HUNTINGTON, LUCIUS SETH, avocat, journaliste, homme d’affaires, homme politique et auteur, né le 26 mai 1827 à Compton, Bas-Canada, fils de Seth Huntington, fermier, et de Mary Hovey, décédé le 19 mai 1886 à New York.

Les ancêtres paternels et maternels de Lucius Seth Huntington déménagèrent vers 1800 de la Nouvelle-Angleterre dans les Cantons de l’Est. Puisqu’ils faisaient partie d’une vague de colons que le bas prix et l’abondance des terres attiraient plus que les institutions politiques britanniques, il est peut-être naturel que Huntington soit devenu un « libéral avancé » et un fervent admirateur des États-Unis. Huntington fit ses études secondaires dans les Cantons de l’Est et au Brownington Seminary, dans le Vermont, et il étudia le droit avec John Sewell Sanborn*, député annexionniste de Sherbrooke. Pour subvenir à ses besoins pendant ses études, il devint principal de la Shefford Academy, à Frost Village. Après son admission au barreau en 1853, il épousa Miriam Jane Wood. Comme il y avait trop d’avocats dans la partie ouest des Cantons de l’Est, Huntington décida d’augmenter ses revenus en devenant, marchand. Le commerce avait d’ailleurs connu un essor considérable dans les Cantons de l’Est après la construction du Grand Tronc, en 1852.

Le chemin de fer sortit la région de l’isolement économique et chaque ville réclama à grands cris un embranchement pour participer à la prospérité. Les hommes politiques montréalais qui représentaient la région à l’Assemblée furent incapables de répondre aux exigences de leurs électeurs « du fond des bois » qui demandaient des tribunaux locaux, des institutions financières et des établissements d’enseignement supérieur. Les électeurs des Cantons de l’Est décidèrent de choisir leurs représentants dans la région pour obtenir ces améliorations. Le jeune et ambitieux Huntington se mit rapidement à la tête du mouvement régional de protestation en fondant l’Advertiser and Eastern Townships Sentinel à Knowlton, Bas-Canada, en janvier 1856. Secondé par un entrepreneur de la région, Hiram Sewell Foster, il reçut le plein appui des deux représentants du comté au Conseil législatif, Paul Holland Knowlton* et Philip Henry Moore*. Le fait que Knowlton fût conservateur dissipa les soupçons que le journal était simplement un organe du parti libéral. L’Advertiser visait surtout à nourrir le sentiment de fierté des gens de la région pour leurs ressources humaines et naturelles et à ce que ce sentiment s’exprimât avec force dans la vie politique. Quand, en 1857, on décentralisa les tribunaux à la suite de la réforme de la loi préconisée par George-Étienne Cartier*, l’Advertiser s’enorgueillit de ce que cette mesure était « le résultat immédiat de l’agitation [qui avait eu cours] dans les Cantons de l’Est en vue d’obtenir des réformes positives » et la preuve que les gens pouvaient « corriger les maux sociaux et politiques qui les accabl[aient] ».

En 1857, le journal déménagea de Knowlton à Waterloo, Bas-Canada, parce que Huntington était devenu le secrétaire de la Compagnie du chemin de fer de Stanstead, Shefford et Chambly. Les sympathies politiques de Huntington allaient nettement aux libéraux, mais jamais au détriment des intérêts de sa région ni des siens propres. En 1858, lors d’une élection partielle dans le comté de Shefford, il appuya Asa Belknap Foster*, candidat de la région qui se présentait contre Lewis Thomas Drummond, le nouveau procureur général dans le gouvernement libéral éphémère de George Brown* et d’Antoine-Aimé Dorion*. Huntington affirma publiquement que Drummond avait le seul tort d’être Montréalais mais, comme Foster, il devait probablement penser qu’il avait mis en danger la Compagnie du chemin de fer de Stanstead, Shefford et Chambly (dont il était président) en se joignant aux libéraux.

La défaite de Drummond dans Shefford marqua la fin des députés non résidants dans la partie occidentale des Cantons de l’Est. Lorsque Foster démissionna en 1860 pour tenter de se faire élire au Conseil législatif, Huntington décida de se porter lui-même candidat au cours de l’élection partielle. Cependant, comme la plupart des gens des Cantons de l’Est sympathiques aux libéraux, il put difficilement défendre un parti qui, sous Brown, appuyait les intérêts du Haut-Canada. Il adopta comme solution de lancer le « parti des Cantons de l’Est ». Huntington ayant contrecarré leurs tentatives de représenter eux-mêmes les Cantons de l’Est, les tories de Montréal se tournèrent vers la population francophone, qui constituait alors les deux tiers des électeurs de Shefford, comme source d’appui électoral. Ils proposèrent à titre de candidat Michel-Adrien Bessette, populaire maire de North Stukely, qui envenima la campagne en déclarant que la majorité canadienne-française devrait élire une personne de sa nationalité et de sa religion. Les candidats furent ex æquo au scrutin et, avant qu’on ait pu régler la question, la législature fut dissoute. Aux élections générales de 1861, Huntington réussit à obtenir une majorité respectable contre Flavien-R. Blanchard, maire d’Ely.

En chambre, Huntington devint un fidèle partisan des libéraux. Orateur convaincant, il se révéla un parlementaire assez compétent pour être nommé, en 1863, solliciteur général dans le gouvernement de John Sandfield Macdonald* et de Dorion. En 1864, à l’instar des autres libéraux du Bas-Canada, il refusa de donner son appui à la Grande Coalition [V. George Brown] et à son projet de confédération. Aucune garantie, pensait-il, ne pouvait assurer l’avenir de la minorité anglophone si le Bas-Canada se donnait son propre parlement.

Le retour des libéraux dans l’opposition en 1864 permit à Huntington de consacrer plus de temps à ses intérêts personnels. À cette époque, il avait abandonné la direction de l’Advertiser et était déménagé à Montréal où il écrivit, à l’occasion, des éditoriaux dans le Montreal Herald, dirigé par Edward Goff Penny. Le centre de ses intérêts financiers demeura cependant les Cantons de l’Est, surtout après 1865, quand la demande qu’avait créée la guerre de Sécession lui permit de retirer des profits des mines de cuivre qu’il possédait dans le canton de Bolton. Son propre bien-être économique et celui de sa région dépendaient nettement du commerce avec les Américains. En 1867, il déclara que la Confédération romprait prématurément les liens du Canada avec la Grande-Bretagne ; mais, en 1870, il partageait l’opinion d’Alexander Tilloch Galt* et des libéraux francophones selon laquelle le maintien d’un lien diplomatique avec la Grande-Bretagne faisait obstacle au renouvellement de l’accord commercial de réciprocité avec les États-Unis tel qu’il avait existé entre 1854 et 1866. Dans ce but, il souhaitait fortement que le Canada obtienne les pouvoirs de faire des traités sans recourir à la Grande-Bretagne.

Huntington avait raison de se préoccuper de ces questions car, en 1871, ses affaires périclitaient. Le petit chemin « à lisses » de bois qu’il avait construit jusqu’à sa mine se révéla impraticable, le marché du cuivre s’effondra et son épouse et l’un de ses fils moururent coup sur coup. De plus, sa prise de position sur l’indépendance du Canada ne fit qu’embarrasser les dirigeants du parti libéral. Huntington était en train de sombrer dans l’oubli sur le plan politique lorsque, en 1873, il dévoila le célèbre scandale du Pacifique. Il allégua à la chambre des Communes que le gouvernement de sir John Alexander Macdonald* avait accordé à la compagnie de sir Hugh Allan, dont les bailleurs de fonds étaient américains, le contrat de construction du chemin de fer transcontinental canadien en échange de contributions à la campagne électorale des conservateurs en 1872. Macdonald soupçonna le conservateur Asa Belknap Foster, ancien associé de Huntington dans le chemin de fer des Cantons de l’Est, d’avoir joué un rôle clé dans la divulgation de certaines pièces à conviction. Ces soupçons furent bientôt renforcés car, après la démission des conservateurs en novembre 1873 et leur défaite aux élections, Foster, Huntington et George Stephen* formèrent un consortium pour acquérir le contrat de construction du chemin de fer du Pacifique. Huntington projetait de démissionner de son poste de président du Conseil privé dans le cabinet nouvellement formé d’Alexander Mackenzie* pour consacrer toutes ses énergies à ce projet, mais il fut bientôt lui-même impliqué dans un scandale. Avides de vengeance, les conservateurs accusèrent Huntington d’avoir usé de fraude lors de la vente en Grande-Bretagne de ses propres mines de cuivre et d’autres dans les Cantons de l’Est. Luther Hamilton Holton*, libéral influent de Montréal, le persuada de ne pas démissionner comme représentant protestant du Québec au cabinet, car on pourrait interpréter ce geste comme une reconnaissance de sa culpabilité. La compagnie britannique intéressée finit par abandonner la poursuite judiciaire qu’elle avait intentée, et Huntington demeura au sein du cabinet comme maître général des Postes après octobre 1875, ce qui l’amena à se retirer du consortium qui tentait d’obtenir le contrat de construction du chemin de fer.

Huntington provoqua bientôt une autre controverse d’envergure nationale. Lors de l’élection partielle de décembre 1875 dans Argenteuil, qui survint l’année du débat suscité par la mort de Joseph Guibord*, Huntington avertit les protestants du Québec qu’ils ne pouvaient espérer se protéger contre l’envahissement des catholiques ultramontains, à moins d’adhérer au parti libéral. Galt jeta de l’huile sur le feu en approuvant cette thèse et en l’analysant dans tous ses détails dans deux opuscules. Cet épisode marqua le commencement de la fin de la carrière politique de Huntington, car Holton avait désormais jeté son dévolu sur le poste de ce dernier au cabinet. Holton se servit du discours prononcé dans Argenteuil comme moyen d’action et avertit Mackenzie qu’on devrait forcer Huntington à démissionner si le gouvernement ne partageait pas ses opinions ; puis, il exigea à la chambre des Communes que le gouvernement fasse une déclaration officielle sur le sujet. Mackenzie confia à George Brown qu’à vrai dire il partageait les sentiments de Huntington, mais, ajouta-t-il : « Je crains que, face à [ceux] des Anglais du Québec qui nous sont hostiles, nous ne soyons pas assez forts pour mettre en pratique ce principe. » Bien que la hiérarchie catholique exigeât un désaveu officiel du discours et que le gouvernement s’exécutât par la suite, Huntington demeura quand même au cabinet.

La fêlure dans l’aile québécoise du parti ne se ressouda pas rapidement et Huntington ne put davantage dissiper le soupçon qu’il était un ministre moins compétent que ne l’aurait été Holton. Malgré la défaite des libéraux à l’échelle nationale en 1878, il réussit à conserver son siège tant contre son adversaire conservateur que contre son adversaire canadien-français libéral. Il se vit toutefois continuellement attaqué en tant qu’hypocrite et francophobe, et ses malheurs personnels l’éloignèrent encore davantage de la carrière politique après 1879. Il ressentit profondément la perte de son deuxième fils, Russell, qui avait fait partie de la rédaction du Montreal Herald, et une grave infection de la gorge l’empêcha de prendre la parole tant au parlement que pendant sa campagne électorale en 1882. Quand les conservateurs de Shefford s’unirent pour épauler le candidat libéral canadien-français, Huntington fut finalement défait. Il déménagea alors à New York, lieu de résidence de sa deuxième épouse, Mme Marsh, pour recevoir des soins médicaux particuliers. Pendant les quatre années qu’il lui restait à vivre, il ne fit que de brefs séjours au Canada pour voir à ses affaires dans le bureau d’avocats Laflamme, Huntington and Laflamme et dans l’Association d’assurance mutuelle sur la vie du Canada.

En partie pour passer le temps et en partie pour continuer d’exposer ses opinions au public, Huntington publia en 1884 un roman plutôt banal, intitulé Professor Conant [...], dans lequel il mit l’accent sur l’importance de ce qu’il appelait une opinion publique objective : il n’y a rien d’étonnant à ce que l’ultramontanisme en ait été désigné comme l’un des grands ennemis. Aussi abstraits qu’aient été les arguments de Huntington, il apparaît néanmoins clairement que sa philosophie libérale épousa ses propres intérêts économiques et sociaux d’entrepreneur canadien-anglais dans les Cantons de l’Est. En fait, l’influence décroissante de la population anglophone dans la région contribua beaucoup à son échec final d’homme politique.

J. I. Little

Lucius Seth Huntington est l’auteur de : The independence of Canada, the annual address delivered before the Agricultural Society of the County of Missisquoi, at Bedford, Sept. 8, 1869 (Montréal, 1869), et de Professor Conant : a story of English and American social and political life (Toronto, 1884). Parmi les papiers des hommes politiques, qui apportent des renseignements sur la carrière de Huntington, il faut surtout consulter : aux APC, ceux de George Brown (MG 24, B40) et d’Alexander Mackenzie (MG 26, B) ; et aux AO, ceux d’Edward Blake (MU 136–273).  [j. i. l.]

Canada, chambre des Communes, Débats, 1876–1882.— Débats de la chambre des Communes (Waite), I ; II.— Advertiser and Eastern Townships Sentinel ([Knowlton et Waterloo], Québec), 1856–1860.— Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 20, 22 mai 1886.— Canadian directory of parl. (J. K. Johnson).— CPC, 1867–1881.— Dent, Canadian portrait gallery, IV : 56–61.— J. P. Noyes, Sketches of some early Shefford pioneers ([Montréal], 1905), IS–64, 77, 83.— R. P. Frye, « Resident representation ; a political problem of the Eastern Townships of Quebec as seen from the pages of the Waterloo Advertiser and Eastern Townships Sentinel » (thèse de m.a., en cours, univ. d’Ottawa).— W. R. Graham, « The Alexander Mackenzie administration, 1873–78 : a study of Liberal tenets and tactics » (thèse de m.a., Univ. of Toronto, 1944).— O. D. Skelton, The life and times of Sir Alexander Tilloch Galt (Toronto, 1920).— Thomson, Alexander Mackenzie (Toronto, 1960).— J. S. Willison, Sir Wilfrid Laurier and the Liberal party ; a political history (2 vol., Toronto, 1903).— Y.-F. Zoltvany, « Les libéraux du Québec, leur parti et leur pensée (1867–1873) » (thèse de m.a., univ. de Montréal, 1960).— T. A. Burke, « Mackenzie and his cabinet, 1873–1878 », CHR, 41 (1960) : 128–148.

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J. I. Little, « HUNTINGTON, LUCIUS SETH », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/huntington_lucius_seth_11F.html.

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