MATHISON, ROBERT, journaliste, fonctionnaire, éducateur auprès des sourds et administrateur d’une fraternité, né le 9 juin 1843 à Kingston, Haut-Canada, fils de George Mathison et d’Anne Miller ; avant 1863, il épousa Isabella Christie (décédée en 1923), de Hamilton, Haut-Canada, et ils eurent deux filles et deux fils ; décédé le 30 juillet 1924 à Toronto.
D’ascendance irlando-écossaise, Robert Mathison fit ses études à Woodstock et à Brantford. Il travailla comme reporter au Times de Hamilton ; en 1871, il était corédacteur et copropriétaire du Brantford Weekly Expositor et secrétaire-trésorier de la Canadian Press Association. Il entra ensuite dans la fonction publique ontarienne : nommé en 1872 économe de l’Asylum for the Insane de London, il devint en 1878 responsable des ateliers industriels et économe à la Central Prison de Toronto.
En septembre 1879, Mathison succéda au docteur Wesley Jones Palmer à la surintendance de l’Ontario Institution for the Education and Instruction of the Deaf and Dumb à Belleville. Premier d’une série de fonctionnaires nommés à cet endroit pour des raisons politiques, il n’était pas un spécialiste de l’éducation des sourds. Toutefois, selon le rapport officiel produit par l’école en 1880, le gouvernement avait estimé que « la diversité de ses connaissances et de son expérience en administration d’établissements publics […] de même que sa compétence reconnue en gestion le rendaient éminemment apte à occuper la fonction de chef de la direction ». Inaugurée en 1870, l’école de Belleville, qui relevait du bureau de John Woodburn Langmuir*, inspecteur provincial des prisons, asiles et établissements publics de charité, avait pour mission de « donner une formation générale [aux sourds] et de leur enseigner un métier ou un art manuel ». Une nécrologie rapporte que, au moment de l’arrivée de Mathison, l’école était « mal aménagée, désorganisée et classée avec les établissements pénitentiaires et les asiles d’aliénés ». On n’avait encore jamais tenté de classer les élèves et il n’y avait pas de programme d’études. Une des premières tâches de Mathison consista à évaluer les élèves et à instaurer des cours et des horaires.
Mathison dirigea l’école durant 27 ans. Quelles qu’aient été ses lacunes en 1879, il se consacra à l’étude des méthodes d’éducation des sourds. Il visita des établissements du même genre à l’étranger et fut vice-président de l’Association of American Instructors for the Deaf. Sa fille Annie collabora avec lui en enseignant l’articulation à Belleville. Il serait particulièrement fier que, en 1905, l’école passe sous l’autorité du département de l’Éducation. Les personnes atteintes de surdité avaient insisté auprès de lui pour qu’il réclame ce changement, car en raison du regroupement, sous une même instance, des établissements qui leur étaient destinés avec les prisons et les asiles d’aliénés, elles étaient « stigmatisées » et, « dans l’esprit de la population, [associées] aux criminels incorrigibles et aux déficients mentaux ». Mathison fit également pression pour la prolongation de la durée du programme d’études (de 7 à 10 ou 12 ans), l’imposition des coûts aux parents et la délivrance de diplômes. Dans le débat sur les causes de la surdité, il contestait la théorie d’Alexander Graham Bell, selon qui ce handicap était héréditaire.
Dans ses rapports annuels, Mathison traite surtout de deux questions connexes : la méthode pédagogique et le but de la formation des sourds. La méthode en vigueur au moment de sa nomination reposait sur l’usage des mains (langage gestuel et écriture) [V. Duncan Wendell McDermid*]. Ses rapports lui donnaient l’occasion d’explorer les possibilités de l’oralisme (parole, lecture labiale et écriture), préconisé par la communauté européenne, et celles de la méthode combinée (langage gestuel pour l’instruction, avec articulation pour les élèves qui manifestaient de l’aptitude), prônée par l’éducateur américain modéré Edward Miner Gallaudet. De toute évidence, à compter de 1892, Mathison et son établissement adhéraient à la méthode combinée et mettaient l’accent sur l’acquisition de bonnes manières, la morale et la formation technique. (Les oralistes, de leur côté, privilégiaient le travail scolaire et le développement intellectuel.) Selon Mathison, les écoles pour enfants atteints de surdité avaient comme principal objectif « de cultiver leur esprit, de leur enseigner les mêmes disciplines que les écoles publiques du pays ». En second lieu, elles devaient « leur apprendre […] des métiers qui pourraient leur servir après leur départ de l’école ». Ces occupations (enseignées avec plus ou moins de succès) étaient, pour les garçons, l’imprimerie, la cordonnerie, la menuiserie, la boulangerie et le métier de barbier, et, pour les filles, la confection de vêtements pour messieurs ou pour dames, la couture et les arts ménagers. En 1897, Mathison fut en mesure de dresser ce bilan de la situation des anciens élèves : « [beaucoup sont] prospères, d’autres dans une situation confortable, quelques-uns vivent aux crochets de leur famille et aucun n’est détenu en prison ».
Tout en dirigeant l’école de Belleville, Mathison œuvra pour l’ensemble des personnes souffrant de surdité. Il appuya la création de l’Ontario Deaf-Mute Association (1886), dont il fut nommé président honoraire, ainsi que la formation de divers organismes, tels le Brigden Literary Club, le Maple Leaf Reading and Debating Club et le Dorcas Sewing Club, pour la plupart à Toronto. En 1893, la Columbia Institution for the Instruction of the Deaf and Dumb, à Washington, reconnut son apport en lui décernant une maîtrise ès arts à titre honorifique.
Mathison quitta l’Ontario Institution en novembre 1906. Dans son dernier rapport, il notait s’être « dévoué tout entier » à son travail et éprouver une grande satisfaction à l’idée d’avoir « pu contribuer dans une certaine mesure à illuminer et à égayer un peu la vie de » ceux qu’il appelait « nos compagnons silencieux ». On ignore pourquoi il quitta l’école à ce moment précis. Deux évaluations négatives pourraient l’avoir incité à partir. En 1906, le spécialiste britannique James Kerr Love visita l’établissement et constata que l’on y pratiquait peu la méthode orale, le but de Mathison étant « de préparer ses enfants sourds à gagner leur vie dans un pays où le travail [était] abondant et la main-d’œuvre, rare ». Une autre enquête, gouvernementale celle-là, conclut que l’enseignement oral n’était pas approprié et recommanda de modifier radicalement la pédagogie. Cependant, le rapport d’enquête n’attribuait pas les lacunes de l’enseignement de l’articulation à la philosophie de Mathison, mais au fait qu’on ne lui avait donné ni « le soutien qu’il méritait », ni assez d’instituteurs, ni des locaux convenables. Son successeur, Charles Bernard Coughlin, était un partisan de la méthode orale, qui serait adoptée officiellement en 1912.
Après sa démission, Robert Mathison s’installa à Toronto avec sa famille. Il y devint trésorier, puis secrétaire de l’Independent Order of Foresters, dont il était membre depuis 1883. Il prit sa retraite en 1921. De confession baptiste, il appartenait à la société des Oddfellows, au National Club et au Royal Canadian Yacht Club. Il mourut à Toronto en 1924 d’une crise d’apoplexie. Peu avant son décès, l’Ontario Association of the Deaf avait dévoilé, à l’école de Belleville, un portrait de lui, peint à l’huile par John Wycliffe Lowes Forster*.
AO, RG 10-20-C-4-1 ; RG 22-305, nº 50452 ; RG 63-A-10, 836, file 6, J. W. Langmuir à Mathison, 4 oct. 1879 ; Mathison à Langmuir, 7 oct. 1879.— Univ. of Western Ontario Arch., J. J. Talman Regional Coll. (London, Ontario), R. M. Bucke coll., medical superintendent’s journal, 3 (1877–1884).— Globe, 8 oct. 1923, 13 juill. 1924.— London Advertiser, 15 mars 1878.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Canadian who’s who, 1910.— C. F. Carbin, Deaf heritage in Canada : a distinctive, diverse, and enduring culture, D. L. Smith, édit. (Toronto, 1996).— Ontario, Legislature, Sessional papers, (rapports de l’Ontario Institution for the Education of the Deaf and Dumb, Belleville, 1880–1907/1908 ; on trouve les rapports de 1880–1881 dans les rapports de l’inspecteur des prisons et organismes publics de bienfaisance).— Saturday Night, 27 août 1898.— M. A. Winzer, « Education, urbanization and the deaf community : a case study of Toronto, 1870–1900 », dans Deaf history unveiled : interpretations from the new scholarship, J. V. Van Cleve, édit. (Washington, 1993) ; « An examination of some selected factors that affected the education and socialization of the deaf of Ontario, 1870–1900 » (thèse de d.ed., Univ. of Toronto, 1981) ; The history of special education : from isolation to integration (Washington, 1993).
Nancy Kiefer, « MATHISON, ROBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/mathison_robert_15F.html.
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Auteur de l'article: | Nancy Kiefer |
Titre de l'article: | MATHISON, ROBERT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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