McCREA, FRANCIS (Francis Nelson), commerçant de bois, manufacturier et homme politique, né le 14 janvier 1852 dans le canton de Durham, Bas-Canada, fils de Francis McCrea, fermier, et d’Eliza Nelson ; il épousa Elizabeth Church (décédée en 1876) puis, en secondes noces, le 11 novembre 1882 à South Durham (Durham-Sud, Québec), Judith Fanny Ella Wakefield, et de ce mariage naquirent dix enfants ; décédé le 30 octobre 1926 à Sherbrooke, Québec.

Issu de parents irlandais qui exploitaient une très modeste ferme dans les Cantons-de-l’Est, Francis McCrea grandit à cet endroit au sein d’une famille nombreuse ; il n’aurait reçu qu’une instruction sommaire. C’est comme ouvrier et employé des entreprises forestières de Charles Church, de South Durham, que débute pour lui, vers le milieu des années 1870, une longue et fructueuse carrière de self-made-man. Cette période est toutefois marquée par les décès successifs, en 1876, d’un premier enfant et de sa jeune épouse, nièce de Charles Church. En 1881, l’année qui précède son remariage, McCrea, alors âgé de 29 ans, est recensé comme commerçant et il cohabite avec un menuisier et sa femme à South Durham. On le retrouve peu après à titre de fournisseur de bois et de combustible pour la Canada Paper Company de Windsor Mills (Windsor). Inscrit comme négociant dans le recensement de 1891 de South Durham, McCrea fait déjà montre d’une certaine aisance puisque deux serviteurs vivent auprès du second ménage McCrea, qui compte alors trois jeunes enfants. Quinze personnes travaillent au même moment pour lui. En 1901, McCrea s’installe à Sherbrooke, centre régional important, et se range rapidement parmi les citoyens les plus prospères de l’endroit, ainsi qu’en témoigne la construction d’une somptueuse résidence dans le quartier nord de la ville peu avant 1909. Avec des associés, il achète ou met sur pied des entreprises forestières, comme la Lotbiniere Lumber Company et la Sherbrooke Lumber Company, qui obtient ses lettres patentes en 1903. C’est toutefois son arrivée à la Brompton Pulp and Paper Company, probablement en 1907, qui lui permet de se hisser parmi les chefs de file de la moyenne bourgeoisie des Cantons-de-l’Est.

La Brompton Pulp and Paper, lancée en partie à l’aide de capitaux américains, est alors en train de devenir une composante très importante de l’économie régionale avec ses usines de Bromptonville et d’East Angus, son contrôle des ressources hydrauliques attachées à la rivière Saint-François et sa mainmise sur de vastes réserves forestières. McCrea en sera président jusqu’à son décès en 1926. La Brompton Pulp and Paper produit en 1920 de la pâte, du papier journal, du papier kraft et du carton. L’usine de Bromptonville était le troisième producteur de pâte au Canada en 1910 et celle d’East Angus, premier endroit où l’on a produit de la pâte au sulfate et du papier kraft au Canada, figure au troisième rang pour la production de papier en 1920 au Québec. L’intérêt du succès de l’entreprise réside dans le fait que des entrepreneurs régionaux, associés il est vrai à des hommes d’affaires des États-Unis, en misant sur l’exploitation des ressources forestières, ont su résister aux pressions du capitalisme de monopole (montréalais notamment) durant les premières décennies du xxe siècle. D’autres entreprises considérables, développées à l’origine essentiellement par des élites locales (la Compagnie manufacturière Paton de Sherbrooke, la Banque des Townships de l’Est), y avaient succombé ou y succombaient au même moment. La Brompton Pulp and Paper, très prospère à l’époque de la Première Guerre mondiale, se trouvera cependant en difficulté à la fin des années 1920, fort probablement en raison de la guerre des prix dans l’industrie du papier et de l’apparition d’usines d’une capacité de production supérieure. Elle fusionnera avec d’autres entreprises en 1930 pour former la St Lawrence Corporation.

À l’instar des autres membres de l’élite de son temps, McCrea se signale par la multiplicité de ses implications. Outre sa présence simultanée dans plusieurs entreprises (il cumule cinq postes de président et deux vice-présidences d’entreprises en 1917), il mène une vie politique active. Maire de South Durham durant une dizaine d’années à la fin du xixe siècle, il est candidat dans Drummond, sous la bannière conservatrice, aux élections provinciales de 1900, mais il subit la défaite. Finalement, c’est comme libéral qu’il représente Sherbrooke au fédéral durant près de 14 ans en remportant successivement les élections de 1911, 1917 et 1921. Si son rôle politique sur la scène canadienne s’avère somme toute mineur, ses interventions en Chambre fournissent par contre quantité de renseignements sur ses préoccupations et sa pensée. Entrepreneur parti de rien, McCrea se montre un farouche partisan du libéralisme économique. Il prend appui sur sa propre expérience, comme en témoigne cette déclaration de 1922 : « lorsque j’ai quitté la ferme de mon père, c’était pour travailler ; j’étais sans amis, sans argent, je n’avais rien qui pût me recommander au monde. Si j’ai quelque peu réussi, c’est que j’ai mis en pratique ce que je prêche aux autres ; c’est à force d’économie et d’industrie, parce que j’ai eu soin de mon argent, ne dépensant pas plus que je ne gagnais. » Le travail constitue à ses yeux le remède tout-puissant à une « situation difficile ». C’est sans doute pour cette raison qu’il se montre sévère à l’endroit des chômeurs en 1922 : « Je suis informé qu’il y a 250 000 chômeurs [… qu’est ] ce que ces gens attendent ? Est-ce du travail qu’ils désirent, ou bien « une position » ? » Dans le même esprit, il proteste contre l’évolution des conditions de travail, plus particulièrement contre la réduction des horaires et l’augmentation du coût de la main-d’œuvre. Enfin, en tant que fabricant de papier bien au fait de ses intérêts, il s’élève en Chambre durant le premier conflit mondial contre la réglementation du prix du papier journal (en deçà de son coût de production selon lui) et il dénonce à maintes reprises les tarifs en vigueur dans les transports ferroviaires (tarifs excessifs à son avis).

Député d’une circonscription dont le cœur, la ville de Sherbrooke, compte une importante majorité de francophones, McCrea vient à la défense des Canadiens français lors de la crise de la conscription de 1917 [V. sir Robert Laird Borden*], fustigeant en Chambre l’attitude de l’Ontario : « La guerre était à peine commencée que la province d’Ontario leur jetait l’insulte en les appelant des embusqués et en leur reprochant de ne pas s’enrôler […] Je crois que si l’Ontario avait consacré un peu de temps à essayer de rendre justice à la minorité d’Ontario en lui laissant le droit d’instruire ses enfants dans sa propre langue […] elle aurait fait beaucoup plus pour le succès du recrutement. » La fin de son séjour sur la scène fédérale est toutefois marquée par une divergence de vues avec son parti, alors au pouvoir, notamment au sujet du tarif douanier, car il est protectionniste. McCrea vote à plusieurs reprises contre le gouvernement, ce qui le conduit à se porter candidat indépendant aux élections de 1925. Il se retire cependant de la course avant le jour du scrutin et meurt l’année suivante.

Francis McCrea figure parmi les derniers représentants illustres d’une moyenne bourgeoisie d’origine locale et de langue anglaise des Cantons-de-l’Est, influente par son cumul de postes politiques et économiques d’envergure. Il a occupé une position stratégique durant un grand nombre d’années et, chose remarquable, jusqu’au milieu de la décennie 1920, alors que l’affirmation du capitalisme de monopole faisait en sorte que les atouts économiques des Cantons-de-l’Est étaient de plus en plus mis en valeur par des capitaux d’origine extra-régionale.

Thierry Nootens

ANQ-MBF, CE402-S74, 14 mars 1852 ; CE403-S22, 31 août 1876, 11 nov. 1882.— BAC, MG 26, I, 91, 134 ; RG 31, C1, 1851, 1861, 1871, 1881, 1891, Durham et South Durham, Québec.— Soc. d’hist. de Sherbrooke, Québec, IP 464 (fonds de la famille McCrea).— Ville de Sherbrooke, Div. du greffe, Rôles d’évaluation, Sherbrooke, 1905, 1911.— Sherbrooke Daily Record, 23 mars 1911, 27 oct. 1925, 30 oct. 1926.— La Tribune (Sherbrooke), 15 mai 1930.— « Attractive residence at Sherbrooke, Que. », Contract Record (Toronto), 23 (1909), no 19 : 57–60.— Canada, Chambre des communes, Débats, 1911–1925.— « Death of Frank N. McCrea », Canada Lumberman (Toronto), 46 (1926), no 22 : 46.— J.-P. Kesteman et al., Histoire des Cantons de l’Est (Sainte-Foy, Québec, 1998).— Men of today in the Eastern Townships, introd. de V. E. Morrill, E. G. Pierce, compil.. (Sherbrooke, 1917), 219s.— Thierry Nootens, « Men of today in the Eastern Townships 1917 : les notables sherbrookois à la fin de la Première Guerre mondiale », Rev. d’études des Cantons de l’Est (Lennoxville, Québec), no 11 (automne 1997) : 85–111.— Gilles Piédalue, « les Groupes financiers et la Guerre du papier au Canada, 1920–1930 », RHAF, 30 (1976–1977) : 223–258.— Ronald Rudin, « The transformation of the Eastern Townships of Richard William Heneker, 1855–1902 », Rev. d’études canadiennes (Peterborough, Ontario), 19 (1984–1985), no 3 : 32–49.— The storied province of Quebec ; past and present, W. [C. H.] Wood et al., édit. (5 vol., Toronto, 1931–1932), 5 : 572s.

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Thierry Nootens, « McCREA, FRANCIS (Francis Nelson) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mccrea_francis_15F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
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