GÉRIN, ELZÉAR (baptisé Édouard-Elzéar), journaliste, avocat et homme politique, né à Yamachiche, Bas-Canada, le 14 novembre 1843, fils d’Antoine Gérin, dit Lajoie, et d’Amable Gélinas ; le 14 octobre 1873, à Trois-Rivières, il épousa Marie-Agathe-Élodie Dufresne ; décédé dans la nuit du 18 au 19 août 1887 à Montréal.
L’enfance d’Elzéar Gérin se passa au foyer paternel, dans ce coin d’Yamachiche qu’on appelait Petites-Terres. En 1857, à l’exemple de son aîné, Antoine Gérin-Lajoie, il entra au séminaire de Nicolet pour y parcourir le cycle des études secondaires qu’il termina en 1863. Il y subit l’ascendant de l’abbé Louis-François Laflèche* qui, de 1856 à 1861, y fut professeur de mathématiques et de philosophie, préfet des études et supérieur.
Au terme de ses études classiques, Elzéar Gérin ne tarda pas à rejoindre son frère aîné à Québec pour y débuter dans le journalisme au Journal de Québec. Antoine Gérin-Lajoie ployait alors sous la tâche. Outre son travail de bibliothécaire adjoint au parlement, il était le gérant, le trésorier et le secrétaire du Foyer canadien. Aussi fit-il appel à le plume de son jeune frère Elzéar, qui s’était déjà fait connaître par la publication, en 1864, d’une histoire de la Gazette de Québec, pour imprimer une allure plus vivante au périodique en y insérant une chronique mensuelle, qui parut du 10 janvier au 15 juin 1866. Les considérations de Gérin portèrent surtout sur le projet de confédération, les États-Unis, qui venaient « de mettre bas les armes », et la politique européenne, à laquelle la presse canadienne, à son avis, n’attachait pas assez d’importance. Dans le numéro de juillet 1866 du Foyer canadien, la chronique d’Hector Fabre* remplaçait celle de Gérin, qui avait déjà accepté le poste de rédacteur du nouveau journal le Canada (Ottawa).
C’est sans regret que Gérin avait quitté Québec pour Ottawa. À l’Institut canadien-français de cette ville, dans une causerie sur « Québec jadis et aujourd’hui », il l’avouait sans détour : « Je ne suis pas de ceux qui regrettent tout ce qu’ils ont laissé à Québec, tout, jusqu’au vent du nord-est. Je voudrais vous parler de Québec en homme qui y a vécu sans s’y attacher, qui y a trouvé du plaisir quelquefois sans doute, mais qui s’y est ennuyé plus souvent encore. »
Le premier numéro du Canada avait paru le 21 décembre 1865. Publié trois fois la semaine, le journal devint, selon le désir des propriétaires, les frères Louis-Napoléon et Ludger Duvernay*, « l’avocat de notre foi et de notre nationalité distincte dans la Capitale ». Gérin, qui fut élu le 13 mai 1866 membre du comité de régie de la Société Saint-Jean-Baptiste d’Ottawa, résolut de grouper autour de sa feuille toutes les bonnes volontés afin que la célébration de la fête nationale prît un éclat particulier. Le sommet de cette fête patriotique fut évidemment, dans la cathédrale d’Ottawa, le sermon de Laflèche, qui reprit brièvement les thèses de son ouvrage, Quelques considérations sur les rapports de la société civile avec la religion et la famille, dont Gérin avait annoncé la parution dans son journal. Certains passages de ce discours provoquèrent l’enthousiasme chez les uns, chez d’autres, tel le député libéral Jean-Baptiste-Éric Dorion*, une indignation qui ne demandait qu’à exploser. « Je le dis donc de nouveau, scandait Laflèche, la plus lourde taxe que la Conquête nous ait imposée, c’est la nécessité d’apprendre l’anglais. Payons-la loyalement, mais n’en payons que le nécessaire [...] Il m’a été donné de voyager aux États-Unis, ajoutait-il pathétiquement. J’y ai rencontré des compatriotes qui m’ont accueilli avec hospitalité. J’ai adressé la parole en français aux petits enfants qui entouraient leur mère : ils ne m’ont pas compris. »
« Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes, écrivait Gérin dans son journal, si M. Éric Dorion ne s’était permis des remarques de la plus haute inconvenance à propos de l’état des canadiens-français aux États-Unis. » Présent à Ottawa pour participer à la session parlementaire qui s’y déroulait, Dorion, « l’enfant terrible » dont l’opposition au système confédératif avivait d’autant les sympathies annexionnistes et l’admiration pour le grand voisin du Sud, prit avec véhémence le contre-pied des assertions de Laflèche. Il avait, lui aussi, visité plusieurs villes et villages des États-Unis, où des milliers de Canadiens étaient établis, et il était fier de témoigner en faveur de leur prospérité et de l’amour qu’ils portaient à la belle langue française.
Piqué au vif par cette remarque de Gérin, un ami du député, qui signait « Pic Dur », expédia, le 23 juillet suivant, au journal de Dorion, le Défricheur (L’Avenir, Québec), la description folâtre d’un pique-nique qui aurait eu lieu le dimanche précédent, lors de la grand-messe, sur les bords de l’Outaouais. Y participaient, outre Gérin, Joseph Royal*, « écrivain à bons principes », Joseph-Alfred-Norbert Provencher, « rédacteur de la sainte et dévote Minerve », et Magloire McLeod, « rédacteur du Journal des Trois-Rivières, du grand journal de l’Église ». Les accompagnaient « deux des actrices de la compagnie française du théâtre de New York, qui se trouvaient à Ottawa, en passant ». Gérin, outré, se promit de prendre sa revanche. L’occasion s’en présenta lorsque, le mardi soir 31 juillet, Dorion se rendit à la bibliothèque du parlement. Gérin était déjà sur place et il s’ensuivit entre les deux hommes une violente altercation, qui dégénéra en une empoignade qui eût pu être fatale au cardiaque Dorion si des tiers ne s’étaient interposés pour y mettre fin. De retour à l’Assemblée, Dorion se réclama, en sa qualité de député, du privilège de l’immunité. Gérin fut donc arrêté et mis à l’ombre sur la colline parlementaire. Le Défricheur du 8 août annonçait, goguenard : « M. Gérin a l’honneur d’être le premier prisonnier du grand palais législatif. » Sa réclusion prit fin une semaine plus tard, à la clôture de la session.
Sans doute satisfaits de son travail de rédacteur au Canada, les frères Duvernay déléguèrent Gérin en Angleterre pour être le correspondant de la Minerve durant la conférence de Londres, qui s’ouvrit officiellement le 30 novembre 1866. Gérin puisa ses renseignements sur l’évolution du projet confédératif à la bonne source, puisqu’il les prenait chez Hector-Louis Langevin*, qui se réservait un droit de regard sur ses communications au journal montréalais.
De l’Angleterre, il passa en France pour compléter son « éducation littéraire et politique ». Tout en continuant d’expédier des correspondances à la Minerve, il prit part à la rédaction du Journal de Paris, fondé quelques mois plus tôt par des adversaires du régime impérial, Jean-Jacques Weiss et Édouard Hervé. De retour au Canada au début de juillet 1868, Gérin n’était pas peu fier d’avoir publié ses « modestes articles » dans un journal qui comptait parmi ses patrons les plus illustres représentants de l’école catholique libérale, Mgr Félix Dupanloup, Frédéric, comte de Falloux et Charles Forbes, comte de Montalembert.
Le 16 juillet 1868, les abonnés de la Minerve pouvaient lire dans leur journal ces lignes solennelles, qui étaient de nature à les intriguer fort : « Nous présentons aujourd’hui aux lecteurs du Canada un document qui n’a pas encore été publié en Europe, et dont nous garantissons l’authenticité. » Suivait le texte lui-même, très long, puisqu’il constituait quatre grandes colonnes d’une typographie serrée, incomplet néanmoins, car des lignes de points indiquaient les passages qui avaient été omis. La phrase liminaire du document, qui se révélait très sévère pour les principes libéraux et gallicans du destinataire, signifiait qu’il s’agissait d’un bref adressé par Pie IX à son « vénérable frère » Georges Darboy, archevêque de Paris, et la dernière, que le bref avait été émis à Rome, le 26 octobre 1865.
On n’indiquait pas comment on s’était procuré, à la Minerve, ce texte confidentiel, dont la publication devait, finalement, empêcher Mgr Darboy d’être créé cardinal, en dépit des instances de Napoléon III auprès de Pie IX pour obtenir un cardinal de couronne (nommé sur présentation ou recommandation d’un souverain). C’est seulement lorsque ce numéro de la Minerve parvint outre-Atlantique et qu’il fut reproduit par la presse francophone de l’Europe que le gouvernement impérial s’émut et demanda au consul de France à Québec, Abel-Frédéric Gautier, de mener sur place une enquête discrète, qui lui permît de renseigner le ministre des Cultes sur l’origine de cette « fuite ». Le 18 mai 1869, le consul transmit au ministre les informations qu’il avait « pu recueillir sur cette affaire ». Il lui apprit que la lettre du pape à Darboy devait paraître dans le Journal de Paris et que seule l’intervention du nonce à Paris avait empêché cette publication. « Mais déjà, ajoutait le consul, la composition était faite et une ou deux épreuves avaient été obtenues pour être remises au correcteur avant le bon à tirer. Il y avait alors à Paris un Canadien nommé Elzéar Gérin, attaché, je ne sais en quelle qualité, à la rédaction du Journal de Paris. Ce Gérin [...] prit et garda, paraît-il, une de ces épreuves qu’à son retour en Bas-Canada il livra au journal la Minerve, dont il avait été le correspondant à Paris. » Le consul était exactement informé. C’est ainsi que Gérin joua un rôle décisif dans cet épisode de la lutte, en France, entre « libéraux » et « ultramontains ».
De retour au pays, Gérin fut admis au barreau et vint exercer sa profession à Trois-Rivières, tout en assumant, à partir du 21 septembre 1868, la rédaction du Constitutionnel, qui avait été fondé le 4 juin précédent par Télesphore-Eusèbe Normand. Comme son titre l’indiquait, le nouveau journal se proposait de suivre la ligne politique du parti conservateur, qui avait fait adopter, en 1867, une nouvelle constitution canadienne.
Dans ce nouveau poste, Gérin révéla ce que la fréquentation des maîtres européens avait ajouté de force et de souplesse à ses qualités de journaliste-né. L’écrivain donnait plus librement cours à ses dons d’observateur aigu de la nature dans des chroniques vivement enlevées, comme « le Saint-Maurice ; notes de voyage », qu’il confiait à la Revue canadienne en janvier 1872.
Journaliste, Gérin avait à maintes reprises abordé dans le Constitutionnel deux aspects de l’économie du Québec qu’il considérait comme vitaux pour le progrès de la province, l’exploitation forestière et la construction des chemins de fer. Lorsque, aux élections provinciales de 1871, il fut élu député du comté de Saint-Maurice, il se donna comme tâche de sensibiliser ses collègues à l’importance du bois comme principale source de revenus de la province et de démasquer les profiteurs du système des ventes privées de « limites » à bois sur les terres de la couronne ; comme on était à l’époque de la « fièvre des chemins de fer », Gérin s’imposa encore par des discours en faveur du développement des réseaux ferroviaires régionaux, mais un développement à l’avant-garde du progrès technique d’alors, en délaissant les chemins à rails de bois.
Gérin s’était présenté, dès 1868, dans Saint-Maurice aux élections fédérales ; il avait été battu par le docteur Élie Lacerte. Lors des élections provinciales de 1875, Lacerte se présenta, cette fois, au provincial et fut élu. Gérin revint au journalisme. En 1882, pour le récompenser des nombreux services qu’il avait rendus au parti conservateur, le gouvernement de Joseph-Alfred Mousseau l’invita à siéger au Conseil législatif comme représentant de la division de Kennebec.
Homme malingre dont la santé laissait à désirer depuis longtemps, Elzéar Gérin décéda prématurément, à l’âge de 43 ans, à Montréal. Il appartenait à ces générations d’hommes doués qui, surtout au xixe siècle, ne purent rendre à leurs concitoyens canadiens tous les services que laissaient présager leurs brillantes qualités du cœur et de l’esprit.
Elzéar Gérin a écrit la Gazette de Québec (Québec, 1864) ; « Relations commerciales entre les États-Unis et le Canada », Rev. canadienne, 2 (1865) : 748–757 ; 3 (1866) : 108–122 ; « Chroniques », le Foyer canadien (Québec), 4 (1866) : 47–57, 165–176, 243–272, 316–324 ; « Québec jadis et aujourd’hui : causerie lue devant l’Institut canadien-français d’Ottawa », le Canada (Ottawa), 15, 17 févr. 1866 ; « le Saint-Maurice ; notes de voyage », Rev. canadienne, 9 (1872) : 33–57.
ANQ-MBF, État civil, Catholiques, Immaculée-Conception (Trois-Rivières), 14 oct. 1873 ; Sainte-Anne (Yamachiche), 14 nov. 1843.— Le Canada (Ottawa), 21 déc. 1865–déc. 1866.— Le Défricheur (L’Avenir, Québec), 4 juill.–14 août 1866.— Beaulieu et J. Hamelin, La presse québécoise, II : 115.— F.-L. Désaulniers, Les vieilles familles d’Yamachiche (4 vol., Montréal, 1898–1908), I : 109s.— Henri Vallée, Les journaux trifluviens de 1817 à 1933 (Trois-Rivières, 1933).— Désilets, Hector-Louis Langevin.— J.-A.-I. Douville, Histoire du collège-séminaire de Nicolet, 1803–1903, avec les listes complètes des directeurs, professeurs et élèves de l’institution (2 vol., Montréal, 1903).— M. Hamelin, Premières années du parlementarisme québécois.— Réjean Robidoux, « Les Soirées canadiennes et le Foyer canadien dans le mouvement littéraire québécois de 1860 » (thèse de d.e.s., univ. Laval, 1957), 81–100.— P.-G. Roy, « Elzéar-Gérin-Lajoie et l’enfant-terrible », BRH, 7 (1901) : 125.— Philippe Sylvain, « Le rôle de la Minerve dans l’échec au cardinalat de Monseigneur Darboy », Cahiers des Dix, 33 (1968) : 193–213.
Philippe Sylvain, « GÉRIN, ELZÉAR (baptisé Édouard-Elzéar) », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 1 déc. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/gerin_elzear_11F.html.
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Auteur de l'article: | Philippe Sylvain |
Titre de l'article: | GÉRIN, ELZÉAR (baptisé Édouard-Elzéar) |
Titre de la publication: | Dictionnaire biographique du Canada, vol. 11 |
Éditeur: | Université Laval/University of Toronto |
Année de la publication: | 1982 |
Année de la révision: | 1982 |
Date de consultation: | 1 décembre 2024 |