Titre original :  VIEW-20651 | Miss Livingstone (?), painting by and copied for George Horne Russell (?), 1923 | Photograph | Wm. Notman & Son

Provenance : Lien

LIVINGSTON, GERTRUDE ELIZABETH (Nora), administratrice d’un hôpital et d’une école d’infirmières, née le 17 mai 1848 à Sault-Sainte-Marie, Michigan, fille de John Livingston et d’une prénommée Margaret ; décédée célibataire le 24 juillet 1927 à Val-Morin, Québec.

On sait peu de chose de l’enfance et de la jeunesse de Gertrude Elizabeth, dite Nora, Livingston. Au moment du recensement de 1850, dans le Michigan, son père se déclare marchand à Sault-Sainte-Marie ; on sait qu’il a aussi été capitaine dans l’armée britannique. Lorsqu’il prend sa retraite, il établit sa famille à Como (Hudson), au bord du lac des Deux Montagnes dans la province de Québec, localité que Nora quitte pour faire ses études d’infirmière à la Training School for Nurses du New York Hospital. Quelques années plus tard, elle obtient son diplôme de l’établissement réputé pour son enseignement et que fréquente alors l’élite laïque nord-américaine.

Avant d’engager Mlle Livingston, en 1890, la direction du Montreal General Hospital a déjà fait plusieurs tentatives pour se doter d’une surintendante compétente et efficace, qui se chargerait de la gestion de l’ensemble de l’hôpital. Mais l’ambiguïté demeure au sein de la direction à propos de la répartition du travail entre la surintendante générale et l’infirmière en chef (ou matron). Tour à tour, on attribue la charge des soins infirmiers et de la gestion des employés autres que les médecins à l’une ou l’autre de ces personnes, selon leur compétence. De 1875 à 1877, Maria Machin, surintendante à l’hôpital St Thomas de Londres, a tenté en vain d’y structurer les soins infirmiers. Envoyée par Florence Nightingale – pionnière de la formation du personnel infirmier en milieu hospitalier – à la demande du Montreal General Hospital, elle s’est aussi efforcée d’établir des règles d’hygiène et d’ordre dans cet hôpital qu’elle considérait mal organisé et insalubre. De 1877 à 1887, le surintendant médical a assuré, au moyen de démonstrations pratiques, la formation des gardes-malades, tandis que l’infirmière en chef veillait entre autres à leur encadrement. Pendant ces années, la difficulté du travail et la précarité des conditions de vie des infirmières ont entraîné un roulement important des recrues ; la surcharge de tâches domestiques (entretien ménager dans les salles, maintien rigoureux de la propreté) et de soins personnels à administrer, le manque d’espace pour leur logement constituaient par exemple des problèmes patents. De plus, comme le Canada ne possédait qu’une seule école d’infirmières – la St Catharines Training School and Nurses’ Home, ouverte en Ontario en 1874 –, les jeunes filles attirées par la profession s’exilaient souvent aux États-Unis pour y parfaire leur formation. La démission, en 1889, de la surintendante du Montreal General Hospital allait cependant permettre la venue de celle qui prendrait véritablement la situation en main.

Garde-malade diplômée, Gertrude Elizabeth Livingston est au service du New York Hospital lorsque, suivant les conseils d’un ami de sa famille, Francis John Shepherd, chirurgien au Montreal General Hospital, elle pose sa candidature au poste de surintendante qu’offre cet établissement. Avant d’accepter l’emploi, que l’hôpital lui propose finalement, elle impose ses conditions : deux infirmières d’expérience, qu’elle choisira, travailleront en collaboration avec elle et aucun travail domestique ne fera partie de ses tâches. Elle entre en fonction le 20 février 1890, au salaire annuel de 800 $. L’hôpital compte alors 165 lits et Mlle Livingston a sous sa responsabilité 30 à 35 infirmières. Sans tarder, elle réaménage les tâches du personnel et prépare l’ouverture d’une école d’infirmières qu’elle dirigera, comme le désirait le bureau médical de l’hôpital. Le 1er avril 1890, l’école accueille ses premières élèves. Au mois de juillet suivant, Mlle Livingston rapporte que 30 sont déjà inscrites, choisies parmi 180 demandes d’admission. Après une probation de deux mois, les candidates étudient pendant deux ans, au terme desquels elles sont reçues infirmières. La première remise de diplômes a lieu au mois d’avril 1891, pour six infirmières dont les années d’expérience leur ont permis de ne suivre les cours que durant un an. Pour cette occasion, Mlle Livingston institue, à l’instar des médecins, un code d’éthique qui oblige les nouvelles gardes-malades à prêter serment (modèle alors peu répandu au Canada, mais présent aux États-Unis).

En 1894, à la suite d’une proposition faite par une école de soins infirmiers américaine et en réponse à la pression en faveur d’une professionnalisation du métier, la durée des études est augmentée d’un an et un comité est chargé de coordonner le contenu de l’apprentissage. En 1899, la surintendante et le bureau médical élaborent un véritable programme de formation, qui fixe la durée et l’ordre des cours pendant les trois années, et qui tient compte du suivi de chaque élève. L’enseignement est assuré à la fois par la surintendante, secondée par deux infirmières diplômées, et par des membres du bureau médical. Ce n’est qu’en 1906 que l’hôpital engagera une institutrice spécialement pour l’école, Flora Madeline Shaw.

Au Montreal General Hospital, Mlle Livingston s’occupe de tout ce qui concerne les infirmières : leur formation, leur recrutement, leur mise à pied, leurs conditions de travail, et autres. Dans certains cas, tels le renvoi ou l’embauche de l’une d’elles, la surintendante doit néanmoins obtenir l’assentiment préalable du conseil d’administration. L’autorité qu’elle exerce sur les gardes-malades et sur les soins infirmiers est considérable.

Membre de l’élite de la profession, Mlle Livingston se fait une haute idée de sa mission et veille soigneusement à ce que l’école du Montreal General Hospital acquière une réputation enviable partout au Canada. La sélection des élèves, une solide formation et une stricte discipline de travail et de vie sont les moyens qu’elle utilise pour y parvenir. En 1910, elle s’oppose au fait que des postulantes à la profession, après avoir étudié ailleurs, viennent seulement compléter leur formation à son école : «[cela] pourrait donner aux gens l’idée que les diplômées de ces établissements possèd[ent] une compétence égale à nos propres infirmières […] Apposer le timbre de l’école de l’hôpital sur des diplômes décernés par de petits hôpitaux pourrait inciter les candidates à entrer dans ces établissements moins exigeants », rapporte le procès-verbal du comité de gestion daté du 6 avril. Mlle Livingston demande, de la part des postulantes, une éducation supérieure préalable. Elle impose des règles de conduite draconiennes aux élèves et aux diplômées engagées par l’hôpital, et réglemente tant les conditions de travail et de formation que les moments de repos : heure du coucher précise, nombre fixe de visites de l’extérieur, port de l’uniforme, et autres. Tout manquement à la discipline est en général très sévèrement puni : à plusieurs reprises, des gardes-malades indociles sont ou renvoyées de l’école ou suspendues pour plusieurs mois.

La direction de l’hôpital reconnaît la compétence de Mlle Livingston. En 1903, la surintendante obtient même que, à moins de circonstances exceptionnelles, seules les diplômées du Montreal General Hospital puissent travailler dans les dortoirs privés de l’établissement. Les règlements des employés de l’hôpital datés de 1910, qui donnent tout le pouvoir à la surintendante, en témoignent également.

En réorganisant le travail, en favorisant graduellement la nomination de gardes-malades à des postes de responsabilité et en introduisant une différenciation dans les tâches, Mlle Livingston contribue à définir les fonctions propres aux infirmières. En 1890 par exemple, avec l’accord du conseil d’administration, elle engage un garçon pour transporter les médicaments d’un dortoir à l’autre ; en 1894, la garde-malade en charge du département de la scarlatine obtient l’embauche d’une aide-ménagère. Ces recrues temporaires libèrent le personnel infirmier des tâches non directement liées aux soins des patients. L’école du Montreal General Hospital s’est ainsi taillé une solide réputation, tant dans les hôpitaux anglophones de la province de Québec que dans le reste du Canada. Affiliée à la faculté de médecine de la McGill University, elle inaugure une ère nouvelle pour les soins infirmiers.

Au terme d’une trentaine d’années au service du Montreal General Hospital, Nora Livingston a atteint ses objectifs. Reconnue par la profession comme une pionnière, elle reçoit de nombreuses marques de distinction, dont la création du Livingston Club en 1905 et celle du Nora Livingston Scholarship Fund en 1940. Le travail infirmier est désormais distinct des tâches domestiques, la formation des infirmières se fait dans une école appropriée et les soins sont du ressort exclusif d’une surintendante décidée à imposer des critères professionnels extrêmement stricts. Mlle Livingston a joué un rôle déterminant dans la constitution de la profession d’infirmière. Le modèle qu’elle a mis en place au Montreal General Hospital sera, par la suite, une référence pour les petits hôpitaux qui, ailleurs dans la province et au pays, voudront établir une structure semblable.

Yolande Cohen

Malgré de nombreuses recherches, il nous a été impossible de retrouver l’acte de naissance de Gertrude Elizabeth Livingston.

MUA, MG 3099 ; RG 96, c.23, c.26–34, c.37, c.405, c.421.— Gazette (Montréal), 25 juill. 1927.— Yolande Cohen et Michèle Dagenais, « le Métier d’infirmière : savoirs féminins et reconnaissance professionnelle », RHAF, 41 (1987–1988) : 155–177.— D. MacL. Jensen, History and trends of professional nursing (9e éd., St Louis, Mo., 1950).— H. E. MacDermot, History of the School of Nursing of the Montreal General Hospital (Montréal, 1940 ; réimpr., 1961).— Barbara Melosh, « The physician’s hand » : work-culture and conflict in American nursing (Philadelphie, 1982).— Michigan 1850 census index, R. V. Jackson et G. R. Teeples, édit. (Bountiful, Utah, 1978)

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Yolande Cohen, « LIVINGSTON, GERTRUDE ELIZABETH (Nora) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/livingston_gertrude_elizabeth_15F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:

Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/livingston_gertrude_elizabeth_15F.html
Auteur de l'article:    Yolande Cohen
Titre de l'article:    LIVINGSTON, GERTRUDE ELIZABETH (Nora)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    1 décembre 2024