HÉBERT, ÉTIENNE, cultivateur, né en 1736 à Grand-Pré (Nouvelle-Écosse), fils de Jean-Baptiste Hébert et d’Élisabeth Granger ; décédé le 11 janvier 1823 à Saint-Grégoire (Bécancour, Québec).
Étienne Hébert appartenait à la quatrième génération des Hébert d’Acadie. Il avait 19 ans lorsqu’il fut séparé du reste de sa famille lors de la déportation de la population acadienne en 1755 [V. Charles Lawrence*]. Il fut envoyé à Baltimore, au Maryland. Cette colonie fut à peu près la seule à témoigner une réelle sympathie envers les malheureux exilés de l’Acadie outragée. Ce comportement s’explique du fait que bon nombre des habitants du Maryland étaient des catholiques d’Angleterre que lord Baltimore et son frère, Leonard Calvert avaient amenés dans cette colonie. On laissa les Acadiens totalement libres de circuler partout où bon leur semblait, de s’établir à demeure, d’émigrer, ou même de retourner au Canada.
Hébert sut profiter d’une attitude aussi favorable. Au service d’un officier qui devint vite son ami, il acquit peu à peu un bon pécule et surtout une précieuse connaissance des lieux et des choses, notamment l’art de s’orienter à travers les grands espaces boisés, les lacs et les rivières, sans oublier les sentiers de portage connus des seuls initiés. Fort de cette expérience, il put mettre à exécution le projet qu’il avait formé depuis son arrivée : retrouver ses parents, ses trois frères et ses quatre sœurs. Ce n’était pas une mince tâche, car la politique de déportation s’était poursuivie jusqu’en 1762, augmentant le nombre des exilés qu’on avait dispersés en différents endroits. On retrouvait des Acadiens dans les colonies anglaises s’étendant du Massachusetts à la Géorgie ; certains s’étaient enfuis vers la Louisiane ; d’autres avaient été envoyés en Angleterre. Quant à ceux du Maryland, ils étaient fort nombreux et répartis en plus de huit endroits éloignés les uns des autres. Hébert réussit, sans qu’on puisse préciser la date toutefois, à retrouver à Georgetown, au Maryland, son père et sa mère ainsi que son frère Jean-Baptiste. Mais des autres, aucune trace.
Puis vint la conquête du Canada en 1763 et l’impossibilité absolue de regagner l’Acadie. L’année suivante, cette interdiction fut levée, mais à la condition que les Acadiens prêtent le serment d’allégeance. Hébert se décida en 1764 ou 1765 à « monter au Canada » où, disait-on, les conquérants avaient accordé des conditions de vie fort acceptables aux nouveaux sujets britanniques. À Boston, où dès 1764 il avait rallié ses parents et son frère retrouvés, il apprit de certains navigateurs que Trois-Rivières était situé à moins de 100 lieues ; il partit seul dans cette direction, muni d’une boussole, d’une hache, d’un fusil, d’un briquet à pierre, d’un poêlon et d’un canot d’écorce. Après maintes aventures, il finit par arriver près de Nicolet, chez les réfugiés acadiens de Saint-Grégoire, que l’on désignait alors du nom de Sainte-Marguerite. Il fut d’abord déçu de ne trouver là aucun des siens, mais on lui conseilla de se rendre de l’autre côté du fleuve, à Yamachiche, dans le rang de la Petite-Acadie qui était habité par des Acadiens et où il eut le vif bonheur de retrouver trois de ses sœurs Marguerite, Françoise et Marie.
Confiant de pouvoir rassembler tous les siens en ces lieux, Hébert acquit quatre terres contiguës dans le haut du village de Saint-Grégoire. Peu après, il repartit pour Boston dont il avait décidé de faire le centre de ralliement pour sa famille et pour beaucoup d’autres exilés qu’on le chargea de ramener. Il organisa de véritables expéditions regroupant de cinq à dix familles qui, de Boston, gagnaient la région de Trois-Rivières soit par terre, soit par bateau. Les registres de l’état civil attestent la venue d’un grand nombre de ces Acadiens exilés à partir de l’automne de 1766. C’est ainsi qu’en 1767 arrivèrent, guidés par Étienne, ses parents et son frère Jean-Baptiste. Mais l’exil et un si dur voyage devaient être fatals pour sa mère, qui fut inhumée à Trois-Rivières le 3 octobre 1767, à l’âge de 66 ans. Hébert retraça également sa sœur Anne et ses frères Joseph et Honoré, de sorte qu’en 1771, au plus tard, la famille Hébert était enfin réunie.
Au fil de ses recherches, Hébert avait aussi retrouvé Marie-Josephte Babin, jeune fille originaire de sa région natale. Elle avait 24 ans et lui 33 lorsqu’ils se marièrent, le 2 octobre 1769, à Trois-Rivières. Ils eurent neuf enfants dont le major Jean-Baptiste Hébert, cultivateur, constructeur (notamment du séminaire de Nicolet), patriote et député ; parmi leurs petits-enfants figure Nicolas-Tolentin Hébert*, curé de Saint-Louis, à Kamouraska, et artisan de la colonisation des régions du Saguenay et du Lac-Saint-Jean, en l’honneur de qui Hébertville a été nommé. Ainsi, après une quinzaine d’années d’errance et de recherche, Étienne Hébert put jouir d’une vie qui semble avoir été heureuse et sans histoire, jusqu’à sa mort le 11 janvier 1823.
Étienne Hébert figure parmi ces héros méconnus dont fourmille l’histoire acadienne, à titre d’authentique artisan de ce qui paraissait à priori impossible : la reconstitution de toute une famille dispersée le long de la côte est des États-Unis. Au Québec, actuellement, les descendants des réfugiés acadiens de 1755–1775 dépassent aisément le nombre d’un million et demi.
L’historiographie de la famille Hébert est tributaire de plusieurs traditions orales familiales qui, malheureusement, n’ont été mises par écrit que tardivement, soit après trois générations d’Acadiens installés en terre québécoise. Il en est forcément résulté que, si leurs données se ressemblent dans les grandes lignes, il en va tout autrement de l’identité du héros, chaque groupe des très nombreux descendants Hébert réclamant pour lui l’un ou l’autre des quatre frères. À ces sources s’ajoutent plusieurs récits dus à la plume d’auteurs de tous calibres. Il fallait donc confronter ces matériaux avec de solides documents de l’époque : notamment la vingtaine de listes de prisonniers acadiens de la Nouvelle-Angleterre récupérées naguère des Archives nationales de France, les nombreux registres paroissiaux de l’ancien gouvernement de Trois-Rivières, sur les rives sud et nord du Saint-Laurent, les précieuses notes acadiennes de Mgr Louis Richard, et le Journal paroissial de Saint-Grégoire (à Bécancour). Après une étude approfondie, j’en suis venu à la conclusion qu’Étienne est bien le responsable de la réunification de la famille Hébert. [a. b.]
Arch. du séminaire de Trois-Rivières (Trois-Rivières, Québec), Louis Richard, « Notes sur l’arrivée des Acadiens dans le district de Trois-Rivières après 1755 », cahier 3.— J.-E. Bellemare, Histoire de Nicolet, 1669–1924 (Arthabaska, Québec, 1924), 144–147.— Adrien Bergeron, le Grand Arrangement des Acadiens au Québec [...] (8 vol., Montréal, 1981), 4 : 103–123.— H.-R. Casgrain, Un pèlerinage au pays d’Évangéline (2e éd., Québec, 1888), 273–275.— F.-L. Desaulniers, les Vieilles Familles d’Yamachiche (4 vol., Montréal, 1898–1908), 4 : 71–83.— Alfred Désilets, Souvenirs d’un octogénaire (Trois-Rivières, 1922), 58–70.— C.-É. Mailhot, les Bois-Francs (4 vol., Arthabaska, 1914–1925), 3 : 216–221, 279–280.— P.-M. Hébert, «Jean-Baptiste Hébert, 1779–1863 », les Cahiers nicolétains (Nicolet, Québec), 2 (1980) : 67–89 ; 6 (1984) 128–129, 131 ; 7 (1985) : 3–7 ; « Jean-Baptiste Hébert, « Major », Soc. hist., acadienne, Cahiers (Moncton, N.-B. ), 3 (1968–1971) : 168–173.
Adrien Bergeron, « HÉBERT, ÉTIENNE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/hebert_etienne_6F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1987 |
Année de la révision: | 1987 |
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