LESPÉRANCE (Rocheleau, dit Lespérance), PIERRE, orfèvre, né à Québec le 19 décembre 1819, fils d’André Rocheleau, dit Lespérance, menuisier, et de Charlotte Sasseville ; le 20 février 1865, il épousa Catherine Bélanger puis, le 23 février 1870, Elizabeth Hill ; décédé dans sa ville natale le 23 avril 1882.

Le 20 juin 1836, Pierre Lespérance est mis en apprentissage par son père « en qualité d’apprentis orfèvre pour tout le temps qu’il y aura à courir jusqu’à ce qu’il ait atteint l’age de vingt un ans révolus à Monsieur Laurent Amiot[*] maître orfèvre ». Lespérance « s’oblige à faire tous les ouvrages qui lui seront ordonnés de faire, soit par le dit Sieur Amiot, soit par toutes autres personnes conduisant sa boutique son attelier ». Amiot exigeait toujours le mot juste du notaire, ce qui nous renseigne sur sa personnalité et sur l’organisation du travail dans son établissement. Ici, il fait supprimer le mot « boutique » qui désigne le magasin où la clientèle vient acheter les produits mis en vente, et il le fait remplacer par « attelier » qui désigne le lieu où œuvrent des artisans ; il fait également supprimer « métier » d’orfèvre pour « art » d’orfèvrerie. Amiot ne dirige pas seul son atelier. En effet, Lespérance devra obéir à d’« autres personnes ». On songe immédiatement à son oncle François Sasseville* qui devient locataire de l’atelier et de la boutique d’Amiot après le décès de ce dernier en juin 1839. Comme le contrat d’apprentissage de Lespérance n’expirait qu’en décembre 1840, nous pouvons supposer qu’il a poursuivi sa formation avec Sasseville.

Les liens professionnels unissant les deux orfèvres sont mal définis. En octobre 1850, « Sasseville et Lespérance » obtiennent un prix de £3 5 shillings à l’Exposition industrielle provinciale de Montréal pour un calice présenté à cette occasion. Si Lespérance était l’associé de Sasseville et a décroché le prix à ce titre, pourquoi son nom n’est-il pas cité dans un article du Journal de Québec du 17 octobre qui fait une critique élogieuse de la pièce en question ? Vers 1852, Sasseville quitte l’ancienne boutique de Laurent Amiot, sise rue de la Montagne, et s’établit dans la rue du Palais. Ce déménagement coïncide-t-il avec un changement de statut dans les relations entre les deux orfèvres ? Pour sa part, John E. Langdon avance que ceux-ci formaient une société en 1854. En 1856, Lespérance tient aussi boutique rue du Palais ; on en est donc réduit à supposer qu’ils partageaient le même établissement. Pourtant, Lespérance semble avoir une certaine autonomie professionnelle puisqu’il déclare avoir fait lui-même, et vendu à la paroisse Saint-Joseph (à Lauzon), des pièces d’orfèvrerie religieuse. Ces vases sacrés, il les reconnaît très bien lorsqu’un voleur tente de les lui revendre en 1856. Sans tarder, il confie le coupable aux autorités.

Le nom de Lespérance est encore une fois associé à celui de Sasseville en 1858 ; cette année-là, il applique le procédé de galvanoplastie pour dorer l’ostensoir de la cathédrale Notre-Dame de Québec, « sorti de l’atelier de M. Sasseville » six ans plus tôt. Tous ces éléments nous montrent jusqu’à quel point la carrière de Lespérance est indissociable de celle de Sasseville jusqu’au décès de ce dernier en février 1864. Le testament de Sasseville nous démontre d’ailleurs l’existence de liens étroits entre les deux hommes ; par cet acte, Lespérance reçoit 100 actions de la Banque du peuple, en plus de l’atelier et de la boutique d’orfèvrerie de Sasseville, ainsi que tout son mobilier personnel. Seule condition à cet héritage, Lespérance devra « remplir toutes les obligations et terminer tous les ouvrages » pour lesquels Sasseville pourrait s’être engagé et qui se trouveraient non achevés au jour de son décès. Lespérance aura également l’entière autorité sur toutes les opérations financières de l’entreprise. En mars 1864, Lespérance annonce dans les journaux « que l’établissement d’orfèvrerie appartenant ci-devant à feu M. François Sasseville, rue du Palais, sera continué au nom du soussigné [... qui] continuera à exécuter, comme par le passé, tous les ouvrages d’Orfèvrerie religieuse et fera son possible pour mériter le patronage dont le clergé a toujours honoré cet ancien établissement ».

Lespérance est âgé de 44 ans lorsque s’ouvre un nouveau chapitre de sa carrière, qui durera 18 ans. L’homme y demeure aussi discret et obscur que du vivant de Sasseville. Les événements majeurs de sa vie privée pendant cette période se résument à deux mariages, à la naissance d’un fils en janvier 1867 et au décès de sa première épouse en juin 1868. Mis à part les nombreux vases liturgiques fournis au clergé et quelques dessins ou aquarelles réalisés sous la direction de son professeur, l’artiste John Murray, les faits saillants de sa carrière demeurent la fabrication de deux pièces d’orfèvrerie à caractère commémoratif. La première, assez inusitée, fut réalisée en 1864 : il s’agit, selon le Journal de Québec, de « la reproduction exacte en miniature dans la proportion d’un demi pouce au pied de la colonne élevée sur les hauteurs de Sainte-Foye, aux braves des deux nations qui luttaient, en 1759, l’une pour la conquête et l’autre pour la défense du Canada. Tout dans ce travail, est d’un fini exquis, et l’habileté de l’artiste se révèle dans toutes les parties de ce monument bijoux. » Cette « œuvre magnifique » fut offerte au consul de la France à Québec, le « baron [Charles-Henri-Philippe] Gauldrée-Boilleau, en souvenir de ses services et de sa bienveillance ». L’autre objet commémoratif est une truelle « présentée à Son Altesse Royale la princesse Louise [...] lors de la pose de la pierre angulaire de la porte Kent » à Québec en 1879. Le Journal de Québec du 14 juin fait tout un éloge du graveur Torcapel qui a décoré l’objet, ne réservant qu’un bref commentaire à l’égard de l’orfèvre : « Le travail de montage est dû à M. Lespérance, dont on connaît la capacité en ce genre. » L’orfèvrerie commémorative fut très populaire à la fin du xixe siècle, et nous ne connaissons que très peu de chose sur ces objets fabriqués par des artisans québécois francophones.

Ambroise-Adhémar Lafrance, qui avait travaillé comme apprenti sous la direction de Sasseville, poursuivit sa formation avec Lespérance. Après le décès de ce dernier en 1882, Lafrance reprit l’entreprise à son compte avec les outils et modèles transmis depuis l’époque d’Amiot. Lespérance et Lafrance, anachronismes vivants, furent les gardiens de la tradition artisanale de l’orfèvrerie religieuse en pleine époque d’industrialisation et de commercialisation. Néanmoins, l’orfèvre Cyrille Gingras, qui avait travaillé dans le très important atelier de Cyrille Duquet à partir de 1888, déclare dans une entrevue publiée en 1938 : « l’autre boutique importante de la ville [de Québec] à cette époque [1882–1905], était celle du père Lafrance, qui opérait sous le nom de l’Espérance [...], dans une maison qui appartenait aux religieuses de l’Hôtel-Dieu, au coin de la rue Charlevoix et de la côte du Palais ».

Robert Derome avec la collaboration de Sylvio Normand

On retrouve des œuvres de Pierre Lespérance dans les grandes collections publiques ou privées, notamment au musée du Québec (Québec) et dans la coll. Henry Birks d’orfèvrerie canadienne, conservée à la Galerie nationale du Canada (Ottawa). Plusieurs fabriques de la région de Québec possèdent de ses pièces.  [r. d. et s. n.]

ANQ-Q, État civil, Catholiques, Notre-Dame de Québec, 20 déc. 1819, 20 févr. 1865, 23 févr. 1870 ; Minutiers, A.-A. Parent, 20 juin 1836, 2 juill. 1839 ; A.-B. Sirois-Duplessis, 30 nov. 1863.— IBC, Centre de documentation, Fonds Morisset, 2, A517/L382 ; G492.5/C997.5 ; L169.5/A495.1 ; R673/P622.— Musée du Québec, A–53.85-d.— Le Journal de Québec, 17, 22, 26 oct. 1850, 14 juin 1853, 3 avril 1855, 6 sept. 1856, 27 mars 1858, 17 mars, 23 août 1864, 23 févr. 1865, 12 janv. 1867, 16 juin 1868, 23 févr. 1870, 14 juin 1879, 24 avril 1882.— Quebec directory, 1854–1862.— J. E. Langdon, Canadian silversmiths, 1700–1900 (Toronto, 1966).— Gérard Morisset, Le Cap-Santé, ses églises et son trésor (2e éd., C. Beauregard et al., édit., Montréal, 1980).— G.-H. Dagneau, « La fabrication des vases sacrés se fera à Québec », L’Action catholique (Québec), 14 avril 1938 : 24.— Gérard Morisset, « Nos orfèvres canadiens : Pierre Lespérance (1819–1882) », Technique (Montréal), 22 (1947) : 201–209.

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Robert Derome avec la collaboration de Sylvio Normand, « LESPÉRANCE (Rocheleau, dit Lespérance), PIERRE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lesperance_pierre_11F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    1 décembre 2024