LEROY, PIERRE-AUGUSTE, instituteur et auteur, né le 20 février 1846 à Mauves (Mauves-sur-Loire, Loire-Atlantique, France), fils de Pierre Leroy, médecin, et de Marie-Anne-Rosalie Lebreton, décédé après 1886, en France ou en Suisse.

Pierre-Auguste Leroy arrive à Québec le 6 mars 1874 avec l’intention d’y introduire une nouvelle méthode visant à réformer complètement l’enseignement classique. Approchant la trentaine, il entreprend une réflexion sur son passé qu’il perçoit comme une suite d’échecs et de « souffrances ». Depuis sa plus tendre enfance, il a voulu être missionnaire afin de pouvoir mourir martyr de sa foi catholique. C’est d’ailleurs pour la même raison, écrit-il, qu’à l’âge de 14 ans, à la suite de la défaite de Castelfidardo, en Italie, il supplie en vain son père de le laisser joindre les rangs de l’armée pontificale. Leroy entre au collège de Couet, Loir-et-Cher, France, pour y achever son cours classique et, en 1867, ayant atteint l’âge de la majorité, il abandonne ses études en médecine, auxquelles il avait été contraint par son père, pour s’enrôler, au lendemain de la bataille de Mentana, en Italie, dans le 3e bataillon des zouaves pontificaux. Au terme de son engagement de six mois, en mai 1868, il croit pouvoir réaliser sa vocation en entrant chez les cisterciens, à l’abbaye d’Aiguebelle, près de Donzère, France. Moins d’un an plus tard, ses supérieurs le forcent à retourner au laïcat afin de refaire sa santé détériorée par les privations excessives qu’il s’est imposées. Leroy s’intéresse alors à l’éducation. Tout porte à croire qu’il fut professeur un certain temps, puisqu’au début de l’année 1874 il publie à Lyon un premier ouvrage pédagogique intitulé Commentarii de bello Helvetio ; nouvelle méthode pour apprendre le latin en peu de temps. Le 2 février 1874, il demande au ministre français de l’Instruction publique d’expérimenter ses méthodes pédagogiques qui, soutient-il, peuvent abréger les études secondaires de moitié. Son expérience le conduit à considérer que le système d’enseignement classique a été un obstacle dans la recherche de la voie que lui a tracée la Providence. Il conçoit ainsi que chaque homme a une mission particulière à remplir qui lui est indiquée dès l’enfance par « des signes à peu près certains ». Or, le système d’enseignement classique, soutient-il, ne tient pas compte de la vocation des enfants. Il est autoritaire et trop contraignant ; la mémorisation occupe une place excessive, et les pertes de temps à apprendre des matières inutiles grèvent une grande partie du temps que l’enfant devrait mettre à exercer sa créativité, à apprendre un métier et, ainsi, à réaliser ce pourquoi la Providence a permis qu’il vive. Éconduit en France, il cherche du côté du Canada, dont il a entendu parler à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1867, dans l’espoir qu’on y accueillera son « invention ».

Dès son arrivée à Québec, Leroy se présente à l’abbé Thomas-Étienne Hamel, supérieur du séminaire de Québec, et propose qu’on lui accorde une classe pour qu’il puisse mettre à l’essai sa méthode d’enseignement du latin. Le 8 avril de cette même année, il est invité à prononcer une conférence sur le sujet devant les professeurs du séminaire. En dépit de l’intérêt que suscitent ses propos, on lui refuse ce qu’il demande. Il s’adresse alors à Gédéon Ouimet*, premier ministre et titulaire du ministère de l’Instruction publique de la province de Québec. Sans doute intéressé, celui-ci accepte de présider la deuxième conférence que Leroy prononce, le 30 avril, à l’école normale Laval, à Québec, devant le maire, les notables et de nombreux journalistes. Le lendemain, bon nombre de journaux font l’éloge de sa méthode. Napoléon Legendre*, rédacteur adjoint du Journal de l’Instruction publique, souhaite même que le gouvernement lui vienne en aide. Ouimet lui octroie la subvention et le local demandés, et Leroy annonce qu’il donnera, à compter de septembre 1874, un cours expérimental de trois ans qui comprendra toutes les matières – à l’exception de la philosophie – exigées en France pour l’examen de baccalauréat ès lettres, qui, dans ce pays, sanctionne les études secondaires.

L’encouragement que reçoit Leroy dans la province de Québec n’est pas étranger à la volonté, entretenue dans certains milieux depuis 1840, de réformer l’enseignement classique afin de l’adapter aux exigences de l’industrialisation. Par exemple, quand les membres de l’Institut canadien de Montréal signalaient le décalage technologique et matériel de la société québécoise par rapport à l’Amérique anglo-saxonne, ils accusaient l’éducation donnée dans les collèges classiques d’être la cause de ce retard. À cet égard, la méthode de Leroy, qui réduit la durée des études du latin et du grec de moitié, tout en maintenant un apprentissage suffisant, semble être un compromis souhaitable entre l’abolition et le maintien intégral de ces matières. Il y aurait désormais plus de temps accordé aux connaissances utiles. Cependant, certains professeurs considèrent cette nouvelle méthode trop exigeante puisqu’elle les oblige à fournir un enseignement quasi individualisé. Leroy leur répond dans les journaux sur un ton agressif et polémique. Et pour prouver qu’il a raison, il propose de tenir, avec sa trentaine d’étudiants, des examens publics à tous les trois mois afin d’exposer les progrès réalisés. Le succès de ces examens est tel que Leroy s’attire de nouveau des éloges pour sa méthode. En décembre 1874, Joseph-Édouard Cauchon, du Journal de Québec, vante les mérites de l’homme et de l’œuvre, et Napoléon Legendre conserve, pour sa part, le même enthousiasme. L’abbé Antonin Nantel, supérieur du séminaire de Sainte-Thérèse, prédit un triomphe prochain à Leroy et souhaite que la force de l’opinion publique réussisse à vaincre les résistances. L’abbé Dominique Racine, supérieur du séminaire de Chicoutimi, témoigne des résultats positifs de cette méthode, après en avoir fait l’essai dans son institution. Mais, en 1875, la subvention de Leroy n’est pas renouvelée, le gouvernement Ouimet ayant été défait dans le sillage du scandale des Tanneries [V. Louis Archambeault] au mois de septembre de l’année précédente. Cet événement et la surcharge de travail qu’il s’est imposée pour établir sa réputation à Québec affectent sa santé mentale. Retiré de l’enseignement, il commence une vie d’écriture, de polémique et d’errance.

Convaincu qu’il doit réformer l’enseignement pour accomplir sa mission providentielle, Leroy retourne en France à la fin de 1875, dans le but d’intéresser le supérieur de l’abbaye d’Aiguebelle à la fondation, dans la province de Québec, d’un collège qu’il dirigerait lui-même sur le modèle d’un monastère, où les étudiants vivraient, avec quelques adoucissements et adaptations, la règle de saint Benoît. Un tel milieu permettrait l’application de sa méthode et contribuerait à sa diffusion. Les étudiants, admis gratuitement dans cette institution, occuperaient une partie de leur temps à l’apprentissage d’un métier et en sortiraient préparés à occuper la place à laquelle ils sont prédestinés.

Ne pouvant trouver d’encouragement en France, Leroy revient, en 1876, à Québec, où il essuie le même refus de la part de l’archevêque Elzéar-Alexandre Taschereau*. Il se rend alors à Chicoutimi où il rencontre le père Charles Arnaud, oblat de Marie-Immaculée, apparemment favorable à son projet. Au lendemain de cette rencontre, Leroy multiplie les démarches pour faire nommer Arnaud premier évêque du diocèse de Chicoutimi. Il écrit avoir des preuves miraculeuses que ce dernier est désigné par Dieu pour occuper ce poste et devenir l’agent providentiel de la réforme qu’il propose. Il harcèle en ce sens l’archevêque de Québec et le délégué apostolique Mgr George Conroy*, tout en rédigeant des brochures et des articles de journaux à ce sujet. Mais, en dépit de ces initiatives, on nommera Dominique Racine à la tête du diocèse de Chicoutimi en 1878.

Depuis 1876, la crédibilité de Leroy a beaucoup diminué à Québec. Les journaux refusent de le publier de telle sorte qu’il doit fonder sa propre feuille, la Volonté, à Québec ; celle-ci, distribuée gratuitement, paraît irrégulièrement en 1876 et 1877. Rejeté, on le qualifie maintenant, écrit-il, de « brebis galeuse » que « les bonnes femmes de Québec regardent comme un vrai diable » à l’égal d’un « ministre protestant ». Cette réputation ne tient pas exclusivement à ses extravagances, elle repose aussi sur le fait que le clergé, depuis qu’il a refusé d’appuyer son projet, est devenu la cible de ses attaques. À titre d’exemple, il fustige le pouvoir absolu que l’Église exerce sur l’éducation.

Sans argent, Leroy quitte Québec à pied, en 1878, et échoue à Saint-François-du-Lac, dans le comté d’Yamaska. Il est alors hébergé par un habitant de la région envers qui il s’engage à enseigner à son fils. Au printemps de 1879, il se rend à Saint-Hugues et occupe un poste d’instituteur à l’école élémentaire où, pendant un peu plus d’un an, il éprouve beaucoup de satisfaction à mettre à l’essai sa méthode auprès de très jeunes élèves. Mais, encore là, ses obsessions le poursuivent et il abandonne cette maison d’enseignement pour se consacrer à sa vocation de réformer entièrement et radicalement le système d’éducation.

Un héritage inattendu permet à Leroy de se rendre en France vers la fin de 1881. Il y continue de chercher un collège où il pourrait amorcer sa réforme ; à cet effet, il demande, en vain, à l’évêque de Nantes qu’on lui confie le poste de supérieur du collège de Couet. De retour dans la province de Québec à la fin de 1883, il tente de convaincre, l’année suivante, le nouveau délégué apostolique, Mgr Joseph-Gauthier-Henri Smeulders, de la nécessité de remplacer Mgr Racine par le père Arnaud, à la direction du diocèse de Chicoutimi. En 1885, il se rend même à Rome pour intercéder en faveur d’Arnaud. Il prétend reconnaître en ce missionnaire oblat le futur pape « dont parlent les prophéties ». N’ayant pu obtenir gain de cause, il revient à Québec à la fin de la même année. Il se croit alors espionné par la police républicaine française et rentre, en 1886, dans son pays natal où il vit en fugitif. La description qu’on possède sur cet épisode de sa vie nous laisse supposer qu’il avait l’esprit complètement dérangé : revolver en poche, il cherche, sur les routes de France et de Suisse, à échapper aux agents secrets qui le surveillent sous de multiples déguisements. Sans doute a-t-il terminé ses jours dans un asile d’aliénés.

René Hardy

Pierre-Auguste Leroy est l’auteur de nombreux ouvrages traitant de pédagogie et de ses visions mystiques, dont : Études de langues ; réforme de l’enseignement [...] (Québec, 1874) ; Thèmes, règles et vie d’Agésilas : nouvelle méthode pour apprendre le latin en peu de temps (Québec, 1874) ; Pour et contre, réforme de l’enseignement : nouvelle méthode pour apprendre les langues en peu de temps (Québec, 1875) (on trouvera un compte rendu de cet ouvrage sous la rubrique « Bulletin bibliographique », JIP, 19 (1875) : 46) ; l’Enfant et l’Éducation (Québec, 1877) ; Ensemble du système (Québec, 1877) ; Gage de la victoire (s.l., 1878) ; Lumen in cœlo, le mot de l’énigme : explication de la prophétie de St. Malachie (Québec, 1881) ; Lumen in cœlo, la fin du monde : nous sommes aux derniers jours du monde (Québec, 1885) ; Lumen in cœlo, le futur pape : laissez passer la justice de Dieu (Nantes, France, 1885) ; En avant, Œdipe ; où est l’étoile ? (s.l., [1886]). Leroy a également fondé, à Québec en 1876, le journal la Volonté ; celui-ci cessera cependant d’exister au début de l’année suivante.

Arch. départementales, Loire-Atlantique (Nantes), État civil, Mauves, 20 févr. 1846.— Gédéon Ouimet, « Rapport du ministre de l’Instruction publique de la province de Québec, pour l’année 1872 et en partie pour l’année 1873 », JIP, 19 : 36s.— Le Journal de Québec, 28 févr., 13 juin 1876, 1877.— Bernard Lippens, Pierre Leroy : son système, sa marotte, ses luttes homériques et ses travaux herculéens (Québec, 1874).— J.-C. Drolet, « Monseigneur Dominique Racine fondateur de l’Église saguenéenne », SCHÉC Rapport, 31 (1964) : 55–64.— Ægidius Fauteux, « Les carnets d’un curieux : Pierre Leroy ou les navrantes étapes d’une folie », La Patrie, 2 déc. 1933 : 32s., 35.

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René Hardy, « LEROY, PIERRE-AUGUSTE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/leroy_pierre_auguste_11F.html.

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Auteur de l'article:    René Hardy
Titre de l'article:    LEROY, PIERRE-AUGUSTE
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
Date de consultation:    28 novembre 2024