LEGGE, CHARLES, ingénieur civil et agent de brevets, né le 29 septembre 1829 à Silver Springs, près de Gananoque, Haut-Canada, décédé le 12 avril 1881 à Toronto.

Charles Legge fit d’abord ses classes au collège du village, à Gananoque. En 1846, il entra au Queen’s College, à Kingston, mais il en sortit peu après pour étudier le génie sous la tutelle de Samuel Keefer, ingénieur en chef du département des Travaux publics de la province du Canada, qui dirigeait les travaux d’élargissement du canal Welland. En 1848, Legge déménagea à Montréal, où se trouvait le quartier général du département. Il y travailla encore quatre ans avec Keefer, avant d’être nommé ingénieur aux canaux de Williamsburg, une série de canaux aménagés le long du Saint-Laurent, entre Prescott et Dickinson’s Landing, près de Cornwall, Haut-Canada. En 1853, Legge avait surtout la charge des travaux de génie au canal Junction (un des canaux de Williamsburg), alors en construction.

En 1853, au moment où Samuel Keefer laissa le département des Travaux publics pour entrer au service du Grand Tronc du Canada, Legge le suivit. Travaillant à la construction de la ligne Montréal-Kingston, il fit aussi l’arpentage de la section Kingston-Brockville, et participa à la construction de celle de Cornwall. En 1856, Legge fut nommé directeur des travaux de génie pour l’achèvement de la partie sud du pont Victoria, à Montréal – pont qui était le projet le plus ambitieux du Grand Tronc. Il était nécessaire, en effet, qu’un pont de près de deux milles de long enjambât le Saint-Laurent pour relier les deux parties du réseau ferroviaire du Grand Tronc ; aussi James Hodges* avait-il commencé, en 1854, la construction d’un pont à partir de Pointe-Saint-Charles, sur l’île de Montréal, d’après les plans dressés par Thomas Coltrin Keefer*, Robert Stephenson et Alexander McKenzie Ross. Legge dirigea la construction des barrages et des batardeaux pour les butées, de même que l’érection de la structure tubulaire de la partie sud du pont ; il avait aussi la responsabilité des carrières de Pointe-Claire et du lac Champlain, au Vermont. Une fois achevé, le 30 novembre 1859, le pont Victoria était le plus long au monde ; pour rendre hommage aux ingénieurs qui avaient participé au projet, Legge écrivit A glance at the Victoria Bridge, and the men who built it (1860), ouvrage dans lequel il rapportait les nombreuses tribulations rencontrées pendant la construction.

Au cours de la décennie suivante, Legge mit sur pied une entreprise de consultation en génie civil, spécialisée dans les travaux d’amélioration portuaires et dans les projets d’exploitation de l’énergie hydraulique. En 1861, le président de la Commission du havre de Montréal, John Young*, l’incita à préparer un plan pour l’agrandissement du port de Montréal et pour la mise en exploitation de l’énergie hydraulique des rapides de Lachine. En très peu de temps, Legge mit au point deux brochures dans lesquelles il présentait un projet complet de grands bassins pour le port et d’un vaste système d’énergie hydraulique, combiné avec un aqueduc qui prendrait sa source au-dessus des rapides. Mais, à cause des problèmes économiques et politiques auxquels la Commission du havre de Montréal avait à faire face, ce projet ne fut jamais réalisé. En 1864, Legge publia une version réduite de son plan, destinée à des intérêts privés, mais il ne réussit pas davantage à voir adopter son projet. Subséquemment, il fut expert-conseil pour la mise en exploitation de l’énergie hydraulique à Chambly, à Saint-Jérôme et à Richmond, au Québec, et à Gananoque, en Ontario. Ses rapports, d’un style lisible, expliquaient clairement et en détail les aspects financiers et techniques des projets, décrivaient la topographie et les ressources de chaque région, et exposaient, en même temps que les possibilités d’exploitation de l’énergie hydraulique, les étapes à suivre pour sa mise en œuvre et les bénéfices d’ordre économique qui en résulteraient. Une des caractéristiques de ses rapports, c’était les différentes options, tant dans le domaine financier que dans celui du génie, qu’il soumettait à la considération des investisseurs éventuels.

Au cours de ces années, Legge fut également actif dans le domaine des brevets d’invention. En 1864, il ouvrit à Montréal, sous le nom de Charles Legge and Company, un bureau de brevets d’invention : son rôle consistait à obtenir des brevets canadiens pour les inventeurs et les entrepreneurs. Dans une brochure écrite en 1867, Legge prônait des changements aux lois de 1849 relatives aux brevets d’invention ; et, quand on adopta une nouvelle loi en 1869, il prépara une deuxième brochure, indiquant la procédure à suivre pour l’obtention de brevets tant au Canada que dans les pays étrangers. L’agence de Legge, la deuxième en importance en Amérique du Nord et la première au Canada, fit apparemment affaire sur le plan international, avec des représentants aux États-Unis et en Europe, et elle continua de fonctionner avec succès jusqu’en 1878.

En 1869, Legge s’intéressa à la Compagnie du chemin à lisses de colonisation du nord de Montréal, tant à titre de membre fondateur du conseil d’administration que d’ingénieur en chef. La compagnie avait reçu une charte provinciale l’autorisant à relier Montréal aux Laurentides, et Legge arpenta une ligne qui devait aller du port d’Hochelaga (maintenant partie de Montréal) à Saint-Jérôme, en passant par Mile End (maintenant partie de Montréal). Aux mains d’un groupe de capitalistes montréalais dont le chef de file était Hugh Allan, qui devint président de la compagnie en 1871, la ligne proposée commença bientôt à apparaître davantage comme une partie d’un système transcontinental que comme une simple ligne de colonisation. En 1871, Legge écrivit en collaboration un Report on exploration of routes north and south sides of Ottawa River, for the Montreal Northern-Colonization Railway from Grenville to Ottawa city, et, dès 1874, il avait poussé ses arpentages jusqu’à la baie Georgienne. Toutefois, et bien que la ligne eût l’appui de puissants intérêts commerciaux et qu’elle eût reçu de généreuses concessions foncières du gouvernement de Québec, sa construction fut empêchée par des problèmes financiers et par l’opposition du Grand Tronc. Soumis à toutes ces pressions, Legge avait fait une dépression nerveuse en 1872 ; il devait en faire une autre en mars 1875, quelques mois avant l’échec du projet de chemin de fer. En novembre 1875, le gouvernement de Québec annonça qu’il retirait la charte du chemin à lisses de colonisation du nord de Montréal pour l’intégrer à la Compagnie du chemin de fer de Québec, Montréal, Ottawa et Occidental.

Au début des années 1870, Legge arpenta un certain nombre d’autres lignes de chemin de fer, au Québec et en Ontario, et il fut ingénieur en chef de travaux tels que le Toronto, Simcoe and Muskoka Junction Railway, le Gananoque and Rideau Railway, le chemin de fer de Montréal, Chambly et Sorel, et le Yamaska Valley Railway. Deux des arpentages qu’il fit à cette époque, l’un pour la Compagnie du chemin de fer de jonction entre Montréal et la cité d’Ottawa, l’autre pour une ligne dans le comté de Prince Edward, en Ontario, furent publiés. Malheureusement, Legge n’eut pas plus de succès avec ces lignes qu’il n’en avait eu avec le chemin à lisses de colonisation du nord de Montréal, et tous ces projets échouèrent ou leur réalisation fut remise à plus tard.

Le dernier grand projet de Legge fut le pont Royal Albert, proposé à l’origine par la Compagnie du chemin à lisses de colonisation du nord de Montréal, qui devait enjamber le Saint-Laurent à l’extrémité est de Montréal et offrir une autre voie que le pont Victoria du Grand Tronc. John Young se fit l’ardent promoteur de ce projet, face à la forte opposition d’autres membres de la Commission du havre de Montréal, tout autant que de celle du Bureau de commerce de Montréal. En 1876, Legge en fut nommé ingénieur, mais les promoteurs du projet retirèrent la requête qu’ils avaient adressée en octobre pour l’obtention d’une charte fédérale, et le pont ne fut jamais construit.

On sait peu de chose de Legge après ce dernier échec. Il semble qu’en 1880 il avait quitté Montréal, et il mourut dans l’obscurité à Toronto le 12 avril 1881. On ignore la raison de sa mort prématurée, à l’âge de 51 ans, mais l’épuisement nerveux autant que physique occasionné par son travail y était pour quelque chose, comme ce fut le cas pour d’autres ingénieurs de son temps.

Même s’il contribua aux travaux de génie d’un des plus grands ouvrages du Canada, le pont Victoria, Legge ne laissait que peu d’autres travaux dans ce domaine. Mais son importance comme ingénieur-conseil et comme auteur de brochures – 23 articles publiés sur l’énergie hydraulique, les chemins de fer, les ponts et les brevets d’invention – apparaît dans le succès que connurent plusieurs de ses projets, après sa mort. Reconnu en outre comme un pionnier dans le domaine des requêtes en vue de l’obtention de brevets d’invention, il exploita avec succès la deuxième agence en importance, en Amérique du Nord, dans cette spécialité.

Larry S. McNally

Parmi les 23 brochures que Charles Legge a écrites entre 1860 et 1874, on retrouve notamment : A glance at the Victoria Bridge, and the men who built it (Montréal, 1860) ; Preliminary report and plans shewing the necessity of hydraulic docks at Montreal, with manufacturing facilities in connection with a city terminus, for the Grand Trunk Railway [...] (Montréal, 1861) ; Suggestions with reference to the proposed new act ; respecting letters patent for inventions, in the Dominion of Canada (Montréal, 1867) ; Report on Montreal Northern Colonization Railway, Montreal to city of Ottawa, with branch line to St. Jerome (Montréal, 1872), traduit sous le titre de Rapport sur le chemin de fer de colonisation du Nord, Montréal à Ottawa avec embranchement à St. Jérôme (Montréal, 1872). Pour une liste plus complète, on peut consulter les ouvrages de Narcisse-Eutrope Dionne*, Inventaire chronologique des livres, brochures, journaux et revues publiés en langue française dans la province de Québec depuis l’établissement de l’imprimerie au Canada jusqu’à nos jours (4 vol. et suppl., Québec, 1905–1912 ; réimpr., 2 vol., New York, 1969) ; de Philéas Gagnon*, Essai de bibliographie canadienne [...] (2 vol., Québec et Montréal, 1895–1913 ; réimpr., Dubuque, Iowa, [1962]) ; ainsi que le Catalogue des pamphlets, journaux et rapports déposés aux Archives publiques du Canada, 1611–1867, suivi d’un index, Norman Fee, compil. (2e édit., Ottawa, 1916) et le Catalogue des brochures aux APC (Casey), I.

APC, RG 11, A1, 19, no 19 767.— Québec, Statuts, 1869, c.55.— Canadian Illustrated News, 12 févr., 1er avril 1876.— Canadian Illustrated News (Hamilton, Ontario), 16 janv. 1864.— Dominion annual register, 18801881 : 415s.— Montreal directory, 18591880.— James Hodges, Construction of the great Victoria Bridge in Canada (2 vol., Londres, 1860).— Michel Stewart, « Le Québec, Montréal et Occidental : une entreprise d’État » (thèse de ph.d. en cours, univ. Laval).— B. J. Young, Promoters and politicians : the North-Shore railways in the history of Quebec, 1854–85 (Toronto, 1978).

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Larry S. McNally, « LEGGE, CHARLES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/legge_charles_11F.html.

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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1982
Année de la révision:    1982
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