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MARJORIBANKS, ISHBEL MARIA (Hamilton-Gordon (Gordon), comtesse d’ABERDEEN et marquise d’ABERDEEN et TEMAIR), épouse d’un gouverneur général, féministe, réformatrice sociale et auteure, née le 14 mars 1857 à Londres, fille de Dudley Coutts Marjoribanks et d’Isabel (Isabella) Hogg ; le 7 novembre 1877, elle épousa au même endroit John Campbell Hamilton-Gordon, 7e comte d’Aberdeen, et ils eurent trois fils et deux filles, dont l’une mourut en bas âge ; décédée le 18 avril 1939 à Aberdeen, Écosse, et inhumée dans le cimetière familial de la Haddo House, Aberdeenshire, Écosse.

Ishbel Maria Marjoribanks tient une place importante parmi ces « nouvelles femmes » vice-royales – que l’historienne Amanda Andrews appellerait les « grandes figurantes » qui affirmèrent un rôle de leadership dans des bonnes œuvres partout dans l’Empire britannique. Les Hogg et les Marjoribanks, familles ambitieuses en pleine ascension sociale qui avaient fait fortune en Inde, ainsi que dans les secteurs bancaire et brassicole, orientaient leurs fils et leurs filles vers des mariages avec des membres de l’élite conservatrice et libérale de Grande-Bretagne. Son père lui ayant interdit de fréquenter le Girton College de Cambridge, un des premiers établissements à offrir des formations universitaires aux femmes, la talentueuse Ishbel Maria étudia à la maison le français, l’allemand, la musique, le dessin et la peinture. On la présenta à la cour peu avant son dix-huitième anniversaire. Les traditions familiales furent toujours importantes pour Ishbel Maria ; elle dépassa cependant les attentes en embrassant le protestantisme évangélique de sa mère, de son oncle, le philanthrope Quintin Hogg, et de l’homme politique ami de la famille William Ewart Gladstone. Adolescente, elle enseignait à l’école du dimanche à des garçons de la classe ouvrière dans l’East End de Londres et à des enfants des locataires de Guisachan, domaine dans les Highlands que son père avait acheté au milieu des années 1850. On reconnut tôt ses aptitudes intellectuelles et son sens de l’organisation ; toutefois, Ishbel Maria était souvent hésitante et nerveuse. Son apparence (surtout sa taille) et son manque de véritable formation universitaire (auquel elle tenta de remédier en lisant beaucoup) la préoccupaient tout particulièrement. Sa sensibilité alimenterait la compassion envers les malheureux qu’elle conserverait toute sa vie et modérerait son besoin compulsif de tout diriger. Heureusement, son tempérament joyeux, sa cordialité et son grand dynamisme lui attirèrent admiration et affection, ce qui l’aida à survivre à la misogynie, dont les femmes talentueuses étaient fréquemment la cible.

Le penchant philanthropique d’Ishbel Maria s’ajoutait à ses charmes, auxquels le comte d’Aberdeen, tout aussi évangélique, succomba après trois années de cour intermittente. Leur mariage eut lieu en l’église St George, au square Hanover, sous la présidence d’un ami des deux familles, l’archevêque de Canterbury. Sous l’influence de Henry Drummond, le charismatique théologien écossais qui réconcilia évolution et christianisme dans une doctrine d’altruisme social, le protestantisme étroit du couple deviendrait plus libéral dans les années 1880. Leur union se révéla pleine d’amour et représenterait un idéal féministe d’activisme progressiste et de camaraderie. Durant leur lune de miel en Égypte, les Aberdeen distribuèrent des fournitures médicales, libérèrent des enfants soudanais de l’esclavage et un jeune converti chrétien de l’emprise de sa famille musulmane.

Au domaine Haddo, dans le nord-est de l’Écosse, la jeune comtesse Aberdeen assura la descendance familiale en donnant naissance à cinq enfants entre 1879 et 1884. Elle découvrit aussi les plaisirs coûteux de la rénovation (la Haddo House deviendrait un des trésors du National Trust for Scotland), et les besoins des travailleurs ruraux et domestiques. Avec le soutien de son mari, elle poursuivit le développement des programmes philanthropiques concrets mis sur pied par sa belle-mère. La relation respectueuse qu’elle entretenait avec les classes inférieures se forma au Haddo House Club, créé pour le personnel domestique, et à la Haddo House Young Women’s Improvement Association, destinée au départ aux jeunes employées domestiques du district. Celle-ci prit de l’ampleur en devenant la Onward and Upward Association, dont le rayon d’action s’étendit dans toute l’Écosse et au delà. Ces organisations (qui changèrent plusieurs fois de nom au cours des années) avaient pour objectif de réunir les femmes de classe ouvrière et leurs maîtresses au sein de programmes éducatifs et récréatifs. La revue féminine de lady Aberdeen, Onward and Upward, publiée à Aberdeen et à Londres de 1890 à 1920, et son supplément pour les enfants intitulé Wee Willie Winkie (que sa fille, Marjorie Adeline, dirigea symboliquement) diffusaient un message de progrès social, de renouveau spirituel, de stabilité sociale et de partenariat. Les repas pour les élèves et les services de santé pour les locataires du domaine tendaient aux mêmes fins.

Lady Aberdeen s’activait aussi au sein de l’Aberdeen Ladies’ Union, dont elle devint la première présidente en 1883. L’organisme visait l’amélioration du bien-être des femmes de la région qui travaillaient dans des manufactures, des conserveries de poisson, des maisons privées et des hôtels. Il aidait également celles qui désiraient émigrer, particulièrement au Canada. Durant la même décennie, la comtesse devint présidente de l’Edinburgh Association for the University Education of Women, qui se consacrait à former des citoyennes responsables. À Londres, où le couple résidait durant les sessions parlementaires, lady Aberdeen usa de son influence pour encourager, dans les années 1880, la campagne victorieuse de la Women’s Trade Union Association, qui réclamait que les inspections dans les usines soient menées par des femmes, puis le travail pro-syndical de l’association qui lui succéda, le Women’s Industrial Council, dans sa tentative d’améliorer les conditions de travail des femmes exerçant des métiers dans l’industrie. En 1888, lady Aberdeen devint présidente de la Society to Promote the Return of Women as County Councillors (plus tard la Women’s Local Governement Society), qui soutenait les candidates aux élections municipales. Dans ces activités, elle resterait une féministe maternelle, qui rejetait toute idée de guerre entre les sexes : les femmes à l’esprit maternel travaillaient main dans la main avec des hommes responsables tels que son mari. Grâce à son activisme dans les années 1880, elle acquit une expérience cruciale des discours publics et de l’organisation efficace. Cependant, même si elle excella rapidement dans ces domaines et même si on la citait régulièrement comme un exemple du potentiel des femmes, elle se fit également des ennemis, particulièrement parmi celles qui attendaient avec impatience la reconnaissance concrète des droits des femmes. Elle se sentait par conséquent souvent intimidée et épuisée sur le plan émotionnel.

Fervente admiratrice de Gladstone, lady Aberdeen encouragea son mari à passer du Parti conservateur au Parti libéral avant 1880. Son œcuménisme se confirma pendant le mandat de son mari à titre de haut-commissaire à l’assemblée générale de l’Église d’Écosse, de 1881 à 1885. Le couple tenta alors de réconcilier les dirigeants de l’Église établie et de l’Église libre. La nomination de lord Aberdeen au poste de lord-lieutenant (vice-roi) d’Irlande, en 1886, marqua le début d’une longue passion. Après quelques hésitations, lady Aberdeen s’investit à fond dans son nouveau rôle et adopta une vision romantique de ce qu’elle considérait comme fondamentalement celtique. En utilisant des textiles de fabrication irlandaise pour s’habiller et vêtir ses enfants, elle soutenait les industries locales.

La même année, la défaite des libéraux mit fin au mandat vice-royal de lord Aberdeen et le mena à entreprendre avec sa femme, en 1886 et 1887, un voyage autour du monde qui inspira à lady Aberdeen le rêve d’un empire réformé, dans lequel des élites progressistes travailleraient à l’avancement de la paix sociale. Elle retourna ensuite à ses nombreuses activités en Grande-Bretagne, tout en militant pour améliorer la condition des femmes et des enfants, et prononçant des allocutions devant de grandes assemblées à Aberdeen et à Birmingham. Toutefois, en octobre 1889, à la suite d’un évanouissement, son médecin lui ordonna de prendre du repos. L’année suivante, les Aberdeen partirent au Canada avec leurs enfants pour un long séjour. De passage à Montréal, ils dînèrent avec le constructeur de chemins de fer sir Donald Alexander Smith* et firent la connaissance du missionnaire oblat Albert Lacombe*, que lady Aberdeen sut charmer en conversant avec lui en français, à la surprise des autres invités. Après avoir passé quelque temps à la Highfield House, à Hamilton, en Ontario, et visité Toronto et Ottawa, le couple prit le train pour se rendre sur la côte Ouest. Au Manitoba, les Aberdeen rencontrèrent des immigrants du nord-est de l’Écosse qu’ils avaient aidés auparavant. En revenant vers l’est, ils s’arrêtèrent à Winnipeg, où la comtesse, en compagnie de femmes de l’endroit, fonda l’Aberdeen Association [V. Margaret Vallance*] pour fournir de la lecture aux pionniers isolés du Nord-Ouest. Pendant un autre voyage en Amérique du Nord, en 1891, les Aberdeen se rendirent dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, pour visiter le Guisachan Ranch, qu’ils avaient acheté l’année précédente et où l’on espérait que le frère de la comtesse, Coutts Marjoribanks, qui vivait toujours aux crochets de sa famille, puisse se réhabiliter. Ils acquirent ensuite le Coldstream Ranch, plus vaste [V. Charles Frederick Houghton*]. Ces deux voyages fournirent la matière de son premier livre, Through Canada with a Kodak, publié à Édimbourg en 1893 et illustré en partie de ses propres photographies. Elle ne s’intéressa pas beaucoup aux Chinois qu’elle croisa dans l’Ouest ; elle les considérait comme des résidents temporaires plutôt que des colons permanents, tels que les Européens. Plusieurs chapitres du livre sont consacrés aux traditions des Premières Nations. Selon l’historienne Marjory Harper, lady Aberdeen était à la fois attirée par leur image romantique et révulsée par la dure réalité de leur vie.

De retour en Grande-Bretagne, lady Aberdeen concentra de plus en plus ses énergies sur la Women’s Liberal Federation d’Angleterre et la Scottish Women’s Liberal Federation. Elle se joignit à des activistes modérées, notamment Catherine Gladstone et sa propre belle-sœur lady Fanny Octavia Louisa Marjoribanks (plus tard lady Tweedmouth), ainsi qu’à des suffragistes, dont la comtesse de Carlisle et Priscilla Bright McLaren, afin de moderniser le parti et revendiquer la participation des femmes aux responsabilités publiques. Craignant néanmoins de se mettre à dos l’élite masculine, elle évita de réclamer le droit de vote des femmes aux élections générales et s’en tint aux élections municipales. Tandis qu’elle s’efforçait de trouver un juste équilibre, certaines personnes lui reprochèrent d’être trop radicale, alors que d’autres la jugeaient trop pusillanime.

La victoire électorale de Gladstone en 1892 et la nomination imminente de lord Aberdeen comme gouverneur général du Canada mirent un terme au premier mandat de lady Aberdeen à la présidence des fédérations libérales de femmes. L’année suivante, à l’Exposition universelle de Chicago, elle inaugura le « village » qu’elle avait organisé pour promouvoir les industries irlandaises. Fait plus important, elle fut élue comme présidente du Conseil international des femmes (CIF), que des suffragistes américaines avaient fondé en 1888 et qui tenait sa première rencontre quinquennale pendant l’exposition. Vue comme une candidate internationale sûre, la comtesse trilingue devait faire sortir le féminisme de l’ombre. Afin d’exploiter son attrait au maximum, l’association ne se prononça pas sur le droit de vote des femmes.

À Toronto, peu après l’arrivée du couple vice-royal dans le dominion à l’automne de 1893, lady Aberdeen releva le défi qu’on lui avait confié. Un certain nombre de Canadiennes, y compris Adelaide Sophia Hoodless [Hunter*], se trouvaient à Chicago durant la rencontre du CIF et attendaient impatiemment de fonder leur propre groupe. Au congrès inaugural du National Council of Women of Canada (NCWC), qui se tint à Toronto en octobre 1893, lady Aberdeen en accepta la présidence. La règle d’or que l’organisme s’engagea à suivre (« Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux ») et son œcuménisme attirèrent les femmes qui recherchaient avidement une voix non partisane dans une nation divisée. La Woman’s Christian Temperance Union, la plus grande association de femmes du pays, déplora le refus de sa nouvelle rivale d’approuver le protestantisme et la tempérance, mais l’appui de la Women’s Art Association of Canada et de la Girls’ Friendly Society in Canada contribua à confirmer la respectabilité du NCWC. L’alliance avec la Dominion Women’s Enfranchisement Association et ses suffragistes pressées importait tout autant, sinon davantage. Quand lady Aberdeen quitta le Canada en 1898, le NCWC constituait le groupe féministe le plus puissant du pays et possédait des conseils locaux dans toutes les régions sauf le Grand Nord. Au milieu d’une période de conflits politiques intenses, une telle unité entre francophones et anglophones, et entre catholiques, protestantes et juives était très inhabituelle, bien que la représentation des femmes des Premières Nations et issues d’autres minorités raciales y comptait pour peu.

La deuxième grande réalisation de lady Aberdeen au Canada découla du travail du NCWC. En 1897, elle participa à la fondation du Victorian Order of Nurses for Canada, service de santé publique national auquel s’opposaient beaucoup de professionnels de la santé masculins (et, au début, certaines infirmières diplômées). Charlotte MacLeod, professeure en soins infirmiers d’origine canadienne, qui travaillait alors au Massachusetts, en fut nommée l’administratrice en chef. Lady Aberdeen devint présidente de l’organisation, inaugurant ainsi une tradition que suivraient les épouses des futurs gouverneurs généraux. En évoquant stratégiquement la souveraine, l’association affirmait que les femmes pouvaient être des citoyennes actives dans une nation nordique et donnait un équivalent féminin à la Police à cheval du Nord-Ouest. En mai 1898, quatre infirmières, accompagnées de la journaliste Alice Matilda Freeman (dite Faith Fenton), furent envoyées dans le territoire du Yukon pour apporter de l’aide aux prospecteurs pendant la ruée vers l’or. Cette mission, lancée en grande pompe et annoncée dans le Globe et le Vancouver Daily World, suscita une attention très favorable pour la nouvelle organisation.

D’autres femmes bénéficièrent individuellement du soutien de lady Aberdeen. En invitant Adeline Foster [Davis*], épouse du ministre des Finances George Eulas Foster et victime innocente d’un divorce, à un concert à la résidence du gouverneur général, en décembre 1893, lady Aberdeen brisa l’ostracisme de la bonne société à Ottawa qu’elle subissait. Quand l’avocate Clara Brett Martin*, pionnière dans la pratique féminine du droit, demanda que l’on modifie la loi pour permettre son admission dans la Law Society of Upper Canada, elle put compter sur l’aide de la comtesse et du NCWC.

Durant son séjour au Canada, lady Aberdeen se plongea dans sa vie sociale avec enthousiasme. Elle organisa des parties de patinage et de toboggan, et apprit à danser à la canadienne. À Ottawa, Toronto et Montréal, elle orchestra une série de bals historiques. L’image de la nation canadienne qu’ils véhiculaient, au cœur de laquelle se trouvaient les femmes et les Européens, se posait comme une rivale impériale des États-Unis ; les personnages des Premières Nations qui prenaient part à la distribution contribuaient à la construction du même concept. La comtesse créa un premier May Court Club dans le but d’introduire les jeunes femmes de la haute société de la capitale à l’idée de bénévolat. Même s’ils ne se concrétisèrent jamais, les plans ambitieux de lady Aberdeen pour Ottawa préparèrent la voie aux futures réalisations de la Commission de la capitale nationale. En outre, elle reçut pendant ces années plusieurs distinctions dont, en 1897, le premier diplôme honorifique que remit le Queen’s College de Kingston, en Ontario, à une femme et une invitation à participer à titre d’oratrice à la collation des grades de la University of Chicago.

À l’instar de ses prédécesseures lady Dufferin [V. Frederick Temple Blackwood*] et la princesse Louise, lady Aberdeen assistait aux débats parlementaires, assise entre le président de la Chambre et les banquettes du gouvernement. Elle les suivait avec intérêt, puis les résumait à son mari, en lui apportant son point de vue sur les affaires canadiennes. Parfois surnommée « gouverneure générale », attribut péjoratif, elle aida lord Aberdeen à faire face à la crise de leadership subséquente à la mort, en décembre 1894, de leur ami le premier ministre sir John Sparrow David Thompson*. Son antipathie pour le candidat qui semblait s’imposer, le vétéran politique sir Charles Tupper*, sa peur du conflit entre francophones et anglophones, et entre catholiques et protestants, au sujet de la question des écoles du Manitoba [V. Thomas Greenway*], et sa préférence pour le chef libéral Wilfrid Laurier* l’amenèrent à intervenir bien au delà de ce que beaucoup de critiques trouvèrent, à ce moment-là et plus tard, convenable. Elle utilisa même une collègue du NCWC, Emily Ann McCausland Cummings [Shortt*], pour servir d’intermédiaire dans les coulisses auprès de Laurier. On lui reprocha souvent de se mêler des affaires politiques, mais l’historien John Tupper Saywell, pour qui le journal de lady Aberdeen constituait le plus important compte rendu historique du jeune dominion au milieu des années 1890, estimait que la comtesse incarnait une force au service du bien. Quand le couple quitta le Canada en 1898, lady Aberdeen croyait que le pays, dirigé alors par Laurier et doté d’un réseau bien établi de conseils de femmes (en grande partie grâce à son propre apport d’énergie, d’argent et de capital social), pouvait envisager cet avenir plus tolérant dont elle rêvait pour l’ensemble de l’Empire.

Lady Aberdeen retourna en Grande-Bretagne et s’occupa à fond de la planification des rencontres du CIF qui auraient lieu à Londres l’année suivante. La reine Victoria donna une réception très prisée au château de Windsor durant le congrès, ce qui souligna la respectabilité de l’événement. Les sept volumes de rapports préparés par la comtesse et présentés au congrès témoignèrent de la vitalité de l’organisation ; la création de l’Alliance internationale pour le suffrage des femmes, en 1904, en révéla les limitations. Cette année-là, la suffragiste américaine May Eliza Sewall devint présidente du CIF, mais lady Aberdeen fut à nouveau désignée à ce poste à la rencontre de 1909 à Toronto ; elle assumerait ces fonctions jusqu’en 1920, puis de 1922 à 1936. L’ouvrage collectif qu’elle dirigea, Our lady of the sunshine and her international visitors […], publié à Toronto en 1910, célébrait le Canada en tant que la plus belle expression d’un empire libéral.

Lady Aberdeen s’engagea aussi une fois de plus dans la politique libérale. Son opposition prudente à la guerre des Boers et au militantisme pour le suffrage féminin avait pour but de maximiser le soutien électoral du parti et de promouvoir l’autonomie politique de l’Irlande. Quand elle retourna dans ce pays en 1906, après la nouvelle nomination de lord Aberdeen à titre de lord-lieutenant, ce fut pour aider à promouvoir un empire modelé sur l’État fédéral canadien. Cependant, son amitié avec des leaders politiques comme sir Henry Campbell-Bannerman et ses sympathies pour le « nouveau libéralisme », favorable à un accroissement de l’intervention sociale de l’État, ne se traduisirent pas en retombées électorales ; en outre, le nouveau premier ministre Herbert Henry Asquith se révéla, en 1908, un antiféministe. Au grand désarroi de lady Aberdeen, les suffragistes comptèrent de plus en plus sur le Parti travailliste, et la Women’s Social and Political Union gagna du terrain.

Lady Aberdeen s’efforça toutefois d’améliorer la situation des suffragettes emprisonnées en Irlande. Durant la seconde vice-royauté d’Aberdeen, de 1906 à 1915, elle se détourna de l’artisanat rural pour se concentrer sur les enjeux de santé publique et de réforme urbaine, notamment sous les auspices de la Women’s National Health Association of Ireland, qu’elle dirigea dès sa fondation en 1907, de même que son journal, Sláinte (Santé), publié à Dublin. Tout comme au Canada, elle rencontra de la résistance de la part d’extrémistes, qui, cette fois, s’étaient alliés à des causes nationalistes et unionistes. Elle pouvait faire peu de cas des opposants, mais elle était reconnue comme une bienfaitrice aristocrate hors de l’ordinaire et une partisane de ce que l’historien Frank Prochaska appellerait une « monarchie-providence ». La Première Guerre mondiale et la détérioration de la situation politique en Irlande amenèrent Asquith à rappeler les Aberdeen, qu’on percevait comme trop favorables à l’autonomie politique. De 1915 à 1917, ceux-ci séjournèrent principalement aux États-Unis, et occasionnellement au Canada, et recueillirent des fonds pour diverses causes irlandaises. Devenue marquise, lady Aberdeen continuerait d’apporter son soutien à l’Irlande jusqu’à sa mort, mais le nationalisme conservateur de l’État libre d’Irlande se montra hostile aux droits des femmes.

Alors que les réunions du CIF à Rome en 1914 remportèrent un franc succès, la guerre faillit entraîner l’effondrement de l’organisation, qui se maintint uniquement grâce au prestige et au financement de lady Aberdeen. Le CIF s’efforça, avec beaucoup de difficulté, de rester à l’écart du conflit et de se consacrer à la planification d’après-guerre et à la réconciliation. La position intermédiaire incertaine déplut néanmoins tout autant aux pacifistes qu’aux militaristes. Quand, six ans plus tard, se tint la conférence de Kristiania (Oslo), en Norvège, la Women’s International League for Peace and Freedom était déjà devenue la principale organisation féministe opposée à la guerre. Les espoirs de coopération internationale que les Aberdeen entretenaient reposaient également sur deux organisations émergentes : le British Commonwealth of Nations et la Société des nations. L’autobiographie du couple Aberdeen, « We twa » : reminiscences […], parue en deux volumes à Londres en 1925, peut donner l’impression que la marquise était au crépuscule de la vie, mais elle continua à travailler, notamment pour les causes de la santé publique, du bien-être des enfants et de la paix, et ne quitta la présidence du CIF qu’en 1936, lorsqu’elle jugea qu’on avait trouvé en la libérale belge Marthe Boël une personne sûre pour lui succéder.

À cette époque-là, même les Canadiens s’étaient mis à douter du leadership de lady Aberdeen. Aux yeux de la politicienne albertaine chevronnée Mary Irene Parlby [Marryat*], de telles femmes représentaient le passé ; alors qu’elle commentait les rencontres du CIF à Washington en 1925, Mme Parlby déclara : « Lady Aberdeen, malgré l’affection que lui portent de toute évidence beaucoup de déléguées, et bien qu’elle soit sans le moindre doute une femme aimable et généreuse qui voue un intérêt sincère à son travail, ne brille pas en tant que présidente. » De son point de vue, l’avenir appartenait aux syndicats et aux « grandes organisations agricoles », et non aux dames de l’aristocratie. Son jugement reflétait bien la marginalisation de lady Aberdeen au sein du mouvement féministe de l’entre-deux-guerres. La marquise poursuivit cependant son combat pour la bonne cause dans les années 1930 : elle apporta son aide à la section écossaise de la League of Nations Union, participa en 1934 à l’organisation du référendum pour la paix, qui tenta de mobiliser l’opinion publique britannique en faveur de la Société des nations et du désarmement, soutint les républicains pendant la guerre civile d’Espagne et aida les réfugiés juifs qui fuyaient l’Allemagne d’Adolf Hitler.

Après la mort de son mari, en 1934, lady Aberdeen dut s’installer dans un manoir à Aberdeen, qu’elle renomma Gordon House. Elle s’y éteignit cinq ans plus tard, alors qu’elle planifiait de l’aide pour l’Irlande et pour la Tchécoslovaquie assiégée. Le premier ministre William Lyon Mackenzie King*, qui était spiritualiste comme son amie la marquise, prit le deuil, à l’instar d’autres Canadiens. Vers la fin de sa vie, elle rendait encore l’affection que beaucoup de gens dans le pays lui vouaient et affirmait : « Je suis une Canadienne. J’ai été une Canadienne pendant un grand nombre d’années. Je serai toujours une Canadienne. » Au xxie siècle, lady Aberdeen demeure dans la mémoire collective une figure emblématique du devoir public, héritage que des gouverneures générales féministes, comme Adrienne Clarkson, perpétuèrent avec fierté.

Veronica Strong-Boag

Outre les ouvrages mentionnés dans la biographie, lady Aberdeen a écrit The musings of a Scottish granny (Londres, 1936) et, en collaboration avec son mari, lord Aberdeen, Archie Gordon : an album of recollections of Ian Archibald Gordon (s.l., 1910) ; The women of the Bible (Londres, 1927) ; et More cracks with « we twa » (Londres, [1929]). Elle a dirigé l’ouvrage Edward Marjoribanks, Lord Tweedmouth […] : notes and recollections (Londres, 1909) ; pendant ses années à la présidence du Conseil international des femmes, elle a rédigé ou édité des rapports de ses rencontres quinquennales. Certaines des allocutions qu’elle a prononcées au Canada ont été publiées et peuvent être consultées à « Canadiana en ligne » : www.canadiana.ca (consulté le 26 août 2019). Through Canada with a Kodak a été réimprimé avec une introduction de Marjory Harper (Toronto et Buffalo, N.Y., 1994). Lady Aberdeen est également l’auteure d’une grande quantité de brochures et d’articles, parus dans des revues et des journaux. Notre livre intitulé Liberal hearts and coronets : the lives and times of Ishbel Marjoribanks Gordon and John Campbell Gordon, the Aberdeens (Toronto, 2015), en mentionne un bon nombre, ainsi que d’autres sources d’information sur la vie de lady Aberdeen.

La principale collection des Aberdeen papers se trouve à la Haddo House, dans l’Aberdeenshire, en Écosse. BAC conserve notamment, dans le John Campbell Hamilton Gordon, 1st Marquess of Aberdeen and Temair fonds (R5319-0-1), le manuscrit du journal personnel canadien de lady Aberdeen, publié sous le titre The Canadian journal of Lady Aberdeen, 1893–1898 (Toronto, 1960) ; son éditeur, J. T. Saywell, en a signé l’introduction. Des extraits du journal, liés à son séjour en Colombie-Britannique à partir de 1890, figurent dans The journal of Lady Aberdeen : the Okanagan valley in the nineties, R. M. Middleton, édit. (Victoria, 1986). Le National Council of Women of Canada fonds (R7584-0-0), l’International Council of Women fonds (R4657-0-7) et le Victorian Order of Nurses for Canada fonds (R2915-0-7) à BAC constituent les autres sources importantes de manuscrits.

Lethbridge Herald (Lethbridge, Alberta), 18 juin 1925.— Times (Londres), 19 avril 1939.— Amanda Andrews, « The great ornamentals : new vice-regal women and their imperial work, 1884–1914 » (thèse de ph.d., Univ. of Western Sydney, Sydney, Australie, 2004).— Book of the Victorian Era Ball […], sous la dir. de James Mavor (Toronto, 1898).— C. S. Breathnach et J. B. Moynihan, « The frustration of Lady Aberdeen in her crusade against tuberculosis in Ireland », Ulster Medical Journal (Belfast), 81 (2012) : 37–47.— Cynthia Cooper, Magnificent entertainments : fancy dress balls of Canada’s governors general, 1876–1898 (Fredericton et Hull [Gatineau, Québec], 1997).— Doris French, Ishbel and the empire : a biography of Lady Aberdeen (Toronto, 1988).— J. M. Gibbon, The Victorian Order of Nurses for Canada : fiftieth anniversary, 1897–1947 ([Ottawa, 1947]).— N. E. S. Griffiths, The splendid vision : centennial history of the National Council of Women of Canada, 1893–1993 (Ottawa, 1993).— Marjory Harper, Emigration from north-east Scotland (2 vol., Aberdeen, Écosse, 1988).— Maureen Keane, Ishbel, Lady Aberdeen in Ireland (Newtownards, Irlande du Nord, 1999).— Val McLeish, « Sunshine and sorrows : Canada, Ireland and Lady Aberdeen », dans Colonial lives across the British empire : imperial careering in the long nineteenth century, David Lambert et Alan Lester, édit. (Cambridge, Angleterre, 2006), 257–284.— ODNB (sa biographie est incluse dans celle de son mari).— L. M. Orr, « Ministering angels : the Victorian Order of Nurses and the Klondike goldrush », B.C. Hist. News (Vancouver), 33, no 4 (automne 2000) : 18–21.— S. M. Penney, A century of caring, 1897–1997 : the history of the Victorian Order of Nurses for Canada (Ottawa, 1996).— Marjorie Pentland, A bonnie fechter : the life of Ishbel Marjoribanks, Marchioness of Aberdeen & Temair […] 1857 to 1939 (Londres, 1952).— Thomas Wayling, « Granny emeritus : Canadian forever », Canadian Home Journal (Toronto), 34 (1937–1938), no 4 : 26–27, 37.— Women in a changing world : the dynamic story of the International Council of Women since 1888 (Londres, 1966).

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Veronica Strong-Boag, « MARJORIBANKS, ISHBEL MARIA (Hamilton-Gordon (Gordon), comtesse d’ABERDEEN et marquise d’ABERDEEN et TEMAIR) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/marjoribanks_ishbel_maria_16F.html.

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Auteur de l'article:    Veronica Strong-Boag
Titre de l'article:    MARJORIBANKS, ISHBEL MARIA (Hamilton-Gordon (Gordon), comtesse d’ABERDEEN et marquise d’ABERDEEN et TEMAIR)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2019
Année de la révision:    2019
Date de consultation:    1 décembre 2024