ISBISTER, JOSEPH, agent principal de la Hudson’s Bay Company, né vers 1710, fils d’Adam Isbister et de Helen MacKinlay : en 1748, il épousa Judith, fille de Christopher Middleton* ; inhumé le 20 octobre 1771 au cimetière de la porte Saint-Louis à Québec.
On sait peu de chose sur l’enfance de Joseph Isbister, mais il grandit probablement à Stromness, dans les Orcades. où son père était marchand. En 1726, il fit son apprentissage auprès du capitaine Christopher Middleton de la Hudson’s Bay Company, sous la direct on duquel il travailla à la baie d’Hudson durant les quatre années qui suivirent. La compagnie l’employa ensuite comme matelot à la baie de James jusqu’en 1735, alors quelle le nomma officier sur le Beaver – un sloop affecté au commerce le long de l’ East Main (côte est de la baie d’Hudson et de la baie de James) – et chef de poste d’ Eastmain House (à l’embouchure de la rivière Eastmain, Québec), poste dépendant du fort Albany (Fort Albany, Ontario). Trois ans plus tard, Isbister remplaça Robert Pilgrim* comme capitaine du Moose River (II) : en août 1740, après la mort subite de son supérieur Rowland Waggoner*. il fut élu agent principal du fort Albany.
Premier Orcadien à occuper une haute fonction dans la Hudson’s Bay Company, Isbister en fut l’un des plus remarquables fonctionnaires au milieu du xviiie siècle. Doué d’une « grande énergie et [d’un] esprit indépendant », il n’hésita pas à défier l’autorité du comité de Londres – il le fit, notamment, à propos du commerce des fourrures à l’intérieur des terres. La compagnie n’avait ni la main-d’œuvre compétente ni l’écorce de bouleau qu’il fallait pour construire les gros canots nécessaires à la traite de l’intérieur : de plus, elle craignait que l’établissement de postes dans l’arrière-pays ne détourne le commerce des fourrures des comptoirs situés sur la baie d’Hudson qu’elle pouvait approvisionner plus aisément. C’est pourquoi elle avait de tout temps préféré que ses employés persuadent les Indiens de descendre jusqu’à la baie. Cette ligne de conduite, cependant, la désavantageait au profit de ses concurrents canadiens. En 1743, Isbister signala que le commerce au fort Albany accusait une baisse parce que des trafiquants indépendants (pedlars) d’origine canadienne avaient ouvert un poste à quelque 120 milles au nord, sur la rivière Albany, « à un endroit que [devaient] prunter tous les canots descendant vers le fort Albany ». Au mois de juin, persuadé qu’il fallait passer outre aux directives de la compagnie si l’on voulait sauver du désastre le commerce au fort Albany, il conduisit un petit groupe d’hommes à un endroit stratégique en amont du poste canadien : il y fit construire Henley House (à la jonction des rivières Albany et Kenogami, en Ontario) et il nomma son frère William* chef du poste.
Le comité approuva la décision d’ Isbister mais recommanda avec insistance d’utiliser ce petit poste de l’intérieur pour « la défense plutôt que [pour] la traite ». Or, dans son évaluation des exigences du commerce de la compagnie, Isbister voyait juste et loin : les postes de l’intérieur allaient jouer un rôle prédominant au sein de la compagnie. Il fut également le premier à s’attaquer au problème du transport dans les régions de l’intérieur, et les efforts qu’il fit pour construire une embarcation « ayant un tirant d’eau aussi faible qu’un canot et transportant plus de marchandises » annonçaient déjà l’invention du York boat (bateau à fond plat).
La maladie força Isbister à laisser le commandement du fort Albany en 1747. Au cours de l’année suivante, il se maria en Grande-Bretagne et recouvra suffisamment la santé pour revenir à la baie d’Hudson en tant qu’agent principal du fort Prince of Wales (Churchill, Manitoba). Il conserva ce poste jusqu’en 1752, alors qu’il fut nommé une seconde fois agent principal au fort Albany.
La carrière d’Isbister met en lumière les difficultés que connaissait la compagnie dans les domaines de l’administration et de la discipline. Le comité de Londres avait établi des règlements sévères à l’usage de ses employés, mais il devait compter, pour les mettre en application, sur la compétence et les bonnes dispositions de ses fonctionnaires en poste dans le district de Rupert’s Land. La vie était dure et monotone sur les rives désertes de la baie d’Hudson, et il n’est pas étonnant que les hommes aient cherché une consolation dans la boisson et auprès des Indiennes. En 1740, le comité ordonna spécifiquement à Isbister de faire cesser l’ivrognerie. la traite privée et « l’abominable péché de fornication ». Se conformant à ces directives, l’agent principal institua un régime militaire strict au fort Albany et, comme il était un homme vigoureux et irascible, il recourut souvent à la force physique pour châtier les insoumis et les négligents. À la Noël de 1743, voulant punir un homme qui avait « cabalé », il le jeta par terre avec une telle violence qu’il lui cassa une jambe. Il donna six coups de garcette à un autre employé qui s’était enivré et avait négligé ses fonctions.
