LUDLOW, GEORGE DUNCAN, juge et homme politique, né en 1734 dans le comté de Queens, île Long, New York, fils de Gabriel Ludlow et de Frances Duncan ; le 22 avril 1758, il épousa une cousine, également nommée Frances Duncan, et ils eurent un fils et deux filles ; décédé le 13 novembre 1808 à Fredericton.

La famille Ludlow, originaire du Somerset, en Angleterre, arriva en Amérique en 1694. Gabriel Ludlow, fondateur de la branche coloniale, devint négociant prospère, propriétaire de navires et de terres. Son fils Gabriel épousa Frances Duncan et partit s’installer dans le comté de Queens où George Duncan naquit en 1734 et Gabriel George en 1736. Un autre fils, Daniel, naquit en 1750 d’un second mariage. La fortune et le prestige de la famille procurèrent plusieurs avantages aux fils, dont celui de faire leurs études dans une école privée. Apparemment, George Duncan fit un bref apprentissage chez un apothicaire avant de se diriger vers le droit. À l’âge de 30 ans, il était membre du barreau et avait commencé à se créer une clientèle prospère, surtout pour des causes commerciales. Il se vit bientôt confier des charges officielles : en 1769, il fut nommé l’un des juges de la Cour suprême de la colonie. Pendant ce temps, son frère Gabriel George se taillait une place dans les affaires.

Les deux frères se révélèrent de loyaux partisans de la couronne pendant les troubles des années précédant la Révolution américaine. Au milieu des années 1770, George Duncan fut forcé de quitter la ville de New York et se rendit dans le comté de Queens pour rester « attaché aux vestiges de la loyauté ». Son frère Gabriel George et lui possédaient d’importantes propriétés voisines l’une de l’autre près de Hempstead. À l’arrivée du général William Howe et de l’armée britannique en 1776, George Duncan retourna à New York et, jusqu’à la capitulation finale de 1783, demeura un royaliste de tout premier plan. En août 1779, les rebelles pillèrent les maisons des deux frères dans l’île Long pendant leur absence ; le plan avait été d’enlever les propriétaires afin de les échanger contre des rebelles prisonniers « de même rang ». Deux mois plus tard, le gouvernement rebelle de New York confisqua leurs propriétés. George Duncan devait plus tard estimer le prix de sa loyauté à £6 500 en biens fonciers et personnels. Déçu de ce qu’on lui eût préféré William Smith* au poste de juge en chef de la colonie de New York en 1780, il avait résigné ses fonctions au tribunal. Pour le consoler, le gouverneur James Robertson le nomma surintendant de la police dans l’île Long en 1780. Comme il était devenu nécessaire de pourvoir à l’administration de la justice, on lui donna « des pouvoirs, fondés sur des principes d’équité, d’entendre et de régler les controverses jusqu’à ce que le gouvernement civil pût entrer en vigueur ». Le « petit tyran de l’île » n’était toutefois pas populaire, et on disait qu’il abusait de son influence au profit de ses amis.

Considérés comme ultra-tories jusqu’à la moelle, les Ludlow n’avaient apparemment pas d’autre choix que de quitter New York à la fin de la révolution, bien que leur demi-frère Daniel, également loyaliste, y fût demeuré et fût devenu un homme d’affaires prospère. George Duncan fit voile pour l’Angleterre le 19 juin 1783, peu avant son frère ; tous deux laissèrent leurs familles derrière jusqu’à ce que l’on prît les arrangements en vue de les installer ailleurs. À Londres, les Ludlow se joignirent à un bruyant et fort lobby de Loyalistes, quémandeurs d’emplois. La campagne pour créer en Nouvelle-Écosse une nouvelle province qui deviendrait la patrie des réfugiés américains fut couronnée de succès, et George Duncan fut choisi pour en être le juge en chef. On en arriva à cette décision en mars ou avril 1784, quelques mois avant que la proclamation royale établissant la province du Nouveau-Brunswick ne fût signée et que le gouverneur n’eût été nommé. Par conséquent, il se peut que Ludlow ait été la première personne à être nommée à un poste au Nouveau-Brunswick. En sa qualité de juge en chef, il était membre du conseil initial devant gouverner la province. Gabriel George fut également nommé à cet organisme et, en vertu de son grade militaire, en devint le doyen. Les frères Ludlow conservèrent ces postes, deux des plus prestigieux au Nouveau-Brunswick, pendant les 25 années qui suivirent. De jeunes membres du conseil tels qu’Edward Winslow, Ward Chipman* et John Coffin* avaient plus à offrir, mais leurs activités se déroulaient toujours sous le regard vigilant de leurs aînés.

Après avoir visité la Grande-Bretagne, spécialement les nouvelles villes manufacturières, les Ludlow s’embarquèrent pour le Nouveau-Brunswick, en septembre 1784, avec le gouverneur Thomas Carleton. Après un bref séjour à Halifax, le gouverneur et sa suite se dirigèrent vers Parrtown (Saint-Jean), qui devint la capitale temporaire de la nouvelle province et dont Gabriel George devait bientôt être nommé maire. George Duncan prêta serment le 25 novembre. Lorsque la Cour suprême siégea pour la première fois, le 1er février 1785, Benjamin Marston* rapporta que « le juge en chef [avait] adress[é] au jury d’accusation une allocution sensée et très judicieuse ».

Les premières années de Saint-Jean s’avérèrent turbulentes, faisant revivre le spectre d’incidents semblables à ceux qui s’étaient produits dans certaines villes américaines avant la révolution. La condition misérable de la masse du peuple contrastait fortement avec l’aisance de l’élite, état de choses fortement souligné dans la presse et les tavernes [V. Elias Hardy*]. Les premières élections provinciales en 1785 portèrent cette situation à son point culminant. Lorsque les six candidats du gouvernement dans Saint-Jean, triés sur le volet, furent défaits par « la populace », Carleton appuyé par son conseil et par les juges renversa les résultats et fit déclarer élus ses candidats. On sélectionna des membres de « la populace », dont les deux journalistes William Lewis* et John Ryan*, qui furent arrêtés, accusés devant la Cour suprême d’activité « criminelle » et punis. L’exécutif, dont les Ludlow faisaient partie, établit ainsi dès le début l’orientation de la politique au Nouveau-Brunswick.

Le gouverneur Carleton décida que Saint-Jean ne convenait pas comme capitale provinciale et, en 1786, il alla s’installer à Fredericton, à l’intérieur des terres. Le juge en chef accompagna naturellement le gouvernement ; son frère demeura, pour sa part, dans la capitale commerciale qu’était Saint-Jean. George Duncan fit l’acquisition d’environ 1 500 acres de terre à cinq milles au nord de Fredericton pour en faire son domaine, qu’il appela Spring Hill, du nom de la résidence du lieutenant-gouverneur Cadwallader Golden, son protecteur à New York dans les années 1760. La maison, faite des « plus beaux spécimens » des bois de la région, tels l’érable moucheté et le bouleau, était très admirée. Lui et son épouse, que Patrick Campbell* décrivit comme l’une « des plus douces et des plus aimables de son sexe », y vécurent pendant les années qu’ils passèrent au Nouveau-Brunswick.

Comme juge en chef, Ludlow était plus inconséquent ou plus complaisant qu’on aurait pu prévoir. Dans sa première cause, Nancy Mozely (Mosley), une Noire, fut reconnue coupable d’homicide involontaire pour avoir tué son mari au moyen d’une fourche. Après avoir invoqué le privilège de clergie, selon une ancienne tradition, elle fut condamnée à être marquée de la lettre M dans la partie charnue de son pouce gauche et ensuite remise en liberté. Dans une cause plus célèbre du mois de février 1800, où l’on se pencha sur la question de la légalité de l’esclavage au Nouveau-Brunswick, Ludlow, qui possédait des esclaves, prit parti pour les maîtres. « Notre juge en chef, déclara Ward Chipman, est très zélé à défendre les droits du maître comme étant fondés sur des coutumes et usages immémoriaux partout en Amérique depuis sa découverte. Il soutient que dans tous les pays les coutumes sont la base du droit et que la loi y puise sa force. » Ludlow était appuyé au tribunal par Joshua Upham, tandis que les deux autres juges lui faisaient opposition. Le désaccord permit au propriétaire d’esclaves Caleb Jones d’en conserver la propriété en dépit de l’usage britannique de l’époque. En 1820, toutefois, l’esclavage disparaissait du Nouveau-Brunswick, en partie à cause de la controverse que ce jugement avait fait naître.

La mise à profit par Ludlow, dans ce cas, des usages américains au lieu des usages britanniques était un de ses traits caractéristiques. Quand par exemple la question des honoraires des avocats fut soulevée en 1787, il réduisit l’échelle des tarifs proposés de près de la moitié pour faire face aux besoins d’une colonie naissante. « Dans les débuts des cours de circuit, spécialement dans cette province, expliqua-t-il, le praticien doit nécessairement rencontrer des difficultés particulières, mais elles diminueront graduellement à mesure que la population s’accroîtra et que les richesses autant que les litiges des habitants se multiplieront. » En dépit de la colère des avocats, Ludlow tint bon, faute de quoi les gens de sa génération « n’auraient pas trouvé de quoi se procurer la justice ».

De riches propriétaires fonciers se brouillèrent également avec Ludlow. En 1805, la possession de droits de pêche dans les eaux avoisinant une propriété devint un objet de débat à Saint-Jean. William Hazen, dont la concession remontait aux années 1760, vit son droit contesté et se fit enlever une clôture de pêche. Il porta plainte devant un jury pour violation de domicile, mais Ludlow « sans hésiter informa le jury que c’était un bras de mer et une propriété commune ; que même si toutes les pêcheries à cet endroit avaient été expressément octroyées [à Hazen], cette concession n’aurait eu aucune valeur ». Cette attaque contre les droits de propriété choqua les gens en place, et le « revirement » de Ludlow fit scandale. En 1808, toutefois, les Britanniques devaient soutenir son point de vue.

Ludlow, dans cette affaire comme dans d’autres, fut insensible aux critiques qui lui arrivèrent de tous côtés tout au long de sa carrière. James Glenie, radical de première heure au Nouveau-Brunswick, le qualifia à un moment donné de « juge en chef prétentieux et illettré » que l’on devait destituer pour sauver la province, et le gouverneur Carleton n’aimait ni l’un ni l’autre des deux frères, spécialement George Duncan avec qui il se brouillait fréquemment. On ne sait pas très bien ce qui rendit difficiles les rapports entre Carleton et les Ludlow. Peut-être était-il trop anglais et eux trop américains ou peut-être manquaient-ils de déférence ou étaient-ils trop exigeants. Jusqu’en 1803, toutefois, Carleton dominait la situation. Les Ludlow pouvaient se disputer avec lui, mais ils supportèrent l’orientation traditionaliste qu’il imposa à la colonie. George Duncan participa à toutes les décisions concernant la législation et la justice tout au long du mandat de Carleton et, des deux frères, il était de beaucoup le plus influent et celui qui avait le plus de valeur. Même lorsque Gabriel George devint administrateur de la province au départ de Carleton, ce fut George Duncan qui en réalité devint la tête dirigeante du gouvernement. C’est lui qui avait le plus d’expérience en cela, et Gabriel George s’en remettait toujours à lui.

En février 1808, Gabriel George Ludlow mourut. Devant poursuivre seul, George Duncan était accablé de douleur et faisait face à la certitude d’une perte de pouvoir au conseil. Frappé de paralysie le 6 mars, il demeura sérieusement handicapé jusqu’à sa mort survenue le 13 novembre, à Spring Hill. Sa veuve et trois enfants lui survécurent.

Les frères Ludlow tiennent une place unique dans l’histoire du Nouveau-Brunswick. Pendant 25 ans, ils occupèrent deux des postes les plus élevés de la colonie et pendant 5 ans, après le retour de Carleton en Grande-Bretagne, ce sont eux qui la dirigèrent, apparemment sans opposition sérieuse. Traditionalistes-nés, ils virent leur prédilection renforcée par la Révolution américaine, et furent en partie responsables du maintien de cette tendance au Nouveau-Brunswick. Ils arrivèrent au Nouveau-Brunswick dans la force de l’âge, revendiquèrent leurs droits comme membres de l’élite loyaliste et moururent respectés.

Carl Murray Wallace

APNB, « New Brunswick political biography », J. C. et H. B. Graves, compil. (11 vol., copie dactylographiée).— Musée du N.-B., Hazen family papers.— PRO, AO 12/19 : 310 ; 12/90 ; 12/99 : 179 ; 12/109 ; AO 13, bundle 65.— UNBL, MG H2.— P. Campbell, Travels in North America (Langton et Ganong).— Documents and letters intended to illustrate the revolutionary incidents of Queen’s County [...], Henry Onderdonk, compil. (New York, 1846 ; réimpr., Port Washington, N.Y., [1970]).— NYCD (O’Callaghan et Fernow), 8.— Winslow papers (Raymond).— DAB.— Sabine, Biog. sketches of loyalists. Hannay, Hist. of N.B., 1. Thomas Jones, History of New York during the Revolutionary War, and of the leading events in the other colonies at that period, E. F. de Lancey, édit. (2 vol., New York, 1879).— J. W. Lawrence, Foot-prints ; or, incidents in early history of New Brunswick, 1783–1883 (Saint-Jean, 1883) ; The judges of New Brunswick and their times, A. A. Stockton [et W. O. Raymond], édit. ([Saint-Jean, 1907]).— MacNutt, New Brunswick. Raymond, River St. John (1910).— Wright, Loyalists of N.B. Kenneth Donovan, « The origin and establishment of the New Brunswick courts », N.B. Museum, Journal (Saint-Jean), 1980 : 57–64.— A. G. W. Gilbert, « New Brunswick’s first chief justice », Univ. of New Brunswick Law Journal (Saint-Jean), 11 (1958) : 29–32.— J. W. Lawrence, « The first courts and early judges of New Brunswick », N.B. Hist. Soc., Coll., no 20 (1971) : 8–34.— W. O. Raymond, « A sketch of the life and administration of General Thomas Carleton, first governor of New Brunswick », N.B. Hist. Soc., Coll., 2 (1899–1905), no 6, 439–481.

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Carl Murray Wallace, « LUDLOW, GEORGE DUNCAN », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/ludlow_george_duncan_5F.html.

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Auteur de l'article:    Carl Murray Wallace
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 5
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1983
Année de la révision:    1983
Date de consultation:    1 décembre 2024