LA RUE (Larue), FRANÇOIS-ALEXANDRE-HUBERT, médecin, professeur, chimiste et écrivain, né à Saint-Jean, île d’Orléans, Bas-Canada, le 24 mars 1833, fils de Nazaire Larue et d’Adélaïde Roy ; le 10 juillet 1860, il épousa Marie-Alphonsine, fille du juge Philippe Panet*, et ils eurent dix enfants ; décédé à Québec le 25 septembre 1881 et inhumé au cimetière de son village natal.
Après son cours classique au petit séminaire de Québec, François-Alexandre-Hubert La Rue commença ses études à l’école de médecine de Québec, qui fit place à la faculté de médecine de l’université Laval, mise sur pied en 1853. Deux ans plus tard, il fut le premier et le seul à en recevoir le grade de licencié en médecine. Il fut aussitôt choisi par le séminaire de Québec pour aller étudier la jurisprudence médicale et la chimie à l’université de Louvain. Se rendant compte qu’il y perdait son temps, La Rue alla à l’école de médecine de Paris où il acquit une solide formation scientifique. À son retour en 1859, il fut le premier à soutenir une thèse de doctorat en médecine et commença d’enseigner la médecine légale et la chimie, puis l’histologie et la toxicologie à l’université Laval. En 1862, il succéda à Thomas Sterry Hunt* comme professeur de chimie inorganique à la faculté des arts qui lui décerna, en 1867, la maîtrise ès arts. Le gouvernement fédéral le nomma en 1875 chimiste-analyste pour la région de Québec, en vertu de la loi pour prévenir la falsification des substances alimentaires, des boissons et des drogues.
La Rue fut un pionnier dans plusieurs domaines. Par l’interprétation des statistiques et l’étude médicale et philosophique de la responsabilité morale des suicidés volontaires et aliénés, sa thèse sur le suicide est un travail remarquable. L’auteur, homme d’esprit à la plume alerte, fréquentait la librairie d’Octave Crémazie*, rendez-vous des écrivains de l’école littéraire de Québec. Avec l’abbé Henri-Raymond Casgrain* qui en était l’animateur, Antoine Gérin-Lajoie et Joseph-Charles Taché*, professeur de physiologie et écrivain, il fonda, en 1861, les Soirées canadiennes, puis collabora au Foyer canadien. La Rue est plus intéressant par les nombreux sujets qu’il a traités que par son écriture qui n’est pourtant pas sans mérite. La finesse de l’observation visuelle et psychologique est bien servie par un style clair, concis, pittoresque et, au besoin, énergique. On le retrouve aussi bien dans ses ouvrages didactiques et de vulgarisation que dans ses écrits à prétention littéraire tels que « Voyage autour de l’île d’Orléans » paru dans les Soirées canadiennes de 1861, « les Chansons populaires et historiques du Canada », dans le Foyer canadien de 1865, Voyage sentimental sur la rue Saint-Jean [...], publié en 1879, et dans les articles, discours et conférences qu’il a recueillis dans les deux volumes de Mélanges historiques, littéraires et d’économie politique.
Au physique, La Rue était de taille moyenne, avec une abondante chevelure qui, au cours des ans, découvrit un front déjà haut et large. Une moustache adoucissait des traits que la mâchoire forte et des yeux perçants faisaient paraître sévères. Sa démarche était nerveuse et sa parole brève et saccadée. Bien qu’il fût exigeant aux examens, ses élèves conservaient un excellent souvenir du professeur qui savait humaniser sa science. Fin causeur et conférencier très couru, il faisait agréablement passer, grâce à son esprit, les leçons qu’il servait à ses auditeurs. Il avait le souci d’orienter et de stimuler ses compatriotes.
En homme pratique, La Rue fut un réformateur en éducation et en agriculture. Son article, « De l’éducation dans la province de Québec », qui parut, entre autres, dans le second volume des Mélanges, est un réquisitoire contre les écoles élémentaires dont les résultats étaient nuls. Il souhaitait leur disparition dans les vieilles paroisses et leur remplacement par des écoles modèles dont les programmes lui paraissaient bons quoique les méthodes pédagogiques et les manuels fussent l’objet de ses critiques sévères. L’enseignement secondaire laissait beaucoup à désirer à cause du manque de professeurs compétents et de l’abus de la mémoire au détriment du raisonnement. Il suggéra des remèdes et, prêchant d’exemple, il rédigea à l’usage de ses enfants puis fit imprimer des manuels d’histoire du Canada et des États-Unis, d’arithmétique et de grammaire. Il s’adressa aussi aux adultes, dont la langue se détériorait, qui cessaient de lire après leurs études et qui boudaient la science.
Interrompue après la publication de sa thèse, la production scientifique de La Rue, son œuvre majeure, reprit et s’intensifia à partir de 1867. En même temps qu’il s’occupa de métallurgie, il voulut améliorer l’agriculture, alors pratiquée selon des coutumes surannées, en y appliquant des méthodes basées sur la chimie, la physique et la botanique. Au lieu de coloniser des territoires éloignés, il voulut revaloriser les terres épuisées, comme il en donna l’exemple en cultivant avec ses frères la terre paternelle. Il commença la publication de manuels et, avec l’abbé François Pilote, il proposa, en 1868, de confier l’enseignement agricole à des écoles spécialisées plutôt que d’en charger les écoles normales, comme le voulait Pierre-Joseph-Olivier Chauveau. Celui-ci offrit à l’université Laval, en 1870, une subvention pour des cours de sciences appliquées. La Rue en rédigea le programme avec l’abbé Thomas-Étienne Hamel, et il avait déjà donné son cours de chimie agricole quand, en 1872, l’université décida de refuser la subvention afin d’éviter toute ingérence politique. Le commissaire de l’Agriculture et des Travaux publics de la province de Québec le chargea, en 1873, de rédiger un Petit manuel d’agriculture à l’usage des cultivateurs et, en 1877, son Petit manuel d’agriculture à l’usage des écoles élémentaires, publié en 1870, en était à sa treizième édition.
En vue de l’exploitation des sables magnétiques de la côte nord du Saint-Laurent par la Compagnie des forges de Moisie, de William Markland Molson, La Rue avait obtenu en 1868 et 1869, 12 ans avant Thomas Alva Edison, des brevets canadiens et américains pour un séparateur magnétique qu’il avait inventé avec l’horloger québécois Cyrille Duquet et perfectionné avec l’abbé Isidore-François-Octave Audet. Il avait travaillé à Pittsburgh, Pennsylvanie, avec Louis Labrèche-Viger*, inventeur de l’acier Viger, sur des procédés d’extraction du fer et de fabrication de l’acier en une seule opération à partir de ces minerais. Leurs procédés étant différents, chacun les fit breveter au Canada et aux États-Unis, et La Rue fit aussi breveter en 1874 un procédé de concentration des pyrites pour en extraire la magnétite. La compagnie exporta du fer, surtout aux États-Unis, jusqu’en 1875, alors qu’elle dut déclarer faillite [V. William Molson*]. En 1876, La Rue fut de ceux qui appuyèrent la candidature du docteur Joseph-Alexandre Crevier au poste de paléontologiste de la Commission géologique du Canada mais, beaucoup mieux que ce dernier, il mérite le titre de premier homme de science canadien-français.
La Rue ne fit pas de politique active mais, collègue et ami de François Langelier*, les ultramontains le considéraient comme un libéral. À l’occasion de la querelle universitaire [V. Ignace Bourget ; Joseph Desautels], Mgr Louis-François Laflèche* cita dans un mémoire au Saint-Siège, en 1873, le témoignage de Joseph-Édouard Cauchon qui accusait gratuitement ces professeurs de Laval d’être des libres penseurs. Pourtant, lorsque La Rue traitait d’un sujet aussi délicat que le suicide, et dans maints autres écrits, il manifestait clairement ses convictions religieuses. Il intervint aussi pour empêcher que les congrégations religieuses fussent assujetties à des taxes municipales qu’il jugeait injustes. En 1882, Thomas-Étienne Hamel défendit avec vigueur la réputation de son ami disparu.
Outre ses articles dans le Foyer canadien (Québec), les Soirées canadiennes (Québec) et l’Événement (Québec), François-Alexandre-Hubert La Rue a publié un très grand nombre d’ouvrages. En 1859, sous le pseudonyme d’Isidore de Méplats, il faisait paraître, à Québec, le Défricheur de langue ; tragédie bouffe en trois actes et trois tableaux. Ses autres écrits sont signés Hubert La Rue ou F.-A.-H. La Rue. Parmi ceux-ci, tous publiés à Québec, mentionnons : Du suicide (1859) ; Réponse au mémoire de MM. Brousseau, frères, imprimeurs des « Soirées canadiennes » (1862) ; Éloge funèbre de M. l’abbé L.-J. Casault, premier recteur de l’université Laval, prononcé le 8 janvier 1863 (1863) ; Éléments de chimie et de physique agricoles (1868) ; les Corporations religieuses catholiques de Québec (1870) ; Étude sur les industries de Québec (1870) ; Mélanges historiques, littéraires et d’économie politique (2 vol., 1870–1881) ; Petit manuel d’agriculture à l’usage des écoles élémentaires (1870) ; Petit manuel d’agriculture à l’usage des cultivateurs (1873) ; Histoire populaire du Canada, ou entretiens de Madame Genest à ses petits-enfants (1875) ; les Corporations religieuses catholiques de Québec et les nouvelles taxes qu’on veut leur imposer (1876) ; Petit manuel d’agriculture, d’horticulture et d’arboriculture (1878) ; De la manière d’élever les jeunes enfants du Canada, ou entretiens de Madame Genest à ses enfants (1879) ; « Éloge de l’agriculture, rapport du docteur Hubert La Rue sur le concours d’agriculture ouvert par l’Institut canadien de Québec », Institut canadien de Québec, Annuaire (Québec), 1879 : 83–101 ; Voyage sentimental sur la rue Saint-Jean, départ en 1860, retour en 1880, causeries et fantaisies aux 21 (1879) ; Petite arithmétique très élémentaire à l’usage des jeunes enfants (1880) ; Petite grammaire française très élémentaire à l’usage des jeunes enfants (1880) ; Petite histoire des États-Unis très élémentaire ou entretiens de Madame Genest à ses petits-enfants (1880). En collaboration avec Michel-Édouard Méthot*, il a écrit Souvenir consacré à la mémoire vénérée de M. L.-J. Casault, premier recteur de l’université Laval (1863). [l. l.]
L’Opinion publique, 13 nov. 1881.— C.-M. Boissonnault, Histoire de la faculté de médecine de Laval (Québec, 1953).— Yolande Bonenfant, « Le docteur Hubert Larue (1833–1881) », Trois siècles de médecine québécoise (Québec, 1970), 83–97.— Merrill Denison, Au pied du courant, l’histoire Molson, Alain Grandbois, trad. ([Montréal], 1955), 266–268.— Jean Du Sol [Charles Angers], Docteur Hubert LaRue et l’idée canadienne française (Québec, 1912).— Jean Piquefort [A.-B. Routhier], Portraits et pastels littéraires (Québec, 1873).— Léon Lortie, « Siderurgical inventions in early Canada », Canadian Patent Reformer (Montréal), 2e sér., 18 (1975) : 65–68.— Arthur Maheux, « P.-J.-O. Chauveau, promoteur des sciences », SRC Mémoires, 4e sér., 1 (1963), sect. i : 87–103.
Léon Lortie, « LA RUE (Larue), FRANÇOIS-ALEXANDRE-HUBERT », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/la_rue_francois_alexandre_hubert_11F.html.
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Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
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