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MARCHAND, JOSÉPHINE (baptisée Joséphine-Hersélie-Henriette) (Dandurand), journaliste, écrivaine, conférencière et militante féministe, née le 5 décembre 1861 à Saint-Jean (Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec), fille de Félix-Gabriel Marchand* et d’Hersélie Turgeon ; le 12 janvier 1886, elle épousa au même endroit Raoul Dandurand*, et ils eurent une fille ; décédée le 2 mars 1925 à Montréal et inhumée au cimetière Notre-Dame-des-Neiges de cette ville.
Issue d’une famille de 11 enfants, Joséphine Marchand passe ses jeunes années à Saint-Jean. Comme elle est agitée, on la surnomme Froufrou ; la femme qu’elle deviendra inspirera plutôt la sagesse et la réserve. Son père, Félix-Gabriel, est notaire de formation et a fondé à Saint-Jean en 1860, avec Charles Laberge* et Isaac Bourguignon, un bihebdomadaire d’allégeance libérale : le Franco-Canadien. Dès 1867, il est député de la circonscription de Saint-Jean. Après avoir mené tout à la fois une carrière active dans les domaines politique et littéraire, il deviendra premier ministre de la province de Québec le 24 mai 1897. La mère de Joséphine, Hersélie, a reçu son instruction au couvent de Saint-Roch, à Québec, et cultive l’amour de la lecture. C’est donc sans contredit à l’une des familles québécoises les plus en vue de l’époque qu’appartient Joséphine.
Dans ce milieu privilégié, la jeune fille acquiert le goût de la littérature. Son instruction se fait dans sa ville natale, chez les Dames de la Congrégation de Notre-Dame. Élève douée, elle y aurait reçu un prix de littérature anglaise. Bien qu’elle soit amoureuse de la langue française, Joséphine maîtrise en effet la langue anglaise, qu’elle utilisera à l’occasion pour écrire son journal intime et pour présenter des conférences. Arthur Buies*, Louis Fréchette* et Benjamin Sulte figurent parmi ses écrivains canadiens préférés, tandis qu’elle voue une affection particulière aux auteurs français Alphonse de Lamartine, Victor Hugo et Guy de Maupassant. Elle lit aussi de la littérature espagnole et britannique.
Joséphine Marchand commence à s’exercer à l’écriture publique dès 1879. Pendant les 12 années suivantes, ses textes, le plus souvent des contes et des nouvelles, paraîtront dans le Franco-Canadien, que dirige alors son père, dans la Patrie et l’Opinion publique de Montréal (Honoré Mercier*, ami de la famille, insiste pour la représenter auprès de la direction de ce dernier journal). Âgée de 17 ans, elle entreprend également de tenir son journal intime. Document fort précieux, tant pour la somme de renseignements que pour le portrait de son auteure qui s’y trouvent, ce journal restera, jusqu’à la mort de Joséphine, inconnu de son mari. La jeune femme y raconte entre autres la curiosité que provoque sa signature. Il est vrai qu’au moment où elle écrit ses premières lignes, rares sont les femmes qui s’essaient à la littérature au Canada français. Jusque-là, Félicité Angers, dite Laure Conan, a été à peu près la seule à s’engager dans ce domaine. Dès le début de la carrière de Joséphine, son premier lecteur et critique – son père – admet qu’elle manifeste une certaine aisance à s’exprimer ; il soutient cependant qu’elle devra « travailler bien sérieusement pour éliminer de nombreuses négligences de style », rapporte-t-elle dans son journal intime.
Le 12 janvier 1886, dans la paroisse Saint-Jean-l’Évangéliste, à Saint-Jean, Joséphine Marchand épouse Raoul Dandurand, qui se dit alors écuyer et avocat. Pour leur voyage de noces, ils vont à New York. Leur fille unique, Gabrielle, naît au mois de décembre suivant. En 1891, ils utiliseront tout leur argent liquide (2 000 $) pour passer cinq mois en Europe. Au cours de sa vie, Joséphine fera au moins six autres voyages outre-mer qui la mèneront en France, en Angleterre, en Allemagne, en Autriche et en Italie. Libéral en politique, Raoul Dandurand sera nommé sénateur en 1898 ; il obtiendra ainsi une charge importante pour un jeune homme de 36 ans. Dans ses mémoires, qui seront publiés en 1967, il racontera l’influence de Joséphine dans sa nomination au Sénat. Selon lui, son accession à ce poste n’aurait pas été possible sans le prestige de sa femme et l’affection qu’elle éveillait chez les gens qui la rencontraient.
Avec ses écrits, Joséphine Dandurand fait florès. En 1888, la présentation de Quand on s’aime, on se marie, à l’Académie de musique de Québec, suscite l’intérêt du public. Cette comédie en un acte et en prose sera publiée en 1896 sous le titre Rancune. En 1889, l’auteure fait paraître des Contes de Noël sous le pseudonyme de Josette (qu’elle a adopté dès ses premiers écrits) ; préfacé par Fréchette, le volume regroupe huit textes qui ont déjà été publiés dans des périodiques. Selon le préfacier, qui est homme de son temps, le style de ces contes trahit la « féminité de l’auteur » caché derrière le pseudonyme. Joséphine publiera ensuite deux saynètes destinées aux enfants : Ce que pensent les fleurs en 1895 et la Carte postale l’année suivante. Ces quatre ouvrages paraissent à Montréal.
En janvier 1893, à Montréal, Joséphine Dandurand lance le Coin du feu. C’est avec l’inauguration de ce magazine mensuel qu’elle se taille définitivement une place dans le journalisme. Au Canada, le Coin du feu constitue la première revue de langue française dirigée par une femme et spécialement destinée aux femmes. Même si elle peut compter à l’occasion sur des collaborateurs prestigieux (Félicité Angers, Marie Gérin-Lajoie [Lacoste*], Jules Simon, Paul Bourget), la fondatrice et rédactrice produit une grande partie des textes : une chronique régulière qui paraît en tête du magazine sous son nom de femme mariée, Mme Dandurand ; les « Travers sociaux », chroniques signées Marie Vieuxtemps et consacrées à décortiquer les travers de la société bourgeoise ; et les articles de Météore, où elle traite de la littérature et de la langue française. Cette tribune lui permet d’aborder ses sujets de prédilection, dont la littérature, les rapports au sein de la famille, le féminisme, l’éveil intellectuel des femmes et la politique. En décembre 1893, par exemple, la rédactrice publie l’opinion de quelques personnes, notamment de sa mère, de Félicité Angers, de Joseph-Israël Tarte* et d’Arthur Buies, à propos du droit de vote des femmes. Des rubriques consacrées à la cuisine, la mode, l’hygiène et la santé, des textes destinés aux enfants, des poèmes et des illustrations font aussi partie de la trentaine de pages que compte chaque numéro.
La parution du Coin du feu cesse avec l’édition de décembre 1896. Joséphine publie à cette occasion un plaidoyer en faveur de l’éclosion de la presse féminine : « Car l’expérience est faite. Un organe féminin s’occupant des intérêts privés des familles – tant matériels qu’intellectuels et moraux – est opportun et désirable dans notre société. » Pour justifier cet arrêt, la rédactrice mentionne son « impossibilité de donner au journalisme tout le temps et l’application nécessaires à cette profession difficile ». Elle collabore ensuite à d’autres publications montréalaises, parmi lesquelles le Monde illustré (1898–1900), le Journal de Françoise (1902–1909) et la Revue moderne (1920–1921). En 1901, à Montréal, elle rassemble en un recueil qu’elle intitule Nos travers une partie de ses premiers écrits journalistiques (44 textes) et deux conférences ; le volume sera réédité en 1924.
Parallèlement à ses activités de femme de lettres, Joséphine Dandurand s’est engagée dans plusieurs associations. Au printemps de 1894, à l’occasion du premier congrès annuel du National Council of Women of Canada, à Ottawa, elle entame une carrière de conférencière, en anglais. En conclusion de cet exposé sur les clubs littéraires, elle souhaite une meilleure harmonie entre les deux groupes linguistiques du Canada. L’oratrice devient ensuite très active : son éloquence lui vaut même d’être surnommée « the female Laurier ». Elle sera vice-présidente provinciale du National Council of Women of Canada (1912–1913, 1917–1919) ; au sein de la branche montréalaise de l’association, elle occupe les postes de vice-présidente (1895–1896, 1900–1901, 1906–1907), de membre du bureau présidentiel (1903–1907) et de vice-présidente honoraire (1918–1921). Elle fonde en 1898 l’Œuvre des livres gratuits, grâce à laquelle des institutrices en régions éloignées et des personnes de milieux défavorisés ont accès à la lecture. En mars de la même année, elle reçoit du gouvernement français le titre d’« officier d’académie », en reconnaissance de sa défense de la culture française en Amérique. Aux côtés de sa collègue Robertine Barry*, dite Françoise, elle représente les Canadiennes à l’Exposition universelle de Paris à l’été de 1900. Elle fait de plus partie des dames patronnesses qui fondent en 1902 la section féminine de l’Association Saint-Jean-Baptiste de Montréal [V. Jeanne Anctil].
Le mouvement féministe, « c’est un réveil de la responsabilité féminine […] Dans la patrie comme dans la famille la voix de la femme doit faire entendre les paroles apaisantes qui rappellent au devoir et à l’humanité », proclame Joséphine Dandurand au cours d’une conférence dont le texte figure dans Nos travers. Au cœur de son féminisme se trouve surtout le devoir de cultiver l’esprit. Ses diverses entreprises visaient ce but, tout comme son mariage, auquel elle souhaitait donner la devise : La science, l’intelligence avant l’amour ! Après 1907, déjà prise par la maladie, elle ralentit ses activités et produit de moins en moins de chroniques. Habituée du monde politique, elle demeure cependant étroitement associée aux activités de son mari, devenu président du Sénat en 1905 ; rusée et ambitieuse, elle a d’ailleurs su user de son influence auprès de personnages-clés, dont sir Wilfrid Laurier*, pour faire avancer la carrière de Raoul Dandurand. Au terme d’une vie active, elle décède à Montréal le 2 mars 1925, âgée de 63 ans, des suites d’une longue maladie.
En plus d’avoir publié les volumes mentionnés dans la biographie, Joséphine Marchand (Dandurand) a collaboré à l’ouvrage les Femmes du Canada : leur vie et leurs œuvres ; ouvrage colligé […] pour être distribué à l’Exposition universelle de Paris, 1900 ([Montréal ?, 1900]), préparé par le National Council of Women of Canada, en écrivant le chapitre intitulé « Mœurs canadiennes-françaises », 24–32. Elle est aussi l’auteure d’une conférence publiée dans Premier Congrès de la langue française au Canada, Québec, 24–30 juin 1912 : compte rendu (Québec, 1913), 537–540, sous le titre : « le Français dans nos relations sociales ». Durant plusieurs années, elle a également écrit un journal qui a été publié : Journal intime, 1879–1900, Edmond Robillard, édit. (Lachine, Québec, 2000). L’original est conservé à BAC, sous la cote MG 27, III, B3. Joséphine Marchand a fait paraître des articles dans plusieurs périodiques ; à ceux que nous mentionnons dans la biographie, il faut ajouter le Journal du dimanche (Montréal), en 1884, le Canada artistique (Montréal), en 1890, l’Alliance nationale (Montréal), en 1899, et la Bonne Parole (Montréal), en 1920. Nous avons dressé une liste, non exhaustive, des articles de Joséphine Marchand. Un exemplaire de cette liste est conservé au DBC. Laurette Cloutier, dans sa « Bio-bibliographie de madame Raoul Dandurand (née Joséphine Marchand) » (école de bibliothécaires, univ. de Montréal, 1942), a également fait l’inventaire des écrits de Joséphine Marchand. [l. g.]
ANQ-M, CE604-S10, 6 déc. 1861, 12 janv. 1886.— ANQ-Q, P-174.— Gazette (Montréal), 3 mars 1925.— La Patrie, 31 mai 1902.— Anita, « Mme Dandurand », la Bonne Parole, 14 (1926), no 2 : 10.— BCF, 1923 : 157.— Georges Bellerive, Brèves Apologies de nos auteurs féminins (Québec, 1920).— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1912).— Raoul Dandurand, les Mémoires du sénateur Raoul Dandurand (1861–1942), Marcel Hamelin, édit. (Québec, 1967).— La Directrice [Robertine Barry], « Madame la présidente du Sénat », le Journal de Françoise (Montréal), 3 (1904–1905) : 611.— DOLQ, 2 : 775s.— Sylvain Forêt, « Bibliographie ; littérature canadienne », le Canada artistique, 1, no 1 (prospectus, déc. 1889) : 8s.— Lionel Fortin, Félix-Gabriel Marchand (Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec, 1979).— Françoise [Robertine Barry], « les Femmes canadiennes dans la littérature », dans les Femmes du Canada : leur vie et leurs œuvres, 209–215.— Hamel et al., DALFAN, 361s.— Madeleine [A.-M.] Gleason-Huguenin, Portraits de femmes ([Montréal], 1938), 98s.— Yolande Pinard, « les Débuts du mouvement des femmes à Montréal, 1893–1902 », dans Travailleuses et Féministes : les femmes dans la société québécoise, sous la dir. de Marie Lavigne et Yolande Pinard (Montréal, 1983), 177–198.— Diane Thibeault, « Premières Brèches dans l’idéologie des deux sphères : Joséphine Marchand-Dandurand et Robertine Barry, deux journalistes montréalaises de la fin du xixe siècle » (mémoire de m.a., univ. d’Ottawa, 1981).
Line Gosselin, « MARCHAND, JOSÉPHINE (baptisée Joséphine-Hersélie-Henriette) (Dandurand) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/marchand_josephine_15F.html.
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Auteur de l'article: | Line Gosselin |
Titre de l'article: | MARCHAND, JOSÉPHINE (baptisée Joséphine-Hersélie-Henriette) (Dandurand) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
Année de la révision: | 2005 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |