 1871, et contribua à l’organisation des mesures de sécurité prises en 1870 pour l’entourage du prince Arthur* et pour les délégués de la colonie de la Rivière-Rouge (Manitoba) qui vinrent à Ottawa négocier l’union avec le Canada [V. John Black*].

Dès octobre 1868, grâce à Le Caron et à d’autres agents, les autorités canadiennes connaissaient parfaitement l’organisation fénienne. McMicken apprenait rapidement, par Le Caron, tous les détails de la stratégie d’O’Neill ; ainsi, il sut que celui-ci avait l’intention de tenter une invasion le 15 avril 1870. Déconcerté par les préparatifs qui se déroulaient sans le moindre mystère sur la frontière canadienne, et certain qu’il y avait un traître parmi ses officiers, O’Neill dénonça un innocent et réorganisa ses troupes, qui étaient démoralisées et de moins en moins nombreuses. Le 25 mai, des volontaires canadiens et des officiers américains qui agissaient sur la foi de renseignements canadiens stoppèrent O’Neill, qui venait du Vermont avec seulement 200 féniens. L’efficacité du travail clandestin n’avait plus à être démontrée.

En septembre 1871, le plus gros de la menace fénienne étant passé, on envoya McMicken à Winnipeg, nouvelle capitale provinciale, pour y ouvrir une série de bureaux du gouvernement fédéral. Tout en demeurant commissaire de la Police du dominion, il allait exercer les fonctions d’agent du Bureau des terres de la Puissance et de sous-receveur général du Manitoba (celle-ci incluant les postes de vérificateur du dominion pour la province et de directeur de la Banque d’épargne du gouvernement au Manitoba). En outre, on le nomma agent d’immigration et membre de la commission de l’Intercolonial. Mais, avant de quitter l’Ontario, il apprit qu’O’Neill préparait une autre invasion, sous la pression de l’Irlandais William Bernard O’Donoghue*, qui avait participé au soulèvement de 1869–1870 avec Louis Riel*. Cette fois, O’Neill avait l’intention de monter vers la Rivière-Rouge et escomptait que les Métis, mécontents, l’aideraient. McMicken se fit accompagner par quelques agents de la Police du dominion. Par la suite, il donna un compte rendu très mélodramatique de son voyage au Manitoba : il était passé par St Paul, au Minnesota, et sous le couvert d’un déguisement il avait doublé, sur la route, le groupe d’O’Neill, qui se composait de 40 à 50 hommes.

O’Neill et ses compagnons furent capturés le 5 octobre 1871 par des soldats américains au poste de la Hudson’s Bay Company à Pembina (Dakota du Nord), et O’Donoghue fut reconduit aux États-Unis sous l’escorte de deux Métis. O’Neill n’avait eu que très peu d’appui de la part des Métis durant cette campagne. Dès lors, McMicken n’allait plus guère avoir d’activités policières. (Cependant, dix ans plus tard, après avoir reçu des rapports selon lesquels des forces féniennes et des réserves d’armes se concentraient à New York, à Buffalo, à Chicago et peut-être même en Colombie-Britannique, Macdonald allait lui demander de recourir de nouveau aux services de Le Caron.) En affectant McMicken au Manitoba, Macdonald avait placé un agent gouvernemental au cœur même d’une autre crise, conséquence de la résistance de 1869–1870 et de la création de la province du Manitoba : il s’agissait cette fois des Métis qui réclamaient la satisfaction de leurs revendications foncières.

McMicken aborda ses nouvelles fonctions avec la méfiance que les Ontariens éprouvaient envers Riel et ses partisans. On en voit même un signe dans sa manière d’envisager la menace des féniens. Pour empêcher ceux-ci de trouver quelque secours parmi les Métis, il avait recommandé le 2 octobre au lieutenant-gouverneur, Adams George Archibald, d’appeler aux armes tous les hommes bons pour le service afin de défendre le pays. Quand Riel et ses compagnons unirent par réagir favorablement à la proclamation, McMicken, tout comme les Canadiens qui avaient d’eux une opinion semblable, conclurent qu’ils agissaient par opportunisme parce qu’ils avaient été prévenus de l’échec d’O’Donoghue. Pourtant, Archibald et l’archevêque catholique Alexandre-Antonin Taché étaient tout à fait convaincus du contraire. En fait, semble-t-il, McMicken avait une autre mission au Manitoba : surveiller Archibald, au cas où sa sympathie pour les anciens colons de la Rivière-Rouge risquerait d’irriter les nouveaux colons canadiens, et par conséquent l’électorat ontarien.

Le plus urgent, au Manitoba, était de trancher le dilemme suivant. D’une part, l’Acte du Manitoba promettait de répartir 1,4 million d’acres de terres entre les Métis et les sang-mêlé anglophones ; d’autre part, les Canadiens anglophones qui arrivaient dans la nouvelle province s’attendaient à avoir accès sans difficulté aux meilleures terres. Archibald, avec l’appui de Taché et de sir George-Étienne Cartier*, recommandait de laisser aux Métis qui avaient droit à des terres la possibilité de choisir les cantons et les lots qu’ils préféraient. Macdonald, lui, craignait que les Ontariens ne s’élèvent contre cette solution parce que, à leurs yeux, elle priverait les Canadiens anglais des terres les plus fertiles. Quant aux recommandations que McMicken, impatient, faisait à titre d’agent du Bureau des terres de la Puissance, elles auraient provoqué d’autres réactions. D’abord, il réclamait (et il obtint) des renforts militaires parce qu’au Manitoba les troupes avaient été réduites. Ensuite, il conseillait de procéder à un nouveau recensement afin de diminuer le nombre de requérants et de permettre à chacun de ceux qui resteraient d’obtenir, par tirage au sort, un quart de lot dans l’un des 408 cantons de la province. Comme cette solution ne conviendrait pas aux Métis (conformément à leurs traditions, leur préférence allait à des lots rectangulaires et perpendiculaires à un cours d’eau, et ils voulaient être regroupés par blocs de cantons), ils recevraient plutôt un certificat de concession de terre qu’ils pourraient facilement vendre pour s’installer ailleurs, peut-être au delà de la frontière ouest du Manitoba.

Taché et d’autres s’élevèrent avec tant de vigueur contre cette proposition, qui revenait à déposséder les Métis de leurs droits traditionnels, que le gouvernement dut immédiatement temporiser. En avril 1872, un arrêté en conseil autorisa la sélection préliminaire des cantons qui iraient aux colons de longue date. Cependant, Archibald retarda la répartition des lots, ce qui plaça McMicken dans une situation embarrassante car tous les colons, anciens et nouveaux, exigeaient que la question soit réglée. Des conflits surgirent à court terme parce que des Canadiens revendiquaient des terres que les colons de longue date souhaitaient voir désigner sous le nom de cantons pour « sang-mêlé ». Il y eut aussi des conflits à long terme, car il s’avéra que de nouvelles revendications empiétaient sur des fourragères qui, selon les vieux colons, leur appartenaient parce qu’elles étaient situées derrière leurs lots riverains, et parce que d’autres attendaient toujours le règlement de revendications antérieures à la répartition des cantons.

L’embrouillamini qui en résulta embêta McMicken durant des années. En outre, on tenta de l’accuser de s’être mêlé indûment de transactions foncières auxquelles son fils et des amis étaient partie. Longtemps après son départ du Bureau des terres de la Puissance, à une assemblée tenue au cours de la campagne électorale fédérale de 1878 – où il appuya la candidature d’Alexander Morris* contre Donald Alexander Smith* – on lui rappela avec véhémence une série de griefs fonciers. Smith l’accusa même d’avoir revendiqué, par un intermédiaire, plusieurs lots réservés à des « sang-mêlé », et affirma que Morris avait fait la même chose directement.

McMicken quitta temporairement son poste d’agent du Bureau des terres de la Puissance à la fin de 1872 et définitivement après un bref retour en 1873. Il se remit alors à la spéculation foncière et redevint entrepreneur, comme il l’avait été des années auparavant dans la presqu’île du Niagara. Quand, à la fin de 1873, les libéraux remplacèrent le gouvernement conservateur de Macdonald, il cessa d’être agent d’immigration et commissaire de la Police du dominion. Il demeura sous-receveur général jusqu’à sa retraite, en janvier 1878, et fut inspecteur du pénitentier fédéral [V. Samuel Lawrence Bedson] de juillet 1874 à juillet 1877. C’étaient deux emplois à temps partiel, rémunérés en conséquence.

Presque tout de suite après avoir quitté le Bureau des terres de la Puissance, McMicken se lança à fond dans la campagne qui visait à faire ériger Winnipeg en municipalité. Les travaux publics rendus possibles par les emprunts municipaux, faisait-il valoir, accroîtraient la valeur des propriétés « plus qu’assez pour compenser les taxes [qu’il faudrait] instituer ». Il fit partie du comité de dix membres qui rédigea le projet de loi qui constituait la municipalité ; à l’adoption de la loi, à la fin de 1873, plusieurs émirent l’hypothèse qu’il serait candidat à la mairie, mais il ne se présenta pas. Il fit des pressions constantes pour qu’un chemin de fer passe par Winnipeg et quand, en 1879, le gouvernement de sir John Alexander Macdonald, revenu depuis peu au pouvoir, envisagea de faire passer le transcontinental plus au nord, par Selkirk, il fit une guerre énergique à ce projet qui menaçait l’avenir de Winnipeg [V. Alexander Logan].

Il semble que dans les années 1870 l’expérience et la compétence de McMicken furent mises à contribution de diverses manières. Ainsi, en novembre 1876, on le nomma au Conseil de Keewatin, organisme temporaire créé pour contenir une épidémie de variole qui s’était déclarée parmi les Indiens et les colons islandais à Gimli. Il fut aussi membre du comité qui prépara la visite du gouverneur général, lord Dufferin [Blackwood*], au Manitoba et dans la ville de Winnipeg en août 1877. Grâce à des tactiques qui en disent long sur les coutumes de l’époque et sur sa propre façon de voir la politique, il fut élu à l’Assemblée législative du Manitoba en décembre 1879 par une majorité confortable. Le Winnipeg Daily Times, conservateur, annonça les éléments importants de sa stratégie avant le scrutin et rendit compte de son succès par la suite : afin d’amener voter ses partisans dans la circonscription éloignée de Cartier, où il se présentait, il en fit cueillir plus de la moitié à son « bureau d’omnibus de chemin de fer » à Winnipeg, et « d’autres s’y [rendirent] par des moyens de transport privés ». Son expérience législative et sa loyauté à son parti en faisaient un bon candidat à la présidence de la chambre, qu’il occupa du 21 janvier 1880 à décembre 1882. Il ne brigua pas les suffrages en 1883, mais apparemment, en 1888, il tenta résolument d’endiguer la montée des libéraux [V. Thomas Greenway*], sans succès toutefois.

La North-West Omnibus and Transfer Company, dont McMicken s’était servi durant la campagne électorale de 1879, n’était que l’une des nombreuses entreprises éphémères qu’il lança lui-même ou proposa de fonder à Winnipeg dans les années 1870 et la décennie qui suivit. La rente de retraite qu’il commença à recevoir du gouvernement en 1878 lui paraissant insuffisante, il demanda plusieurs fois, de 1880 à 1890, une augmentation, une rétroactivité de salaire et des rajustements de frais, mais en vain. Pour arrondir son revenu, il se remit aux assurances et aux prêts ; par exemple, il fut agent au Manitoba et dans les Territoires du Nord-Ouest de la Commercial Union Assurance Company de Londres.

Durant tout le temps où il vécut à Winnipeg, Gilbert McMicken fut un citoyen bien en vue. Invité de marque au dîner de fin d’année donné par le premier maire, Francis Evans Cornish*, en novembre 1874, il fut aussi l’un des premiers membres de la Chambre de commerce de Winnipeg et conseiller presbytéral de la congrégation presbytérienne Knox. Il siégea au conseil de l’université de Manitoba peu après sa fondation, accéda à un rang élevé dans la Northern Light Masonic Lodge et participa aux réunions de la Société historique et scientifique de Manitoba, où sa version du raid tenté par les féniens contre la province souleva une certaine controverse. Tout cela fait ressortir la composante essentielle de sa carrière, à savoir la constance avec laquelle il s’engagea dans son milieu. À la fin comme au début, McMicken se consacra au développement d’une communauté de la frange pionnière et, durant une décennie, il lui arriva de jouer un rôle dans deux affaires d’intérêt national.

Carl Betke

Les historiens Dale et Lee Gibson préparent actuellement une monographie sur Gilbert McMicken. Ils ont présenté une communication devant la Canadian Hist. in Law Conference à la Carlton Univ., Ottawa, en 1987, intitulée « Who was Gilbert McMicken, and why should legal historians care ? » qui est basée sur leurs recherches préliminaires et qui contient de nombreuses références détaillées. De plus courtes esquisses biographiques ont été publiées dans Canadian album (Cochrane et Hopkins), 3 ; Cyclopœdia of Canadian biog. (Rose et Charlesworth) ; et J. P. Robertson, A political manual of the province of Manitoba and the North-West Territories (Winnipeg, 1887).

Le milieu politique et économique de la région de Niagara ainsi que les activités de McMicken avant 1864 sont décrits dans : R. C. Bond, Peninsula village : the story of Chippawa ([Chippawa (Niagara Falls), Ontario, 1967]) ; Cornell, Alignment of political groups ; J. A. Haxby et R. J. Graham, « The history and notes of the Zimmerman Bank », Canadian Paper Money Journal (Toronto), 13 (1977) : 81–97 ; The history of the county of Welland, Ontario [...] ([Welland], 1889 ; réimpr. avec introd. de John Burtniak, Belleville, Ontario, 1972) ; J. K. Johnson, « One bold operator » : Samuel Zimmerman, Niagara entrepreneur, 1843–1857 », OH, 74 (1982) : 26–44 ; Niagara Falls, Canada : a history of the city and the world famous beauty spot ; an anthology (Niagara Falls, 1967) ; A. J. Rennie, Township of Niagara ([Virgil (Niagara-on-the-Lake), Ontario, 1968]) ; et B. G. Wilson, The enterprises of Robert Hamilton : a study of wealth and influence in early Upper Canada, 1776–1812 (Ottawa, 1983). Le Niagara Chronicle (Niagara [Niagara-on-the-Lake]), 19 sept. 1839, et quelques numéros du Niagara Mail, dans les années 1850–1851, 1853–1858, fournissent également des renseignements sur ce sujet.

Pour des renseignements généraux sur les féniens ainsi que des détails spécifiques à McMicken, voir : Creighton, Macdonald, young politician ; William D’Arcy, The Fenian movement in the United States : 1858–1886 (New York, 1971) ; Brian Jenkins, Fenians and Anglo-American relations during reconstruction (Ithaca, N.Y., [1969]) ; Leon Ó Broin, Fenian fever : an Anglo-American dilemma (Londres, 1971) ; Hereward Senior, The Fenians and Canada (Toronto, 1978) ; C. P. Stacey, « A Fenian interlude : the story of Michael Murphy », CHR, 15 (1934) : 133–154 ; P. M. Toner, « The rise of Irish nationalism in Canada, 1858–1884 » (thèse de ph.d., National Univ. of Ireland, Dublin, 1974) ; et R. W. Winks, Canada and the United States : the Civil War years (Baltimore, Md., 1960).

Outre les ouvrages déjà mentionnés, on trouve de l’information sur le rôle de McMicken dans le service secret dans : J. A. Cole, Prince of spies : Henri Le Caron (Londres et Boston, 1984) ; W. A. Crockett, « The uses and abuses of the secret service fund : the political dimension of police work in Canada, 1864–1877 » (thèse de m.a., Queen’s Univ., Kingston, Ontario, 1982) ; C. P. Stacey, « Cloak and dagger in the sixties » (CBC Radio script, 1954) ; et dans les sources telles que les documents de la Dominion Police (AN, RG 18, B6, 3315) ; le rapport du comité spécial permanent des comptes publics dans Canada, chambre des Communes, Journaux, 1877, app. 2 ; et Henri Le Caron [T. B. Beach], Twenty-five years in the secret service : the recollections of a spy (Londres, 1982). Les papiers Macdonald, AN, MG 26, A, 13 ; 60 ; 61A ; 234–237 ; 241–242 ; 244–246 ; 248 ; 506–509 ; 516, s’avèrent une source très riche mais qui peut porter à confusion. On peut trouver une évaluation légèrement différente du rôle que joua McMicken dans Jeff Keshen, « Cloak and dagger : Canada West’s secret police, 1864–1867 », OH, 79 (1987) : 353–381.

Les événements qui amenèrent McMicken au Manitoba sont décrits par J. P. Pritchett, dans « The origin of the so-called Fenian raid on Manitoba in 1871 », CHR, 10 (1929) : 23–42, et par McMicken lui-même dans une communication intitulée « The abortive Fenian raid on Manitoba : account by one who knew its secret history », Manitoba, Hist. and Scientific Soc., Trans. (Winnipeg), n° 32 (1887–1888) : 1–11. Cette communication très controversée provoqua une vive réplique de la part d’Alexandre-Antonin Taché, intitulée Fenian raid : an open letter from Archbishop Taché to the Hon. Gilbert McMicken (s.l., 1888).

Parmi les autres écrits qui traitent de la carrière de McMicken au Manitoba, citons : Begg et Nursey, Ten years in Winnipeg ; D. N. Sprague, Canada and the Métis, 1869–1885 (Waterloo, Ontario, 1988; le Daily Free Press (Winnipeg), 1877–1878 ; le Manitoba Weekly Free Press (Winnipeg), 1873, 1877–1878 ; et le Winnipeg Daily Times, 1879.  [c. b.]

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Carl Betke, « McMICKEN, GILBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mcmicken_gilbert_12F.html.

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Auteur de l'article:    Carl Betke
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1990
Année de la révision:    1990
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