GONNET, LOUIS, dit frère Réticius, membre de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes, visiteur provincial et assistant du supérieur général, né le 6 avril 1837 à La Rochepot, France, fils de Jean-Baptiste Gonnet, vigneron, et de Jeanne Larue ; décédé le 11 avril 1916 à Lembecq-lēz-Hal, Belgique.

Louis Gonnet perd sa mère très jeune et est élevé par sa seconde mère qu’on dit « marâtre » ; il s’en tire grâce au curé de sa paroisse qui le protège et lui enseigne les rudiments du latin. Le jeune Louis n’en quitte pas moins l’école immédiatement après sa première communion à 11 ans ; il aide son père dans la culture de la vigne. L’intervention du curé lui permet de fréquenter l’école des Frères des écoles chrétiennes de Nolay en 1854–1855, puis de se préparer à la carrière d’instituteur à Beaune, de 1855 à 1857 ; il obtient son brevet de capacité « avec félicitations ».

Au lieu d’accepter le poste d’enseignant qu’on lui offre, Gonnet entre au noviciat des Frères des écoles chrétiennes à Neurey-lès-Lademie, le 21 octobre 1857 ; il prend l’habit et le nom de Réticius le 8 décembre suivant. Novice régulier, fervent et empressé à rendre service, il devient, vers la fin de sa probation, auxiliaire du directeur du noviciat et professeur auxiliaire à l’école de Dôle. Là comme à Pontarlier, où il est nommé en octobre 1859, il se révèle médiocre enseignant, mais assoiffé de connaissances, étudiant avec frénésie tout autant la morale de Thomas Gousset que la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin et les matières qui lui permettent d’obtenir le brevet supérieur.

Appelé, en octobre 1865, à diriger le noviciat de Saint-Claude près de Besançon, le frère Réticius apparaît comme un bon formateur, grâce à ses dons de conférencier et à un charisme spécial pour la direction particulière. Son apparence rigide – grand, maigre, corps droit, tête haute, lèvres pincées et yeux perçants – ne fait plus obstacle dans ce milieu où il enseigne la stricte observance et fustige le bien-être, la vie commode et le luxe ; il sait aussi se montrer cordial. À partir de 1872, il se fait connaître dans tout le district comme président d’une commission pour la promotion des études ; les examens oraux et écrits, qu’il supervise, permettent aux frères d’acquérir un plus grand nombre de diplômes officiels.

Le 8 mars 1880, le frère Réticius est nommé visiteur provincial au Canada. À titre de visiteur, il prend charge des maisons du district de Montréal ; son obédience de provincial s’étend à toutes les maisons de formation de l’Amérique du Nord. Il arrive à Montréal au moment où le district se remet à peine de la crise d’autorité et de régularité qui a marqué, de 1868 à 1875, l’administration du frère Hosea, le premier Canadien à assumer la direction du district. De 1875 à 1878, le visiteur provincial Armin-Victor a entrepris une réforme disciplinaire et intellectuelle, qu’il n’a pu compléter. Aussi le premier rapport du frère Réticius est-il d’une très grande sévérité : dettes « colossales » ; sur le plan pédagogique, « peu de sujets cultivés », science pédagogique « nulle », classes « fort médiocres », même si elles sont « les meilleures » de la province, manuels démodés ; vie religieuse médiocre où les abus expliquent « toutes les désertions et toutes [les] hontes » et conduisent à un « effondrement qui [...] épuise et [...] tue ». En Européen qui n’a pas encore compris les particularités nord-américaines, le nouveau visiteur provincial exagère, mais n’en entreprend pas moins une série de réformes salutaires. Il renforce la vie intérieure par le renouvellement des retraites annuelles, des exercices spirituels des 30 jours et des récollections mensuelles. À Montréal comme dans les autres districts, il améliore la formation des futurs frères en encourageant fortement les études et en insistant sur la régularité et « l’esprit de sacrifice, ce nerf de la vie religieuse ». Pour augmenter le niveau intellectuel de ses subordonnés, il organise, pendant l’année scolaire et même les vacances, des cours suivis d’une correction des examens centralisée et, en même temps, il mobilise des frères pour revoir les manuels lasalliens et « les mettre au courant du progrès de la méthode actuelle » ; de peine et de misère, il obtient de Paris la permission de les faire imprimer au Canada.

Le visiteur provincial fait beaucoup de vagues au sein de sa communauté, mais encore plus à l’extérieur. Il se montre intransigeant avec les employeurs locaux et n’hésite pas à fermer les maisons, là où les autorités religieuses ou scolaires n’acceptent pas ses exigences. Très tôt aussi, alerté par son prédécesseur Armin-Victor et appuyé par les ultramontains, il entreprend de défendre son institut contre les menées « libérales ». Dès l’automne de 1880, une violente polémique le met aux prises avec le principal de l’école normale Jacques-Cartier de Montréal, l’abbé Hospice-Anthelme-Jean-Baptiste Verreau*, à propos d’un incident bénin survenu à l’exposition scolaire de la province de Québec dans le cadre de l’Exposition du dominion tenue à Montréal. En 1883, il fustige vertement certains témoins (Peter Sarsfield Murphy, Jacques Grenier*, l’abbé Verreau) qui mettent en doute la compétence’ des frères dans le domaine de l’enseignement commercial, devant la Commission royale d’enquête tenue à Montréal. Surtout, il assiège le surintendant de l’Instruction publique, Gédéon Ouimet*, et le comité catholique du Conseil de l’instruction publique pour faire approuver les manuels lasalliens en dessin, langue française et histoire ; il profite de toutes les occasions pour montrer comment « [les] écoles et [les] maîtres de ce cher Canada, pourtant encore si chrétien, [sont] objet, dans un certain monde, des mêmes préventions et des mêmes tracasseries que dans [sa] malheureuse Mère-Patrie ».

Les manières et le ton du frère Réticius attirent un grand nombre de plaintes auprès du supérieur général à Paris. Le visiteur provincial échappe à un premier rappel en 1882, grâce à l’intervention des évêques ultramontains, dont Mgr Louis-François Laflèche*. Toutefois, en 1886, la direction parisienne pense qu’il s’est trouvé mêlé « à des questions et à des débats qui ne sont pas du domaine et de la compétence d’un humble Frère des Écoles Chrétiennes » et qu’il a négligé « certains aspects de son travail » de provincial. On le déplace donc à Baltimore, où il conserve cependant les mêmes attributions de visiteur provincial qu’à Montréal. Il quitte la métropole canadienne à la fin de 1886, y laissant un district rénové et en pleine croissance. Il ne demeure qu’un an à Baltimore ; dès l’automne de 1887, il est rappelé à Paris pour diriger le second noviciat nouvellement créé et, de 1888 à 1891, visiter à titre de provincial les maisons de formation de France.

Le frère Réticius dirigera jusqu’à sa mort le second noviciat, école de perfection pour une élite de frères choisis dans tous les districts du monde. Le 16 novembre 1891, il est nommé assistant du frère supérieur pour quelques districts français, dont celui de Besançon, et pour le Canada. Il redevient le premier supérieur hiérarchique des frères canadiens et leur intermédiaire auprès de l’administration centrale. Il exerce sa fonction avec autorité. Chaque année, de 1893 à 1912, le frère Réticius passe plusieurs mois au Canada, visitant toutes les maisons, où il reçoit personnellement en reddition (compte rendu de conduite) chacun des frères, et présidant les retraites annuelles et celle des 30 jours. Quand il est sur place, il contrôle minutieusement l’administration du district et il a soin de placer ses créatures aux postes clés. Sa façon de gouverner, que certains qualifient de dictatoriale, crée des problèmes, tout autant chez les frères anglophones, qui lui reprochent de freiner l’expansion de leurs communautés, que chez les frères canadiens-français ; ces derniers l’accusent, auprès du supérieur général, de favoriser indûment ses compatriotes pour la direction des maisons et de faire former les juvénistes et les novices par des directeurs et des professeurs venus, en grand nombre (221 de 1904 à 1909), de France pour fuir la politique anticléricale du ministre Émile Combes.

La santé du frère Réticius décline rapidement à partir de 1912 et l’oblige à donner sa démission comme assistant au chapitre général de 1913. Il continue encore deux ans à présider le second noviciat. Il entre à l’infirmerie de la maison mère en février 1916 et meurt deux mois plus tard.

Malgré les difficultés, Louis Gonnet, dit frère Réticius, a fait faire de grands progrès à l’Institut des Frères des écoles chrétiennes au Canada. De 1880 à 1912, le nombre de communautés est passé de 18 à 54, malgré la fermeture d’une douzaine d’entre elles ; le Mont-de-la-Salle (maison de formation), le collège du Mont-Saint-Louis de Montréal, le juvénat de Limoilou sont parmi les projets qu’il a dirigés. Les frères, au nombre de 306 en 1880, sont 735 en 1912 au Canada, tandis que les novices sont passés de 26 à 48 et les juvénistes, de 15 à 140. Le frère Réticius a marqué de son influence et de son autorité plusieurs générations de frères en Amérique du Nord, mais encore plus dans l’ensemble de l’institut par son travail de directeur du second noviciat. Ce n’est pas sans raison que ses contemporains le présentent comme « le type du frère des Écoles chrétiennes ».

Nive Voisine

Le frère Réticius a beaucoup écrit, mais peu publié ; on peut noter : Réponse aux cinq lettres du R. M. Verreau (s.l., [1881 ?]) et Aux honorables membres du comité catholique du Conseil de l’instruction publique (Montréal, 1884).

Arch. des Frères des écoles chrétiennes, District de Montréal (Laval, Québec), « Origine de l’établissement des Frères des écoles chrétiennes, dans la ville de Montréal au Canada, 1837–1904 » ; T 17 (l’Institut au Canada) ; T 27 (visiteurs, assistants, etc.) ; T 38 (manuels classiques) ; Maison généralice (Rome), ED 230–235 (chapitres généraux) ; EG 430-2 et 3 (reg. des délib. du conseil du régime, 18561929) ; NO 111 et 456 (districts du Canada) et NO 141–311 (communautés du Canada), où se retrouvent en majorité la correspondance du frère Réticius et ses nombreux mémoires.— Arch. paroissiales, Nolay (Côte-d’Or, France), François Bissey, « Notices historiques sur la paroisse de Larochepot » (4 vol.). J.-C. Caisse, l’Institut des Frères des écoles chrétiennes : son origine, son but et ses œuvres (Montréal, 1883).— Chapitres généraux de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes ; historique et décisions (Paris, 1902).— François De Lagrave, « Frère Réticius, f.é.c. : le mandat tumultueux d’un visiteur provincial, 1880–86 » (mémoire de m.a., univ. Laval, 1977) ; « le Mandat tumultueux d’un visiteur provincial : le frère Réticius (1880–1886) » dans les Ultramontains canadiens français, sous la dir. de Nive Voisine et Jean Hamelin (Montréal, 1985), 241–253.— « Notice sur le T.C.F. Réticius, assistant démissionnaire », Institut des Frères des écoles chrétiennes, Notices nécrologiques trimestrielles (Paris), n64 (2 févr. 1918).— L’Œuvre d’un siècle ; centenaire des Frères des écoles chrétiennes au Canada, sous la dir. du frère Meldas-Cyrille (Montréal, 1937).— Règle du gouvernement de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes [...] (Paris, 1901).— Règles des Frères des écoles chrétiennes (Paris, 1901).— Georges Rigault, Histoire générale de l’Institut des Frères des écoles chrétiennes (9 vol., Paris, 1937–1953).— Nive Voisine, les Frères des écoles chrétiennes au Canada (2 vol. parus, Québec, 1987–  ).

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Nive Voisine, « GONNET, LOUIS, dit frère Réticius », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gonnet_louis_14F.html.

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Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    1998
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