JETTÉ, JULES, professeur, missionnaire jésuite, ethnographe et spécialiste du koyukon, né le 30 septembre 1864 à Montréal, fils de Louis-Amable Jetté* et de Berthilde Laflamme ; décédé le 4 février 1927 à Akulurak, Alaska.
Jules Jetté est issu d’une famille aisée de Montréal. Sa mère était la fille d’un riche marchand de la ville. Son père a été d’abord avocat puis est devenu un des chefs des jeunes libéraux du Parti national ; député à Ottawa pendant quelques années, il a été nommé juge et, plus tard, lieutenant-gouverneur de la province de Québec. Après avoir fréquenté le petit séminaire de Montréal de 1874 à 1880, Jules étudie au collège Sainte-Marie, où il suit le programme de philosophie pendant deux ans, sans pourtant le terminer. En 1882, il entre dans la Compagnie de Jésus. Le 1er septembre, à Sault-au-Récollet (Montréal), il commence son noviciat, qu’il termine en septembre 1884 en prononçant ses vœux perpétuels. S’amorce ensuite une longue période de formation intellectuelle qui s’achèvera difficilement, en raison d’ennuis de santé (dont des migraines), en 1898. Jetté se consacre d’abord avec succès à l’étude des sciences naturelles, de plusieurs langues (latin, grec, italien, espagnol, anglais) et de la littérature française. Après avoir donné quelques cours de mathématiques, pendant ses temps libres, au scolasticat de l’Immaculée-Conception de Montréal, et après avoir été surveillant en sciences au collège Sainte-Marie de 1885 à 1887, il quitte Sault-au-Récollet à l’été de 1888 pour l’université d’Angers, en France, avec pour mission d’obtenir une licence en mathématiques. Même s’il vit cette première séparation de son pays avec quelques difficultés, l’expérience aiguise sa curiosité ethnographique. Jetté abandonne finalement les mathématiques pour la métaphysique et échoue à l’examen de sa licence. Il rentre au Canada en septembre 1890. Après un bref séjour au scolasticat, il est envoyé au collège de Saint-Boniface, au Manitoba, pour y enseigner les mathématiques et les sciences jusqu’en 1892. Au cours de ces années, sa vocation missionnaire se confirme. Il s’y prépare en accompagnant des élèves dans des randonnées en raquettes et en s’intéressant aux missions du Nord. De retour au scolasticat de l’Immaculée-Conception, il termine sa philosophie et suit des cours de théologie.
En mai 1896, Jetté est ordonné prêtre par Mgr Édouard-Charles Fabre* dans l’église du Gesù, attenante au collège Sainte-Marie. En raison de migraines de plus en plus violentes, il se voit néanmoins dispensé d’une dernière année de théologie. À l’été de 1896, il exerce la fonction d’économe au noviciat de la Compagnie de Jésus (maison Saint-Joseph) à Sault-au-Récollet. En 1897, la visite du père John Baptiste René, préfet apostolique de la mission d’Alaska, le conduit toutefois à solliciter un poste de missionnaire en Alaska. Le 18 mai 1898, Rome accepte sa demande et le père François-Xavier Renaud, alors supérieur des jésuites du Canada, lui notifie son affectation.
Le séjour en Alaska du père Jetté s’étendra sur presque 30 années, soit de 1898 à 1927, avec un bref intermède au Canada. Son premier voyage, qui durera jusqu’en 1903, est marqué par différents apprentissages. Jetté se rend d’abord à San Francisco, ville qu’il quitte le 13 juin 1898. Après 15 jours de navigation, il fait un arrêt à la mission de St Michael, située au nord de l’embouchure du fleuve Yukon, en Alaska. Jetté y passe trois mois, le temps d’y construire un navire. Il remonte ensuite le Yukon jusqu’au village de Nulato, au nord de Holy Cross, où le père Charles John Seghers* a été assassiné le 28 novembre 1886, au moment d’y fonder une mission. Dès la fin de septembre, il entame ses premières tournées pastorales. À pied, en traîneau ou en bateau, il parcourt d’énormes distances pour visiter les camps amérindiens disséminés à l’intérieur des terres et sur les bords du fleuve. Il continue l’apostolat selon les méthodes de ses prédécesseurs, qui cherchent à gagner la confiance des Amérindiens en faisant l’école aux enfants et en donnant des leçons de chant, notamment. La correspondance soutenue qu’il a eue avec sa mère et les articles qu’il a rédigés pour la revue jésuite Woodstock Letters (Woodstock, Maryland) montrent combien Jetté a su s’adapter aussi aux traditions locales et au régime alimentaire des Amérindiens. Il a surtout appris leur langue, le koyukon. Chasseurs semi-nomades appartenant à l’ensemble athapascan, ces Amérindiens pratiquaient le chamanisme, dans lequel le missionnaire voyait, avec l’ethnocentrisme de l’époque, d’innombrables superstitions.
En juillet 1903, Jetté rentre au Canada ; il voyage de Seattle, dans l’État de Washington, à Montréal par le train et se rend même jusqu’à Québec pour visiter sa famille. Il regagne ensuite le collège de Saint-Boniface pour une année de repos. Infatigable, il y enseigne à nouveau les mathématiques tout en terminant un recueil de prières, de chants et de dévotions en koyukon qu’il publie en 1904 à Winnipeg sous le titre Yoyit rokanaga : nulator roka do-daletloye.
Le deuxième voyage de Jetté en Alaska, dont il ne reviendra pas, est plus mouvementé. Après avoir quitté Seattle à l’été de 1904, il fait halte à Nulato pour se rendre ensuite, en 1905, à Fairbanks, où il connaît un travail difficile en raison des ravages importants que provoque l’alcool parmi les paroissiens. Le père Jetté parvient à convertir de nombreux protestants à Kokrines, où il est affecté de 1907 à 1913, ainsi que dans les villages environnants, dont Mouse Point. L’installation d’un centre minier dans la région de Ruby, vers 1908, marque toutefois le début d’une période ingrate qui se poursuivra jusqu’en 1913 et au cours de laquelle le missionnaire se lance dans une lutte acharnée contre les trafiquants d’alcool.
L’envoi d’une communication au 15e Congrès international des américanistes tenu à Québec en 1906 a marqué, pour Jetté, le début d’une carrière d’ethnographe. Il publie ensuite plusieurs articles sur l’organisation sociale et les traditions religieuses des Koyukons dans des revues comme le Journal (Londres) du Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland en 1907, 1908 et 1909, Man (Londres) également en 1907, 1908 et 1909, puis Anthropos (Vienne) en 1911 et 1913. Il est aussi l’auteur d’un gigantesque dictionnaire de quelque 30 000 mots, qui demeurera manuscrit jusqu’en l’an 2000. La contribution ethnographique de Jetté s’avérera, à en juger par les éloges qu’en feront des anthropologues comme Frederica De Laguna et des linguistes comme Michael E. Krauss, considérable et de grande qualité.
En mai 1913, à la suite du départ précipité du père Crispino Rossi, Jetté est rappelé à Nulato, où il exerce la fonction de supérieur pendant une année. De 1914 à 1922, il réside dans la région de Tanana, située un peu plus au nord sur le fleuve Yukon. En plus de son travail pastoral auprès des Amérindiens et des Blancs, Jetté poursuit ses travaux de linguistique. En 1916, il effectue quelques remplacements à Ruby et à Kokrines mais son travail d’évangélisation est brusquement interrompu en 1922, à la suite d’une grave hernie. Soigné à l’hôpital de Fairbanks, il est envoyé en convalescence à Seattle, en octobre 1923. Il profite malgré tout de ce séjour pour enseigner le français dans un collège et commencer la rédaction d’une histoire de la christianisation de l’Alaska de 1741 à 1877. À l’été de 1925, il obtient la permission de se rendre une nouvelle fois en Alaska, à Fairbanks, où il travaille comme aumônier de l’hôpital. En juillet 1926, il s’installe à la mission de Holy Cross, où on le sollicite pour prêcher la retraite annuelle des religieuses. Doué pour l’ethnologie et l’apprentissage des langues, le missionnaire entreprend un voyage dans la région. À la mi-juillet, il séjourne à Akulurak, autre mission jésuite située face à la mer de Béring. En compagnie du père Martin Lonneux, il y passe plusieurs semaines à cuisiner et à entretenir la mission, surtout fréquentée par des Yupiks (Inuits de l’Alaska). Le père Jetté découvre dans leur langue une nouvelle passion, mais il meurt d’épuisement le 4 février 1927.
Bien que peu connu à l’extérieur de l’Alaska, Jules Jetté demeure un missionnaire incontournable dans l’histoire de l’évangélisation jésuite de cette région. Aujourd’hui, sa contribution linguistique et ethnologique reste essentielle pour notre compréhension de la tradition orale des Koyukons. Tenace et méticuleux dans son travail, en avance sur son temps, Jetté était un linguiste qui a su mettre en valeur les variations régionales et lier, avec perspicacité, la langue à la culture.
Le dictionnaire de Jules Jetté a été complété par Eliza Jones et publié sous le titre suivant : Koyukon Athabaskan dictionary (Fairbanks, Alaska, 2000). ANQ-M, CE601-S51, 1er oct. 1864.— Arch. de la Compagnie de Jésus, prov. du Canada français (Saint-Jérôme, Québec), BO-27 (Théophile Hudon) ; BO-44 (Jules Jetté).— Le Devoir, 3 mars 1927.— R. C. Carriker et al., Guide to the microfilm edition of the Oregon Province archives of the Society of Jesus Indian language collection : the Alaska native languages (Spokane, Wash., 1976).— Antonio Dragon, Enseveli dans les neiges : le père Jules Jetté (Montréal, [1951]).— L. L. Renner, « Julius Jetté : distinguished scholar in Alaska », Alaska Journal (Anchorage, Alaska), 5 (1975) : 239–247.— L. L. Renner et D. J. Ray, Pioneer missionary to the Bering Strait Eskimos : Bellarmine Lafortune, s.j. (Portland, Oregon, 1979).— Angel Santos, Jesuitas en el Polo Norte : la mision de Alaska (Madrid, 1943).— George St. Hilaire, « Julius Jetté, s.j. : language and ethnology scholar of the Yukon », Nouvelle Rev. de science missionnaire (Beckenried, Suisse), 14 (1958) : 241–252.
Frédéric Laugrand, « JETTÉ, JULES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/jette_jules_15F.html.
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Auteur de l'article: | Frédéric Laugrand |
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 2005 |
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