KENNY, sir EDWARD, homme d’affaires, homme politique, officier de milice et fonctionnaire, né en juillet 1800 dans la paroisse de Kilmoyly, comté de Kerry (république d’Irlande), fils de Jeremiah Kenny, fermier, et de Johanna Crean ; le 16 octobre 1832, il épousa à Halifax Ann Forrestall, et ils eurent sept fils et cinq filles, dont dix vécurent au delà de l’enfance ; décédé dans cette ville le 16 mai 1891.
Edward Kenny incarne le type victorien de la réussite. Élevés dans le milieu pauvre du sud-ouest rural de l’Irlande, lui-même et son frère aîné, Thomas, s’installèrent dès leur jeune âge dans le port voisin, Cork. Ils y devinrent commis chez le marchand James Lyons, qui avait une succursale à Halifax. Chaque printemps, Lyons apportait une cargaison de marchandises sèches et de provisions en Nouvelle-Écosse pour la vendre sur le marché colonial. Dès le début des années 1820, il était un notable de la communauté irlandaise de Halifax, comme en témoigne son élection à la présidence de la Charitable Irish Society. Les frères Kenny bénéficièrent de l’ascension de Lyons. En raison de leur compétence, on les muta tous deux à Halifax vers 1824 et ils devinrent associés de l’entreprise quelques années plus tard. L’ambition, stimulée par l’expansion que connaissait l’économie néo-écossaise, décida Thomas à se lancer lui-même en affaires. En 1828, Edward s’associa à son frère pour former la T. and E. Kenny, dont il allait toujours être l’homme fort. En cinq ans, l’entreprise se développa au point d’importer annuellement £15 000 de marchandises de Grande-Bretagne.
Contrairement à Lyons, qui chaque automne vendait aux enchères le solde de son stock et rentrait en Irlande, les Kenny se fixèrent à Halifax. Grâce à des emprunts, ils achetèrent un terrain à quelques pâtés de maisons du bord de mer et construisirent un imposant complexe de granit qui abritait des bureaux et un entrepôt. L’immeuble finit par compter quatre étages et, dans les années 1860, on l’évaluait à 50 000 $. À mesure qu’elle prospérait, l’entreprise se spécialisa de plus en plus dans le commerce des marchandises sèches, vendues uniquement en gros. Bien qu’ils n’aient été nullement intéressés à investir dans le transport maritime, les Kenny diversifièrent leurs intérêts, surtout en faisant des placements dans les services publics et les banques. Edward, entrepreneur plus audacieux que son frère, contribua à doter Halifax de services comme l’eau, le gaz et le télégraphe. Dans les années 1850 et la décennie qui suivit, c’était un pilier du milieu des affaires de la ville : ainsi il participa à la fondation de la Union Bank et de la Merchants Bank de Halifax et fut président de cette dernière. Les Kenny se lancèrent aussi dans l’industrie manufacturière en transformant le dernier étage de leur entrepôt en un atelier où environ 25 ouvriers fabriquaient des vêtements. Pourtant, ils demeuraient des investisseurs si prudents qu’environ le tiers de leur capital était engagé dans des hypothèques sur le marché de Halifax. Malgré des récessions commerciales périodiques et des revers personnels – entre autres, un grave incendie en 1851 et la mort, en mer, de l’un des fils d’Edward (associé de l’entreprise) en 1870 – la T. and E. Kenny devint l’une des principales entreprises de gros de Halifax. À la fin des années 1860, Thomas Louis Connolly*, archevêque de Halifax, disait qu’Edward Kenny possédait « peut-être la deuxième fortune de Nouvelle-Écosse » (Enos Collins* était réputé détenir la première). À la mort de Kenny, on estimerait la valeur nette des biens familiaux à 1 100 000 $. Il laisserait une succession de plus de 200 000 $ qui se détaillait ainsi : 71 000 $ d’immobilier et de biens personnels, 87 000 $ d’actions bancaires, 9 000 $ de titres dans diverses autres entreprises et 33 000 $ d’hypothèques. Cette succession ne comprenait pas les propriétés commerciales et résidentielles que Kenny avait transférées auparavant à ses deux fils qui avaient pris la relève dans l’entreprise familiale.
Tout en progressant dans le monde des affaires, Edward Kenny devenait le patriarche de sa famille et un notable de la ville. Contrairement à son frère Thomas, qui mourut célibataire en 1868 en lui laissant toute sa fortune, il se maria et eut sept fils et cinq filles. Parmi les dix enfants qui vécurent jusqu’à l’âge adulte, trois garçons entrèrent dans l’entreprise familiale, et trois autres, après quelques hésitations, se firent jésuites. L’une des filles aussi devint religieuse. Les trois autres firent de beaux mariages, aidées sans doute par la dot de 40 000 $ que chacune reçut de son père. De son côté, Edward Kenny ne cessait de voir croître son prestige et son influence à Halifax. Officier dans la milice locale, élu deux fois à la présidence de la Charitable Irish Society, il fit également partie du comité exécutif de plusieurs sociétés philanthropiques et établissements d’enseignement. Dans les années 1860, il participa à la fondation du prestigieux Halifax Club. Grand, beau et jovial, amateur de sports et surtout de bons chevaux, réputé pour son hospitalité, « Papa » Kenny était, au milieu de l’époque victorienne, l’un des plus célèbres personnages de Halifax.
Dans toute sa carrière, Kenny ne souleva la controverse qu’en défendant les intérêts de ses compatriotes irlando-catholiques. Dans les années 1830 et la décennie qui suivit, il fut l’un de ceux qui contestèrent le plus vigoureusement la domination exercée par les Anglo-protestants en Nouvelle-Écosse. S’alliant à des hommes politiques réformistes, tel Joseph Howe*, il contribua à obtenir l’érection de Halifax en municipalité en 1841. Le même année, il entra dans l’arène de la politique municipale, et l’année suivante il devint maire. En 1843, malgré son soutien à la campagne en faveur de l’abrogation de l’union parlementaire de l’Irlande avec la Grande-Bretagne, il fut nommé au Conseil législatif, qui était encore puissant. On lui conféra cet honneur dans le cadre d’une stratégie par laquelle les conservateurs espéraient gagner l’appui des Irlandais catholiques à l’oligarchie existante. Kenny demeura fidèle à Howe tout au long de la tumultueuse bataille qui visait à instaurer la responsabilité ministérielle. Il ne l’abandonna qu’au moment du conflit ethnique et confessionnel déclenché par la guerre de Crimée [V. Joseph Howe] : en 1857, il retira son appui au parti libéral, tout comme la plupart des Irlandais catholiques, et démissionna de la présidence du Conseil législatif. Cependant, le nouveau gouvernement conservateur de James William Johnston* le réinstalla immédiatement dans cette fonction. Dès lors, reconnaissant que dans les faits il était le leader de l’élément irlando-catholique de la province, les deux partis se rangèrent respectueusement à ses avis.
Dans les années 1860, Kenny était très proche de l’archevêque Connolly, ce qui explique le soutien qu’il accorda à la Confédération. Politique astucieux, Connolly appuyait l’union des colonies dans l’espoir d’obtenir en échange la reconnaissance juridique des écoles paroissiales qui existaient alors à Halifax. Il n’atteignit pas cet objectif, mais il avait assez d’influence pour faire entrer Kenny au nouveau cabinet fédéral en 1867. Ce dernier fut en effet nommé au Sénat et se vit confier, pour la forme, des responsabilités administratives, d’abord à titre de receveur général puis de président du Conseil privé, mais en fait il était le porte-parole à Ottawa des catholiques anglophones du Canada. En outre, sir John Alexander Macdonald comptait sur lui pour l’aider à vaincre la résistance des Néo-Écossais à la Confédération. Bien que Kenny ait été un piètre orateur (ses discours étaient par trop laconiques), sa fortune, sa personnalité et ses nombreuses relations le rendirent utile tant à l’Église qu’à l’État durant les premières années d’existence du Canada.
Figure de transition de la politique fédérale, Edward Kenny quitta le cabinet en 1870 pour exercer la fonction de représentant vice-royal en Nouvelle-Écosse pendant un bref moment, en l’absence du lieutenant-gouverneur sir Charles Hastings Doyle*. Fait chevalier la même année, titre qu’on lui conféra en grande partie pour rendre hommage aux Irlandais catholiques du Canada, il quitta ensuite la scène politique. Vers 1875, il était en Europe et faisait des pressions au Vatican sur des questions comme les nominations dans la hiérarchie ecclésiastique du Canada et les interventions ultramontaines dans la politique de parti. Retiré des affaires en 1880, il vécut la dernière décennie de sa longue existence dans la certitude que lui-même et ses enfants appartenaient à la couche supérieure de l’élite économique, sociale et politique de Halifax. « Presque tous les éminents citoyens » de la ville assistèrent aux obsèques de cet homme qui symbolisait non seulement la réussite personnelle, mais aussi l’ascension des Irlandais catholiques de la Nouvelle-Écosse.
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David A. Sutherland, « KENNY, sir EDWARD », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 2 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/kenny_edward_12F.html.
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Auteur de l'article: | David A. Sutherland |
Titre de l'article: | KENNY, sir EDWARD |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 12 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1990 |
Année de la révision: | 1990 |
Date de consultation: | 2 décembre 2024 |