KINTON, ADA FLORENCE, artiste, institutrice, officière de l’Armée du Salut et rédactrice en chef d’un journal, née le 1er avril 1859 à Battersea (Londres), fille de John Louis Kinton et de Sarah Curtis Mackie ; décédée célibataire le 27 mai 1905 à Huntsville, Ontario.

Ada Florence Kinton appartenait à une famille méthodiste de la classe moyenne. Son père enseignait la littérature dans une école professionnelle wesleyenne. À l’âge de 23 ans, elle obtint un certificat d’enseignement en arts. Immédiatement après la mort de son père en décembre 1882, elle fit un long séjour chez ses frères, Edward et Mackie, qui avaient immigré en Ontario, dans la région de Muskoka. De retour en Angleterre en 1883, elle commença à enseigner les arts dans un pensionnat de jeunes filles. Au cours des vacances de Noël de 1883, par l’entremise de sa sœur, Sara Amelia, temporairement gouvernante des jeunes Booth, elle fit la connaissance du fondateur de l’Armée du Salut, le général William Booth, et de sa famille. Dans les années suivantes, elle assista parfois à des réunions de l’organisme. Selon une lettre de septembre 1885, elle quitta son poste au pensionnat à cause de son attachement de plus en plus vif à l’évangélisme, mais peut-être le désir de poursuivre sa carrière artistique fut-il un motif tout aussi important. Elle alla étudier à l’école des beaux-arts de South Kensington, où on lui conseilla d’essayer d’ouvrir une école des beaux-arts au Canada.

Mlle Kinton immigra au Canada en juin 1886. Elle enseigna les arts d’abord à Kingston, puis à Toronto. Cependant, cette tâche ne devait pas la satisfaire entièrement car, au printemps de 1889, elle fit l’expérience d’une profonde conversion et décida d’entrer à l’Armée du Salut de Toronto à titre d’officière. Dans un témoignage paru en janvier 1892, elle raconta sa renonciation soudaine aux ornements de la féminité bourgeoise : « Je pris mes ciseaux et, d’une main implacable, j’arrachai ces frivolités – rubans clairs, dentelles et parures. Désormais, j’allais me vêtir avec la plus grande sobriété. J’ouvris ma garde-robe et décrochai les vêtements qui me seraient inutiles. J’en fis un paquet pour la Rescue Home [de l’Armée]. » En outre, elle se coupa les cheveux assez court.

À l’époque, l’Armée du Salut était la seule organisation religieuse dans laquelle les femmes pouvaient jouer un rôle équivalent à celui des membres du clergé. Cela explique sans doute en partie la prédominance des femmes officiers. Plus frappant encore est le fait que la plupart de ces femmes appartenaient à la classe ouvrière ; bon nombre d’entre elles avaient été domestiques. Mlle Kinton n’avait pas les mêmes antécédents qu’elles. Instruite et issue de la classe moyenne, elle put par exemple, au début des années 1890, occuper le poste de corédactrice du périodique canadien de l’Armée du Salut, le War Cry. Bien qu’elle soit devenue capitaine dès 1891, son ascension s’arrêta là. À l’époque, d’autres recrues féminines de la classe moyenne montèrent plus haut, l’exemple le plus notable étant peut-être Blanche I. Read Johnston, qui dirigea le service féminin de travail social et atteignit le grade de brigadière.

De 1889 à 1891, Ada Florence Kinton œuvra dans bon nombre des nouveaux établissements d’assistance sociale tenus par l’Armée du Salut dans le centre de Toronto : le Drunkard’s Home, le Children’s Shelter et le Rescue Home pour femmes. Atteinte de la typhoïde et de la malaria à la fin de 1891, elle alla en convalescence chez sa sœur, qui s’était installée à Huntsville. Ce fut à son retour en 1892 qu’elle fut nommée corédactrice du War Cry. Rédiger de courts articles et faire certaines des illustrations mélodramatiques dont ce journal était orné à l’époque entrait aussi dans ses attributions.

Meilleure rédactrice et certainement meilleure dessinatrice que la moyenne des membres canadiens de l’Armée du Salut, Mlle Kinton aurait pu en venir à avoir la haute main sur le journal, ce qui lui aurait donné passablement de pouvoir. Toutefois, en 1893, le nouveau commandant de l’Armée du Salut au Canada, Herbert Henry Booth (un des fils du général) lui demanda de devenir « secrétaire particulière » de sa femme, Cornelie, fonction qui incluait de toute évidence la garde de leurs trois enfants. Mlle Kinton accepta. Dès lors, elle sacrifia toute l’ambition personnelle qu’elle pouvait avoir et cessa à peu près complètement d’écrire ou de dessiner. Le fait que Booth était un commandant impopulaire contribua sans doute aussi à la marginaliser.

Dans l’esprit de renoncement qui l’avait gagnée au moment de sa conversion, Ada Florence Kinton ne souhaitait plus rien d’autre, semble-t-il, que s’occuper des jeunes Booth et faire tout ce que sa patronne lui demandait. Les articles très sentimentaux qu’elle avait écrits dans le War Cry au sujet des petits Torontois victimes de négligence ou d’abus qui avaient été « secourus » par l’Armée du Salut ne laissent aucun doute sur son amour pour les enfants. Elle y parlait de mères alcooliques providentiellement remplacées par de bonnes âmes (comme elle sans doute) qui enseignaient aux petits enfants à aimer Jésus plus que tout. D’autres officières se mariaient et avaient des enfants tout en continuant d’œuvrer auprès des démunis, mais Mlle Kinton, elle, s’auréolait de gloire en restant dans le rôle de servante. Elle alla même jusqu’à accompagner les Booth en Australie après que Herbert eut été remplacé par sa sœur Eva en 1896.

En Australie, Mlle Kinton contracta la tuberculose, mais elle ne quitta pas la famille Booth avant qu’une sœur de Mme Booth n’arrive d’Angleterre en 1902 pour apporter son aide. La même année, Herbert Henry Booth rompit avec son père et quitta l’Armée du Salut, ce qui ne semble pas avoir ébranlé la fidélité de Mlle Kinton à la famille. Elle retourna à Huntsville, mais, malgré que sa sœur lui conseillait de s’inscrire à l’administration centrale de l’Armée du Salut à New York, elle ne tarda pas à rejoindre les Booth, d’abord à Evanston, dans l’Illinois, puis à New York. En 1903, son état s’aggrava. Elle retourna encore à Huntsville, où Sara la soigna jusqu’à la fin.

Ada Florence Kinton ne se distingua ni comme artiste, ni comme membre de l’Armée du Salut. Pourtant, on peut affirmer que son existence ne fut pas inutile. Les écrits que l’on peut lui attribuer avec certitude montrent comment l’Armée du Salut, à ses débuts, avait incité cette femme à rejeter loin derrière elle les conventions de la féminité bourgeoise, le mariage y compris, pour mener une vie de renoncement et d’assistance à autrui.

Mariana Valverde

Comme la plupart des illustrations et un grand nombre d’articles courts figurant dans la publication canadienne intitulée War Cry (Toronto) sont anonymes, il est difficile de déterminer qui les a produits. Certains articles d’Ada Florence Kinton, ainsi que quelques-uns des opuscules qu’elle a rédigés, sont reproduits au complet ou en partie dans Just one blue bonnet : the life story of Ada Florence Kinton, artist and salvationist ; told mostly by herself with pen and pencil, ouvrage édité par sa sœur, Sara Amelia [Kinton] Randleson (Toronto, 1907). La description qu’a faite Ada Florence Kinton de sa conversion a paru sous le titre « Every chain », dans le magazine de l’Armée du salut intitulé Deliverer (Londres), 3 (juill. 1891–juin 1892) : 121 ; on peut consulter ce document au Salvation Army Héritage Centre, à Toronto.

AN, RG 31, C1, 1891, Huntsville : 40, 44 (mfm aux AO).— Lynne Marks, « The « hallelujah lasses » : working-class women in the Salvation Army in English Canada, 1882–92 », Gender conflicts : new essays in women’s history, Franca Iacovetta et Mariana Valverde, édit. (Toronto, 1992), 67–117.— R. G. Moyles, The blood and fire in Canada : a history of the Salvation Army in the dominion, 1882–1976 (Toronto, 1977).— Mariana Valverde, The age of light, soap, and water : moral reform in English Canada, 1885–1925 (Toronto, 1991).— War Cry, 1892–1893 (on peut le consulter sur mfm au Salvation Army Heritage Centre).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Mariana Valverde, « KINTON, ADA FLORENCE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/kinton_ada_florence_13F.html.

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Auteur de l'article:    Mariana Valverde
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 13
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1994
Année de la révision:    1994
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