HELBRONNER, JULES (baptisé Samson-Jules), journaliste, militant ouvrier, fonctionnaire et réformateur social, né le 23 décembre 1844 à Paris, fils de Joseph Helbronner, fleuriste, et de Caroline Alcan ; avant 1875, il épousa en France Eugénie Meusnier, et ils eurent un fils et une fille ; décédé le 25 novembre 1921 à Ottawa et inhumé dans le cimetière du Mont-Royal, à Montréal.

On connaît peu de chose de la vie de Jules Helbronner avant son arrivée au Canada, en 1874. Accompagné de sa femme, dont il aurait par la suite deux enfants, Michel et Antoinette (nés respectivement en 1876 et en 1880), il s’installa à Montréal. Il y occupa des emplois de commis et de représentant commercial avant de fonder sa propre société, Jules Helbronner and Company, qui distribua notamment au Canada la quinine Quina-Laroche.

En 1882, Helbronner entra, à titre d’assistant-rédacteur, au Moniteur du commerce, dont il devint rédacteur en chef en 1884 ; en mauvais termes avec le propriétaire de l’hebdomadaire montréalais, il démissionna peu de temps après. Le 20 octobre de cette année, il signa dans la Presse, sous le pseudonyme de Jean-Baptiste Gagnepetit, sa première chronique ouvrière. Bien qu’elle compte près de 350 articles, répartis très inégalement entre 1884 et 1894, cette chronique abordait un nombre relativement limité de thèmes. En effet, selon une stratégie répandue dans la presse anglo-américaine de l’époque, Helbronner s’engageait régulièrement dans des campagnes de presse : il se concentrait durant plusieurs semaines sur un thème, la fermeture des commerces de bonne heure, la vaccination préventive ou la réforme de la taxe d’eau, par exemple, y revenant même à intervalles plus ou moins rapprochés. Dans ses chroniques, il épousait l’ensemble des revendications du mouvement ouvrier nord-américain, tout en conservant son esprit critique à l’endroit des organisations de travailleurs. Sa vision de la société portait l’empreinte d’un organicisme diffus parmi les penseurs sociaux de son époque. À ses yeux, le syndicalisme procurait aux travailleurs les moyens essentiels de défendre leurs intérêts, mais l’action politique constituait aussi une avenue privilégiée. C’est pourquoi il favorisa, à plusieurs occasions, les candidatures ouvrières, tout en exprimant des réserves à l’endroit d’un véritable parti ouvrier. À court terme, les intérêts des travailleurs lui semblaient mieux servis par les partis politiques existants.

Helbronner milita également activement au sein d’organisations syndicales. Membre des Chevaliers du travail dès 1885, il participa à la rédaction du programme défendu par trois candidats ouvriers de la région de Montréal aux élections générales provinciales de 1886. Il fit partie de la direction du Conseil central des métiers et du travail de Montréal, dont on le nommerait membre à vie en 1889. De 1887 à 1889, il fut commissaire pour la commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail [V. James Sherrard Armstrong*] et y participa activement. Il prit part à presque tous les déplacements de la commission et signa cinq des nombreuses annexes du rapport, soit celles consacrées à l’économie et la classe ouvrière, à l’injustice de certaines lois, aux grèves et à l’arbitrage, au versement des salaires, et à l’exaction. Il donna le ton au rapport minoritaire de la commission, que des détracteurs qualifièrent de « capitaliste ». Il aurait été plus juste de lui donner l’épithète « philanthropique », car ses auteurs, s’inspirant d’une vision consensuelle de la société, y proposaient des mesures propres à intégrer harmonieusement les travailleurs dans le système économique. À titre de délégué du gouvernement canadien à l’Exposition universelle de Paris, en 1889, Helbronner étudia la condition ouvrière dans les différents pays représentés à la section d’économie sociale.

Après s’être éloigné du journalisme quotidien pendant quelques années à cause de ses fonctions officielles, Helbronner signa en 1890, pour la Presse, un contrat de travail qui stipulait qu’il traiterait des questions « civiques » et ouvrières. Après y avoir acquis une renommée à titre de chroniqueur, Helbronner devint rédacteur en chef du journal, poste qu’il occuperait de manière presque continue entre 1892 et 1908. Si sa production sur les questions ouvrières se concentra sur une dizaine d’années, son intérêt pour la scène municipale se maintint durant toute sa carrière de journaliste. Une de ses premières campagnes de presse avait d’ailleurs dénoncé la corvée, mesure fiscale régressive imposée aux locataires montréalais et abolie en 1886, en partie grâce aux efforts de Helbronner. En 1904, un conflit avec l’administrateur de la Presse, Herménégilde Godin, l’obligea à quitter temporairement le journal. Le scénario se répéta en 1908 lorsque Helbronner argumenta avec insistance, malgré l’opposition de la direction de la Presse, afin d’obtenir la mise en place de la commission royale pour faire enquête générale et complète sur l’administration des affaires de la cité de Montréal [V. Lawrence John Cannon], dont les travaux commencèrent en avril de l’année suivante. Il entra en 1909 à la Patrie, où il assuma le dossier des affaires municipales pendant plusieurs années. En 1916, il s’installa à Ottawa, probablement pour se rapprocher de sa fille, mariée depuis 1904 à Louvigny de Montigny* ; ce dernier, journaliste et écrivain, était devenu en 1910 traducteur au Sénat. Helbronner occupa jusqu’en 1920 un poste de commis au ministère des Impressions et de la Papeterie publiques à Ottawa, ville où il décéda le 25 novembre 1921. Durant sa carrière de journaliste, il avait contribué à de nombreux autres périodiques de Montréal, dont le Journal du dimanche, le Nationaliste, la Revue moderne et le Soir.

D’origine juive, Helbronner défendit âprement cet héritage, comme en témoignent les nombreux procès en diffamation qu’il intenta à des journalistes de tous les horizons du spectre sociopolitique. Discret sur ses propres convictions religieuses, il ne chercha pas à les imposer à ses enfants, puisque ces derniers furent tous deux baptisés et mariés – à un conjoint canadien-français – dans la religion catholique. Il s’identifia personnellement à la communauté française de Montréal (plutôt qu’à la collectivité juive). Il participa aux activités de la Chambre de commerce française de Montréal de 1887 à 1905 et présida l’Union nationale française de 1901 à 1909. Sous sa direction, cet organisme de bienfaisance fit des progrès remarquables. Ses réalisations lui valurent le titre de chevalier de la Légion d’honneur en 1906.

Même après son départ du Moniteur du commerce, Helbronner avait conservé un intérêt pour le domaine des affaires. En 1887, il participa à Montréal à la fondation du Prix courant, journal spécialisé dans le commerce, la finance, l’industrie, la propriété foncière et les assurances ; il se retira de l’entreprise au début des années 1890. Par ailleurs, son nom figura sur la liste des membres de la Chambre de commerce du district de Montréal de 1886 à 1895 ; entre 1906 et 1908, il fit partie du comité du Bulletin de l’organisme.

La question de l’épargne ouvrière et de la prévoyance collective fut un des thèmes de prédilection de Helbronner. Il y consacra plusieurs chroniques, en traita dans une annexe au rapport que présenta en 1889 la commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail, ainsi que dans son Rapport sur la section d’économie sociale de l’Exposition universelle internationale de 1889, à Paris, publié à Ottawa en 1890. Il fut aussi membre de plusieurs conseils d’administration de sociétés de prévoyance. En 1901, dans une série d’articles parue dans les Débats de Montréal (feuille hebdomadaire de combat fondée en 1899 par Louvigny de Montigny et Paul de Martigny, et qui, à partir d’octobre 1900, adopta l’étiquette libérale), il dénonça l’insuffisance des réserves de la section des rentes viagères de la compagnie d’assurances l’Union franco-canadienne. Cette campagne, qu’il mena sous le pseudonyme de Julien Véronneau, donna lieu à des procès retentissants entre lui et Louis-Gaspard Robillard, président de l’entreprise et éditeur du Pionnier, alors édité à Montréal. L’affaire se termina en queue de poisson avec la fuite de Robillard aux États-Unis.

La valeur des services rendus par Jules Helbronner à la classe ouvrière fut largement reconnue. Plusieurs de ses contemporains lui attribuèrent même les succès de la Presse. Cette prétention, sans doute excessive, n’était cependant pas sans fondement. Si la réussite commerciale du quotidien à partir du milieu des années 1890 découlait, à l’évidence, de décisions de son propriétaire Trefflé Berthiaume*, il reste que la chronique de Helbronner a fortement contribué, dans les années 1880, à la crédibilité de la Presse auprès des milieux ouvriers. Toutefois, il s’agissait là d’un succès d’estime qui n’a pas entraîné d’augmentation sensible du tirage.

Jean de Bonville

Il n’existe à notre connaissance aucun fonds d’archives entièrement consacré à Jules Helbronner. On trouve de la correspondance qui le concerne dans quelques fonds, en particulier celui de Trefflé Berthiaume (P207) aux ANQ-M. Les archives judiciaires du district de Montréal, conservées aux ANQ-M, T, recèlent plusieurs traces de ses démêlés avec, notamment, ses employeurs, d’autres journalistes, un locataire et la ville de Montréal. Un mince dossier sur lui se trouve dans le fonds de la Légion d’honneur aux Arch. nationales (Paris), L1278060. Les Arch. départementales, Seine (Paris), État civil, Paris, conservent un fac-similé de son acte de naissance du 23 déc. 1844. On ne trouve pas de trace de Helbronner dans les dictionnaires biographiques consacrés aux Juifs canadiens. Ce fait signifie sans doute qu’il s’est d’abord défini comme Français et qu’il a entretenu des liens ténus avec la communauté juive de Montréal. La mémoire juive québécoise semble l’avoir redécouvert grâce aux travaux de David Rome, qui a constitué un important dossier documentaire conservé aux Arch. nationales du Congrès juif canadien (Montréal) et lui a consacré une monographie, On Jules Helbronner, David Rome, compil., introd. par Saul Hayes (Montréal, 1978).

L’importante production journalistique de Helbronner s’étend sur près de 40 ans ; une bonne partie, constituée de chroniques ou d’éditoriaux, peut être assez facilement identifiée. Il a mené plusieurs polémiques dans lesquelles on trouve des indices sur sa personne ou son activité de journaliste. Sa carrière de journaliste d’affaires est abordée dans l’ouvrage de Fernande Roy, Progrès, Harmonie, Liberté : le libéralisme des milieux d’affaires francophones de Montréal au tournant du siècle (Montréal, 1988) et dans la thèse d’Yves Saint-Germain, « The genesis of the French-language business press and journalists in Quebec, 1871–1914 » (thèse de PH.D., Univ. of Delaware, Newark, 1975). Sur sa chronique ouvrière, on consultera notre ouvrage Jean-Baptiste Gagnepetit : les travailleurs montréalais à la fin du XIXe siècle (Montréal, 1975) et l’article de Mélanie Méthot, « Jules Helbronner (1844–1921) : père de la conscience ouvrière montréalaise et intellectuel engagé », Mens (Montréal), 2 (2001–2002) : 67–104.

En tant que membre de la commission royale d’enquête sur les relations entre le capital et le travail, Helbronner a cosigné le rapport minoritaire, notamment avec Guillaume Boivin*, et plusieurs de ses appendices : Canada, Commission royale sur les relations du travail avec le capital au Canada, Rapport (5 vol. en 6 vol., Ottawa, 1889), rapport minoritaire, app. C, H, I, L, O. Par la suite, à titre de délégué du Canada à l’Exposition universelle de Paris, il a rédigé le volumineux Rapport sur la section d’économie sociale de l’Exposition universelle internationale de 1889, à Paris (Ottawa, 1890). Dans Canada investigates industrialism : the royal commission on the relations of labor and capital, 1889 (abridged), G. [S.] Kealey, édit. (Toronto et Buffalo, N.Y., 1973) et Fernand Harvey, Révolution industrielle et Travailleurs ; une enquête sur les rapports entre le capital et le travail au Québec à la fin du 19e siècle (Montréal, 1978), on trouve une analyse de sa contribution aux travaux de la commission royale. Marcel Pleau, dans l’Histoire de l’Union française, 1886–1945 (Montréal, 1985), rend compte de son engagement dans le soutien aux ressortissants français à Montréal. [j. de b.] Le Devoir, 26 nov. 1921.— Le Droit (Ottawa), 26 nov. 1921.— La Patrie, 26 nov. 1921.— La Presse, 26 nov. 1921.— Canadian men and women of the time (Morgan ; 1898).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Jean de Bonville, « HELBRONNER, JULES (baptisé Samson-Jules) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/helbronner_jules_15F.html.

Information à utiliser pour d'autres types de référence bibliographique:

Permalien: http://www.biographi.ca/fr/bio/helbronner_jules_15F.html
Auteur de l'article:    Jean de Bonville
Titre de l'article:    HELBRONNER, JULES (baptisé Samson-Jules)
Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 15
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2005
Année de la révision:    2005
Date de consultation:    28 novembre 2024