GIBSON, JOHN ARTHUR, joueur de crosse, artisan, chef tsonnontouan, prédicateur et traditionaliste iroquoïen, né le 1er mars 1850 dans la réserve Six-Nations, canton de Tuscarora, Haut-Canada, fils du chef John Gibson et d’une prénommée Hannah ; avant 1871, il épousa Mary Skye, et ils eurent au moins trois fils et une fille ; décédé au même endroit le 1er novembre 1912.
Aîné d’une famille d’au moins sept enfants, John Arthur Gibson grandit dans la vaste ferme de son père, sur les bords de la rivière Grand. Sa famille reflétait la répartition démographique de cette partie de la réserve : polyglotte, Gibson avait un père onontagué, une mère tsonnontouane, originaire de la réserve Buffalo Creek (Buffalo, État de New York), et une femme goyogouine.
Dans ses jeunes années, Gibson, réputé pour son habileté à la crosse, joua contre d’autres équipes d’Iroquois (Mohawks) et quelques équipes de Blancs dans la région de Brantford. Plus tard, dans une biographie de lui, sa femme décrirait la violence de ces parties et les différences de jeu. À 31 ans, Gibson perdit la vue à la suite d’une partie « acharnée ». Apparemment, ou bien il eut un « accident » pendant le match, ou bien il s’échauffa trop, ce qui engendra une maladie qui affecta ses nerfs optiques et le rendit aveugle. Néanmoins, il continua durant de nombreuses années à diriger la United Six Nations Lacrosse Team, appelée aussi « équipe de Gibson », et à fabriquer des crosses – ce pourquoi il était surtout connu en dehors de la réserve, semble-t-il.
Né dans le clan tsonnontouan de la Tortue, Gibson, dont les parents étaient anglicans, s’était joint tôt aux 20 % de la population des Six-Nations qui embrassaient la religion traditionnelle des Iroquois. D’autres, dont les recenseurs et certains ethnologues, les traitaient de païens ou de déistes. Jeune homme, Gibson devint l’élève d’un doyen des Onontagués, dont les souvenirs remontaient aux années antérieures à la dispersion des Six-Nations, dans la foulée de la Révolution américaine. C’est de lui que Gibson – qui, indiquerait une nécrologie, n’était jamais satisfait tant qu’il n’avait pas « retracé les plus anciens antécédents connus d’une coutume ou d’une croyance » – acquit la vaste connaissance des coutumes, des traditions et de la religion de ses ancêtres qui le rendit illustre.
Dès 1872, sur décision de ses mères de clan, Gibson avait assumé le titre héréditaire de Skanyátaí.yoi (Handsome Lake) au Conseil des Six-Nations. Par la suite, en tant que chef, il « représenta maintes fois les siens dans leurs relations avec le gouvernement du Canada, le plus souvent avec un succès marqué », selon une notice nécrologique. À l’occasion, le département des Affaires indiennes retenaient ses services pour le consulter ou lui demandait d’arbitrer des différends entre les tribus de la réserve Six-Nations et d’ailleurs.
Guidé par son mentor d’autrefois et par l’exemple de chefs plus âgés, notamment John Buck (Skanawati), Gibson devint l’un des principaux défenseurs des traditions iroquoïennes. Il exerçait notamment la fonction de gardien des noms traditionnels ; les parents le consultaient au moment de nommer leurs enfants. Doué d’une mémoire extraordinaire, d’une compréhension remarquable des lois et cérémonies iroquoises et d’une splendide voix de chanteur, il était souvent invité à participer aux rituels de la maison longue. Il faisait partie des six orateurs des réserves iroquoises de l’Ontario et de l’ouest de l’État de New York qui étaient autorisés à prêcher la Gaiwiioh (bonne nouvelle) de Skanyátaí.yoˀ (Handsome Lake), prophète du début du xixe siècle dont les enseignements sur les pratiques religieuses traditionnelles des Iroquoïens avaient survécu à la rivière Grand malgré les efforts du clergé chrétien, tels ceux de Robert Lugger*. Assisté d’ordinaire par son fils Simeon, Gibson prêchait chaque année à la rivière Grand et à Cattaraugus, à Cold Spring et à Tonawanda dans l’État de New York. Peut-être était-il moins conservateur que certains des autres orateurs, car il intercalait souvent des éléments explicatifs dans sa récitation de la Gaiwiioh, qui durait trois jours.
À propos de la survivance des traditions iroquoises, Gibson nota un jour : « Dans une génération, il n’y aura plus de coutumes ; dans deux générations, la mémoire sera effacée. » À cause de son intérêt pour ces questions et de sa renommée, ce chef « toujours courtois, voire guindé » attirait une foule d’anthropologues et de directeurs de musée soucieux de préserver le patrimoine des Six-Nations. Dans les années 1880 et 1890, Horatio Emmons Hale* observa le rôle de Gibson dans les cérémonies de la religion traditionnelle des Iroquois et en rendit compte. David Boyle, de l’Ontario Provincial Museum, rendit certainement visite à Gibson à sa maison de ferme de la rivière Grand, quoique sa curiosité ait été teintée d’une aversion hautaine pour les supposés païens de la réserve Six-Nations. Un Tuscaroren employé par le Bureau of American Ethnology, John Napoleon Brinton Hewitt, nota les versions classiques d’événements de la cosmologie iroquoïenne rapportées par Gibson et transcrivit en 1899, sous la dictée de Gibson en onontagué, un exposé sur la structure traditionnelle de la ligue iroquoise.
Ce document sur la ligue pourrait avoir été en partie une riposte des chefs héréditaires aux pressions croissantes en faveur d’un système électif de gouvernement. Gibson appartint au comité des chefs nommé en 1899 par le Conseil des Six-Nations pour rédiger le code de Dekanahouideh* – en fait, la constitution de la Confédération iroquoise – après que le conseil eut rejeté une version présentée par Seth Newhouse [Da-yo-de-ka-ne*], qui remettait en question certains titres de chef et certains aspects de la procédure du conseil. Le travail de ce comité fut ratifié par le conseil en 1900 et sa version de la tradition de la ligue parut la même année en anglais. Si cette version avait pour principal objectif d’étayer la légitimité des chefs hériditaires, Gibson était assurément, parmi sa génération, l’autorité la mieux versée en la matière.
Peu avant sa mort en 1912, Gibson dicta en onontagué une troisième version de la tradition de la ligue à Alexander Alexandrovich Goldenweiser, qui se rendait régulièrement à la rivière Grand depuis l’été de 1911 afin de recueillir de l’information pour la nouvelle division anthropologique de la Commission géologique du Canada. Cette version, traduite en anglais et publiée seulement en 1992, raconte en détail les débuts de la ligue et expose les lois et rituels liés à son fonctionnement et à sa perpétuation. Elle constitue la source de première main la plus exhaustive dans une langue iroquoïenne et contient le seul compte rendu complet de la cérémonie de condoléances, rituel de la Confédération iroquoise où l’on pleurait le chef décédé et « intronisait » son successeur.
Le souci de préserver les traditions dominait même la vie familiale de Gibson. Ses enfants ne pouvaient se souvenir d’un temps où il ne recevait pas de chercheurs en visite. Après sa mort, causée par une crise d’apoplexie, les membres de sa famille poursuivirent son œuvre chacun à leur manière. Sa veuve, Mary Skye, dicta en goyogouin une biographie de lui ; ses enfants Jemima et Simeon servirent d’informateurs à des anthropologues tel William Nelson Fenton, tandis que John Hardy devint un chef goyogouin.
John Arthur Gibson fait partie des anciens révérés par les Iroquois d’aujourd’hui. Pilier de la maison longue, fervent défenseur de la religion de Handsome Lake et remarquable dépositaire du savoir iroquois, il fut « sans nul doute », d’après Fenton, « le plus grand esprit de sa génération parmi les Six-Nations ». Grâce à lui, les traditions de la ligue se transmirent à la fois à une autre génération d’Amérindiens de la rivière Grand et, par l’entremise des chercheurs pour qui il fut un informateur de premier ordre, à toute la postérité.
La biographie de John Arthur Gibson, transcrite en goyoguin par A. A. Goldenweiser sous la dictée de la femme de Gibson, Mary Skye Gibson, consiste en 269 demi-pages suivies de 7 demi-pages contenant une traduction anglaise des 19 premières pages du texte. L’original est conservé par le Musée canadien des civilisations (Hull, Québec), can es Arch., no 1252.2. Takeshi Kimura, de Chicago, et le chef Jacob Thomas, de la réserve Six-Nations, ont entrepris la traduction complète du texte ; nous les remercions pour l’information qu’ils nous ont donnée à partir de ce travail. [g. e. b.]
La version de 1912 de Gibson de la tradition de la ligue iroquoise a paru sous le titre Concerning the League : the Iroquois league tradition as dictated in Onondaga by John Arthur Gibson, Hanni Woodbury et al., trad. et édit. (Winnipeg, 1992). Le compte rendu de J. N. B. Hewitt sur la cosmologie iroquoïenne d’après les explications de Gibson a été publié sous le titre « Iroquoian cosmology (second part) », Smithsonian Institution, Bureau of American Ethnology, Report (Washington), 43 (1925–1926) : 449–819.
AN, RG 31, C1, Tuscarora Township, [Ontario,] 1851 : 43, et le recensement agricole, 79 ; 1861 : 13, et le recensement agricole, 21 ; 1871, div. 1 : 53, et le recensement agricole, concession 6, lot 27 ; 1901, div. 2 : 25 (mfm aux AO).— Courier (Brantford, Ontario), 4 nov. 1912.— Daily Expositor (Brantford), 2 nov. 1912.— David Boyle, « Archæological report, 1898 », dans Ontario, Legislature, Sessional papers, 1898, no 2 (rapport du ministre de l’Éducation), app.— W. N. Fenton, « Simeon Gibson : Iroquois informant, 1889–1943 », American Anthropologist (Menasha, Wis.), nouv. sér., 46 (1944) : 231–234.— A. A. Goldenweiser, « The death of Chief John A. Gibson », American Anthropologist (Lancaster, Pa), nouv. sér., 14 (1912) : 692–694 ; « On Iroquois work, 1912 », dans Canada, Parl., Sessional papers, 1913, no 26 (rapports de la division d’anthropologie, Commission géologique du Canada), 464–475.— H. [E.] Hale, « An Iroquois Condoling Council », SRC, Trans., 2e sér., l (1895), sect.ii : 45–65.— A. C. Parker, « The code of Handsome Lake, the Seneca prophet », New York State Museum, Museum Bull. (Albany, N.Y.), no 163 (1912) (réimpr., Oshweken, Ontario, 1983) ; « The constitution of the Five Nations or the Iroquois book of the great law », New York State Museum, Museum Bull., no 184 (1916).— A. A. Shimony, Conservatism among the Iroquois at the Six Nations Reserve (New Haven, Conn., 1961).— D. R. Snow, The Iroquois (Cambridge, Mass., et Oxford, 1994).— S. M. Weaver, « The Iroquois : the Grand River Reserve in the late nineteenth and early twentieth centuries, 1875–1945 », dans Aboriginal Ontario : historical perspectives on the First Nations, E. S. Rogers et D. B. Smith, édit. (Toronto et Oxford, 1994), 213–257.
Geoffrey E. Buerger, « GIBSON, JOHN ARTHUR », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gibson_john_arthur_14F.html.
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Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1998 |
Année de la révision: | 1998 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |