Titre original :  Image from the Archives of Ontario, RG 10-270, courtesy of Geoffrey Reaume.

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G., Alice (ses initiales étaient A. G. ; pour des raisons juridiques, son vrai nom ne peut être rendu public), bonne et travailleuse en détention psychiatrique, née en 1854 dans le canton de Murray, Haut-Canada ; décédée célibataire le 24 mai 1938 à Toronto.

Alice G. trima pendant des décennies dans la buanderie d’un établissement psychiatrique, à une époque où le travail des patients représentait une partie essentielle de l’économie du réseau asilaire. Ceux qui étaient internés se voyaient généralement confier une occupation semblable à l’emploi qu’ils tenaient pour gagner leur vie avant leur placement ; toutefois, dans les asiles, ils n’étaient pas payés pour leur labeur.

On en sait bien peu sur la jeunesse d’Alice, sauf qu’elle était originaire d’une région rurale, près de l’endroit où la rivière Trent et la baie de Quinte se rencontrent. En 1893, elle fut envoyée à l’Asylum for the Insane de Toronto, dirigé par Daniel Clark*. Selon son dossier, elle était « célibataire », sans enfants et travaillait comme « bonne ». Elle était anglicane, avait reçu une « bonne [éducation] publique anglaise » et s’abstenait de boire de l’alcool. On disait que des « déceptions amoureuses » étaient à l’origine de sa folie, et que l’objet de son affection était un médecin dans la communauté de Wooler, près de chez elle. Alice affirmait qu’il l’avait mise enceinte et qu’elle donnerait naissance à deux bébés – l’un en or, l’autre en argent –, et qu’elle était une prophétesse qui vivrait éternellement et accomplirait des miracles grâce à la prière. Henry W. Day, un des médecins qui remplirent ses formulaires d’admission, décrivit sa façon de parler comme à la fois « vive et perçante » et « très basse et faible » ; son collègue George Acheson nota quant à lui qu’elle « ri[ait] immodérément sans raison apparente ». On la considérait comme suicidaire parce qu’elle avait dit à un voisin « que c’était une bonne chose qu’il y ait des rivières autour pour qu’elle puisse mettre fin à [sa vie] ». Une fois les formulaires remplis, Alice fut internée à l’asile, où elle passerait les 45 dernières années de sa vie.

Durant les 16 premières années, rien ne fut écrit au sujet d’Alice. Puis, à partir de 1909, sous la direction de Charles Kirk Clarke*, qui insistait sur la prise de notes cliniques régulières, des inscriptions sporadiques ajoutées à son dossier donneraient un léger aperçu de sa vie pendant son internement. À l’époque où elle y était, l’asile surpeuplé accueillait entre 900 et 1 150 patients (il avait été conçu pour en héberger, en 1870, environ 700) ; il y avait à peu près autant d’hommes que de femmes. Les salles communes fermées à clé, où vivaient Alice et les autres pensionnaires qui ne payaient pas, étaient froides en hiver, infestées de rats et dépourvues des commodités les plus modestes, comme des coussins ou des tapis. En 1909, Alice fut transférée du bâtiment principal dans l’une des vastes maisons de trois étages, appelées cottage, qui avaient été construites dans l’enceinte de l’asile pour lutter contre le surpeuplement. Chacune accueillait environ 50 patients. On estimait que ceux qui y habitaient présentaient peu de risques de s’enfuir ; il n’est mentionné nulle part qu’Alice essaya de s’échapper. À l’exception d’un bref retour dans un pavillon principal en 1910, elle demeurerait dans l’une des deux maisons réservées aux patientes jusqu’à quelques semaines avant sa mort.

L’aspect de la vie d’Alice à l’asile dont on rendait le plus souvent compte était son travail à la buanderie, où elle peina quotidiennement durant au moins 28 ans. La première note à mentionner le service d’Alice date de 1909 et la qualifie de « bonne travailleuse » ; plusieurs remarques similaires seraient ajoutées à son dossier au fil des décennies suivantes. En 1921, à l’âge de 67 ans, elle est décrite comme « une repasseuse » qui est à la buanderie « tous les jours ». Des partisans de la thérapie morale, qui était censé comprendre du travail, des loisirs, des offices religieux, une alimentation saine et de l’exercice, affirmaient qu’elle était bénéfique pour les patients. En fait, elle permettait l’exploitation des plus défavorisés. Les pensionnaires payants étaient, dans la plupart des cas, exemptés de tâches ménagères, ce qui veut dire que les patients les plus pauvres devaient accomplir la plus grande partie du travail, même s’ils n’avaient pas demandé à être confinés et que rien ne les obligeait à accomplir des tâches non rémunérées. Les défenseurs de la thérapie morale, comme Clark, croyaient que le travail devait être peu fatigant pour avoir un effet positif ; le repassage nécessitait cependant de soulever de lourdes charges dans un environnement chaud et humide. Alice, décrite en 1923 comme une « petite vieille dame » (elle pèserait une centaine de livres durant les cinq dernières années de sa vie), exécutait ses tâches « avec bonne volonté », d’après un rapport. Il est impossible de savoir ce qu’elle pensait de son travail, puisque, comme la plupart des internés à l’asile, elle ne laissa pas de comptes rendus à la première personne. En 1935, on rapporta qu’elle était une « assez bonne travailleuse », qui était à son poste tous les jours, mais, deux ans plus tard, Alice « refusa subitement d’aller plus longtemps [à la buanderie] », et ce, sans « donner aucune explication ». Le médecin qui nota l’événement écrivit qu’« elle [était] probablement trop vieille maintenant pour travailler ». Elle avait alors 83 ans. La thérapie morale, sous la forme de décennies de travail non rémunéré, semble être le seul genre de traitement qu’elle ait reçu.

Des bribes de la personnalité et des souffrances d’Alice apparaissent dans les comptes rendus, où il est dit qu’elle n’était « pas coopérative » parce qu’elle résistait au bain, ce qui lui valut un œil poché, infligé par un employé ; à d’autres moments, on la félicitait de se tenir propre. Une fois on la décrivit comme « très affable », une autre fois comme « très bizarre », parce qu’elle « se parl[ait] et se souri[ait] sans arrêt à elle-même ». Les médecins remarquèrent qu’elle était « toujours en mouvement » partout dans le bâtiment, qu’elle entendait « des voix étranges » et qu’elle se bagarrait parfois avec d’autres patients. Durant ses dernières années, elle portait « de vieux chiffons et des vêtements sales épinglés à sa robe », des articles qu’elle avait peut-être pris à la buanderie.

Une photographie d’Alice G. de 1937 montre une femme décharnée avec des cheveux courts, blancs et bien coiffés, et des lèvres enfoncées ; ses grands yeux ronds regardent fixement en avant. Deux mois avant de mourir d’une insuffisance cardiaque, en mai 1938, elle ne pesait plus que 81 livres. Même si on ne lui connut jamais de visiteurs, Alice fut inhumée au cimetière St James et son service fut payé avec les fonds laissés par sa nièce. Cette unique preuve, en 45 ans, qu’on se souvenait d’elle à l’extérieur, souligne l’isolement de sa vie à l’asile. Les mots d’Alice, notés en 1927, en sont d’autant plus poignants : « Elle affirme qu’elle est ici par “erreur”. »

Geoffrey Reaume

AO, RG 10-270, patient file no 4038 (no de dossier anonyme conformément à la législation provinciale relative à la protection de la vie privée).— Erin Anderssen, « The lonely madness of Alice G. », Globe and Mail, 20 juin 2008 : A8.— Geoffrey Reaume, Remembrance of patients past : patient life at the Toronto Hospital for the Insane, 1870–1940 (Don Mills [Toronto], 2000).

Comment écrire la référence bibliographique de cette biographie

Geoffrey Reaume, « G., ALICE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16, Université Laval/University of Toronto, 2003– , consulté le 28 nov. 2024, http://www.biographi.ca/fr/bio/g_alice_16F.html.

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Auteur de l'article:    Geoffrey Reaume
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Titre de la publication:    Dictionnaire biographique du Canada, vol. 16
Éditeur:    Université Laval/University of Toronto
Année de la publication:    2016
Année de la révision:    2016
Date de consultation:    28 novembre 2024