INGRAM, DAVID, marin anglais, prétendit avoir été à pied du Mexique à l’Acadie en 1568–1569 ; circa 1523–1583.
Natif de Barking, dans le comté d’Essex, Ingram était au nombre des 100 matelots qui furent mis à terre le 8 octobre 1568 dans le golfe du Mexique, près de l’embouchure du Tampico, par John Hawkins, à l’issue du combat désastreux qu’il soutint contre les Espagnols, dans le voisinage de Vera Cruz. Le groupe se divisa, certains s’acheminant vers le Nord, tandis que, selon Ingram, Richard Browne, Richard Twide (l’un et l’autre moururent fort à propos avant la publication du récit d’Ingram en 1583) et Ingram lui même se dirigèrent à pied vers le Nord, se tenant à quelque 20 ou 30 milles de la côte et franchissant, d’après sa propre estimation, 2 000 milles en 11 ou 12 mois avant d’être recueillis par le capitaine Champion (ou Champaigne) du Gargarine, navire venu du Havre. Transporté à Lizard (Cornouailles) en 20 jours, puis au Havre, Ingram atteignit l’Angleterre vers la fin de l’année et fut récompensé (dit-il) par Hawkins en janvier 1569/1570.
David Ingram raconta son aventure, en août ou en septembre 1582, à une réunion présidée par le secrétaire d’État, Sir Francis Walsingham, et à laquelle assistait Sir George Peckham. Les auditeurs s’occupaient alors de rassembler des renseignements sur l’Amérique du Nord en vue de l’expédition que préparait Sir Humphrey Gilbert pour y fonder une colonie. Le récit devait sembler plausible puisqu’il fut publié en 1583, et Ingram qui accompagna Gilbert à Terre-Neuve cette année-là, rentra au pays avec une réputation sans tache. Richard Hakluyt, qui avait reproduit le récit d’Ingram dans ses Principall navigations (1589), l’écarta, comme peu digne de foi, de sa deuxième édition, parue vers 1598–1600.
Ceux qui seraient portés à croire qu’Ingram est vraiment allé à pied jusqu’au Cap-Breton n’en ont que son récit pour preuve. On relève des contradictions dans ses affirmations générales : 11 ou 12 mois comme durée du trajet, 50 lieues (150 milles) ou 60 lieues (180 milles) comme distance à parcourir jusqu’au Cap-Breton lorsqu’il fut recueilli, mais ce ne sont pas là, à tout prendre, des écarts bien graves. L’affirmation selon laquelle il aurait longé à pied le côté nord de l’Amérique, et que des Peaux Rouges lui auraient parlé de navires à voiles d’origine apparemment européenne, cadre bien avec sa rencontre de Micmacs vies du golfe du Saint-Laurent. Il est fort possible qu il ait rencontré par hasard un vaisseau normand dans cette région (à l’ouest ou au sud du Cap-Breton) et tout à fait plausible que ce bateau ait mis 20 jours à atteindre la Manche.
Mais la thèse qui contredit ce récit est beaucoup plus solide. La distance complète ne pouvait être inférieure à 3 000 milles : il semble incroyable que des hommes aient pu faire en moyenne 9 milles par jour, s’arrêtant à certains endroits pendant des jours, voire des semaines (même en supposant que les voyageurs aient suivi une voie directe). En outre, interrogé de plus près, Ingram déclara n’avoir passé que trois mois tout au plus au nord de la « rivière de mai » (le Saint-Jean, en Floride), ce qui écourte encore davantage la durée de son voyage vers le Nord et fait planer un doute sur la véracité de ses affirmations, puisqu’il aurait déclaré ailleurs que cette partie du voyage avait duré sept mois. Le nom de ce cours d’eau et ceux de la baie et de la rivière Sainte-Marie sont les seuls noms géographiques relevés dans d’autres documents de l’époque. On constate des contradictions flagrantes dans la désignation des noms de lieux ; par exemple, il dit avoir été secouru sur la « rivière de Banda », dans le cours supérieur d’une rivière appelée « Garinda ». De tels exemples démontrent bien que bon nombre de ses affirmations sont fantaisistes. Aucun indianiste sérieux n’a réussi à établir une corrélation entre, d’une part, ses renseignements sur la vie des Peaux Rouges et les noms de lieux et, d’autre part, les constatations faites par d’autres voyageurs (bien qu’on ait joué sur quelques-uns des noms et incidents qu’il rapporte) ; une partie des renseignements qu’il donne semble découler d’observations faites en Afrique et aux Antilles, tandis que le reste aurait été déformé ou inventé dans les 13 ans qui ont suivi son retour.
Il serait cependant difficile de ne pas reconnaître une certaine véracité au récit d’Ingram. Hawkins vivait encore en 1582–1583 et il aurait très bien pu traiter Ingram de menteur (encore qu’il ne soit pas du tout sûr qu’il ne l’ait pas fait). L’ensemble du récit reste plus ou moins plausible, même si les détails manquent de logique.
Il est moins difficile d’admettre qu’Ingram ait pu gagner à pied une partie de la côte située au nord des établissements espagnols qui s’échelonnaient de Saint-Augustin à Santa Elena dans le détroit de Port-Royal : en 1568 Dominique de Gourges avait détruit les forts de la rivière Saint-Jean et jusqu’en 1580 les Français commercèrent et réarmèrent leurs navires le long du littoral de ce qui est maintenant la Caroline du Sud. On peut à la rigueur admettre qu’Ingram ait rencontré par hasard un vaisseau français sur la côte, la distance étant tout de même moins invraisemblable. Mais il est encore plus plausible de croire qu’il a pu être recueilli par un corsaire français dans le golfe du Mexique, qu’il est resté à bord pendant que ce vaisseau s’approvisionnait en eau et en combustible sur la côte des Carolines, remontant vraisemblablement le littoral jusqu’au voisinage de l’île du Cap-Breton avant de faire voile pour l’Europe.
Ingram a peut-être menti sur certains points plus ou moins importants, mais ce qu’il raconte au sujet de l’Amérique du Nord dans les années 1560 contient peut-être une part suffisante de vérité pour justifier la poursuite de recherches dans ce domaine par des érudits qui en auraient le temps.
David B. Quinn Thomas Dunbabin
Le récit qu’Ingram a fait de ses prétendus voyages a été publié en 1583 sous le titre A true discourse of the adventures and travalles of David Ingram, mais il n’en existe plus, que l’on sache, aucun exemplaire (V. : W. A. Jackson, Humphrey Dyson’s library, Amer. Biblio. Soc. Papers, XLIX (1949) : 285, et Roanoke voyages (Quinn), I : 3s.). Il a été reproduit par Richard Hakluyt dans Principall navigations (1589), 557–562,— et dans Voyages of Gilbert (Quinn), II : 283–296. Il en existe une autre version au BM, Sloane MS 1447, ff.1–11 (imprimée dans P. C. G. Weston, Documents connected with the history of South Carolina (London, 1956), 7–19, et dans Quinn, supra). Une troisième version se trouve à la Bodleian Library, Tanner MS 79, ff.172–180 (reproduite dans Mag. Amer. Hist., IX (1883) ; 200–208).— « Certaine questions to be demanded of Davy Ingram », PRO, S.P. 12/175–195 (reproduites dans Voyages of Gilbert (Quinn), II. 281–283), et ses réponses détaillées, en date de l’automne de 1582, figurent dans les « Reportes of ye contrie Sir Humfrey Gilbert goes to discover », PRO, C.O. 1/1, 2. Il en existe une autre version dans Calthorpe MS 162 (maintenant BM, Add. MS 48 151), ff.161–166, reproduite dans Voyages of Gilbert (Quinn), II : 296–309.— En outre, Ingram est cité dans Peckham, A true report.— Au sujet des diverses opinions sur la vraisemblance du récit d’Ingram, V. : B. F. De Costa, Ingram’s journey through North America in 1567–69, Mag. Amer. Hist., IX (1883) : 168–176 (crédule mais érudit).— Voyages of Gilbert (Quinn), I : 64s. (très sceptique).— Rayner Unwin, The defeat of Sir John Hawkins (London, 1960) (misceptique, mi-romancée).— H. Wendt, I sought Adam (London, 1955) (plutôt crédule).— J. A. Williamson Sir John Hawkins : the time and the man (Oxford : 1927), 237s. (méprisant).
David B. Quinn Thomas Dunbabin, « INGRAM, DAVID », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/ingram_david_1F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 1 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1966 |
Année de la révision: | 1986 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |