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MARTIN, CLARA BRETT, avocate et fonctionnaire, née le 25 janvier 1874 à Toronto, fille d’Abraham Martin et d’Elizabeth Brett ; décédée célibataire le 31 octobre 1923 dans cette ville.
Clara Brett Martin était la benjamine des 12 enfants d’un couple d’anglicans d’origine irlandaise qui furent fermiers dans le canton de Mono avant de s’installer à Toronto au début des années 1870. Chez eux, on accordait de la valeur aux études. Abraham Martin avait été surintendant cantonal de l’éducation ; au moins trois de ses enfants deviendraient enseignants. À une époque où moins de 1 % de la population canadienne allait au delà du cours secondaire, tous les enfants de cette famille passèrent quelque temps à l’université. Clara Brett entra au Trinity College de Toronto en 1888, à peine trois ans après que cet établissement eut cessé d’être réservé aux étudiants de sexe masculin. Les femmes qui voulaient entrer à l’université suscitaient alors beaucoup de controverses. D’après les médecins, faire des études supérieures leur affaiblirait le corps et l’esprit. À l’encontre de toutes les prédictions, la jeune Clara – dont on dirait plus tard qu’elle était séduisante, gracieuse et dotée de « précieux charmes féminins » – se spécialisa en mathématiques et obtint le 27 juin 1890, à l’âge de 16 ans, une licence ès arts avec mention très bien.
À la session de la Saint-Hilaire en 1891, Mlle Martin demanda à la Law Society of Upper Canada de l’admettre comme étudiante en droit. Un comité présidé par Samuel Hume Blake* rejeta sa requête en juin et lui conseilla de demander au législateur de préciser sa position sur l’accès des femmes à la profession juridique. En mars 1892, le député provincial d’Essex South, William Douglas Balfour*, présenta un projet de loi en faveur de l’admission des femmes à la pratique du droit. Le chef de l’opposition, William Ralph Meredith, se lança dans une violente riposte. La nature, souligna-t-il, dictait qu’un tel changement se révélerait « catastrophique pour les femmes », et il suggéra que celles qui suivaient la mode ne voudraient jamais porter la toge. Cependant, Clara Brett Martin trouva des appuis auprès de nombreuses personnalités, par exemple la docteure Emily Howard Stowe [Jennings*], une des chefs de file du mouvement des femmes, et Oliver Mowat*, premier ministre et procureur général de l’Ontario. Finalement, l’Assemblée parvint à un compromis. Le 13 avril 1892 fut décrétée une loi donnant à la Law Society la faculté de conférer ou non à des femmes le titre de solicitor, sans plus.
À contrecœur, les membres du conseil de la Law Society se réunirent cinq mois plus tard, délibérèrent sur le libellé de cette loi qui leur donnait beaucoup de latitude, puis se prononcèrent contre la demande présentée le 21 juin par Mlle Martin en invoquant le fait qu’il serait « malavisé » d’édicter des règles sur l’admission des femmes. Mowat comparut avant la convocation de la société le 9 décembre pour défendre la cause de Mlle Martin. À l’issue d’un débat houleux, la motion pour l’admission récolta un nombre égal de votes favorables et défavorables. Le président d’assemblée, Æmilius Irving*, trancha en faveur de la motion. Le Western Law Times of Canada réagit en déplorant qu’une seule voix ait décidé de l’accès des femmes à la pratique du droit. Voilà qui, écrivit ce périodique de Winnipeg, ne reflétait ni « les souhaits de la vaste majorité des membres de la profession », ni la volonté des conseillers de la Law Society telle qu’elle se serait exprimée « si seulement ils avaient été assez mâles pour se faire entendre ».
Clara Brett Martin entreprit son stage en juin 1893 dans un cabinet torontois, Mulock, Miller, Crowther, and Montgomery, mais l’attitude déplaisante des autres clercs et des secrétaires envers elle l’obligea à passer chez Blake, Lash, and Cassels. Suivre les cours à l’Osgoode Hall n’était pas facile non plus : les étudiants sifflaient au moment de son entrée en classe et certains maîtres de conférences cherchaient à l’humilier en insistant sur des questions liées à la sexualité. Malgré tout, Mlle Martin réussit ses examens haut la main. Elle obtiendrait un baccalauréat en droit du Trinity College en 1897 et une licence en droit de la University of Toronto en 1899.
Admissible au titre de solicitor en juin 1896, Clara Brett Martin choisit plutôt, tout en terminant son stage, de poursuivre sa bataille contre la Law Society en demandant d’être reçue à la fois comme barrister et solicitor. Cela nécessitait une autre loi, donc des pressions intensives. Lady Aberdeen [Marjoribanks*], la femme du gouverneur général, y participa, de même que les membres du National Council of Women of Canada et du Conseil international des femmes. En mars 1895, le député provincial de Brant North, William Bruce Wood, présenta un projet de loi autorisant la Law Society à admettre les femmes au barreau. Après de fougueux débats sur les dangers que des avocates plaidantes pourraient représenter pour les « foyers et la féminité en Ontario », l’Assemblée adopta la loi, qui reçut la sanction royale le 16 avril. La Law Society continua de se traîner les pieds, d’abord en exerçant le pouvoir discrétionnaire qui l’autorisait à rejeter la candidature de Mlle Martin au titre de barrister, puis en confiant l’étude de la question à un comité. Au bout du compte, les membres du conseil de la Law Society cédèrent aux instances de Mowat et à une campagne d’opinion savamment orchestrée. Le 2 février 1897, à l’âge de 23 ans, Clara Brett Martin reçut le titre de solicitor et fut admise au barreau. Elle était la première femme de l’Empire britannique à obtenir un tel statut.
Employée par un cabinet torontois, la Shilton, Wallbridge and Company, Clara Brett Martin en devint associée en 1901 et le quitta en 1906 pour ouvrir son propre cabinet. Elle s’occupait surtout de successions, d’immobilier et de droit familial. La profession à laquelle elle avait adhéré était carrément antisémite, et elle-même éprouvait une forte hostilité envers les Juifs. En 1915, dans l’une des rares lettres qui subsistent de ses archives professionnelles, elle écrivait à Edward Bayly*, solicitor auprès du cabinet du procureur général, que certains agents d’immeubles juifs transféraient incorrectement des titres de propriété et trompaient certains de ses clients à elle au sujet des réclamations en instance. Elle demandait que la loi sur l’enregistrement des actes soit modifiée afin d’empêcher des « étrangers » juifs de faire « un travail aussi scandaleux ».
Souvent invitée à prononcer des conférences devant des organisations féminines, Mlle Martin engagea un certain nombre de femmes comme stagiaires. Elle milita en faveur du suffrage féminin et de la création d’un tribunal pour femmes au tribunal de police correctionnelle de Toronto. Dans un article rédigé en 1900 pour le National Council of Women, elle dénonça l’inégalité du traitement réservé aux deux sexes par la justice, en particulier les restrictions à la capacité juridique des femmes mariées et la primauté des droits paternels dans les affaires de garde d’enfants. Toutefois, la cause des femmes et le droit n’étaient pas ses seuls centres d’intérêt. Dans les années 1890 – elle habitait alors avenue Homewood avec sa mère et son frère Robert Thomas, directeur d’école –, elle s’était mise à œuvrer pour l’éducation, conformément à la tradition familiale. À titre de membre du Toronto Collegiate Institute Board de 1896 à 1899 et du Public School Board de 1901 à 1910, elle se fit remarquer par ses prises de position avancées en faveur de l’égalité des droits intellectuels pour les femmes. En 1920, elle se porta candidate à un poste d’échevin dans le quartier no 2 de Toronto, mais elle fut battue de justesse.
Clara Brett Martin mourut d’une crise cardiaque à l’âge de 49 ans dans sa maison de la rue Roxborough East et fut inhumée au cimetière St James. Elle avait légué ses biens à sa sœur Fanny, célibataire. La disparition de cette pionnière qui avait tant fait pour que les femmes aient accès à une carrière professionnelle donna lieu à de longs hommages dans la presse torontoise.
Les renseignements familiaux concernant Clara Brett Martin nous ont été communiqués dans une lettre datée du 9 août 1984 par Betty L. Hall, de Lockport, N. Y., petite-nièce du sujet. L’antisémitisme de Clara Brett Martin est analysé dans une série d’articles parus dans la Rev. juridique la femme et le droit (Ottawa), 5 (1992) : 263–356.
Les publications de Clara Brett Martin comprennent : « Legal status of women in the provinces of the Dominion of Canada (except the province of Quebec) », dans National Council of Women of Canada, Women of Canada : their life and work ; compiled [...] for distribution at the Paris International Exhibition, 1900 (s. l., [1900 ?] ; réimpr., [Ottawa], 1975), 34–40, et « Women in law », (coupure de journal non datée tirée de l’Illustrated Buffalo Herald (Buffalo, N. Y.) et conservée dans le dossier du sujet aux archives de la Women’s Law Assoc. of Ontario, Toronto).
AO, RG 80-8-0-912, nº 6854.— Toronto Board of Education, Records, Arch., and Museum, Toronto Collegiate Institute Board, minutes, 1896–1898 ; Toronto Public School Board, minutes, 1901–1910.— Evening Telegram (Toronto), 31 oct., 1er nov. 1923.— Globe, 18 févr. 1910, 1er–2 nov. 1923.— Toronto Daily Star, 24 avril 1914, 1er nov. 1923.— Alexandra Anderson, « The first woman lawyer in Canada : Clara Brett Martin », les Cahiers de la femme ([Toronto]), 2 (1980), nº 4 : 9–11.— Annuaire, Toronto, 1888–1923.— Constance Backhouse, Petticoats and prejudice : women and law in nineteenth-century Canada ([Toronto], 1991), 293–326 ; « “To open the way for others of my sex” : Clara Brett Martin’s career as Canada’s first woman lawyer », Rev. juridique la femme et le droit, 1 (1985–1986) : 1–41.— Isabel Bassett, The parlour rebellion : profiles in the struggle for women’s rights (Toronto, 1975).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— « Laws affecting women in Ontario », Canadian White Ribbon Tidings (Toronto), 1er août 1912 : 2258.— Theresa Roth, « Clara Brett Martin – Canada’s pioneer woman lawyer », Barreau du Haut-Canada, Gazette (Toronto), 18 (1984) : 323–340.— H. R. S. Ryan, « A pilgrim’s progress » (transcription, s.d. ; copie aux Queen’s Univ. Arch., Kingston, Ontario).— Types of Canadian women [...], H. J. Morgan, édit. (Toronto, 1903).
Constance Backhouse, « MARTIN, CLARA BRETT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/martin_clara_brett_15F.html.
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Auteur de l'article: | Constance Backhouse |
Titre de l'article: | MARTIN, CLARA BRETT |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |