HASKINS, JAMES, instituteur, médecin et poète, né entre 1802 et 1805 à Dublin, fils de Charles Haskins, marchand, et d’une dénommée Kelly ; le 10 mars 1835, il épousa Mary Ann Everitt, du canton de Kingston, Haut-Canada, et ils eurent un enfant ; décédé le 10 octobre 1845 à Frankford, Haut-Canada.

James Haskins venait d’un milieu assez riche, car son père était marchand et fournissait des vêtements à l’armée britannique. À l’âge de 17 ans, il entra au Trinity College de Dublin, qui lui décerna une licence ès arts en 1824. Au lieu de se joindre à son père, il suivit ses inclinations, et particulièrement son amour de la littérature classique, et enseigna dans diverses localités d’Irlande et d’Angleterre. Ce travail lui permit de faire de longs voyages dans son pays d’origine et sur le continent européen.

Haskins retourna ensuite au Trinity College pour étudier la chirurgie et obtint en 1833 une licence en médecine. Peu de temps après, en compagnie de sa sœur et d’une tante, il immigra dans le Haut-Canada. Arrivé à Belleville en juillet 1834, il obtint le 13 août un certificat qui l’autorisait à pratiquer la médecine. Selon son propre témoignage, il exerça dans cette ville, mais on n’a guère de renseignements sur ce qu’il fit jusqu’en 1836. Le 10 mars 1835, il épousa Mary Ann Everitt, alors âgée de 15 ans. Selon un historien du comté de Hastings, Gerald E. Boyce, Haskins ouvrit en 1836 une école « classique » et, en septembre de la même année, posa sans succès sa candidature au poste de maître d’une grammar school de district dont la fondation était prévue. Il se peut toutefois qu’il ait enseigné à Belleville dans une école secondaire de filles dont sa sœur avait pris la direction en 1834. Le 16 juin 1837, il annonçait dans le Chronicle & Gazette de Kingston qu’il ouvrait un cabinet de médecin à « Yarker’s Mills », dans le canton de Loughborough, sur la rivière Trent ; il faisait mention de son accréditation et de ses solides références et indiquait avoir déjà eu une bonne clientèle. Haskins fut très heureux à cet endroit et y écrivit beaucoup de poèmes. Cependant, le malheur ne tarda pas à le frapper : sa femme mourut en donnant naissance à une fille. Haskins en eut tellement de chagrin qu’il partit s’installer. à Frankford. Il y vécut dans une relative obscurité en pratiquant la médecine et en écrivant la plupart de ses poèmes, dont quelques-uns parurent dans le Literary Garland de Montréal et le Church de Cobourg, Haut-Canada.

C’est à propos de cette période de l’existence de Haskins que les deux principales sources d’information sur sa personnalité et sa mort précoce se contredisent d’une manière flagrante. La première est un poème de Susanna Moodie [Strickland*], publié d’abord en 1846, avec des commentaires, dans le Literary Garland. Moodie y dépeint Haskins comme un « fils négligé du génie », incapable de s’adapter à une société anti-intellectuelle qui le pousse à la réclusion et à l’alcoolisme. Elle va jusqu’à raconter que Haskins et un autre médecin avaient « convenu par un pacte de boire jusqu’à mourir tous les deux ». Cette anecdote sert le dessein de l’auteure, qui est de montrer combien l’abus de l’alcool était terrible dans les colonies et combien on y considérait les arts avec hostilité et suspicion. Ses observations sont néanmoins appuyées par William Hutton*, qui notait en mars 1844 que Haskins buvait beaucoup. La seconde source d’information, une préface de Henry Baldwin, parut dans The Poetical works [...], recueil des œuvres de Haskins publié à titre posthume en 1848. Baldwin, qui se rendait souvent à Frankford pour visiter Haskins, protège la réputation de son ami en ne faisant nulle mention d’un problème d’alcool et en décrivant plutôt un homme qui a choisi la solitude en raison de son chagrin et de sa nature profondément religieuse. Selon lui, Haskins perdit la santé à exercer la médecine dans la région, ce qui était épuisant, et en raison de la poésie et des travaux intellectuels qui l’accaparaient beaucoup trop. En outre, il observe que Haskins avait souvent des accès de fièvre et qu’il était sujet aux maladies pulmonaires ; ses remarques laissent supposer que son ami mourut peut-être de la tuberculose.

La vérité se situe probablement quelque part entre ces deux points de vue. Les poèmes de Haskins sont bien d’un être très religieux, d’un contemplatif : ils soulignent l’illusion du bonheur terrestre et l’indignité de l’homme en tout. Son œuvre la plus longue, The Cross, composée après la mort de sa femme, est une épopée religieuse qui décrit, en strophes spensériennes, le paradis perdu et retrouvé ; elle reflète souvent ses afflictions personnelles et le sentiment de sa propre bassesse. D’autres poèmes – des élégies – montrent à l’évidence combien la disparition de sa femme lui fut cruelle.

Haskins s’intéressait davantage, dans ses poèmes, au symbolisme de la nature qu’aux détails particuliers des lieux. Les images de tempête, de vent et d’obscurité dominent ; elles représentent la condition de l’homme et le pressent de se tourner vers la paix et l’amour du Christ. Son style poétique est plus proche de Blake ou de Shelley que de Wordsworth.

Les textes de Haskins contiennent cependant quelques digressions sur des aspects précis de son existence. Ainsi dans The Mediterranean Sea ; a poem, paru dans le Literary Garland au début de 1846, il indique que sa vie de médecin au Canada n’était pas de tout repos : fréquemment appelé par mauvais temps, il devait voyager dans des conditions difficiles et n’était souvent pas assez ou nullement rémunéré. Pourtant, aussi éprouvante qu’ait été sa situation, il précise qu’il n’aurait pu vivre « à l’étroit dans une ville / Comme un aigle en cage » mais qu’il voulait errer « De même que le vent, / Marchant sur la montagne ». Sans doute n’était-il pas reconnu, mais sa solitude était une condition choisie, et non imposée.

Les historiens de la littérature canadienne ont négligé James Haskins comme tant d’autres poètes mineurs. Jusqu’à maintenant, son unique sort a été de servir d’exemple à Susanna Moodie pour exprimer son sentiment d’être en marge de la culture littéraire. Pourtant, à son époque, il remplit d’autres rôles, tant en révélant l’inspiration qu’il puisait chez les grands poètes romantiques anglais et des auteurs classiques qu’en prônant la résistance au progrès, au matérialisme et à d’autres pièges de la vie terrestre. Aussi bien des gens durent-ils, comme Baldwin, éprouver de l’attachement pour cet homme cultivé et profondément croyant.

Carl P. A. Ballstadt

Les ouvrages publiés de James Haskins comprennent : The Mediterranean Sea ; a poem, Literary Garland, nouv. sér., 4 (1846) : 13–16, 73–76 ; et The poetical works of James Haskins [...], Henry Baldwin, édit. (Hartford, Conn., 1848), tous deux parus après sa mort.

APC, RG 5, B9, 63 : 624.— [Susanna Strickland] Moodie, « Sonnet to the memory of Dr. James Haskins », Literary Garland, nouv. sér., 4 : 76.— Chronicle & Gazette, 29 avril, 16 juin 1837, 22 oct. 1845.— Church, 1838.— Death notices of Ont. (Reid).— An index to the Literary Garland (Montréal, 1838–1851), Mary Markham Brown, compil. (Toronto, 1962).— G. E. Boyce, Hutton of Hastings : the life and letters of William Hutton, 1801–61 (Belleville, Ontario, 1972).— Walter Lewis et Lynne Turner, By bridge and mill : a history of the village of Frankford (Kingston, Ontario, 1979).

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Carl P. A. Ballstadt, « HASKINS, JAMES », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 7, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/haskins_james_7F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1988
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