LAWRENCE, JOSEPH WILSON, fabricant de meubles, entrepreneur de pompes funèbres, homme politique, fonctionnaire et historien, né le 28 février 1818 à Saint-Jean, Nouveau-Brunswick, fils d’Alexander Lawrence* et de Mary Wilson ; le 10 juin 1846, il épousa à New York Anna C. Bloomfield, et ils eurent au moins trois fils et deux filles ; décédé le 6 novembre 1892 dans sa ville natale.
Rien dans les antécédents familiaux de Joseph Wilson Lawrence ne présageait qu’il ferait œuvre de pionnier dans l’historiographie néo-brunswickoise. Son père, parti d’Écosse, arriva à Saint-Jean en 1817 et devint un ébéniste renommé dans la colonie. À sa mort, en 1843, Joseph et son frère George Hunter prirent la relève ; ils se distinguèrent de leur père en augmentant la production et en fabriquant des meubles plus finement sculptés. Le nom de l’entreprise n’allait disparaître qu’en 1896. Les frères Lawrence exploitaient aussi une grosse entreprise de pompes funèbres à Saint-Jean.
La carrière publique de Lawrence fut liée à celle de son grand ami d’un moment, Samuel Leonard Tilley. En 1835, tous deux participèrent à la fondation de la Young Men’s Debating Society, qui allait se révéler une véritable pépinière d’hommes politiques. En 1839, Tilley résolut de vivre plus intensément sa foi, et Lawrence devint comme lui enseignant dans une école anglicane du dimanche. L’année suivante, ils firent ensemble le vœu d’abstinence totale. Tilley se rendit à New York en 1846 avec Lawrence pour assister au mariage de ce dernier, et le nomma exécuteur de son premier testament. Quand Tilley fit ses débuts en politique, en 1850, il demanda à Lawrence de parler en son nom aux travaux de la journée d’investiture, à laquelle il était dans l’impossibilité d’assister.
Pourtant, lorsque Lawrence entra à son tour en politique, en briguant l’un des deux sièges de la circonscription de la ville de Saint-Jean aux élections générales de 1854, c’est Tilley qu’il affronta. Dans le milieu politique de Saint-Jean, à la veille de l’instauration des gouvernements de parti, qu’un homme se présente à titre de candidat indépendant contre un ami libéral ne signifiait pas nécessairement qu’il y avait désaccord de principes entre eux. Toutefois, la situation n’était plus la même au scrutin de 1856, qui porta sur les prérogatives de la couronne. Cette fois, Lawrence se présenta dans la même circonscription en manifestant son appui au lieutenant-gouverneur John Henry Thomas Manners-Sutton*, qui avait décidé d’imposer des élections dans l’espoir de renverser la loi provinciale sur la prohibition. Ce faisant, Lawrence s’opposait de front à Tilley qui faisait partie du gouvernement évincé et qui, de surcroît, avait été le principal promoteur de ladite loi. Cette fois, Lawrence remporta la victoire et, en entrant à l’Assemblée, se rangea du côté de l’éphémère gouvernement conservateur de John Hamilton Gray*. C’est devant la menace d’une défaite, en mars 1857, qu’il connut son heure de gloire à la chambre. Pendant que le plus grand désordre régnait, Lawrence, qui était dur d’oreille, s’emporta et dénonça les détracteurs du gouvernement durant une heure ; il retarda ainsi les travaux jusqu’à ce que Manners-Sutton parvienne à proroger l’Assemblée, évitant de subir l’humiliation d’une motion de censure. Aux élections générales qui s’ensuivirent, il perdit son siège ; la même année, dans une élection partielle, il fit sans succès la lutte à Tilley, devenu ministre. Il regagna un siège au cours d’une autre élection partielle en 1858, mais il perdit aux élections générales de 1861 et 1870.
Comme la plupart des Néo-Brunswickois, Lawrence s’opposa au projet d’union coloniale qui résulta de la conférence de Québec en 1864. Il prononça plusieurs discours pendant la campagne électorale de 1865 qui porta sur la Confédération et aboutit à la défaite du gouvernement Tilley. Sous le malheureux gouvernement antifédéraliste d’Albert James Smith*, il fut commissaire en chef des chemins de fer. Le parti de Tilley exigea sa destitution en reprenant le pouvoir en 1866, même s’il n’avait pas fait de politique depuis sa nomination. Finalement, le lieutenant-gouverneur Arthur Hamilton Gordon* le sacrifia pour éviter une crise constitutionnelle. Par la suite, à la demande des libéraux fédéraux d’Alexander Mackenzie, il accepta de faire partie d’une commission d’étude sur la construction d’un canal qui traverserait l’isthme Chignecto à Baie-Verte (son rapport minoritaire, publié en 1876, appuyait le projet), mais en 1885 il était encore convaincu que, du point de vue des Maritimes, la Confédération était une « erreur » et un « échec ».
Dans les années 1870, Lawrence entreprit les recherches historiques qui allaient l’occuper jusqu’à la fin de sa vie. Certes, ses objets d’étude étaient classiques – l’Église d’Angleterre à Saint-Jean et les professions médicale, juridique et journalistique – mais il fut le premier Néo-Brunswickois à faire de la recherche en archives sur une échelle assez vaste. Il s’était vu confier, à la mort du sénateur Robert Leonard Hazen*, une remarquable collection de documents de Ward Chipman* père et Ward Chipman* fils et, impatient de voir ses concitoyens prendre conscience de la valeur de leur passé, il prit l’habitude de présenter des documents de la collection à ceux qui, selon lui, pouvaient s’y intéresser. Président fondateur de la New Brunswick Historical Society, formée en 1874, il fut, même s’il n’était pas descendant de loyalistes, l’organisateur principal des fêtes du centenaire de l’arrivée des loyalistes, qui eurent lieu en 1883 et remportèrent un vif succès. Pour l’occasion, il publia un beau volume de courts portraits de loyalistes qui le fit reconnaître, aux yeux du public, comme la grande autorité sur l’histoire du Nouveau-Brunswick.
Lawrence doit sa réputation durable à la série d’études biographiques publiées après sa mort, Judges of New Brunswick. Commencée en 1874, cette série était, de par sa conception, le premier ouvrage d’envergure de la province. En résumant la carrière des 20 juges nommés à la Cour suprême depuis les débuts de la colonie jusqu’en 1867 – notamment George Duncan Ludlow*, Edward Winslow*, les Chipman et Lemuel Allan Wilmot* – Lawrence allait écrire une histoire politique (et non pas juridique) qui couvrirait près d’un siècle. Choisir de raconter des époques par le biais de la biographie lui permettait à la fois de satisfaire le public victorien, friand de ce genre d’études, et de ne pas trop taxer sa modeste aptitude à organiser sa documentation. Lawrence se servit dans une large mesure de sources de première main, principalement des documents des Chipman, de la correspondance officielle des lieutenants-gouverneurs et de la collection des anciens journaux de Saint-Jean, à laquelle il avait accès parce qu’il était depuis longtemps bibliothécaire du Mechanics’ Institute.
Lawrence avait plus de talent pour rassembler les documents que pour narrer les faits. À sa mort en 1892, il laissa, à l’état de brouillons, une ahurissante quantité de biographies de juges, composées dans le style décousu qui lui était propre et rédigées « d’une écriture péniblement lisible », mais rien que son exécuteur littéraire, Alfred Augustus Stockton*, aurait pu faire imprimer tout de suite. Ce n’est qu’en 1904 que le journaliste David Russell Jack* convainquit Stockton de préparer les biographies pour les publier par tranches dans l’Acadiensis. Celui-ci décida de ne retoucher que légèrement les textes de Lawrence et d’y ajouter à la fin beaucoup de notes, souvent inspirées du travail de William Odber Raymond* sur les papiers d’Edward Winslow, que Lawrence n’avait pu consulter. Quand Stockton mourut, en 1907, il incomba à Raymond d’écrire les quatre dernières biographies et d’amener ainsi à une belle conclusion un ouvrage qui avait connu bien des péripéties depuis ses débuts, 30 ans plus tôt. Judges parut sous forme de livre à Saint-Jean en 1907.
Pendant les 20 dernières années de sa vie, Joseph Wilson Lawrence, affligé d’une grave surdité et obsédé par ses échecs politiques et ses revers financiers, devint tout à fait bizarre. On a l’impression que ses collègues d’autrefois, dont Tilley, le sénateur John Boyd et George Edward Fenety, louangèrent publiquement son œuvre d’historien afin de reconnaître indirectement que ses talents lui auraient donné droit à une renommée provinciale que les vicissitudes de la politique partisane lui avaient refusée. Même si ses contemporains en firent un historien plus grand qu’il n’était et même si son ambitieux projet – produire une histoire politique générale par le biais de la vie des juges – ne fut mené à terme que tardivement, et uniquement grâce au labeur d’autres personnes, c’est bien lui qui, le premier, intéressa les Néo-Brunswickois à leur histoire. Il ouvrit la voie à plusieurs historiens amateurs distingués, déjà à l’œuvre au moment de sa mort, dont William Odber Raymond et James Hannay*.
L’ouvrage de Joseph Wilson Lawrence, Judges of N.B., a paru à l’origine sous forme d’une série d’annexes à l’Acadiensis (Saint-Jean, N.-B.), 5 (1905)–7 (1907) ; la monographie de 1907 a été réimprimée avec une introduction de D. G. Bell à Fredericton en 1985. En outre, Lawrence a rédigé quelques articles et trois autres monographies qui ont tous été publiés à Saint-Jean : A letter on the Intercolonial Railway, to the Hon. William McDougal [...] (1867) ; A minority report on the proposed Baie Verte Canal, 1876 (1876) ; et Foot-prints ; or, incidents in early history of New Brunswick, 1783–1883 (1883).
Cependant, la contribution la plus durable de Lawrence à l’historiographie du Nouveau-Brunswick a été de sauver les papiers Chipman, qui renferment un important éventail des documents de la famille Hazen. Se désespérant de leur sort, Lawrence écrivait à Samuel Leonard Tilley en 1890 « Quant à savoir qui aura mes vieilles reliques historiques, je n’en sais rien, car personne dans ma famille ne leur fait de place. » Une partie de ces papiers, ainsi que ceux qui ont été découverts par W. O. Raymond se trouvent maintenant aux AN dans la collection Lawrence (MG 23, D1, sér. 1) ; l’autre partie importante est au Musée du N.-B., surtout dans la H. T. Hazen coll. : Ward Chipman papers.
Les documents qui sont passés par les mains de Lawrence sont facilement identifiables grâce à son griffonnage caractéristique (des « marques de sabots » selon Raymond) au verso. On peut donc déduire qu’une partie importante des papiers Jonathan Sewell (AN, MG 23, GII, 10) ont été extraits par Lawrence des papiers Chipman et donnés à G. W. Sewell. De même, le principe unificateur, autrement obscur, qui sous-tend la collection des manuscrits de la fin du xviiie siècle désignés comme les PANS, MG 1, 164C, est qu’il s’agit d’un ensemble d’autographes néo-écossais que Lawrence a extrait de la correspondance de Chipman pour les offrir à Thomas Beamish Akins.
Les propres papiers de Lawrence qui subsistent, bien que nombreux, sont de piètre qualité. La collection Lawrence des AN comprend plusieurs douzaines de carnets qui renferment des ébauches de chapitres pour Judges of N.B. et d’autres notes historiques, ainsi que de la documentation sur ses sujets favoris, les chemins de fer et les canaux. La partie la plus intéressante de cette collection est le dossier de sa correspondance personnelle (vol. 80) portant surtout sur l’évolution pénible de Judges of N.B. Les papiers Lawrence du Musée du N.-B. comprennent l’ébauche de ses mémoires de 1885 « Some reminiscences, Hon. Sir Leonard Tilley and J. W. Lawrence, 1835–1885 » (A313), des albums, des carnets historiques et des livres de compte. Il y a aussi un petit dossier de correspondance concernant Foot-prints dans la H. T. Hazen coll., et des lettres de Lawrence dans les Tilley family papers. [d. g. b.]
AN, MG 27, I, D15.— Musée du N.-B., Barnhill, Ewing & Sanford papers, box 9 ; Confederation, cb doc. ; A. McL. Seely papers.— St Andrew and St David United Church (Saint-Jean), St Andrew’s Presbyterian Church, reg. of baptisms and marriages.— New Brunswick Hist. Soc., Loyalists’ centennial souvenir (Saint-Jean, 1887).— Daily Telegraph (Saint-Jean), 21 août 1885.— St. John Daily Sun, 5 mai 1882, 6, 9 janv. 1890.— Saint John Globe, 10 nov. 1886, 7 nov. 1892.— Elections in N.B.— C. H. Foss et Richard Vroom, Cabinetmakers of the eastern seaboard : a study of early Canadian furniture (Toronto, 1977).— H. G. Ryder, Antique furniture by New Brunswick craftsmen (Toronto, 1965).
D. G. Bell, « LAWRENCE, JOSEPH WILSON », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lawrence_joseph_wilson_12F.html.
Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:
Permalien: | http://www.biographi.ca/fr/bio/lawrence_joseph_wilson_12F.html |
Auteur de l'article: | D. G. Bell |
Titre de l'article: | LAWRENCE, JOSEPH WILSON |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |