KLENMAN, ABRAHAM, colon juif et chef de communauté, né vers 1830 en Bessarabie ; il épousa une prénommée Fayga (Faye), et ils eurent quatre filles, puis Pearl Oodel, et de ce second mariage naquirent deux fils et une fille ; décédé en 1910 près de Wapella, Saskatchewan.
Chassés par les pogroms et les lois discriminatoires de 1882, des milliers de juifs russes immigrèrent en Amérique du Nord. Parmi eux se trouvaient Abraham Klenman et sa famille. Partis de Soroca (Soroki), dans une région de la Bessarabie qui était alors sous domination russe mais fait maintenant partie de la Moldavie, ils arrivèrent à Montréal en 1888. Le groupe comprenait Klenman, sa deuxième femme et leurs enfants, deux des filles issues de son premier mariage, son gendre Solomon Barish et les trois enfants des Barish. Klenman avait une solide expérience de l’agriculture : dans sa jeunesse, il avait régi un domaine pour un propriétaire russe absentéiste. Quant à Barish, il avait été fermier dans la colonie agraire juive de Dombroveni, aussi en Bessarabie. Empêché d’être propriétaire terrien en Russie parce qu’il était juif et convaincu que la régénération du peuple juif passait par le retour à la terre, Klenman aspirait à s’établir dans l’Ouest canadien sur l’une des concessions d’un quart de lot que le gouvernement fédéral offrait contre un droit d’enregistrement de 10 $.
À Montréal, Klenman approfondit et promut l’idée de fonder dans l’Ouest une colonie agricole qui consisterait en un certain nombre de familles d’immigrants juifs, et il choisit quelques-uns des colons. Pendant ce temps, Barish travailla dans une fabrique de cigares pour subvenir aux besoins de toute la famille. À l’automne de 1888, Klenman et un autre immigrant juif, Jacob Silver, furent désignés pour aller choisir des terres. Assistés de Lauchlan Alexander Hamilton, commissaire des terres de la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique à Winnipeg, ils se rendirent dans diverses localités. Finalement, ils décidèrent de se fixer dans la zone boisée de peuplier-tremble : les arbres leur serviraient de matériau de construction et de combustible, et la nappe phréatique se trouvait à une profondeur bien moins considérable que dans la prairie. Ils apprirent que, sous le parrainage du philanthrope anglo-juif Hermann Landau, la famille de John et Rachel Heppner et quelques autres juifs russes s’étaient fixés en 1886 à quelques milles au nord-est de Wapella et que cette région se développait rapidement. Wapella se trouvait sur la ligne principale du chemin de fer canadien du Pacifique. La première colonie agricole juive de l’Ouest canadien, New Jerusalem, fondée en 1884, était située à une trentaine de milles au sud-est. Klenman opta pour des terres adjacentes à la ferme des Heppner. Silver retourna à Montréal pour inciter d’autres juifs à s’installer sur les lieux.
Lorsque la saison froide arriva, Klenman avait seulement creusé une cave. Il passa donc sous terre son premier hiver dans les Prairies. Au printemps de 1889, tous les membres de sa famille, à l’exception de Barish, le rejoignirent dans la colonie de Wapella avec plusieurs autres immigrants juifs. Il termina alors sa cabane de rondins et la coiffa d’un toit de chaume. Comme ils l’avaient fait pour les colons du groupe des Heppner, le département de l’Intérieur et la Compagnie du chemin de fer canadien du Pacifique acceptèrent d’échanger des terres, ce qui permit à Klenman d’obtenir des concessions adjacentes pour ses compagnons. Les nouveaux colons avaient absolument besoin que leurs terres se touchent, non seulement pour pouvoir s’apporter aide et réconfort en cette contrée étrangère, mais aussi parce que le judaïsme orthodoxe exigeait la présence d’au moins dix hommes pour la tenue des offices religieux. Le judaïsme faisait partie intégrante du mode de vie de ces immigrants. Être séparés ne fût-ce que par quelques milles ne leur aurait pas convenu du tout : à cause de leurs charrettes à bœufs et des sentiers des prairies, ils ne pouvaient pas se déplacer facilement. En plus, le jour du sabbat, ils devaient se rendre à pied aux offices, car leur religion leur commandait de laisser les bêtes au repos.
Du printemps de 1889 à l’automne de 1892, 28 familles juives, dont celle d’Ekiel Bronfman, rejoignirent Klenman dans le district de Wapella. Dès 1907, leur nombre atteignait la cinquantaine. La plupart des colons de Wapella venaient du sud de la Russie et de la Bessarabie, mais il y en avait certains de Roumanie, de Galicie et de Lituanie. Quelques-uns avaient cultivé la terre dans le Dakota du Nord, d’autres avaient travaillé à la construction du chemin de fer canadien du Pacifique, mais la plupart avaient été tailleurs, cordonniers, manœuvres ou colporteurs. Klenman paya les droits d’enregistrement de bon nombre d’entre eux. Barish hâta son installation dans la colonie parce que son médecin, à Montréal, lui avait prescrit le grand air pour soigner sa consomption. À la demande de Klenman, qui se porta garant pour ses frais, et d’autres colons de Wapella, il passa un an à Chicago afin de s’initier aux rites de l’abattage des animaux et de la circoncision. Il arriva à Winnipeg en 1892 et poursuivit sa route jusqu’à Wapella.
En tant que patriarche de la colonie, Klenman veillait aux besoins religieux de ses gens. La Wapella Hebrew Congregation vit le jour ; elle se réunissait dans les maisons des colons. Le cimetière se trouvait sur un terrain donné par Klenman. En 1889, Edel Brotman, qui avait été rabbin dans sa Galicie natale, prit une concession ; durant 16 ans, il fut à la fois fermier et rabbin. Après son départ, Barish ou des religieux itinérants le remplacèrent. Peu nombreux, les juifs de Wapella partageaient avec leurs voisins non juifs des écoles, diverses organisations sociales et entreprises commerciales ainsi que d’autres aspects de la vie rurale.
Sous la direction de Klenman, les colons lancèrent des entreprises privées d’agriculture mixte. Certains arrondissaient leur revenu en coupant du bois de chauffage et en allant le vendre aux villages de Wapella, de Rocanville et de Moosomin. Contrairement aux Heppner, ils commencèrent leur vie rurale sans que le gouvernement ou des sociétés philanthropiques les financent et les aident à s’organiser. Par comparaison à d’autres colonies agricoles juives, dont New Jérusalem, ils manifestaient une ferme volonté de réussir. En 1901, le gel ayant détruit leurs récoltes, ils se résignèrent pour une fois à emprunter de l’argent, qu’ils remboursèrent totalement en l’espace de 17 ans. Ces fonds leur furent avancés par la Jewish Agricultural and Industrial Aid Society of New York ; ils provenaient de la Jewish Colonization Association, organisation philanthropique qui aide les juifs à quitter les pays où ils sont persécutés ou vivent dans une situation économique difficile et à s’installer là où ils pourront faire du travail productif. De toutes les colonies agricoles juives du Canada, Wapella fut la première à connaître le succès et celle qui survécut le plus longtemps. Elle servit de colonie mère et de lieu de formation à plusieurs autres communautés agricoles juives.
Abraham Klenman passa le reste de sa vie à sa ferme. Dans les années 1890, il était abonné à un journal yiddish de New York, la Jewish Gazette, ce qui lui permettait de se tenir au courant des événements mondiaux et d’avoir des nouvelles des communautés juives. Lorsqu’il ne fut plus en mesure de travailler quotidiennement dans sa ferme, il continua de servir la colonie en enseignant l’hébreu. Son fils Alexander s’était installé à Brandon, au Manitoba ; c’est pourquoi Klenman fut inhumé au cimetière juif de cette ville en 1910. Après la mort de son mari, Pearl Klenman s’installa à Brandon, où elle mourut en 1928. Les descendants des Klenman furent fermiers à Wapella jusqu’au début des années 1960.
Nous avons obtenu de l’information additionnelle au cours de communications téléphoniques que nous avons eues en 1992 avec l’historien Cyril Edel Leonoff, de Vancouver, et avec Allan Klenman, de Victoria, petit-fils du sujet. [h. t.]
Jewish Hist. Soc. of Western Canada Arch. (Winnipeg), Newspaper database ; Vertical files.— PAM, MG 10, F3, Abraham Klenman family tree.— Maurice Lucow, « Cemetery last trace of Jewish farm colony », Canadian Jewish News (Toronto), 5 sept. 1991, supplément Rosh Hashanah : 30s.— Louis Rosenberg, « Wapella : the oldest existing Jewish farm colony in Canada », Israelite Press (Winnipeg), 25 déc. 1929 : 4.— A. J. Arnold, « The Jewish farm settlements of Saskatchewan : from « New Jerusalem » to Edenbridge », Soc. de l’hist. juive canadienne, Journal (Windsor, Ontario), 4 (1980) : 25–43 ; « Jewish immigration to western Canada in the 1880’s », Soc. de l’hist. juive canadienne, Journal (Windsor), 1 (1977) : 82–96 ; « Jewish pioneer settlements », Beaver, outfit 306 (1975–1976), no 2 : 20–26 ; « New Jerusalem on the prairies : welcoming the Jews », Visions of the New Jerusalem : religious settlement on the prairies, B. G. Smillie, édit. (Edmonton, 1983), 91–107.— C. E. Leonoff, The architecture of Jewish settlements in the prairies : a pictorial history ([Winnipeg, 1975]) ; « Early Jewish agricultural colonization in Saskatchewan », Sask. Hist., 36 (1983) : 58–69 ; Pioneers, ploughs and prayers : the Jewish farmers of western Canada (Vancouver, 1982) ; Wapella farm settlement (the first successful Jewish farm settlement in Canada) : a pictorial history (Winnipeg, 1972).
Henry Trachtenberg, « KLENMAN, ABRAHAM », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/klenman_abraham_13F.html.
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Auteur de l'article: | Henry Trachtenberg |
Titre de l'article: | KLENMAN, ABRAHAM |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1994 |
Année de la révision: | 1994 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |