LAJOÜE, FRANÇOIS DE, arpenteur-mesureur, maître maçon, architecte-entrepreneur, marchand, bourgeois, ingénieur, né vers 1656 dans la région parisienne (Saint-Giruault), fils de Jacques de La Joue, maître chirurgien, et de Madeleine Guérin, décédé en Perse en 1719 ou peu avant.
François exerça son métier d’arpenteur à Paris avant de venir s’établir à Québec, en 1689 ou peu avant, à l’âge de 33 ans environ. Il logea chez Pierre Ménage dont il épousa la fille, Marie-Anne, le 3 novembre 1689. De cette union naquirent plusieurs filles dont Marie-Agnès et Marie-Thérèse, qui épousèrent respectivement Pierre-Noël Levasseur et l’ingénieur Laguer de Morville. Les Lajoüe résidèrent rue Saint-Louis, près des Ménage, jusqu’en 1700 environ ; ils se firent ensuite construire une demeure vis-à-vis de la fontaine Royale, rue du Garde-fou. C’est dans cette maison, en pierre et en mansarde, que sont venus se réfugier les Bégon*, chassés du palais dans la nuit tragique du 5 au 6 janvier 1713.
La carrière canadienne de Lajoüe dura un quart de siècle, dans la période d’activité de Vauban [Le Prestre] en France, des ingénieurs Jacques Levasseur de Neré et Dubois* Berthelot de Beaucours au Canada. Le 22 décembre 1689, Lajoüe reçut sa commission de mesureur et d’arpenteur royal, en même temps que Bernard de La Rivière. Par la suite, son activité se partagea entre l’expertise, le mesurage et la construction, avec une tentative commerciale avortée. La première commande d’importance que nous lui connaissions est le projet d’un bâtiment de 100 pieds de long dont il commença la construction pour les religieuses hospitalières en 1691 et dont il fit un petit relief ; ce bâtiment ne fut pas achevé avant 1698. En 1692, il soumit les plans pour la construction du château et du nouveau fort. À propos du château, Frontenac [Buade*] déclarait que « ce n’est pas sans quelque espèce de miracle que je n’ai point été accablé sous les ruines du vieux bâtiment », dans lequel il voyait néanmoins un des ornements de la ville de Québec. Cette construction ne fut pas terminée avant 1700. En 1693, il construisit la porte Saint-Jean avec son confrère et associé La Rivière, conformément aux dessins de Beaucours. Pierre Janson, dit Lapalme, et Jean Le Rouge bâtirent la porte Saint-Louis sur le même modèle. La même année, Lajoüe passa en France pour enquêter sur les titres et l’inventaire d’un nommé Lebœuf.
En 1700, il dirigea la construction du château et de la nouvelle enceinte et il devint actionnaire de la Compagnie de la Colonie. En 1702, il soumit des recommandations pour la restauration de l’église de Sainte-Famille, à l’île d’Orléans. En 1703, il soumit un plan au séminaire pour la construction d’un nouveau presbytère, et, l’année suivante, il s’occupa de l’église des Jésuites à Sillery. Il commanda vers cette date « un beau tabernacle » à Hulot, sculpteur du duc d’Orléans, œuvre qu’il voulait donner aux religieuses de l’Hôtel-Dieu dont il était l’architecte attitré. Il versa une avance de 400 francs mais ne put payer le reste, ses affaires ayant baissé. Les religieuses durent intervenir auprès de la cour pour récupérer cet ornement qui avait été saisi, et ce n’est que 12 ans plus tard, le jour de l’Assomption, qu’il fut placé dans l’église à l’occasion des travaux de réfection.
En 1708, il fournit un plan des canalisations de l’Hôtel-Dieu sur lequel sont spécifiés les « endroits où on veut faire passer les eaux de la ville de Québec conceddées par M. Talon[*] ». Ces travaux furent ajournés. On le retrouve en 1710 armateur de l’Africain, vaisseau de 431 tonneaux dont la faillite fut la cause de démêlés entre lui et Denis Riverin ; il accusa ce dernier de l’avoir embarqué dans une mauvaise affaire et de l’avoir trompé. En 1714 et en 1715, il aurait travaillé pour les Récollets et peut-être pour les Ursulines, pour lesquelles il aurait préparé les plans de leur église. (Il s’agit d’hypothèses qu’il nous a été impossible de vérifier.) Nous conservons de lui un plan du séminaire qui montre également la cathédrale et l’évêché.
Il quitta le pays vers 1715, après avoir confié ses effets à la garde des religieuses de l’Hôtel-Dieu. En 1717 et en 1718, on le dit absent. Une lettre de l’évêque de Babylone, datée du 30 juillet 1719, nous apprend qu’il est décédé en Perse, où il tenait les fonctions d’ingénieur. L’inventaire de ses papiers, daté du 3 avril 1721, offre peu d’intérêt, sinon la mention de 16 procès-verbaux d’arpentage « tirés par La Joue en qualité d’arpenteur-juré ». Le règlement de la succession vacante de Lajoüe eut des prolongements jusqu’en 1743.
La carrière de Lajoüe bénéficia de l’administration énergique des gouverneurs Frontenac, Callière, Vaudreuil [Rigaud] et d’intendants tels que Champigny [Bochart]. L’échec de Phips* contre Québec et le traité de Ryswick favorisaient les grands projets : Québec s’entoura alors de sa première enceinte régulière et reçut sa parure de bâtiments et de clochers. Pour ces constructions, des militaires, choisis pour leurs qualités artisanales, étaient secondés par l’équipe du séminaire ; cette institution avait une école d’art qui groupait Baillif*, Denis Mallet, Jacques Leblond de Latour, auprès desquels évoluaient des personnages tels que Lajoüe, Ménage, La Rivière. Après la mort tragique et prématurée de Baillif, survenue en 1699, Lajoüe tint un rôle prépondérant dabs la construction.
Le travail des architectes fut d’ailleurs parallèle à celui des menuisiers et des décorateurs d’intérieurs. L’œuvre des architectes fut perpétuée par les réalisations des maîtres décorateurs, dont les retables, tabernacles, baldaquins sont autant de temples fictifs dérivés des grands modèles. Mais la nature du matériau disponible et la rareté de certains moyens empêchaient souvent l’architecte de faire valoir son talent. La construction à Québec durant cette période ne peut donc s’évaluer en termes de personnalités et de réalisations grandioses ; elle est surtout le résultat d’apports multiples. Une multitude d’artisans s’acharnèrent, avec des moyens très inégaux, à établir à Québec de vieilles habitudes importées de France et à les adapter aux conditions nouvelles. Cette architecture est caractérisée par l’exploitation du site et la mise en valeur d’éléments simples.
Les origines parisiennes de Lajoüe, son activité multiple, son art ordonné, sa mort mystérieuse en Perse, font partie de la légende dont sont entourés la plupart de nos artisans.
AJQ, Greffe de Jacques Barbel, 3 mai 1728 ; Greffe de Louis Chambalon, 3 nov. 1693, 18 sept. 1701, 22 avril 1703 ; Greffe de François Genaple, passim ; Greffe de Jean-Claude Louet, 3 avril 1721 ; Greffe de Gilles Rageot, 18 févr. 1690, 1er déc. 1691 ; Greffe de Pierre Rivet, 7 avril 1715.— Juchereau, Annales (Jamet), 281, 421, 442.— Jug. et délib., I, II, passim.— Tanguay, Dictionnaire, III : 292.— J.-É. Bellemare, Histoire de la Baie-Saint-Antoine, dite Baie-du-Febvre, 1683–1911 (Montréal, 1911), 18.— P.-G. Roy, Les cimetières de Québec (Québec, 1941), 110 ; La ville de Québec, I, II, passim.— Ramsay Traquair, The old architecture of Quebec (Toronto, 1947), 93.— É.-Z. Massicotte, Maçons, entrepreneurs, architectes, BRH, XXXV (1929) : 135.
Pierre Mayrand, « LAJOÜE, FRANÇOIS DE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/lajoue_francois_de_2F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 2 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1969 |
Année de la révision: | 1991 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |