LESSARD, ELIZABETH, criminelle, née vers 1877 au Canada ; décédée le 3 avril 1911 à Kingston, Ontario.

Elizabeth Lessard grandit à Hamilton, en Ontario, à la fin du xixe siècle. Elle demeurait dans un milieu à prédominance britannique composé de protestants, de catholiques et d’une poignée de familles juives qui vivaient des miettes de la société industrielle. Pas plus que sa sœur aînée Mary, elle ne voulait se soumettre aux exigences d’un emploi mal payé. Toutes deux devinrent délinquantes dès l’adolescence ; connues de la police, elles causaient à celle-ci « des problèmes sans fin ». En 1893, après les avoir condamnées pour vagabondage (le délit le plus commun des femmes dans cette période), le magistrat de police de Hamilton conclut qu’un séjour en maison de correction les ramènerait peut-être dans le droit chemin. En conséquence, il les envoya à l’Andrew Mercer Ontario Reformatory for Females, à Toronto, pour une période de « deux ans maximum ».

Selon le registre, Elizabeth (Lizzie) Lessard avait alors 16 ans ; elle avait les cheveux bruns, le teint clair et les yeux gris, pesait 97 livres et demie et mesurait cinq pieds. Comme la plupart des détenues, on l’inscrivit comme domestique célibataire. Elle savait apparemment lire et écrire ; on indiqua qu’elle était baptiste, mais, dans les années suivantes, elle prétendit tour à tour être de religion épiscopalienne, méthodiste et catholique.

La maison de correction n’eut pas du tout un effet salutaire sur Elizabeth Lessard. Après son premier séjour, elle fut condamnée maintes fois pour vagabondage, vol et prostitution, si bien qu’elle passait plus de temps derrière les barreaux qu’au dehors. De plus en plus récalcitrante à chaque incarcération, elle posait sans cesse des problèmes au personnel, largement féminin. Paresse, langage grossier, destruction volontaire du mobilier de sa cellule, bris de vaisselle, attaques contre d’autres détenues figuraient chaque semaine dans les rapports dressés à son sujet par les gardiennes.

En 1909, lorsqu’elle fut envoyée pour la dernière fois à la maison de correction, pour vol, Elizabeth Lessard était une criminelle endurcie. Elle était insolente et ne tenait nul compte des règles. Plusieurs punitions lui furent infligées dans le mois qui précéda sa libération, la même année : confinement dans sa cellule, privation de privilèges, quatre jours de cachot, quatre jours au pain et à l’eau, deux semaines d’isolement dans la cave. Ce dernier châtiment lui fut imposé après qu’une gardienne nommée Mick eut rapporté qu’elle lui avait « crié des noms, tenu des propos ignobles, menacée, etc. ».

Elizabeth Lessard ne tarda pas à faire bien pire et fut transférée pour cette raison. Reproduisant une attaque perpétrée quatre ans plus tôt, elle s’en prit à Mick, qu’elle détestait. En 1905, Tillie Robinson avait été condamnée à cinq ans pour avoir poignardé Mick et juré de la tuer. À ce moment-là, Elizabeth Lessard ne se trouvait pas à la maison de correction, mais elle avait sans doute entendu parler du drame lorsqu’on l’avait incarcérée de nouveau quelques mois plus tard pour vol. L’acte de violence qu’elle commit en 1909 comportait, par rapport à celui de Tillie Robinson, un raffinement de malice. Selon le World de Toronto, « dans un accès de passion », elle prit des ciseaux (instrument facile à trouver puisqu’on enseignait la couture à la maison de correction) et, « les infectant d’une répugnante maladie dont elle souffrait, elle poignarda la gardienne dans la poitrine, lui inoculant la maladie ». Il s’agissait de la syphilis. Que les ciseaux aient été infectés ou non, ce crime marqua la fin des séjours d’Elizabeth Lessard à la maison de correction. Le 29 avril 1909, elle fut trouvée coupable de coups et blessures et condamnée à passer trois ans au pénitencier de Kingston. Elle alla ainsi rejoindre Tillie Robinson et une vingtaine d’autres femmes qui purgeaient une sentence pour dommages à la propriété, meurtre ou autres crimes.

Au pénitencier, Elizabeth Lessard continua d’être indisciplinée, mais elle ne commit aucun autre acte de violence. Sa santé déclinait probablement : elle était seulement au début de la trentaine, mais la dure existence qu’elle avait menée et ses 18 séjours en prison ou en maison de correction l’avaient usée. Loin de ses compagnes de la maison de correction, avec qui elle avait passé plus de temps qu’avec sa famille, elle mourut au Kingston General Hospital en 1911. Une de ses sœurs vint réclamer sa dépouille et la fit transporter à Hamilton.

Curieusement, le Daily British Whig de Kingston rapporta la nouvelle du décès d’Elizabeth Lessard en parlant de la « mort d’une dame de Hamilton », sans dire qu’elle avait un lourd passé judiciaire et avait fait de la prison. Cependant, le Hamilton Spectator dit que, de tous les criminels de la ville, elle avait été l’une des plus hautes en couleur et évoqua son attaque contre Mick en affirmant qu’elle était « l’une des plus graves [jamais] enregistrée », sans doute à cause de cette histoire d’inoculation de maladie vénérienne. Six ans après la mort d’Elizabeth Lessard, Harry Milner Wodson, arrêtiste du tribunal de police correctionnelle de Toronto, la décrivit comme une « diablesse » adepte de la dive bouteille, qui, avec sa sœur, « ne ratait jamais une occasion d’attirer autrui dans [les] tentacules du vice ».

Comme des milliers de criminels qui séjournèrent dans les prisons canadiennes à la fin du xixe et au début du xxe siècle, entre des périodes de travail précaire, de beuveries et de tentatives sincères de réforme, Elizabeth Lessard a laissé des traces dans les archives de ces établissements. Mais on n’a, sur sa brève et tumultueuse existence, aucun témoignage venant d’elle.

Carolyn Strange

AN, RG 31, C1, 1891, Hamilton, Ontario, Ward 7 ; RG 73, Acc. 1987–88/013, boîtes 14–16, 78 ; C6, vol. 454.— AO, RG 20-50, vol. 9, 16.— HPL, Hamilton city records, RG 10, Ser. M, 1893.— Daily British Whig (Kingston, Ontario), 4 avril 1911.— Hamilton Spectator, 5 avril 1911.— World (Toronto), 5 avril 1911.— Carolyn Strange, « The velvet glove : maternalistic reform at the Andrew Mercer Ontario Reformatory for Females, 1874–1927 » (mémoire de m.a., Univ. d’Ottawa, 1983).— H. M. Wodson, The whirlpool : scenes from Toronto Police Court (Toronto, 1917).

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Carolyn Strange, « LESSARD, ELIZABETH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lessard_elizabeth_14F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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