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GONTHIER, DOMINIQUE-CESLAS (baptisé Théophile), dominicain, auteur et professeur, né le 22 septembre 1853 à Saint-Gervais, Bas-Canada, fils de Magloire Gonthier, cultivateur, et de Catherine Mitron-Jolivet ; décédé le 16 juin 1917 à Saint-Hyacinthe, Québec.
Dernier d’une famille de 13 enfants, Théophile Gonthier passe son enfance dans le petit village de Saint-Raphaël, où ses parents se sont établis peu après sa naissance. Il se décrit lui-même comme un enfant précoce, qui aurait su lire dès l’âge de trois ans. Vif, espiègle, il aurait exercé sur ses compagnons un ascendant qui dénotait un tempérament de leader. Son frère Damase, ordonné prêtre en 1857, veille sur sa formation. Il l’inscrit en classe de septième au petit séminaire de Québec en 1863. Doué, Théophile saute la sixième et conserve par la suite un très bon dossier : il remporte le troisième prix d’excellence en rhétorique. Au terme de ses études philosophiques, il entre au grand séminaire de Québec en septembre 1871. Il a comme professeur Benjamin* et Louis-Honoré Pâquet, Louis-Nazaire Bégin*, et il noue de solides amitiés avec Lionel Lindsay et Cyrille-Alfred Marois, de futurs conseillers de l’archevêque de Québec.
La lecture de la biographie d’Henri Lacordaire, restaurateur de l’ordre des Frères prêcheurs en France, a allumé en Gonthier, durant ses études classiques, un attrait intense pour cet ordre, dont Mgr Jean-Charles Prince*, évêque de Saint-Hyacinthe, et l’abbé Joseph-Sabin Raymond*, son vicaire général, réclament l’implantation en terre canadienne depuis au moins 1854. L’image que projettent les dominicains, dont le ministère est l’exposition, surtout en milieu urbain, du dogme et de la morale par la prédication itinérante, doctrinale et de controverse, correspond au tempérament de Gonthier, esprit indépendant, critique, porté à la polémique et à l’affrontement. Au printemps de 1873, une rencontre avec le père Bernard Chocarne, l’auteur de la biographie de Lacordaire et le provincial des dominicains de la province de France, venu préparer la fondation d’un couvent à Saint-Hyacinthe, décide de sa vocation. Fort des encouragements de l’abbé Bégin, Gonthier s’embarque à la fin d’août 1874, avec Hyacinthe Gadbois, novice lui aussi, à destination de la France. Il revêt l’habit dominicain le 10 septembre au couvent d’Abbeville, sous le nom de Dominique-Ceslas, puis, le 8 décembre 1875, il prononce ses vœux au couvent de Flavigny-sur-Ozerain, où il poursuit sa formation théologique ; le 7 juin 1879, il est ordonné prêtre à Langres.
Quelques semaines plus tard, Gonthier est de retour au Canada. Il est alors nommé prédicateur itinérant rattaché au couvent de Saint-Hyacinthe. Le couvent est logé dans le presbytère de la paroisse Notre-Dame-du-Rosaire, que les dominicains desservent. Gonthier y vit six ans, sans luxe et sans privation, mais dans le manque d’une bibliothèque bien garnie pour préparer les retraites qu’il prêche aux prêtres, aux religieux et aux fidèles. Son contemporain, le père Émile-Alphonse Langlais, le trouve moins à l’aise dans les grandes chaires, où sa voix manque de puissance, que dans l’intimité des chapelles où la solidité de sa doctrine, la clarté de ses exposés, sa piété, ses qualités de cœur « s’épanouiss[ent] en une lumière persuasive et directrice ». Quand, en 1881, pressés par leur expulsion de France, les dominicains fondent à Lewiston, dans le Maine, un couvent administrativement uni à celui de Saint-Hyacinthe et songent à établir un noviciat en Amérique, Gonthier est amené à faire des choix décisifs. La communauté traverse alors des moments difficiles. L’origine française de ses membres et leur réputation de catholiques libéraux suscitent de la méfiance au sein de l’épiscopat canadien tandis que leur dynamisme sème l’inquiétude parmi les communautés masculines déjà établies au Canada : Montréal est territoire sulpicien, Ottawa une terre oblate et Québec, un fief du séminaire de Québec. La communauté elle-même est divisée sur ses orientations futures : nombre de dominicains français prévoient maintenir le plus longtemps possible le rattachement des couvents d’Amérique à la province de France et des Français à la tête de leur administration, instaurer une prédication itinérante et de controverse, prendre certaines distances avec les traditions de l’ordre ; d’autres préparent l’émergence de deux provinces distinctes, l’une canadienne, l’autre américaine. Gonthier prend alors sur lui d’exprimer et de défendre le point de vue canadien : on veut un noviciat à Saint-Hyacinthe, la canadianisation progressive de l’administration, l’émergence d’une seule province, l’acceptation du ministère paroissial comme source de financement pour une expansion de l’ordre et l’accomplissement de sa prédication itinérante, le respect des traditions et la stricte observance des règles de l’ordre. Les positions de Gonthier reposent sur une intuition : le développement de l’ordre dépend de l’empathie que ses membres entretiendront auprès de la population, de sa capacité de tirer tout le parti d’une chrétienté canadienne fertile en vocations religieuses, de son rejet de l’américanisme et de son souci d’appuyer les thèses doctrinales et idéologiques de l’épiscopat canadien-français. De ce fait, il accepte d’être un ultramontain dans un ordre libéral, un nationaliste dans la province de France, un dominicain de la stricte observance en Amérique du Nord.
Gonthier partage avec ses compagnons la tâche d’implanter l’ordre dans les grandes villes, notamment celles qui sont des foyers de vie intellectuelle. Dès 1882, nommé procureur et maître des novices, il commence à préparer la fondation d’un couvent à Ottawa. L’opposition des Irlandais et des oblats, ainsi que la réputation libérale des dominicains, retarde jusqu’en août 1884 leur installation dans le presbytère de la paroisse Saint-Jean-Baptiste à Ottawa (le couvent ne sera construit qu’en 1900). Gonthier est curé de la paroisse et supérieur de 1885 à 1894. Il imprime un vigoureux élan à cette deuxième maison dominicaine, non cependant sans heurter par son tempérament entreprenant maintes susceptibilités.
En 1894, Gonthier est assigné au couvent de Fall River, dans le Massachusetts, où les dominicains desservent depuis 1888, dans la paroisse Sainte-Anne, une population ouvrière canadienne-française. La province de France désire en faire le refuge des jeunes moines qui tentent d’échapper à la loi militaire française votée en 1889. Gonthier y suit de loin les affaires canadiennes et garde contact avec ses amis de Québec. C’est à la demande de Mgr Bégin, alors administrateur du diocèse de Québec, qu’il entreprend, à la fin de septembre 1896, de « relever les erreurs de faits et de doctrine » dans le Clergé canadien : sa mission, son œuvre, ouvrage publié à Montréal cette année-là par Laurent-Olivier David* et qui récapitule les griefs des libéraux contre l’épiscopat canadien-français. Gonthier prépare en catastrophe une réplique qui paraît en décembre à Québec en deux tomes sous le pseudonyme de P. Bernard : Un manifeste libéral : M. L.-O. David et le clergé canadien. Rédigée dans un style alerte et incisif, épicée de sarcasmes et arrosée de fiel, l’œuvre est une vigoureuse apologie de l’ecclésiologie ultramontaine et une légitimation des attitudes et des positions de l’épiscopat face au libéralisme. Le succès de l’ouvrage est considérable : au dire de leur auteur, un premier tirage de 3 000 exemplaires s’enlève rapidement. Rome condamne David ; l’épiscopat exulte, tandis que les libéraux songent à une revanche. Un tel succès mérite une récompense : le 29 mai 1897, Gonthier s’embarque à New York à destination de Rome, où, à la demande de Mgr Bégin, il doit veiller aux intérêts de l’épiscopat canadien-français, indisposé par l’attitude en apparence favorable aux libéraux du délégué apostolique Rafael Merry del Val, qui enquête alors sur la situation religieuse au Canada. Son mandat est lourd : il lui faut bloquer la nomination de Mgr Joseph-Médard Emard*, évêque de Valleyfield perçu comme un libéral, au siège de Montréal laissé vacant par la mort de Mgr Édouard-Charles Fabre* ; faire accepter la position de l’épiscopat canadien dans l’encyclique que l’on prépare à Rome sur les écoles du Manitoba [V. Thomas Greenway*] ; enfin, s’opposer aux démarches du gouvernement canadien, qui souhaite l’établissement d’une délégation apostolique permanente qui serait, à Ottawa, les antennes de Rome au Canada. Gonthier exerce ses pressions dans un contexte difficile : il n’a pas d’amis dans la curie, les dominicains de la province de France dénoncent auprès du maître général de l’ordre sa présence à Rome, le premier ministre sir Wilfrid Laurier recourt à l’influence du cardinal Herbert Alfred Vaughan, archevêque de Westminster, pour défendre ses positions dans la question des écoles du Manitoba et la commission des affaires ecclésiastiques extraordinaires, à qui est confié le dossier canadien, semble favoriser une décentralisation de l’administration romaine. Gonthier revient de Rome au printemps de 1898 les mains presque vides : Mgr Paul Bruchési* a été nommé archevêque de Montréal le 25 juin 1897, mais l’encyclique Affari vos, promulguée le 8 décembre, tout en déclarant « insatisfaisant » le règlement Laurier-Greenway n’en a pas moins demandé aux évêques de travailler de concert avec les hommes politiques à un meilleur arrangement scolaire et, le même mois, la commission des affaires ecclésiastiques extraordinaires a approuvé le principe d’une délégation apostolique permanente qui, toutefois, ne sera mise sur pied qu’en 1899.
En dépit de ces revers, la loyauté et le dévouement de Gonthier lui valent une grande audience auprès de l’épiscopat, que ses supérieurs s’empressent de récupérer. Dès son retour, il est nommé professeur de dogme, d’écriture sainte et d’apologétique au couvent de Saint-Hyacinthe (1898–1902), puis vicaire provincial et prieur de Saint-Hyacinthe (1900–1903). C’est lui qui négocie avec Mgr Bruchési l’établissement à Montréal des dominicains dans la paroisse Notre-Dame-de-Grâce, en septembre 1901, et auprès de Mgr Bégin leur installation à Québec, au printemps de 1906. Il contrecarre le projet de la province de France d’établir deux provinces en Amérique. Il ne veut pas de ghettos qui regrouperaient des ethnies différentes ne partageant pas la même observance de la règle. Gonthier subit les contrecoups de cette crise d’orientation. Réduit à un rôle de maître des novices en 1903, il profite de ses loisirs pour donner libre cours à son penchant pour les lettres et à sa passion pour la controverse. Il rédige dans le Canada français, sous le pseudonyme de Raphaël Gervais, une chronique religieuse et souvent polémique où il dénonce le courant moderniste et arbore les couleurs de Louis Veuillot et de Pie X, dont il trace un portrait élogieux.
Dominique-Ceslas Gonthier connaît quelques grandes joies durant cette période : l’érection, le 2 juillet 1908, de la Congrégation Saint-Dominique de l’Amérique du Nord, qui inclut les six couvents dominicains du Canada et de la Nouvelle-Angleterre, et la création, le 1er octobre 1911, de la province Saint-Dominique du Canada ; de plus, il redevient prieur de Saint-Hyacinthe (1909–1912). Quand il s’éteint à l’âge de 63 ans, les dominicains canadiens voient en lui « le chef de file » de leur province, celui qui a non seulement assuré l’expansion de leur ordre au Canada, mais a aussi maintenu vivantes en Amérique du Nord les grandes traditions dominicaines.
Outre l’ouvrage déjà mentionné, quelques sermons et discours du père Dominique-Ceslas Gonthier ont été publiés. Il est également l’auteur de plusieurs articles parus sous différents pseudonymes, tels A. de Saint-Réal, dans l’Opinion publique (Montréal), Fra Dominico, dans la revue le Rosaire (Saint-Hyacinthe, Québec), devenue en 1915 la Revue dominicaine (Saint-Hyacinthe), et Raphaël Gervais dans le Canada français et la Nouvelle-France (Québec).
ANQ-Q, CE2-17, 23 sept. 1853.— Arch. dominicaines canadiennes (Montréal), Papiers Gonthier.— É.-J.[-A.] Auclair, « le Père Gonthier », la Semaine religieuse de Montréal, 2 juill. 1917 : 9–12.— La Presse, 26 déc. 1896.— T.[-M.] Charland, le Père Gonthier et les Écoles du Manitoba ; mission secrète à Rome (1897–1898) (Montréal, 1979).— « La Congrégation de Saint-Dominique ; dans l’Amérique du Nord », le Rosaire. 14 (1908) : 257–259.— Jean Hamelin et Nicole Gagnon, le xxe siècle (1898–1940), dans Histoire du catholicisme québécois, sous la dir. de Nive Voisine (4 vol. parus, Montréal, 1984– ), [1].—Gisèle Huot, Une femme au séminaire ; Marie de la Charité (1852–1920), fondatrice de la première communauté dominicaine du Canada (1887) (Montréal, 1987).— E.-A. Langlais, les Dominicains ou Frères-Prêcheurs (Saint-Hyacinthe, 1942) ; « le T.R.P. Dominique-Ceslas Gonthier ; lettre aux supérieurs », la Rev. dominicaine, 23 (1917) : 193–200.— Roberto Perin, Rome in Canada : the Vatican and Canadian affairs in the late Victorian age (Toronto, 1990).— A.-M. Plourde, Qui sont-ils et d’où viennent-ils ? nécrologe dominicain, 1882–1964 (Montréal, [1965]).— J.-A. Plourde, Dominicains au Canada (2 tomes en 3 vol. parus, Montréal, 1973– ), [tome 1], vol. 1–2 (Livre des documents) ; [tome 2] (Album historique).— Camille Roy, À l’ombre des érables ; hommes et livres (Québec, 1924).— Rumilly, Hist. de la prov. de Québec, 17 ; 19.— Arthur Savaète, Voix canadiennes : vers l’abîme (12 vol., Paris, 1908–1922), 7–8.
Michèle Brassard et Jean Hamelin, « GONTHIER, DOMINIQUE-CESLAS (baptisé Théophile) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gonthier_dominique_ceslas_14F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 28 novembre 2024 |