Le règlement du comité de Londres qui interdisait d’héberger des Indiennes dans les postes était plus difficile à appliquer, en partie parce que cette interdiction ignorait certaines particularités de la vie que l’on menait à la baie. Il était d’usage, au milieu du xviiie siècle, que les agents principaux aient une compagne indienne, et Isbister ne faisait pas exception à la règle, bien qu’il se mariât en 1748. Ces alliances contribuaient à resserrer les liens créés par la traite avec les Indiens, et les femmes, en plus de répondre aux désirs naturels des hommes, accomplissaient d’importants travaux domestiques dans le poste, comme la fabrication des mocassins et le laçage des raquettes. Il s’ensuivait que plusieurs agents principaux de la Hudson’s Bay Company permettaient aux officiers et aux hommes des familiarités plus ou moins grandes avec les Indiennes. Isbister, toutefois, se montra particulièrement strict : personne d’autre que lui n’avait le droit d’entretenir des rapports avec une Indienne. Cette façon d’agir (deux poids, deux mesures) suscita un vif ressentiment parmi la population du poste de la rivière Churchill et finit par provoquer une tragédie quand il fut de retour au fort Albany. En tentant d’y rétablir une discipline sévère, Isbister indisposa les hommes et se mit à dos les Indiens Home Guard, des Cris auxquels l’agent précédent avait accordé le libre accès au fort et aux provisions. Wappisis*, un des agents indiens (leading Indians, [V. Matonabbee]) du fort Albany, entra dans une telle colère quand l’exemple d’Isbister fut suivi par William Lamb, chef de poste à Henley House, qu’il saccagea ce poste et en tua les employés avec l’aide de quelques-uns de ses parents, en décembre 1754.
Isbister, ne voulant pas admettre que son attitude avait été la cause indirecte du saccage, prétendit que toute l’affaire avait été machinée par les Français. De crainte que le poste ne tombât entre leurs mains, il ordonna à un parti d’ Indiens de l’incendier ; cependant, il s’occupa avant tout de traduire les responsables en justice. Lorsque furent confirmés ses soupçons concernant le rôle de Wappisis, qui était revenu au fort Albany comme si de rien n’était, il fit passer en jugement l’Indien et ses deux fils, les déclara coupables et les condamna à la pendaison. Même s’il avait la ferme intention de « faire comprendre aux Indiens que les Anglais n’[entendaient] pas tolérer une conduite aussi vile », Isbister attendit d’avoir obtenu l’approbation du conseil du poste de Moose pour exécuter la sentence. Il fut blâmé parle comité de Londres non pas pour avoir fait pendre les Indiens mais pour n’avoir pas rétabli le poste de Henley. Or, il n’avait pas été en mesure de le faire parce que la plupart de ses hommes refusaient de retourner à l’intérieur des terres.
Isbister vit son contrat expirer en 1756 et il fut rappelé par le comité de Londres, lequel se conformait ainsi à ses désirs et le soustrayait à une éventuelle vengeance des Indiens. Une gratification, que le comité lui accorda plusieurs années plus tard, révèle qu’il ne quitta pas la compagnie en mauvais termes.
En 1760, Isbister émigra à Québec avec sa femme et ses six jeunes enfants. Grâce à l’intervention du gouverneur Murray, il loua de Jacques de Lafontaine* de Belcour le poste de Mingan. Il n’eut pas de mal à s’entendre avec les Indiens car il maîtrisait leur langue, et Murray fit remarquer plus tard que « lit prudence, en ce temps de guerre, obligeait de prendre garde à qui l’on confiait les postes du golfe et du fleuve Saint-Laurent ». En 1763, Isbister acheta une propriété rue des Remparts à Québec. C’est dans cette ville qu’il mourut, en octobre 1771, « décrépit et les poumons usés ». Sa femme et ses enfants retournèrent en Angleterre.
ANQ-Q, État civil. Anglicans. Cathédral of the Holy Trinity (Québec). 20 oct. 1771.— APC, MG 8, G24, 10, f.19 : RG 4, B28, 24, 9 nov. 1771 : RG 68, 331, f.551.— HBC Arch., A.1/37. ff.253, 296 : A.1/43, ff.150, 172 ; A1/144, f.56 ; A.5/1, f.13d : A.6/6, f.96 : A.6/7, ff.1, 157 : A.6/8, f.112 : A.6/9, f.9 : A.11/2. ff.101–102, 164, 173–175d : A.11/3, ff.10–11 ; A.16/2. f.50 : A.16/10, f.19 ; B.3/a/30, f.8 : B.3/a/34, ff.8, 36–37 : B.3/a/35, f.17 ; B.3/a/37, f.11 : B.3/a/46. ff.5. 17 : B.3/a/47, ff.41–42d ; B.42/a/36, f.20 : B.42/a/38, ff.25d, 27d.— PRO, CO 42/1, ff.155–156, 293–295.— HBRS, XXV (Davies et Johnson) ; XXVII (Williams).— Rich, History of HBC.— J. S. Clouston. Orkney and the Hudson’s Bay Company, Beaver, outfit 267 (mars 1937), 38–43, 63.
Sylvia Van Kirk, « ISBISTER, JOSEPH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/isbister_joseph_4F.html.
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Auteur de l'article: | Sylvia Van Kirk |
Titre de l'article: | ISBISTER, JOSEPH |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 4 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1980 |
Année de la révision: | 1980 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |